CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 19 mai 1998, n° 1996-5181
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gamma Industries (SA)
Défendeur :
Deroin, Deroin Diffusion (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brignol
Conseillers :
MM. Charras, Boyer
Avoués :
Mes De Lamy, Scp Sorel Dessart
Avocats :
Mes Lopez, Decker.
Inscrit au greffe du tribunal de commerce de Toulouse sur le registre spécial des agents commerciaux depuis 1988, M. Deroin a signé, en juillet 1990, un contrat d'agent commercial avec la société Gamma industries. En décembre 1992, M. Deroin a constitué une sarl dénommée Deroin Diffusion, agence commerciale ayant pour objet, notamment, l'activité d'agent commercial ; Cette société, dont il est le gérant, a débuté ses activités au 10 janvier 1993 et elle a été immatriculée au greffe du tribunal de commerce de Toulouse au registre spécial des agents commerciaux le 12 janvier 1993; parallèlement M. Deroin était radié, personnellement le 4 janvier 1993.
Par un courrier du 1er mars 1994, la sté gamma industries a résilié le contrat d'agent commercial de M. Deroin, avec effet immédiat, en faisant ressortir qu'il n'était plus inscrit au registre commercial et qu'il ne respectait pas les stipulations du contrat d'agence commerciale, le bénéfice du contrat ayant été transféré sans son accord d'une personne physique à une personne morale.
En juin 1994, M. Deroin et la sarl Deroin Diffusion ont fait assigner la SA Gamma Industries en paiement. La question de la compétence a fait difficulté et a été réglée par un arrêt de la cour d'appel de Toulouse qui a renvoyé les parties devant le tribunal de commerce de Toulouse.
Retenant la responsabilité de la SA Gamma Industries dans la rupture du contrat d'agence, le tribunal l'a condamnée à payer à M. Deroin et à la sarl Deroin Diffusion les sommes suivantes:
-celle de 210.000 F. HT à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice causé par la rupture du contrat,
-celle de 26.250 F. HT à titre de dommages et intérêts pour non respect du délai de préavis,
-celle de 261.803 F. HT au titre des commissions unilatéralement réduites,
-celle de 32.879 F. HT au titre des affaires en cours.
-celle de 10.000 F. au titre de l'article 700.
La société Gamma Industries qui a fait appel de ce jugement, demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter M. Deroin et la société Deroin de leurs demandes et de les condamner aux dépens et au paiement de frais irrépétibles.
Elle soutient qu'elle n'a jamais été informée dans les délais de la substitution opérée, qu'elle n'a pas donné son accord à la cession ou à l'apport en société du contrat d'agent, qu'il y a "mutation de la qualité et du statut de l'agent commercial".
Elle nie avoir implicitement accepté la substitution.
Elle considère que l'article 5 du contrat initial n'autorise pas la substitution d'une personne physique par une personne morale.
Elle s'explique de façon détaillée sur les commissionnements contestés.
Monsieur Deroin et la sarl Deroin demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a considéré que la rupture leur ouvrait droit au versement d'une indemnité compensatrice et sollicitent la condamnation de la ste gamma industries au paiement d'une somme de 500.000 F. à titre d'indemnité compensatrice de la rupture et d'une somme de 27.566 F. h.t au titre du préavis non respecté.
Ils demandent qu'il soit dit et jugé qu'en l'absence d'avenant modificatif du taux de commission, la société Gamma Industries ne pouvait modifier unilatéralement les commissions dues au mandataire; ils sollicitent la confirmation du jugement prononçant la condamnation au paiement de la somme de 261.803 F. h.t au titre des commissions réduites outre celle de 32.879 F. h.t au titre des affaires en cours.
Ils demandent la condamnation complémentaire au paiement de dommages intérêts et de frais irrépétibles.
Ils soutiennent que M. Deroin, puis la Sarl Deroin diffusion dont il est associé et gérant, ont toujours été immatriculés.
Ils font valoir que M. Deroin était bénéficiaire, aux termes du mandat, d'une totale liberté dans l'exercice de ses fonctions et qu'il pouvait "travailler sous quelques formes que ce soit sans avoir à en référer à la Sté Gamma Industries" de telle sorte que le contrat n'a pas été conclu en considération de la personne et que la substitution de la société à la personne physique n'est pas contraire aux prévisions des parties.
Ils soutiennent que la société, formée par M. Deroin et sa fille, n'est pas une tierce personne.
Ils affirment que la société Gamma Industries : - qui a reçu des factures de la société et effectué des paiements par chèque à l'ordre de la société a tacitement agréé la sarl Diffusion au lieu et place de M. Deroin.
Ils estiment que l'indemnité de rupture doit être évaluée à la somme de 500.000 F. en raison de la mauvaise foi de la sté Gamma Industries.
Ils s'expliquent, de façon détaillé, sur ces commissions dues sur la base d'un taux de 7,5 % ou de 5 % et sollicitent le respect des conditions contractuelles initiales en l'absence d'avenant.
Sur ce, la cour,
Alors que la clôture est intervenue le lundi 23 mars 1998, sont, d'office, rejetées des débats, les écritures et les pièces déposées et communiquées par la SA Gamma Industries le vendredi 20 mars 1993 et le 23 mars 1993, qui, ne permettant pas aux intimés de répondre, violent les droits de la défense, ainsi que les conclusions de M. Deroin et de la SARL Deroin Diffusion notifiées et déposées les 17 et 20 avril 1998 après la clôture.
Le contrat d'agence commerciale a été signé par M. Deroin, personne physique.
