CA Grenoble, ch. com., 4 décembre 1997, n° 95-5122
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Guillaumin (SA)
Défendeur :
Riondet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Béraudo
Avoués :
Me Ramillon, SCP Grimaud
Avocat :
Me Spinella.
Depuis 1981, Monsieur Yves Riondet, sous l'enseigne Garage Scratch, fut agent VAG, avec pour concessionnaire la société Alpes Sport Auto, et le canton de Vizille, comme secteur d'exclusivité,
En 1988, la société VAG France modifia son réseau de distribution et entendit que Monsieur Riondet dépende d'un autre concessionnaire VAG, la société Guillaumin,
Le 15 septembre 1988, Monsieur Riondet signa un contrat d'agence, avec effet au 1er janvier 1988, portant sur le secteur de Vizille, avec ce dernier concessionnaire,
Par courrier du 19 septembre 1988, le concessionnaire Guillaumin fit connaître à Monsieur Riondet quels seraient ses objectifs de vente jusqu'à la fin de l'année, ainsi que l'objectif PRA (150.000 F),
Le 5 octobre 1988, Monsieur Riondet répliqua qu'il était en désaccord avec ce courrier et exigea du concessionnaire qu'il s'engage à :
- respecter les clauses de l'annexe B (commissionnement à 40 % ou 60 % suivant que le concessionnaire l'aidait ou non à la vente),
- définir les volumes respectifs de vente selon les catégories de véhicules,
- indiquer des remises sur les pièces pilotes et accessoires,
Le 24 octobre 1988, Monsieur Riondet décida de se dégager de tout engagement, en raison du libellé du courrier du 19 septembre 1988 et de l'absence de réponse à sa demande formulée le 5 octobre,
Le 24 octobre 1988, le concessionnaire Guillaumin satisfaisant au courrier du 24 octobre en ventilant les treize véhicules à vendre avant la fin de l'année, s'engageait à respecter l'annexe B avec marge restante de 60 %, mais indiquait qu'elle ne pouvait s'aligner sur la politique de prix pratiquée par l'autre concessionnaire pour éviter le grief d'entente illicite,
Le 14 février 1989, Monsieur Riondet fit connaître à VAG France qu'il n'avait toujours pas obtenu l'accord du concessionnaire Guillaumin,
Le 31 mars 1989, le concessionnaire Guillaumin mit en demeure Monsieur Riondet de respecter son contrat d'agence et de lui transmettre les commandes de véhicules,
Le 11 juillet 1989, VAG France a résilié le contrat d'agence,
Le 19 juillet 1989, la société Guillaumin a notifié à Monsieur Riondet la résiliation du contrat d'agence,
Par jugement contradictoirement rendu le 28 juillet 1995, dont appel, le Tribunal de Commerce de Grenoble a débouté la société Guillaumin de sa demande en paiement d'une indemnité de 1.300.000 F, et Monsieur Riondet de sa demande reconventionnelle d'indemnisation,
La société Guillaumin appelante, conclut à l'infirmation, à la condamnation de Monsieur Riondet à lui payer une indemnité de 1.300.000 F, avec intérêts à compter de l'assignation, la somme de 50.000 F, le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile, ainsi qu'au recouvrement direct des dépens mis à la charge de l'intimé,
La société appelante expose que son courrier du 19 septembre 1988 ne constituait pas un contrat autonome mais la simple application du contrat d'agence, pour la période à courir jusqu'à la fin de l'année,
Elle ajoute que, le 24 octobre 1988, elle a d'ailleurs fourni les précisions nécessaires à Monsieur Riondet,
Elle conteste la validité de la résiliation décidée par Monsieur Riondet sans motifs et sans respecter le préavis contractuel d'un mois,
Elle souligne que, de 1988 à 1993, Monsieur Riondet ne lui a passé aucune commande, ce qui après la résiliation du contrat d'agence, constitue une concurrence déloyale, entraînant une confusion auprès de la clientèle,
La société Guillaumin allègue l'existence d'un préjudice de 1.300.000 F résultant d'un manque à gagner sur quarante cinq véhicules annuels pendant cinq ans,
Monsieur Yves Riondet, intimé, conclut à la confirmation, à la condamnation de la société Guillaumin à lui verser une indemnité de 400.000 F, en réparation de la campagne de dénigrement menée par cette société, et la somme de 5.000 F, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
