Cass. com., 9 janvier 2001, n° 98-14.538
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Peugeot (SA)
Défendeur :
Santerre automobiles (SA), Berkowicz (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Tric
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Gatineau, Me Boullez.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 30 janvier 1998), qu'après plusieurs contrats de concession à durée déterminée, la société Automobiles Peugeot SA (société Peugeot) et la société Santerre automobiles (société Santerre) ont signé, le 13 décembre 1990, un contrat à durée indéterminée assorti d'un préavis de résiliation d'un an ; que par lettre du 1er octobre 1992, la société Peugeot a notifié à la société Santerre la résiliation du contrat au 31 octobre 1993 ; que, le 3 juin 1993, la société Santerre a été mise en redressement judiciaire et que M. Berkowicz a été nommé administrateur judiciaire ; que le Tribunal a prononcé la cession partielle du fonds et nommé M. Berkowicz en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession ; que la cour d'appel a condamné la société Peugeot à payer à la société Santerre des dommages-intérêts pour avoir abusé de son droit de résiliation et a ordonné une expertise pour rechercher s'il y avait violation des engagements pendant le préavis et pour chiffrer le préjudice ;
Sur le premier moyen, pris en ses six branches : - Attendu que la société Peugeot reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de concession, alors, selon le moyen : 1°) que les actions introduites avant le jugement qui arrête le plan de redressement, soit par l'administrateur, soit par le représentant des créanciers, doivent être poursuivies par le commissaire à l'exécution du plan, faute de quoi la décision obtenue, même passée en force de chose jugée, est réputée non avenue ; qu'en l'espèce, M. Berkowicz, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Santerre, n'ayant jamais repris l'instance engagée par cette société et son administrateur judiciaire contre la société Peugeot, la cour d'appel aurait dû constater que le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 15 mai 1995 était réputé non avenu et décider qu'il n'y avait pas lieu à statuer ; qu'en condamnant néanmoins la société Automobiles Peugeot à verser 900 000 francs à titre de dommages-intérêts à la société Santerre, la cour d'appel a donc violé les articles 67, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985 et 372 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) que dans les contrats à exécution successive conclus pour une durée indéterminée, la résiliation unilatérale est offerte à chaque partie sans que l'auteur de la rupture ait à justifier d'un motif légitime ; que pour condamner la société Peugeot à payer 900 000 francs à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel a considéré que la résiliation par elle du contrat de concession litigieux "abrégeait sensiblement la durée des relations commerciales résultant des habitudes du réseau et des usages antérieurs entre les deux parties que la loyauté commandait de pérenniser à défaut de motif sérieux ; qu'il s'ensuit que la société Peugeot, compte tenu des conditions dans lesquelles elle a imposé à la société Santerre, qui n'avait pas d'autre choix que d'accepter, si elle entendait renouveler la concession, le contrat à durée indéterminée résilié le 1er octobre 1992, ne saurait prétendre qu'elle était en droit d'imposer la résiliation litigieuse sans avoir à s'en justifier" ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 1134 du Code civil ; 3°) que celui qui souhaite rompre un contrat à durée indéterminée est tenu d'en avertir son cocontractant dans les délais et selon les modalités prévues dans le contrat ; qu'en l'espèce, la société Santerre et la société Peugeot avaient convenu, à l'article XIII du contrat litigieux, que chacune d'entre elles disposerait d'un droit de résiliation unilatéral moyennant un préavis d'un an et la cour d'appel a effectivement constaté que la société Peugeot avait notifié la résiliation du contrat litigieux le 1er octobre 1992, soit plus d'un an avant la rupture effective du contrat prévue pour le 31 octobre 1993 ; qu'en condamnant néanmoins la société Peugeot au paiement de dommages-intérêts, au motif que "la société Peugeot envisageait déjà une résiliation du contrat de concession la liant à la société Santerre, qu'elle n'entendait