Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 26 novembre 1997, n° 95-11001

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SLH France (SA)

Défendeur :

Heurtault Motoculture (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vigneron

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Regnier-Bequet, SCP Bernabe-Ricard

Avocats :

Mes Borget, Tanguy.

T. com. Melun, du 27 févr. 1995

27 février 1995

La société Anonyme SLH France a, par déclaration remise au secrétariat-greffe le 17 mars 1995, interjeté appel du jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 27 février 1995 par le Tribunal de Commerce de Melun qui l'a condamnée à payer à la société Heurtault la somme de 640.000 F en réparation du préjudice subi à la suite de la rupture brutale de son contrat de concession ainsi que celle de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, la déboutant de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles.

La société Anonyme SLH France prie la Cour, réformant cette décision, de débouter la société Heurtault Motoculture de l'intégralité de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 119.010 F à titre de dommages et intérêts en application de l'article 10 alinéa 6 du contrat du 25 juin 1992 outre celle de 40.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.

La société SLH France fait valoir qu'aucun abus ne peut être retenu à sa charge dans la rupture du contrat la liant à la société Heurtault dès lors que cette dernière a pris l'initiative de distribuer une autre marque de tracteurs sans avoir obtenu au préalable l'accord exprès et écrit du concédant, infraction constituant aux termes de l'article 12 du contrat un motif grave de résiliation autorisant le concédant à le résilier à tout moment et sans préavis et justifiant aux termes de l'article 10 le paiement à ce dernier d'une indemnité forfaitaire égale à 10 % de la valeur Hors Taxes des matériels facturés par SLH France pendant une période de deux années précédant la résiliation.

La SARL Heurtault Motoculture poursuit la confirmation en son principe du jugement entrepris dont elle forme appel incident s'agissant du montant des dommages et intérêts à elle alloués qu'elle demande à la Cour de fixer à la somme de 840.000 F correspondant à sa demande initiale, et sollicite une indemnité de 40.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Heurtault Motoculture (ci-après Heurtault) soutient que la résiliation du contrat est abusive comme ne respectant pas la bonne foi dans son exécution exigée par l'article 1134 du Code Civil et fait valoir que les motifs réels ne sont pas ceux invoqués mais le choix économique de SLH France de mettre en place un nouveau concessionnaire disposant d'une implantation plus importante, que les motifs invoqués n'ont pas la gravité prétendue, que la résiliation a été assortie d'une manœuvre fallacieuse, l'offre de représentation de la marque de tracteurs Lamborghini dont la part de marché est insignifiante par rapport à Same, et qu'enfin elle est intervenue sans respect du préavis prévu à l'article 12 du contrat. Elle indique que cette résiliation lui a causé un préjudice important du fait de l'atteinte à sa réputation commerciale résultant de la perte de son activité Same, prépondérante, et du trouble apporté dans la continuité de son exploitation par son caractère immédiat, qu'elle chiffre à la valeur d'une année de marge brute réalisée sur les matériels Same. Elle conteste le second motif de résiliation tiré du non-respect des objectifs contractuels, qui n'a été invoqué par SLH France qu'en cours de procédure et s'oppose à la demande reconventionnelle d'indemnité contractuelle.

Sur ce, LA COUR

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats qu'à dater du 1er janvier 1988 la société SLH France, importateur et distributeur exclusif sur le territoire français des matériels agricoles de marque Same et la société Heurtault Motoculture se sont trouvées liées par des contrats de concession successifs conclus chacun pour une durée de un an.