Monsieur Riondet expose qu'après la signature du contrat d'agence, le 15 septembre 1988, la société Guillaumin lui a adressé une annexe 6 prévoyant sa rémunération, sans reprise d'une rémunération de 60 % pour les ventes acquises sans intervention du concessionnaire,
Il explique que, par son refus le contrat antérieur avec le concessionnaire Alpes Sport Auto demeurait applicable,
Il souligne qu'un courrier daté du 21 février 1989, émanant de VAG France, inclut d'ailleurs le garage Scratch, dans le programme du concessionnaire Alpes Sport Auto,
Il s'étonne que le 27 février 1989, VAG France ait remis en cause ce dernier rattachement,
Il ajoute que si VAG France les 27 avril et 26 juin 1989, lui a confirmé les commissions 40 - 60 %, jamais la société Guillaumin ne les a confirmées,
Enfin, Monsieur Riondet fait valoir que, le 12 juin 1990, le concessionnaire Alpes Sport Auto a obtenu l'inclusion du canton de Vizille dans sa circonscription, ce qui justifie sa collaboration avec ce concessionnaire,
Monsieur Riondet dénonce les pratiques du concessionnaire Guillaumin qui, par voie d'annonce, le dénigrait,
Sur ce,
a) Attendu que le 15 septembre 1988, Monsieur Riondet a signé avec le concessionnaire Guillaumin un contrat d'agence lequel fixait à l'article 3, de façon pré-imprimée d'ailleurs, une commission de l'agent à 40 %, si la vente est réalisée avec l'intervention de la concession à 60 %, dans le cas contraire, ainsi que l'objectif des ventes (45 véhicules répartis en trois catégories et les PRA (pièces rechanges et accessoires) 600.000 F,
Qu'il était légitime que le concessionnaire adapte cette convention, dont la prise d'effet avait été rétroactivement fixée au 1er janvier 1988, et fasse connaître à son agent ce qui était conventionnellement prévu jusqu'à la fin de l'année,
Attendu que le courrier du 19 septembre 1988 a fait une application prorata temporis (13 véhicules et 150.000 F PRA),
Attendu que Monsieur Riondet a, toutefois, pu légitimement s'inquiéter de certaines formulations selon lesquelles "Monsieur Vasquez vous aidera dans cette tâche" (de vente) ; qu'il ne démontre point, toutefois, que le concessionnaire aurait soumis à sa signature une autre annexe 6 laquelle aurait limité tout commissionnement à 40 %, en contradiction avec le contrat signé le 15 septembre 1988,
Attendu que Monsieur Riondet a, par un courrier du 5 octobre 1988, sollicité légitimement les éclaircissements nécessaires,
Attendu que, par le courrier daté du 24 octobre 1988, le concessionnaire Guillaumin lui a donné les apaisements utiles :
- 40 % de commission pour les ventes sans intervention du vendeur,
- 8 véhicules en groupe A ; 3 en groupe B ; 2 en groupe C, (objectif de vente),
- pour les pièces de rechange le concessionnaire a implicitement renvoyé son agent aux barèmes de l'annexe 6, déjà signée, pour les remises sur les pièces pilotes et les accessoires,
Attendu que si, le même 24 octobre, Monsieur Riondet a résilié le contrat d'agence, il aurait dû, devant exécuter l'accord de bonne foi constater qu'il avait obtenu satisfaction par la réponse donnée, et donc rapporter la résiliation décidée par lui,
Qu'en effet, le concessionnaire lui a répondu dans un délai raisonnable - celui-là même que Monsieur Riondet s'était imposé avant de prendre parti ;
Attendu que la résiliation fut ainsi décidée sans raison par Monsieur Riondet,
Attendu que le contrat a ainsi pris fin le 24 novembre 1988, compte tenu du préavis conventionnel d'un mois ; que les tentatives ultérieures du concessionnaire et de VAG France pour raisonner Monsieur Riondet étant demeurées vaines, chaque société, en juillet 1989, a pris acte de la rupture intervenue dès 1988, à la seule initiative de Monsieur Riondet,
Attendu que le préjudice contractuel du concessionnaire est limité, s'agissant d'un contrat à durée indéterminée, résiliable avec un préavis d'un mois, à la date du 24 novembre 1988,
Attendu que, dans le calcul subsidiaire du préjudice, Monsieur Riondet ne conteste pas que les objectifs de vente puissent être retenus (page 7),
Que le préjudice du concessionnaire s'élève ainsi à (8 véhicules perdus avec une commission de 40 %, soit 75.000 x 8 x 4/10 x 13,30/100 = 31.920 F,
