CA Paris, 1re ch. D, 5 mars 1997, n° 96-84670
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Hirschnagl
Défendeur :
Friedrich W. Heye Verlag GmbH (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cahen-Fouque
Conseillers :
M. Linden, Mme Boitaud
Avocats :
Mes Suzanne, Querenet-Hahn.
M. Hirschnagl, invoquant la rupture abusive du contrat de distribution exclusive le liant, selon lui, à la société de droit allemand Friedrich W. Heye Verlag GmbH, (ci-après la société Heye), pour la vente de ses produits en France, a assigné cette dernière devant le tribunal de commerce de Créteil en paiement de dommages et intérêts.
La société Heye ayant soulevé une exception d'incompétence au profit du tribunal de grande instance de Munich en se prévalant d'une clause attribuant compétence aux tribunaux de Munich insérée dans chacun des contrats de vente successifs conclus entre les parties, le tribunal saisi s'est, par jugement du 16 octobre 1996, déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, en retenant que l'exclusivité de ses liens commerciaux avec la société Heye dont se prévaut M. Hirschnagl n'a jamais été matérialisée par un contrat écrit, et que les conditions générales de vente, que M. Hirschnagl ne pouvait pas ignorer du fait des relations suivies ayant existé entre lui et la société Heye pendant plus de quinze ans, prévoyaient la compétence du tribunal de Munich.
M. Hirschnagl a formé contredit à cette décision, en invoquant les dispositions de l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et la conclusion à son profit d'un contrat verbal de distribution exclusive en France.
Dans des conclusions ultérieures, M. Hirschnagl a soutenu que les clauses insérées dans les contrats de vente successifs intervenus avec la société Heye, non encore portées à sa connaissance avant ou lors de la conclusion de la concession dont la rupture est l'objet même du litige, ne peuvent lui être opposées comme ne répondant à aucune des conditions posées par l'article 17 de la Convention de Bruxelles.
M. Hirschnagl sollicite une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Heye conclut à la confirmation du jugement déféré, en contestant formellement l'existence du contrat-cadre de distribution exclusive dont se prévaut M. Hirschnagl, lequel n'était qu'un de ses clients, de sorte que seuls peuvent être en cause des contrats de vente qui comportaient la clause à bon droit retenue par les premiers juges, laquelle serait d'ailleurs applicable au contrat de concession allégué si un tel contrat était considéré comme conclu par la continuité des relations d'affaires entre les parties depuis quinze ans.
Subsidiairement, la société revendique l'application des articles 2 et 5-1 de la Convention de Bruxelles, son siège se trouvant dans le ressort des tribunaux de Munich, et l'obligation litigieuse, à savoir celle de payer à M. Hirschnagl une indemnité pour la résiliation abusive de la concession qu'il invoque, étant quérable tant en droit français qu'en droit allemand.
La société Heye sollicite une somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
MOTIVATION
Le domicile du défendeur étant situé dans l'un des Etats de l'Union européenne, la juridiction compétente doit être déterminée au regard des dispositions de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968.
Il convient tout d'abord de rechercher si les parties étaient ou non liées par le contrat de distribution exclusive allégué par M. Hirschnagl.
Celui-ci verse aux débats des pièces et une abondante correspondance, parmi lesquelles sont particulièrement significatives :
- la lettre du 3 janvier 1984 de la société Heye à M. Hirschnagl :
"Vous prenez à partir du 1er janvier 1884 la distribution exclusive du programme des calendriers Heye pour la France",
- la lettre du 30 avril 1985 de la société Heye à Zuber Rieder :
"Comme je vous l'ai déjà dit au téléphone, M. Hirschnagl de la société Arcaldion a pris la distribution pour la France de notre programme de jeux",
- l'attestation établie le 28 octobre 1985 par la société Heye :
"Nous confirmons que la société Arcaldion a le droit de distribution exclusive des produits Heye sur la France calendriers, jeux, posters (fun articles, etc...)".
Au regard de tels éléments, les dénégations de la société Heye, selon laquelle seuls des contrats de vente successifs seraient intervenus entre les parties, sont inopérantes.
Il s'ensuit qu'un contrat de distribution exclusive s'était bien formé entre les parties, son caractère verbal étant sans incidence sur l'appréciation de la juridiction compétente.
Sur l'applicabilité de l'article 17 de la Convention de Bruxelles
Aux termes de ce texte, tel qu'il résulte de la Convention de Saint-Sébastien du 26 mai 1989, la convention attributive de juridiction doit être conclue par écrit, soit verbalement avec confirmation écrite, soit sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, soit dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats de même type dans la branche commerciale considérée.
En l'espèce la clause dont la société Heye revendique l'application figurait sur les bons de livraison et sur les factures établis à l'occasion des contrats de vente conclus avec M. Hirschnagl, nécessaires à la mise en œuvre du contrat de distribution sur lequel porte le présent litige, et qui ne s'identifie pas avec lesdits contrats.
Il ne peut s'en déduire qu'elle avait été connue et acceptée par M. Hirschnagl au moment de la formation du contrat de distribution, lequel fonde les relations entre les parties, et peu important l'existence ou la durée prolongée d'un courant d'affaires postérieur.
Il s'ensuit que la clause litigieuse ne répond pas aux exigences de l'article 17 de la Convention de Bruxelles et qu'à tort les premiers juges en ont retenu l'application.
Sur l'application de l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles :
Selon cet article, le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut, en matière contractuelle, être attrait dans un autre État contractant devant le tribunal du lieu où l'obligation servant de base à la demande a été ou doit être exécutée.
La convention conclue entre les parties étant un contrat de concession exclusive, l'obligation à prendre en considération est celle qui découle du contrat à la charge du concédant dont l'inexécution est invoquée pour justifier la demande de dommages-intérêts.
Le lieu où cette obligation devait être exécutée se détermine conformément à la loi du contrat.
Selon la règle de conflit de loi française, - en l'absence de référence par les parties à une loi étrangère et abstraction faite de toute référence à la Convention de Rome du 19 juin 1980 inapplicable compte-tenu de la date du contrat -, le contrat d'exclusivité est régi par la loi du pays dans lequel le concessionnaire exerce son activité.
Le contrat de concession s'exécutant en France, il y a lieu de se référer à la loi française et de retenir que l'obligation litigieuse, consistant à poursuivre la mise en œuvre dudit contrat, devait s'exécuter en France.
M. Hirschnagl pouvait donc valablement saisir le tribunal de commerce de Créteil et le contredit sera en conséquence déclaré fondé.
La société Heye devra verser à M. Hirschnagl une somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et sera déboutée de sa propre demande fondée sur le même article.
Par ces motifs : Dit le contredit bien fondé ; Déclare compétent le tribunal de commerce de Créteil ; Renvoie en conséquence la cause et les parties devant cette juridiction ; Condamne la société Friedrich W. Heye Verlag GmbH à payer une somme de 8 000 F à M. Hirschnagl au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute la société Friedrich W. Heye Verlag GmbH de sa propre demande formée à ce titre ; Dit que la société Friedrich W. Heye Verlag GmbH supportera les frais du contredit.