plus être tenue envers son concessionnaire de ses obligations de concédant pendant la durée de quatre années qu'elle accordait généralement à ses autres concessionnaires et qu'elle voulait au contraire pouvoir saisir, avec préavis d'une année, toute opportunité de restructuration qui se présenterait ; que la loyauté exigeait d'elle qu'elle en informe la société Santerre, ce qu'elle n'a pas fait", la cour d'appel a refusé d'appliquer les dispositions pourtant claires du contrat et violé l'article 1134 du Code civil ; 4°) qu'au moment de la résiliation du contrat de concession conclu pour une durée indéterminée, le concédant, qui respecte le préavis contractuellement prévu, n'a pas à tenir compte des investissements librement réalisés par le concessionnaire ; qu'en l'espèce, pour condamner la société Peugeot à des dommages-intérêts pour rupture abusive, la cour d'appel s'est contentée de relever "qu'elle avait mis en garde la société Santerre, par lettres des 29 octobre 1990 et 28 octobre 1991, contre son insuffisance de pénétration commerciale pour la seconde année consécutive, lui avait demandé de "prendre dès maintenant toutes les mesures appropriées qui s'imposent pour améliorer sa situation commerciale et réaliser son objectif" de ventes, l'avait invitée à présenter sous quinzaine un plan d'action et un calendrier de réalisation et l'avait ainsi conduite à alourdir ses charges fixes en renforçant son personnel commercial, en réhabilitant ses locaux et en entreprenant des démarches d'études de la réalisation d'un hall d'exposition" ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 5°) que le concédant qui résilie son contrat, sans vouloir nécessairement porter atteinte aux droits de son concessionnaire ni éluder ses propres obligations, ne saurait être tenu à des dommages-intérêts pour rupture abusive et aucun abus ne saurait être déduit du seul fait que le concédant n'a pas cherché à réinsérer professionnellement son ancien concessionnaire ; qu'en l'espèce, pour condamner la société Peugeot au paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive, la cour d'appel a estimé qu'elle aurait dû "aider la société Santerre à trouver l'inévitable et indispensable solution à ses difficultés", qu'elle ne pouvait "prétendre qu'elle était en droit d'imposer la résiliation litigieuse sans avoir à s'en justifier et à défaut d'aider à en limiter les conséquences dommageables" et "qu'il fallait, avant de résilier, informer loyalement le dirigeant de la société Santerre de ses intentions et, disposant d'un droit d'agrément, aider ce dirigeant à parvenir à la solution amiable la plus à même de conserver au moins partiellement le bénéfice des efforts accomplis" ; qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir un abus du droit dont disposait la société Peugeot de résilier un contrat de concession conclu pour une durée indéterminée, la cour d'appel a violé l' article 1134 du Code civil ; 6°) que le concessionnaire prétendument victime de la résiliation abusive de son contrat ne saurait prétendre à aucune réparation faute d'établir la réalité de son préjudice ; qu'en l'espèce, pour condamner la société Peugeot au paiement de dommages-intérêts, la cour d'appel a estimé que "la société Grand Garage de l'Avenue n'a pu ignorer, avant de présenter son offre, la résiliation du contrat de concession ; qu'elle a certainement tiré profit de cette information ainsi qu'elle a tenté de le faire, mais en vain, de l'annonce de l'ouverture de la procédure collective ; qu'il convient aussi de tenir compte de l'incidence de l'engagement de reprise du personnel ; que la cour d'appel dispose en définitive d'éléments suffisants pour évaluer à 900 000 francs le préjudice causé à la société Santerre par l'utilisation déloyale et abusive que la société Peugeot a faite de la clause de résiliation du contrat de concession" ; qu'en se fondant ainsi sur une simple hypothèse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1137 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni de ses conclusions que la société Peugeot ait soulevé devant les juges du fond le moyen invoqué dans la première branche, qui est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que les correspondances établissent que dès le mois d'avril 1990, la société Peugeot envisageait une résiliation du contrat de concession et n'entendait plus être tenue envers son concessionnaire de