CA Rennes, 2e ch., 9 décembre 1998, n° 9407708
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Plus International (SA)
Défendeur :
Amfor (SARL), Euchin (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bothorel
Conseillers :
MM. Van Ruymbeke, Mesiere
Avoués :
Mes Castres & Colleux, Bazille & Genicon
Avocats :
Me Coroller-Bequet, Gast.
Exposé des faits - procédure - objet du recours
Le 9 mai 1990, la société Cuisines Plus (franchiseur) a signé avec la société Amfor (franchisé) un contrat de franchise portant sur la distribution de meubles de cuisine et d'équipements ménagers.
Par arrêt du 24 janvier 1996, la présente Cour a :
- prononcé, par substitution des motifs retenus par le tribunal de commerce de Quimper dans un jugement rendu le 29 juillet 1994, l'annulation pour dol de la convention,
- ordonné, avant dire droit, une expertise, confiée à Michel Kuhn, afin d'examiner la comptabilité du franchisé, de rechercher le montant des ventes à compter du 9 mai 1990 et jusqu'à la dépose de l'enseigne, de rechercher le montant des achats durant la même période, de rechercher le montant des redevances et de donner son avis sur l'apurement des comptes entre les parties, celles-ci devant être remises dans l'état où elles se trouveraient si elles n'avaient pas souscrit.
Moyens proposés par les parties
Maître Euchin, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Amfor, fait valoir que :
- les redevances (y compris celles relatives à la publicité qui n'ont eu aucune retombée positive) et le droit d'entrée doivent lui être restitués intégralement,
- les pertes d'exploitation font partie du préjudice subi et elles découlent du fait fautif du franchisé.
En conséquence, Maître Euchin, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Amfor, demande à la Cour de condamner la société Cuisines Plus à lui payer, au titre du droit d'entrée et des redevances, 688.596,07 francs et, au titre des pertes, 1.341.770 francs. Il demande également à la Cour d'assortir ces condamnations des intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation valant mise en demeure, délivrée le 18 décembre 1991, avec capitalisation des intérêts échus en vertu des dispositions de l'article 1154 du code civil. Enfin il réclame 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La société Cuisines Plus fait valoir que :
- l'expert n'avait pas pour mission d'évaluer les pertes du franchisé,
- les restitutions doivent être réciproques et la société Cuisines Plus a bénéficié de ses prestations, à savoir la notoriété de la marque Cuisines Plus, accès à des fournisseurs notamment Ranger à des conditions avantageuses, ce que représente 15% de différence avec le prix normal (équivalent à 690.000 francs pour des achats d'un montant global de 4.600.000 francs),
- le précédent arrêt rendu par la présente Cour étant postérieur à la liquidation judiciaire de la société Cuisines Plus, le solde n'est pas soumis au régime de l'interdiction de paiement,
- les redevances de publicité correspondent à des dépenses effectuées dans l'intérêt du franchisé,
- les bilans du franchisé sont contestables,
- le franchisé a poursuivi son exploitation après la rupture du contrat et a connu de nouvelles difficultés.
Elle réclame, après compensation, le paiement d'un solde de 376.918,68 francs et sollicite 15.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Maître Euchin, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Amfor, rétorque que s'il devait exister un solde créditeur en faveur du franchiseur, celui-ci a son origine avant le jugement d'ouverture, le fait générateur se situant avant le jugement : la créance est donc soumise à une déclaration préalable qui n'a pas été faite. L'impact des publicités a été négatif puisque les franchisés ont essuyé des pertes. Le franchiseur doit supporter les pertes occasionnées par le contrat annulé.
Motifs de l'arrêt
Considérant que, selon l'expert :
- les ventes durant la période couverte par le contrat annulé, c'est-à-dire du 9 mai 1990 au 19 février 1992, se sont élevées à 11.270.000 francs,
- les achats durant la même période se sont élevés à 4.600.000 francs,
- les redevances durant la même période se sont élevées à 605.576,07 francs,
- le franchiseur a également perçu un droit d'entrée de 83.020 francs,
- le contrat a été la cause déterminante d'une poursuite d'exploitation déficitaire ayant conduit à un accroissement de passif de 1.341.770 francs ;
Considérant qu'il apparaît ainsi que, durant la période d'exécution du contrat litigieux, le franchiseur a reçu du franchisé, au titre du droit d'entrée et des redevances 688.596,07 francs ; que par ailleurs la seule exécution du contrat annulé, durant la même période, a occasionné directement, au détriment du franchisé, des pertes s'élevant à 1.341.770 francs ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que le droit d'entrée s'est élevé à 83.020 francs et les redevances de franchise à 230.061,32 francs ; que le solde constaté par l'expert, comptabilisé au titre des redevances, correspond à des redevances de publicité (soit 375.541,75 francs) ; que ces redevances doivent être restituées, car elles ont été versées dans le cadre et en vertu du contrat annulé ; qu'il ne peut être soutenu que l'équivalent des publicités correspondantes doivent être restituées en sens inverse par le franchisé, ces publicités n'ayant pas permis l'octroi d'un quelconque avantage pour le franchisé puisque celui-ci a subi de lourdes pertes liées à l'exploitation de la marque utilisée et visée par cette publicité ; qu'elle a par la suite utilisé la seule enseigne Cuisines, ne bénéficiant ainsi pas de la publicité de la marque Cuisines Plus ;