Attendu que Monsieur Riondet justifie les ventes ultérieures passées par l'entremise Alpes Sport Auto parce que ce dernier aurait obtenu le secteur de Vizille en 1991, et qu'ensuite le secteur aurait été banalisé jusqu'en 1993,
Attendu que le concessionnaire Guillaumin conteste que le secteur ait été attribué à son concurrent, Alpes Sport Auto ; qu'il soutient que le canton de Vizille fut banalisé, ce qui interdisait à Alpes Sport Auto d'y désigner un agent,
Attendu que jusqu'en juin 1991, le secteur de Vizille dépendait du seul concessionnaire Guillaumin en infraction aux droits desquels Monsieur Riondet a pris des commandes,
Attendu que si le secteur de Vizille figure, depuis juin 1991, également dans le secteur de la société Alpes Sport Auto, Monsieur Riondet, qui ne peut légitimement se prévaloir d'un contrat d'agence avec le concessionnaire Alpes Sport Auto, a porté atteinte aux droits de la société Guillaumin,
Qu'il ne peut raisonnablement soutenir s'être mépris sur la situation alors que, par courrier des 23 mars et 7 juillet 1992, VAG France a clairement rappelé à Monsieur Riondet que la décision prise à son égard était irrévocable, et que sa demande d'une concession de la marque Skoda pourrait être examinée après dépose des panneaux et insignes VAG et Audi,
Attendu queMonsieur Riondet a conservé le panneau VAG Audi jusqu'en août 1993, où il dût le déposer en exécution d'une ordonnance de référé rendue le 30 juin 1993,
Que l'atteinte aux droits du concessionnaire Guillaumin fut ainsi prolongée jusqu'à cette date,
Attendu que,pour la période de juin 1991 à août 1993, Monsieur Riondet admet avoir vendu 18 véhicules,
Quedu 24 novembre 1988 à juin 1991, période pour laquelle la société Guillaumin avait l'exclusivité du secteur de Vizille, une perte de quinze véhicules peut être retenue,
Que pour la période ultérieure, Monsieur Riondet qui avait conservé abusivement les panneaux et insignes VAG et Audi, a faussé la concurrence entre les deux concessionnaires sur le secteur, en ne transmettant ses commandes qu'à un seul d'entre eux,
Qu'au total, il sera retenu une perte de trente véhicules, soit un préjudice de 75.000 x 30 x 13,3/100 x 40/100 = 119.700 F,
Attendu que la société Guillaumin recevra ainsi une indemnité de (31.920 + 119.700) = 151.620 F, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, afin de compenser l'ancienneté de la perte comptable,
c) Attendu que Monsieur Riondet fait grief à la société Guillaumin d'avoir commis des actes de concurrence déloyale à son endroit,
Qu'il produit un constat d'huissier dressé le 18 juin 1987 aux termes duquel à Vizille, à la station Total, sont exposés à la vente des véhicules VAG, certains immatriculés en W,
Que toutefois, de ce constat, il ne saurait résulter que l'éventuelle concurrence déloyale de l'exploitant de la station service et non pas celle du concessionnaire Guillaumin,
Attendu, enfin, que Monsieur Riondet dénonce des placards publicitaires, passés dans la presse locale à l'initiative de la société Guillaumin laquelle avisait la clientèle que le Garage Scratch ne faisait plus partie du réseau VAG et qu'il n'était plus habilité à assurer la garantie constructeur,
Qu'une telle relation, en soi exacte, était nécessitée par le fait que Monsieur Riondet affichait sans droit les panneaux et insignes VAG et Audi et que la clientèle ne pouvait être informée que par voie de presse de l'irrégularité de la situation,
Attendu, enfin, que la lettre circulaire est datée du 1er mars 1991, époque où seule la société Guillaumin pouvait exploiter le secteur de Vizille,
Qu'il n'est donc pas fait droit à la demande reconventionnelle,
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré, Et statuant à nouveau : Condamne Monsieur Yves Riondet à payer à la société Guillaumin la somme de 151.620 F (cent cinquante et un mille six cent vingt francs), avec intérêts au taux légal depuis le 12 juillet 1994, et celle de 10.000 F (dix mille francs), sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Déboute Monsieur Yves Riondet de sa reconvention, Met les dépens à la charge de Monsieur Yves Riondet avec, pour ceux d'appel, droit de recouvrement direct au profit de la SCP d'avoués Grimaud.