ses obligations de concédant pendant la durée de quatre années qu'elle lui avait jusque là accordée et qu'elle accordait généralement à ses autres concessionnaires, et qu'elle a imposé à la société Santerre, qui n'avait d'autre choix que d'accepter, un contrat à durée indéterminée avec préavis d'une année, tandis qu'en octobre 1990 et octobre 1991, elle lui demandait de prendre toutes les mesures appropriées qui s'imposaient pour améliorer sa situation commerciale et réaliser son objectif de ventes et l'invitait à présenter sous quinzaine un plan d'action et un calendrier de réalisation et l'avait ainsi conduite à alourdir ses charges fixes en renforçant son personnel commercial, en réhabilitant ses locaux et en entreprenant des démarches d'études de la réalisation d'un hall d'exposition; qu'il relève encore que la notification de la résiliation a placé sciemment la société Santerre dans une position d'infériorité vis-à-vis des concessionnaires limitrophes susceptibles de la racheter; qu'ainsi, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième et cinquième branches, la cour d'appel a caractérisé l'abus commis par la société Peugeot dans son droit de résilier le contrat de concession à durée indéterminée;
Attendu, enfin, qu'après avoir relevé que la société Peugeot a contribué à l'échec des pourparlers de cession menés par le dirigeant de la société Santerre en écrivant au maire de la commune qu'ils avaient peu de chances d'aboutir, l'arrêt retient que l'évaluation non critiquée de la situation nette de la société Santerre, effectuée en janvier 1993, fait apparaître une valeur des terrains et immeubles de 2 728 428 francs, une valeur locative annuelle de 480 000 francs et une valeur de 1 525 544 francs pour le matériel et les immobilisations corporelles, tandis que, dès le 26 février 1993, la société Grand Garage de l'Avenue, concessionnaire Peugeot limitrophe, avait offert à la société Santerre d'acquérir son fonds de commerce pour la somme de 1 000 000 francs, correspondant pour 800 000 francs au matériel et 200 000 francs aux éléments incorporels, et de louer les locaux au loyer annuel de 360 000 francs ; qu'il tient enfin compte de l'incidence de l'engagement de reprise du personnel ; qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit qu'irrecevable en sa première branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen : - Attendu que la société Peugeot reproche à l'arrêt d'avoir, avant dire droit sur son comportement durant la période de préavis, ordonné une expertise à l'effet de définir les griefs et d'en vérifier la pertinence, de rechercher en quoi ils peuvent correspondre à une violation ou à une exécution déloyale d'engagements contractuels, en chiffrer l'incidence sur les résultats de l'entreprise et de fournir à la cour d'appel tous éléments lui permettant de se prononcer sur les fautes alléguées et le préjudice en résultant, alors, selon le moyen, que le juge ne peut, en aucun cas, ordonner une mesure d'instruction en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que "la société Santerre et M. Berkowicz accusent la société Peugeot d'avoir violé ses engagements contractuels et soumis la société Santerre à un traitement discriminatoire durant le préavis, d'avoir compromis son efficacité commerciale et d'être à l'origine de pertes d'exploitation sensibles" et constaté qu'elle "ne dispose pas d'éléments suffisants pour se prononcer sur ce second chef d'indemnisation", la cour d'appel a ordonné les mesures d'expertise litigieuses ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société Santerre et M. Berkowicz n'avaient pas la possibilité de fournir eux-mêmes la preuve de leurs allégations et si leur carence complète dans l'administration de la preuve ne résultait pas d'une abstention délibérée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 146, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la société Peugeot contestait le caractère fautif de son comportement pendant la durée du préavis sans prétendre que la société Santerre, qui avait la possibilité de fournir la preuve de ses allégations, s'abstenait de le faire délibérément ; que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de faire la recherche qui ne lui était pas demandée, a souverainement apprécié la nécessité de recourir à un technicien ; que le moyen est sans fondement ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.