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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 6 avril 1998, n° 2489-96

POITIERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cofotex (SARL)

Défendeur :

Catimini (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mechiche

Conseillers :

Mme Albert, M. Barthelemy, Mlle Lafon

Avoués :

SCP Alirol-Laurent, SCP Muserau-Drouineau-Rosaz

Avocats :

Me Arnaud, SCP Cornet-Doucet-Pittard-Martin.

T. Com. Angers, du 19 mai 1993

19 mai 1993

Faits et procédure :

La SA Catimini qui fabrique des vêtements pour enfants a vendu à la SARL Cofotex spécialisée dans la commercialisation de produits de fins de séries un lot d'environ 33 000 pièces restant sur la collection hiver 1989 et été 1990 moyennant un prix global de un million de francs. La SARL Cofotex s'était engagée à revendre ces produits à l'exportation et dans la ville de Troyes et sa proche région.

Constatant que la SARL Cofotex procédait à des ventes sans respecter la limitation contractuelle résultant des accords des 9 et 16 janvier 1991. la SA Catimini l'a assignée en référé devant le Président du Tribunal de commerce d'Angers afin qu'il lui soit fait interdiction sous astreinte de vendre en dehors des zones prévues au contrat et l'a ensuite assignée au fond en paiement de dommages-intérêts. La SARL Cofotex a opposé l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui prohibe les clauses restrictives de concurrence et a soutenu qu'il n'était pas établi qu'elle avait personnellement violé les clauses du contrat.

Par jugement du 19 mai 1993 le Tribunal de commerce d'Angers, après avoir constaté que la SARL Cofotex n'avait pas usé de la possibilité qu'elle avait de dénoncer les termes du contrat l'a condamnée à verser à la SA Catimini la somme de 350 000 F à titre de dommages-intérêts outre " 10 000 F conformément à l'ordonnance du 18/10/91 " et 10 000 F au titre de l'article 700 NCPC.

La SARL Cofotex a relevé appel de cette décision et par arrêt du 17 mai 1994 la Cour d'appel d'Angers a confirmé le jugement et a considéré que la SA Catimini était fondée à vouloir exiger que l'écoulement des stocks litigieux ne vienne pas compromettre l'organisation de son circuit de distribution normale, peu important que ce circuit soit sous forme de franchise ou de distribution exclusive, et ne vienne pas non plus compromettre l'image de marque de ses produits et que la nature des relations contractuelles des sociétés Catimini et Cofotex étaient nettement établies de manière à assurer l'écoulement des produits dans des conditions préservant le réseau Catimini.

Sur pourvoi de la SARL Cofotex, par arrêt du 18 juin 1996, la Cour de cassation a cassé l'arrêt en toutes ses dispositions et a renvoyé la procédure devant la Cour d'appel de Poitiers au motif que la cour d'appel n'avait pas recherché concrètement par une analyse des clauses des contrats souscrits avec ses revendeurs, si la SA Catimini, à qui incombait la charge de la preuve de la licéité de son réseau, justifiait de l'existence des obligations imparties aux membres de ce réseau leur imposant des normes spécifiques pour vendre leurs produits "haut de gamme" et si ces obligations étaient respectées par eux.

La SARL Cofotex qui a régulièrement saisi la Cour d'appel de Poitiers soutient :

- que l'entente sous forme d'accord des 9 et 16 janvier 1991 est illicite au regard du droit de la concurrence et en raison de l'absence de cause licite, qu'il n'est pas justifié d'une atteinte à un droit, que la SA Catimini n'apporte pas la preuve de la licéité de son réseau de distribution, qu'il n'existe aucune étanchéité de droit dans le réseau, que l'existence d'un réseau de distribution à protéger ne saurait justifier des clauses d'interdiction de distribution territoriale absolue, que la SARL Cofotex a régulièrement acquis les produits auprès du fournisseur-fabriquant, titulaire de la marque, qu'il ne peut pas lui être fait grief de ne pas avoir respecté le réseau de distribution, qu'en réalité la SA Catimini a imposé une interdiction de distribution afin de pouvoir commercialiser elle-même les produits soldés et de fins de séries sur le territoire et non pour protéger ses franchisés ;

- que la preuve du non-respect de la clause d'interdiction territoriale n'est pas rapportée,

- que la SA Catimini ne rapporte la preuve d'aucun préjudice,

La SARL Cofotex demande à la cour de réformer le jugement, de prononcer la nullité de l'engagement de non distribution imposé et de condamner la SA Catimini à rembourser la totalité des somme payées par la SARL Cofotex avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et à lui verser une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 NCPC.