Considérant que le franchiseur ne peut soutenir que le franchisé a bénéficié de la notoriété de sa marque, alors que l'image de celle-ci a été singulièrement ternie par le dépôt de bilan de nombreux autres franchisés ;que les publicités n'ont ainsi eu aucune retombée positive en faveur de la société Amfor, qui ne peut bénéficier de la notoriété d'une marque liée à des dépôts de bilan;que la demande du franchiseur fondée sur les 15% de ristournes allégués auprès des fournisseurs ne saurait davantage prospérer, alors que les résultats ont été largement déficitaires, la masse du chiffre d'affaires ne suffisant à compenser les achats et les frais du franchisé ;
Considérant que, pour les mêmes raisons, le franchiseur n'établit nullement que le franchisé ait bénéficié de conditions avantageuses auprès de la société Ranger ;qu'il suffit à cet égard de constater que ces prétendus achats avantageux ont été la source de pertes ;qu'au surplus, les conditions octroyées par certains fournisseurs n'étaient que la contrepartie de l'obligation d'approvisionnement du franchisé auprès des fournisseurs référencés par le franchiseur ;
Considérant que l'expert n'a pas outrepassé les termes de sa mission, puisqu'il devait, non seulement rechercher le montant des redevances, mais aussi, de façon générale, examiner la comptabilité du franchisé et donner son avis sur l'apurement des comptes entre les parties à la suite de l'anéantissement du contrat de franchise les ayant liées : qu'il lui appartenait ainsi de déterminer le montant des pertes, constatées dans la comptabilité du franchisé, imputables à l'exécution du contrat annulé afin de mettre la présente Cour en mesure d'apprécier et de déterminer, en toute connaissance de cause, les conditions financières d'une remise des parties " dans l'état où elles se trouveraient " si le contrat annulé " n'avait pas été souscrit " ;
Considérant que si ce contrat n'avait pas été souscrit, le franchisé n'aurait pas subi les pertes relevées par l'expert et exclusivement imputables à l'exécution de ce contrat ;que ces pertes ont été générées par le dol du franchiseur, celui-ci ayant conduit le franchisé à signer le contrat litigieux alors qu'il était victime d'une tromperie réalisée par le franchiseur ;
Considérant que le montant retenu par l'expert judiciaire, qui a effectivement procédé à un examen de la comptabilité du franchisé, correspond à l'accroissement de passif provenant " uniquement de l'exploitation poursuivie dans le cadre " du contrat de franchise annulé, l'expert ayant écarté les pertes exceptionnelles liées à la rectification dés comptes antérieurs au 31 mars 1990 (relevant du litige ayant opposé cédants et cessionnaires des parts de la société franchisée) ; que les constatations de l'expert, lequel présente toutes garanties quant à sa compétence, ne sauraient être infirmées par un simple courrier des repreneurs de la société Amfor en litige avec le cédant ; qu'il n'est produit aucun élément précis de nature à mettre en cause ce montant relevé par l'expert ;
Considérant que l'existence de mauvais résultats pour le franchisé postérieurement à la rupture du contrat de franchise n'infirme pas le fait que les pertes antérieures sont le fait de ce contrat annulé pour dol ;
Considérant qu'ainsi que l'a relevé le précédent arrêt, le franchisé a été victime d'un dol ; qu'il ne peut lui être reproché d'avoir engagé des charges trop lourdes, alors que celles-ci correspondaient aux normes définies par le franchiseur (redevances, royalties, dépenses de publicité, lourdes prestations payantes...) ;qu'il ne démontre nullement l'existence d'une mauvaise gestion imputable au franchisé, lequel a suivi les conseils erronés du franchiseur ; que les pertes trouvent exclusivement leur source dans la faute du franchiseur qui a trompé son co-contractant ; qu'il n'existe aucune créance de la société Cuisines Plus sur la société Amfor ;
Considérant cependant que le montant des pertes est en partie couvert par la restitution du droit d'entrée et des redevances ; qu'en effet, les pertes sont dégagées après imputation de charges englobant ces dépenses ; qu'après restitution du droit d'entrée et des redevances, le solde des pertes s'élève à la différence, soit 653.174,03 francs ; que le solde des pertes additionné au droit d'entrée et aux redevances s'élève au montant total des pertes, soit 1.341.770 francs, montant du préjudice global directement subi par le franchisé en raison du dol commis par le franchiseur et correspondant à la somme devant lui être restitué par le franchiseur, afin qu'il soit remis " dans l'état " où il se trouverait si le contrat n'avait pas été signé ;
Considérant qu'il convient en conséquence de condamner Cuisines Plus à payer à Maître Euchin, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Amfor, 1.341.770 francs ; que le montant de ce préjudice n'ayant été déterminé que par le présent arrêt, rendu après expertise judiciaire, les intérêts ne seront dus au taux légal qu'à compter du prononcé du présent arrêt ; que la société Cuisines Plus, qui échoue, n'est .pas fondée à réclamer le remboursement de ses frais irrépétibles et supportera la totalité des dépens ;
Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de la société Amfor les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme globale de 30.000 francs, tant pour ses frais irrépétibles exposés en instance d'appel qu'en première instance ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Condamne la société Cuisines Plus à verser à Maître Euchin ; en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Amfor, 1.341.770 francs, outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, Condamne la société Cuisines Plus à verser à Maître Euchin, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Amfor, 30.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Cuisines Plus à l'ensemble des dépens, comprenant les frais d'expertise, les dépens d'appel pouvant être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.