Considérant que le dernier contrat, signé par les parties le 25 juin 1992, prévoit en son article 2 relatif à la durée qu'il entre en vigueur le 1er janvier 1992 pour prendre fin le 31 décembre 1992, les parties convenant de se rapprocher quatre mois avant l'échéance pour déterminer la nature de leurs relations commerciales durant la période suivante ;

que des précisions sont apportées par l'article 12 " arrêt du contrat ", paragraphe a) " résiliation au terme du contrat " dont l'alinéa 2 dispose " si les relations contractuelles des parties ont une ancienneté supérieure à trois ans, ce délai sera augmenté d'un mois pour chaque année supplémentaire écoulée sans pouvoir excéder six mois. Au cas où les parties omettraient de se rapprocher pour déterminer la durée du contrat dans les conditions précitées, le contrat se renouvellerait pour une durée d'un an, à laquelle il pourra être mis fin dans les conditions ci-dessus " ;

Qu'il résulte des dispositions précitées que le contrat signé pour l'année 1992 s'est prolongé jusqu'au 31 décembre 1993 aux mêmes conditions ;

Considérant que ce contrat prévoit en son article 12 b) la possibilité pour SLH France de le résilier, par lettre recommandée avec accusé de réception, à tout moment et sans préavis pour motif grave ; qu'il comporte une liste, non exhaustive, de motifs graves fondant la résiliation sans préavis au nombre desquels figurent le non-respect de l'engagement d'achat (article 4) et la distribution d'une marque concurrente sans accord préalable exprès et par écrit du concédant (article 10) ;

Considérant que par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 novembre 1993 la société SLH France écrivait à Heurtault Motoculture, après un bref rappel de négociations menées en octobre demeurées sans suite : "c'est donc à regret que nous vous retirons la carte Same, et ceci immédiatement en tenant compte du fait que selon l'article 12 de notre contrat de concession (alinéa b) vous ne nous avez pas consulté pour la prise d'une marque concurrente, en l'occurrence Valmet, et que nous constatons que vous avez un tracteur en exposition et que vous effectuez des publicités dans cette marque depuis quelques mois".

Considérant que le fait allégué, établi notamment par une publicité parue dans l'hebdomadaire "la France Agricole" daté du 2 juillet 1993 et par la reconnaissance de la société Heurtault Motoculture qui indique dans sa lettre du 16 décembre 1993 n'avoir vendu qu'un seul tracteur Valmet en 1993, constitue une infraction aux dispositions de l'article 10 du contrat aux termes desquelles le concessionnaire, après avoir déclaré les marques de tracteur par lui représentées à la date de signature du contrat (mention demeurée vierge en l'espèce) s'interdisait pendant le cours dudit contrat, "sauf accord préalable, exprès et par écrit de SLH France de représenter une autre marque de tracteur à peine de résiliation immédiate outre, à titre de dommages et intérêts contractuels, le paiement à SLH France d'une indemnité forfaitaire égale à 10 % de la valeur Hors Taxe des matériels facturés par SLH France pendant une période de deux années précédant la résiliation".

Considérant que contrairement à ce que prétend la société Heurtault Motoculture en ignorant délibérément les termes des articles 10 et 12 du contrat il s'agit bien d'un motif grave justifiant la résiliation du contrat sans préavis; qu'il importe peu dès lors que SLH ait pu y procéder également pour d'autres raisons (restructuration de son réseau) et qu'elle ait tenté, avant de recourir à cette décision définitive, de trouver une solution de compromis en proposant à Heurtault Motoculture la substitution d'une concession Lamborghini à la concession Same.

Considérant qu'il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions contractuelles et de condamner la société Heurtault Motoculture au paiement de l'indemnité prévue à l'article 10 du contrat dont le calcul par SLH France sur la base de neuf factures HT d'avril 1992 à novembre 1993 n'est ni contesté, ni contestable, soit la somme de 119.010 F ;

Considérant que l'équité ne commande pas l'application à l'espèce des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs : Réforme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Déboute la SARL Heurtault Motoculture de ses demandes, La condamne à payer à la société Anonyme SLH France la somme de 119.010 F à titre de dommages et intérêts. Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Condamne la SARL Heurtault Motoculture aux entiers dépens de première instance et d'appel. Accorde à la SCP Regnier avoué le bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.