La SA Catimini conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelante au paiement pour le surplus de l'indemnité d'une somme de 500 000 F. Elle demande la publication de l'arrêt à intervenir dans deux journaux professionnels ainsi que dans un magazine destiné au grand public dans la limite d'un budget de 30 000 F par publication et la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme de 70 000 F au titre de l'article 700 NCPC. Elle fait valoir :

- que son réseau de franchise existe et est licite, que les prescriptions du règlement communautaire du 30 novembre 1988 sont respectées,

- que l'interdiction imposée à la SARL Cofotex est valable, que la mise en place d'un réseau d'écoulement de produits de fins de séries est postérieur à la rupture des relations contractuelles des deux sociétés,

- que l'interdiction contractuelle a été violée,

- que la SA Catimini a subi un préjudice.

Le Procureur Général qui a reçu communication de la procédure s'en remet à justice.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 29 janvier 1998 ;

Motifs

Attendu que pour obtenir sa protection, qui est une exception au régime de la libre concurrence, la SA Catimini doit rapporter la preuve de l'existence et de la licéité du réseau de distribution sélective de ses produits au regard des dispositions légales, par une application uniforme et non discriminatoire des critères qu'elle a établis et qui doivent être pertinents ;

Attendu que pour être licite un réseau de franchisés doit être basé sur des contrats répondant à des conditions impératives ; que les faits intéressant le présent litige se situent en 1991 ; que la licéité des contrats quant aux obligations réciproques des parties est soumise au règlement communautaire 4087-88 du 30 novembre 1988 entré en vigueur le 1er février 1989 obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout Etat membre ;

Attendu qu'en l'espèce il est versé aux débats par la SA Catimini, outre des contrats de franchise appliqués en 1991 qui en eux-mêmes répondent aux conditions du règlement et qui examinés individuellement sont licites, un "listing" de clients faisant apparaître, aux côtés des franchisés, des revendeurs multimarques, et ce sans que la SA Catimini ne produise un quelconque contrat permettant d'appréhender le type de relations entretenues avec ces revendeurs ; que dès lors il n'est pas possible de retenir l'existence d'un réseau homogène de distributeurs définis en fonction des mêmes critères et soumis aux mêmes obligations et qui aurait pour objectif la protection d'une image de marque commune ; que la SA Catimini ne peut pas revendiquer une protection de son réseau alors qu'il est établi qu'elle participe elle-même à une distribution comportant des fuites grâce à des livraisons hors réseau ; que de ce seul chef la SA Catimini ne démontre pas la licéité de son réseau et ne peut pas opposer ce réseau à la SARL Cofotex à qui elle a elle-même vendu les produits dont elle critique les points de revente ;

Attendu que, ne pouvant pas invoquer la protection d'un réseau sélectif de distribution à l'intérieur d'un quelconque secteur, la SA Catimini ne peut pas imposer à la SARL Cofotex une clause d'interdiction territoriale de revente qui de surcroît est absolue et donc contraire aux règles de la concurrence ; que la SARL Cofotex a acquis régulièrement et licitement de la SA Catimini les produits qu'elle a ensuite cédés à des revendeurs et ne peut se voir reprocher aucune faute relative à un non respect du réseau de franchise litigieux ; qu'il n'est établi à son encontre aucun fait de concurrence active ; que la clause contenant l'interdiction territoriale de vente est illicite et est en conséquence nulle et ce sans qu'il y ait lieu d'examiner le moyen tiré de l'erreur ou d'un vice du consentement ; que c'est à tort que la décision déférée a considéré que la SARL avait commis une faute en ne respectant pas les termes de l'accord de vente conclu avec la SA Catimini alors que cette dernière ne pouvait pas stipuler une restriction territoriale des secteurs de vente des produits qu'elle lui cédait ; que le jugement déféré doit être infirmé et la SA Catimini déboutée de toutes ses demandes à l'encontre de la SARL Cofotex ;

Attendu que la SARL Cofotex ne sollicite pas l'annulation du contrat de vente mais simplement le remboursement des dommages-intérêts qu'elle a dû verser à la SA Catimini à la suite de sa condamnation ; qu'il convient de faire droit à sa demande ;

Attendu que la SA Catimini qui succombe supportera les entiers dépens de la procédure, qu'aucun motif d'équité n'impose de lui faire bénéficier des dispositions de l'article 700 NCPC ; qu'il convient de la condamner à verser à la SARL Cofotex la somme de 40 000 fF au titre des frais irrépétibles ;

Par ces motifs : La Cour, Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 1996 ; Infirme le jugement du Tribunal de commerce d'Angers du 19 mai 1993 ; Statuant à nouveau, Déclare nulle la clause d'interdiction territoriale de vente imposée par la SA Catimini à la SARL Cofotex aux termes des accords des 9 et 16 janvier 1991 ; Déboute la SA Catimini de toutes ses demandes ; Dit que la SA Catimini devra rembourser à la SARL Cofotex le montant des sommes versées aux termes des condamnations prononcées avec intérêts de droit à compter du présent arrêt ; Condamne la SA Catimini à verser à la SARL Cofotex une somme de 40 000 F au titre des frais irrépétibles ; Condamne la SA Catimini aux entiers dépens et autorise la SCP Alirol-Laurent à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.