CA Paris, 14e ch. A, 31 janvier 2001, n° 2000-09062
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (SA), Robapharm Groupe Pierre Fabre (Sté)
Défendeur :
Pharma Lab (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Conseillers :
Mme Charoy, M. Pellegrin
Avoués :
Me Baufume, SCP Jobin
Avocats :
Mes Morvilliers, Selnet.
La Société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, qui commercialise par le biais d'un réseau de distributeurs agréés des gammes de produits d'hygiène corporelle et de beauté, notamment sous la marque Klorane, a confié à la Société Robapharm Groupe Pierre Fabre le soin exclusif de commercialiser ces produits à l'étranger et en particulier en Afrique.
Or ces deux sociétés ont été informées par des saisies contrefaçon opérées à Douala et par des mesures de constat effectuées à Paris que la Société Pharma Lab s'était procurée à leur insu auprès de la Société Santé Beauté 91 des flacons de lait de toilette Klorane Bébé pour les revendre à une société camerounaise.
Par ordonnance de référé rendue le 12 octobre 1999, le président du tribunal de commerce de Paris a :
- pris acte de l'affirmation de la Société Pharma Lab selon laquelle elle ne commercialise pas les produits cosmétiques Klorane,
- dit n'y avoir lieu d'ordonner la mesure sollicitée à l'encontre de cette dernière,
- ordonné à la Société Santé Beauté 91 de cesser toute commercialisation par réseau de distribution sélective et en particulier " les " produits dermo-cosmétiques Klorane, et ce sous astreinte provisoire de 500 F par infraction constatée, astreinte qui commencera à courir à compter de la signification de l'ordonnance et dont il s'est réservé la liquidation,
- dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes,
- condamné la Société Santé Beauté 91 à payer aux sociétés Pierre Fabre Dermo- Cosmétique et Robapharm Groupe Pierre Fabre la somme de 3.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Les sociétés Pierre Fabre Dermo-Cosmétique et Robapharm Groupe Pierre Fabre, qui ont interjeté appel de cette décision à l'encontre de la Société Pharma Lab, en sollicitent la réformation partielle et demandent à la Cour d'ordonner à la Société Pharma Lab la cessation, sous astreinte de 500 F par jour de retard et par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, de toute commercialisation des produits et en particulier des produits dermo-cosmétiques Klorane hors du réseau de distribution sélective, et de la condamner à leur payer la somme de 20.000 F pour leurs frais non compris dans les dépens.
La Société Pharma Lab soulève l'irrecevabilité de l'appel interjeté par les sociétés Pierre Fabre Dermo-Cosmétique et Robapharm Groupe Pierre Fabre et par la Société Load International, sollicite la confirmation de l'ordonnance et le rejet des demandes des appelantes ainsi que leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 15.000 F pour ses frais irrépétibles.
Discussion :
Si la Société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique et la Société Robapharm Groupe Pierre Fabre ont été informées de l'importation parallèle de lait de toilette Klorane, par leur distributeur local au Cameroun, la Société Load International, celle-ci n'est pas appelante, contrairement à ce qu'indiquent les écritures de la Société Pharma Lab, et aucune demande formée à son encontre n'est, par suite, recevable.
Les deux sociétés appelantes, autorisées sur requête, ont fait établir, par constat d'huissier du 12 mars 1999 que la Société Pharma Lab avait reçu et expédié au Cameroun deux livraisons de 9.673 et 324 flacons de lait de toilette Klorane, suite à des commandes des 11 et 27 mai 1998, facturées par la Société Santé Beauté 91 et qu'elle avait commandé le 7 avril 1998, 10.000 flacons de lait de toilette, et, par constat d'huissier des 31 mai et 1er juin 1999, que la Société Santé Beauté 91 avait effectivement vendu à la Société Pharma Lab au minimum 9.673 flacons de lait de toilette Klorane pour un montant TTC de 309.139 F.
Soutenant que les actes d'acquisition et d'exportation de lait de toilette Klorane constituaient des infractions aux dispositions de l'article 36-6 de la loi du 1er juillet 1996 et des actes de concurrence déloyale, les sociétés Pierre Fabre Dermo-Cosmétique et Robapharm Groupe Pierre Fabre, ont sollicité en référé qu'il soit mis fin à ces troubles manifestement illicites et plus particulièrement que soit ordonnée la cessation de toute commercialisation des produits faisant l'objet d'une commercialisation hors réseau de distribution sélective et en particulier des produits dermo-cosmétiques Klorane.
Elles font valoir que si la Cour a déjà statué sur l'appel interjeté par la Société Santé Beauté 91 contre l'ordonnance entreprise, par arrêt du 15 mars 2000, mettant ainsi un terme à la procédure les opposant à cette société, leur appel contre la Société Pharma Lab n'en est pas moins recevable, s'agissant d'un appel autonome formé à titre principal.
La Cour ayant, en effet, dans son précédent arrêt, relevé que la Société Pharma Lab n'étant ni appelante ni intimée, que les dispositions de l'ordonnance concernant cette société ne lui étaient pas soumises et que, faute par la Société Pharma Lab d'être dans la cause, les demandes formées à l'encontre de cette dernière étaient irrecevables, l'appel formé contre la Société Pharma Lab le 27 mars 2000 n'est pas un appel incident, dont l'irrecevabilité pourrait être soulevée en application de l'article 548 du nouveau code de procédure civile.