Le statut légal d'agent commercial et les stipulations contractuelles " M. Deroin pourra travailler par ailleurs sous quelque forme que ce soit sans avoir à en référencer à la sté Gamma Industries " lui confèrent l'indépendance et la liberté d'organiser ses activités.
A partir de janvier 1993, ces activités ont été assurées par la SARL Deroin Diffusion.
Il s'agit, manifestement, d'une transmission du contrat par M. Deroin à la Sarl Deroin Diffusion.
Le contrat de 1990 prévoit la présentation, par les héritiers de M. Deroin, d'un successeur, dans l'hypothèse du décès de ce dernier, le mandant n'étant pas tenu de donner son agrément; il n'est pas prévu de modalités particulières s'agissant de la cession à l'initiative de l'agent.
Il convient donc, en l'espèce, de se référer aux usages et d'observer, d'une part que le contrat d'agence commerciale ayant une valeur patrimoniale, M. Deroin était en droit de présenter un successeur à l'agrément de son mandat, d'autre part que le refus d'agrément sans motif sérieux est susceptible d'engager la responsabilité du mandant ou son obligation au paiement d'une indemnité.
En pratique, il apparait que la société Gamma Industries - informée par les factures dont certaines étaient émises par la SARL Deroin Diffusion ainsi que par les recherches auprès du greffe qu'elle indique avoir faites en août 1993 - a poursuivi sans réserve, au delà de cette date et jusqu'en mars 1994 sa collaboration avec M. Deroin et la SARL Deroin diffusion en faveur de qui elle a, suivant ses conclusions, émis des chèques.
La poursuite, éclairée, des relations commerciales entre les partenaires s'analyse en un agrément tacite de la Sté Deroin Diffusion - successeur de M. Deroin - par la Sté Gamma Industries.
Ainsi le mandant a mis fin unilatéralement et en l'absence de toute faute du mandataire au contrat à durée indéterminée intervenu en 1990, cette résiliation impose un délai de préavis et ouvre droit à une indemnité de rupture au profit de l'agent commercial.
Il convient en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu le principe d'une double indemnité.
M. Deroin et la SARL Deroin Diffusion demandent à la cour d'évaluer l'indemnité à la somme de 500.000 F. en considération de la mauvaise foi de la Sté gamma industries.
Il apparait que les premiers juges ont fait, compte tenu des éléments de la cause, une appréciation exacte des indemnités de rupture et de préavis, notamment par référence au chiffre d'affaires réalisé, qu'il convient de confirmer.
La Sté Gamma Industries conteste les compléments de commissions allouées par les premiers juges.
La convention fixe le taux de commission à 7,5 % et 5 % et aucun avenant ne prévoit de minoration; il ressort des pièces communiquées par M. Deroin et la Sarl Deroin Diffusion devant le premier juge (cf. bordereau du 2 août 1994) que des désaccords ont opposé les parties, durant les derniers mois de l'année 1993 pour des marchés concrétisés sur les mêmes périodes, de telle sorte que la Sté Gamma industries ne peut soutenir qu'en acceptant les commissions M. Deroin et la SARL Deroin diffusion ont accepté leur minoration.
Par ailleurs, les rabais effectués en faveur du client ne peuvent justifier la réduction des commissions de l'agent en l'absence d'accord exprès de sa part.
L'agent commercial a communiqué des éléments relatifs aux affaires Gevaert/Enac, Bisseuil, Spie et Lycee de muret/Delvaux de telle sorte que ses prétentions ne peuvent être examinées que pour ces seules affaires, s'agissant des compléments de commission sollicités.
Cependant, s'agissant des opérations retenues, la cour n'est pas en mesure, sur la base des documents produits et en l'absence de communication régulière par la Sté Gamma Industries, de vérifier les calculs effectués par M. Deroin et la société Deroin Diffusion. Une expertise technique sera donc ordonnée, avant dire droit, aux frais avancés de M. Deroin et de la société Deroin Diffusion qui ont la charge de la preuve, tant sur l'arriéré de commission que sur les commissions dues au titre des affaires an cours.
Il est sursis à statuer sur ces points, dans l'attente du dépôt du rapport à intervenir ainsi que sur la demande de dommages intérêts complémentaires, les dépens et les frais irrépétibles.
Par ces motifs : La COUR, déclare l'appel recevable, rejette des débats les conclusions déposées les 20 mars et 20 avril 1998 ainsi que les pièces communiquées par bordereau du 23 mars 1998. Confirme le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 19 septembre 1996 en ce qu'il a condamné la SA Gamma Industries à payer à M. Deroin et à la SARL Deroin Diffusion les sommes de 210.000 F. HT à titre d'indemnité compensatrice de la rupture du contrat et de 26.250 F. HT au titre du délai de préavis. Ordonne, avant dire droit, une expertise technique, commet M. Gabay, avec mission contradictoirement, de prendre connaissance des pièces contractuelles et des marchés, d'entendre les parties, de donner à la cour les éléments permettant de chiffrer, en application des stipulations du contrat d'agence, les commissions qui pourraient être dues - en raison de minoration injustifiée, sur les affaires Gevaert/Enac, Bisseuil, Spie, Lycee de Muret/Delvaux, -sur les affaires en cours au moment de la rupture, dit que M. Deroin et la SARL Deroin Diffusion consigneront au greffe de la cour la somme de 5.000 F. (cinq mille F.) à valoir sur les frais et honoraires de l'expert, invite l'expert à déposer un rapport, au greffe de la cour, dans les trois mois de sa saisie. Réserve l'appréciation des dommages et intérêts, des dépens et des frais irrépétibles.