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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 23 mai 2001, n° 1999-08359

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Thomas, Massiani (ès qual.)

Défendeur :

Principe (Sté), Hitman Industria Confezioni (SPA), Cerruti 1881 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

Me Ribaut, SCP Narrat-Peytavi

Avocats :

Mes Bessis, Hawadier.

T. com. Paris, 15e ch., du 18 déc. 1998

18 décembre 1998

Mireille Thomas et Mireille Massiani agissant en qualité de liquidateur judiciaire de cette dernière sont appelantes du jugement rendu le 18 décembre 1998 par le Tribunal de Commerce de Paris qui a

- dit imputable à Mireille Thomas la rupture du contrat de franchise l'ayant liée à la société Cerruti 1881,

- fixé la créance de la société de droit italien Hitman Industria Confezioni Spa (Hitman) à son passif aux sommes de 405.313 F au titre du solde du plan de règlement des arriérés et à celles de 83.870 F, 13.950 F, 28.589 F et 57.335 F pour les factures ultérieures impayées.

- fixé la créance de la société de droit italien Principe à la contre valeur en francs ou en Euros de la somme de 5.193.596 lires italiennes,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- condamné Maître Massiani ès qualités aux dépens.

Madame Thomas et Maître Massiani ès qualités prient la Cour, réformant cette décision en toutes ses dispositions, de condamner la société Cerruti 1881 et la société Hitman à payer à Maître Massiani ès qualités la somme de 2.500.000 F en réparation du passif imputable à leur soutien abusif pendant la dernière année d'activité de Madame Thomas, franchisée Cerruti, outre la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et à Madame Thomas la somme de 1.000.000 F en réparation du préjudice moral subi du fait des mêmes agissements.

La société Cerruti 1881 et la société Hitman poursuivent la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Cerruti 1881 de ses demandes et demandent à la Cour de fixer la créance de cette dernière sur la liquidation judiciaire de Madame Thomas à la somme de 500.000 F correspondant au préjudice par elle subi du fait de la rupture du contrat de franchise imputable à Madame Thomas. Elles sollicitent enfin la condamnation de Maître Massiani ès qualités à leur payer la somme de 50.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Principe, relevant qu'aucune demande n'est formée à son encontre, conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation in solidum de Madame Thomas et de Maître Massiani ès qualités au paiement des sommes de 15.000 F à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce, LA COUR

Considérant que suivant contrat du 17 septembre 1993 à effet au 1er juillet 1993 conclu pour une durée de 5 ans la Société Cerruti 1881 a autorisé Mireille Thomas à exploiter en franchise une boutique de prêt à porter sise à Saint-Tropez ; qu'aux termes de ce contrat le franchisé s'engageait notamment à ne pas vendre les produits revendus dans sa boutique Cerruti 1881 à tout autre établissement, commerce, société ou association (article 1.2), à s'approvisionner exclusivement auprès du franchiseur et/ou de ses fournisseurs licenciés référencés (article 6.2) et à régler à leurs échéances les sommes dues au franchiseur et aux fournisseurs dans les délais directement négociés avec eux (article 6.5) ;

Considérant que Madame Thomas ayant d'une part accumulé au cours de l'année 1995 des factures impayées envers son fournisseur Hitman ayant fait l'objet en 1996 d'un plan de règlement à hauteur de 405.313 F qu'elle n'a pas respecté, d'autre part procédé le 5 février 1997 à la vente d'un lot de 2347 vêtements à un soldeur (au prix de 7.000 F TTC) la société Cerruti 1881 après l'avoir par courrier recommandé du 19 mars 1997 mise en demeure de respecter ses obligations contractuelles et notamment l'article 6.5. du contrat en lui rappelant les dispositions de l'article 11 relatives à la résiliation, a procédé le 30 mai 1997 à ladite résiliation dont le tribunal, par des dispositions non contestées par les appelantes, a imputé la responsabilité à Madame Thomas ;

Considérant que ne sont pas plus contestées les dispositions par lesquelles le tribunal a fixé les créances des sociétés Hitman et Principe au passif de Madame Thomas au titre de leurs fournitures ;

Que les appelantes font seulement grief au tribunal ,alors qu'il avait retenu le caractère fautif de l'attitude des sociétés Cerruti 1881 et Hitman au détriment des créanciers de Madame Thomas, de n'avoir pas fait droit à la demande de Maître Massiani au motif qu'elle n'établissait pas le quantum du préjudice invoqué et à la demande de Madame Thomas au motif que cette dernière ne pouvait s'exonérer de sa propre responsabilité ;