L'exception d'irrecevabilité n'apparaît donc pas fondée, étant ajouté que l'ancienneté des faits, l'introduction d'une action au fond et l'absence de dommage imminent et de contestation sérieuse, également alléguées par la Société Pharma Lab à l'appui de son argumentation sur l'irrecevabilité de la demande, relèvent de l'examen du bien fondé de cette dernière et non de sa recevabilité.
Les appelantes reprochent au premier juge d'avoir pris acte de ce que la Société Pharma Lab affirmait ne pas commercialiser les produits litigieux pour dire n'y avoir lieu à référé à son encontre - tandis qu'il faisait droit à la demande formée contre la Société Santé Beauté 91. Elles déclarent que le caractère ponctuel de la vente ne justifie pas cette décision, que l'existence d'une action parallèle au fond n'exclut pas la possibilité de solliciter et d'obtenir des mesures provisoires, que si les produits ont été vendus en Afrique, ils ont été néanmoins acquis et revendus depuis Paris, de sorte qu'ils ont été manifestement commercialisés en France, et elles, ajoutent que la licéïté du réseau de distribution sélective de la Société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique - réseau opposable " erga omnes " - a été reconnue par le Conseil de la concurrence le 1er octobre 1996, la Cour de Paris par arrêt du 16 décembre 1998 et par arrêt de la Cour d'Appel de Versailles du 2 décembre 1999, ainsi que par l'arrêt susvisé du 15 mars 2000, puisqu'il a retenu que la commercialisation hors réseau par la Société Santé Beauté 91 constituait un trouble manifestement illicite.
La matérialité, en France, des faits reprochés n'étant pas contestable, c'est en vain que la Société Pharma Lab réplique que le réseau de distribution sélective ne concerne pas le Cameroun et que c'est la Société Robapharm Groupe Pierre Fabre, distributeur suisse de la Société Pierre Fabre Dermo-Cosmetique, qui a confié à la Société Load la commercialisation exclusive des produits dans ce pays. Le fondement juridique de l'action engagée au Cameroun pour contrefaçon est sans incidence sur l'objet du référé, contrairement à ses allégations.
Elle prétend tout aussi peu sérieusement d'une part que les appelantes n'établissent pas qu'elle ne pouvait prétendre au statut de distributeur agrée Klorane et d'autre part qu'elle a pu légitimement supposer que la Société Santé Beauté 91 était distributeur agréé Klorane " quand bien même aucun contrat n'aurait été spécifiquement signé avec la Société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ", de sorte qu'elle n'aurait commis aucune faute. Dans la mesure où la commercialisation hors réseau par la Société Pharma Lab est démontrée, ce qui est le cas, cette société ne peut valablement arguer ni l'absence de contestation sérieuse - qui n'est pas une condition de la mesure d'interdiction demandée pour mettre fin à un trouble manifestement illicite ou un dommage imminent - ni de l'absence d'un tel dommage.
Le fait que cette commercialisation hors réseau ait eu, en 1998, un caractère ponctuel et ne se serait pas renouvelée ne supprime pas le caractère manifestement illicite du trouble qui en est résulté pour les appelantes, qui sont parfaitement fondées à craindre la réitération de tels agissements par une société qui conteste la licéïté de leur réseau de distribution sélective.Il s'ensuit que les conditions permettant au juge des référés commercial de prendre toute mesure nécessaire pour mettre fin au trouble manifestement illicite dont la matérialité est démontrée, ou pour prévenir un dommage imminent, sont remplies. En donnant acte à la Société Pharma Lab de ce qu'elle affirmait ne plus commercialiser les produits litigieux, le premier juge n'a pas tenu compte du fait que le risque de renouvellement de tels agissements demeure et constitue un dommage imminent qu'il convient de prévenir.
Il convient, dans ces conditions, de réformer l'ordonnance en ses dispositions concernant la Société Pharma Lab et d'ordonner à cette dernière la cessation de toute commercialisation des produits et en particulier des produits dermo-cosmétiques Klorane hors du réseau de distribution sélective, sous astreinte de 500 F par infraction constatée, et ce à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.
Il y a lieu d'allouer aux appelantes une indemnité globale de 20.000 F pour leurs frais irrépétibles, la solution du litige emportant le rejet de la demande formée par la Société Pharma Lab au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Décision :
Par ces motifs, la Cour, statuant publiquement et contradictoirement, dans les limites de l'appel interjeté ; Rejette le moyen d'irrecevabilité d'appel ; Constate que la Société Load International n'est pas en la cause ; Déclare irrecevables les demandes formées à l'encontre de cette dernière, Réforme l'ordonnance en ses dispositions concernant la Société Pharma Lab, Statuant à nouveau ; Ordonne à cette société de cesser toute commercialisation des produits, en particulier des produits dermo-cosmétiques Klorane, hors du réseau de distribution sélective sous astreinte provisoire de 500 F par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt ; Condamne la Société Pharma Lab à payer aux sociétés Pierre Fabre Dermo-Cosmétique et Robapharm Groupe Pierre Fabre une somme globale de 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la Société Pharma Lab aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.