Considérant qu'effectivement le tribunal a estimé que la précarité de la situation de Madame Thomas ainsi que ses retards de paiement importants et persistants étaient révélateurs d'une " situation endémique laissant supposer un état latent de cessation des paiements " que la société Cerruti 1881 ne pouvait ignorer, et qu'en lui accordant un soutien dépourvu de garanties afin de rendre possible une poursuite d'activité à laquelle elle devait trouver intérêt avant d'y mettre un terme brutalement, la société Cerruti 1881 a agi avec légèreté et fait montre d'une imprudence fautive " ;

Considérant tout d'abord que, comme le font exactement valoir les sociétés Cerruti 1881 et Hitman, la liquidation judiciaire dont fait l'objet Mireille Thomas rend irrecevable la demande qu'elle forme s'agissant d'une réparation patrimoniale, conformément aux dispositions de l'article L. 622.9 du nouveau Code de Commerce ;

Considérant, sur la demande de Maître Massiani ès qualités, qu'il convient d'observer à titre liminaire que le franchisé est un commerçant indépendant seul responsable de sa gestion, ce que rappelle l'article 8 du contrat ;que par ailleurs il ne peut être fait grief au franchiseur d'avoir procédé à la résiliation du contrat compte tenu des infractions commises par sa franchisée ; que c'est en vain également qu'il est reproché à Cerruti 1881 et au fournisseur Hitman d'avoir imposé à Madame Thomas des conditions de paiement impossibles à respecter à compter de mars 1997 alors que lesdites conditions - paiement par traite à 60 jours de la livraison - habituelles dans la profession ne sont pas particulièrement dures pour le débiteur et qu'il n'est de surcroît pas justifié par les appelantes que les conditions antérieurement négociées auraient été plus souples, en dehors naturellement des impayés résultant d'un comportement unilatéral de Mme Thomas ;

Considérant, sur le soutien abusif invoqué par les appelantes, que pour que la responsabilité civile du banquier ou du fournisseur dispensateur de crédit puisse être retenue, il convient de rapporter la preuve qu'au moment de l'octroi de ce crédit la situation du débiteur était irrémédiablement compromise et que le créancier en avait connaissance, au contraire du débiteur ;

Considérant qu'en l'espèce la situation débitrice de Madame Thomas n'est apparue qu'à la fin de l'année 1995 où elle a laissé impayées des factures pour un montant supérieur à 300.000 F ; que toutefois il n'apparaissait à Cerruti, ni à cette date ni postérieurement que sa franchisée se trouvait dans une situation financière totalement obérée, son expert-comptable lui-même indiquant dans un courrier du 13 septembre 1996 que le plan de paiement proposé pour le règlement de 375.824 F était accepté par Madame Thomas et que l'arriéré de 1993 aurait pu être réglé dès février 1995 si le décompte de la créance avait été correctement établi, ce qui ne pouvait laisser supposer qu'aucune somme ne serait réglée; qu'enfin il ne peut être reproché à Cerruti 1881 et à Hitman d'avoir continué à approvisionner Madame Thomas pendant les premiers mois de 1997 précédant la rupture du contrat et pour des montants peu élevés, observation étant faite qu'ils ne sauraient être responsables de la gestion catastrophique de Madame Thomas qui l'a conduite à brader en février 1997 247 vêtements au prix de 28 F pièce ;

Considérant que Maître Massiani ès qualités doit en conséquence être déboutée de sa demande ;

Considérant que la société Cerruti 1881 demande à la Cour de fixer sa créance au passif de Madame Thomas à la somme de 500.000 F à titre de dommages et intérêts, compte-tenu du fait que le contrat de franchisé devait théoriquement se poursuivre pendant 1 an encore jusqu'au 1er juillet 1998, des atteintes à la notoriété de sa marque compte tenu de la vente à un soldeur, du temps perdu dans l'attente de la réinstallation d'une enseigne à Saint-Tropez et du fait que Madame Thomas a gardé en place les signes distinctifs de la marque pendant 5 mois postérieurement à la résiliation du contrat ; que ces circonstances imputables à Madame Thomas justifient l'allocation de dommages et intérêts à la société Cerruti 1881 à hauteur de la somme de 100.000 F ;

Considérant que la société Principe, qui ne caractérise pas le préjudice qui serait résulté pour elle de l'appel interjeté à son encontre doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés intimées, à hauteur de la somme de 10.000 F pour chacune d'elles, les frais irrépétibles qu'elles ont dû exposer ;

Par ces motifs et ceux non contraires aux premiers juges, Confirme le jugement entrepris sauf en de qu'il a débouté la SA Cerruti 1881 de ses demandes et, statuant à nouveau de ce chef, Fixe la créance de la SA Cerruti 1881 au passif de Mireille Thomas à la somme de 100.000 F, Déboute la société Principe de sa demande de dommages et intérêts, Condamne Mireille Massiani ès qualités à payer à chacune des trois sociétés intimées la somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à supporter les dépens, Admet l'avoué concerné au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.