CA Bordeaux, 2e ch. civ., 15 janvier 1997, n° 94005830
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sarda (SA)
Défendeur :
Pommerie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Frizon de Lamotte
Conseillers :
Mlle Courbin, M. Ors
Avoués :
Me Fournier, SCP Lacampagne-Puybaraud
Avocats :
Mes Menard, Bost.
Par jugement du 26 septembre 1994, le Tribunal de commerce de Périgueux a dit valable la résiliation du contrat d'agent conclu le 21 février 1986 entre M. Pommerie et la SA Sarda qui a parfaitement respecté les clauses de résiliation du contrat ;
Le tribunal a dit que ce contrat comportait un mandat d'intérêt commun, que dès lors une indemnité de résiliation était due à M. Pommerie et, avant dire droit sur le montant du préjudice, a ordonné une expertise, a condamné la SA Sarda à 3 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La SA Sarda a interjeté appel le 17 octobre 1994, conclu le 14 février 1995 à la réformation du jugement, aux motifs que la rupture du mandat d'intérêt commun est légitime, dès lors qu'elle est conforme aux dispositions contractuelles liant les parties, qu'aucun abus de droit ne peut lui être imputé ; elle soutient que M. Pommerie n'apporte pas la preuve de l'existence d'un quelconque préjudice, ni d'un lien de causalité entre le préjudice et la rupture du contrat ;
reconventionnellement, elle sollicite une provision de 100 000 F et, avant dire droit sur son entier préjudice, la désignation d'un expert avec mission de :
- prendre connaissance du livre des ventes réalisées par M. Pommerie sur son secteur au cours de l'année 1993,
- rechercher les ventes de véhicules neufs, et les ventes de très faible kilométrage assimilables à des ventes de véhicules neufs de marque Renault et de toute autre marque, qui auraient été réalisées ;
- donner tous éléments pour chiffrer le préjudice subi par le mandant du fait de ces fautes.
M. Pommerie, par conclusions du 20 juin 1995, demande la confirmation du jugement en ce qu'il a fait droit à sa demande d'indemnisation du préjudice né de la rupture de la convention du 21 février 1986 et ordonné une expertise ;
il demande à la Cour de faire droit à sa demande reconventionnelle, de dire la responsabilité contractuelle de la Sarda engagée à la suite des nombreuses infractions commises par elle à la convention les liant, de dire que la Sarda a, le 30 décembre 1992, abusé de son droit de rompre la convention et doit en supporter l'entière charge, réparer son préjudice subi du fait de la rupture du contrat, mais aussi du fait de ses fautes, en conséquence d'élargir la mission de l'expert à la détermination de tous les préjudices subis ; il sollicite une provision de 500 000 F et 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Attendu, au vu des documents versés aux débats, que M. Pommerie a signé le 30 janvier 1985 avec la Sarda, concessionnaire Renault, et la RNUR un " contrat d'agent local " B " pour une année, et un avenant du même jour fixant l'objectif de vente pour l'année 1985, 20 véhicules d'occasion, le taux de la commission et de primes éventuelles ;
qu'un nouveau contrat d'agent a été signé le 21 février 1986 pour une durée indéterminée, un avenant fixant l'objectif de vente pour l'année 1986 à 15 véhicules d'occasion ; qu'aux termes de " conditions particulières " pour l'année 1992, l'objectif défini était la vente de 95 véhicules neufs et un chiffre d'affaires afférent aux pièces de rechange de 852 000 F ;
qu'une lettre du 13 décembre 1991 établie par Sarda, signée par M. Pommerie, a formalisé l'accord intervenu sur une amélioration des installations de M. Pommerie, les conditions de vente des véhicules neufs et d'occasion, les services après-vente et l'approvisionnement en pièces de rechange, la non-réalisation de tout ou partie de ces dispositions amenant la Sarda à revoir la poursuite de leurs relations contractuelles ;
que par acte d'huissier du 30 décembre 1992 la Sarda a fait signifier à M. Pommerie une lettre l'informant de la résiliation du contrat du 21 février 1986, conformément à l'article 5 2° alinéa, résiliation effective après un préavis de 12 mois débutant dès la réception de cette lettre, dans laquelle la Sarda fait état d'une réunion du 28 octobre 1992 au cours de laquelle, conformément à l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, dite Loi Doubin, elle lui a remis un dossier d'information précontractuel comprenant principalement un exemplaire de contrat " Vendeur Agréé " et la " charte Vente Agréé " ; que la Sarda terminait sa lettre ainsi : " Nous prenons bonne note que vous refusez de signer ce contrat de Vendeur Agréé et restons à votre disposition pour étudier toute proposition afin qu'une solution soit trouvée ;
que par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 janvier 1993, M. Pommerie a répondu à la Sarda qu'il ne refusait pas la poursuite de leurs relations contractuelles, qu'ils étaient toujours en négociations ; qu'il précisait les 4 points sur lesquels, lors d'une réunion du 17 décembre 1992, il avait demandé confirmation, car ils n'étaient pas conformes aux dispositions de la charte ;
que par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 janvier 1993, la Sarda a répondu que la résiliation du contrat n'était pas motivée par le refus de signer le nouveau contrat de vendeur agréé, et a donné une réponse aux 4 points soulevés par M. Pommerie ;
Attendu que la Sarda expose que, concessionnaire de la marque Renault à Périgueux sur le département de la Dordogne, elle a été tenue en application de son contrat de concession, comme tous les autres concessionnaires, dans le cadre de la réorganisation de son réseau secondaire voulu par le constructeur automobile, d'informer les distributeurs, la Régie Renault ayant décidé de créer deux catégories, les " vendeurs agréés " correspondant aux " agents I " et les " agents services ", qu'un contrat d'" agent agréé " fut également proposé à M. Pommerie ; que, toujours selon Sarda, l'ancien contrat n'étant plus en vigueur et M. Pommerie refusant de signer le nouveau contrat proposé, elle s'est trouvée dans l'obligation de procéder à la résiliation du contrat, tout en espérant que, durant la phase de préavis, M. Pommerie accepterait de signer le contrat proposé ;
Attendu que Sarda soutient que durant le préavis, durant lequel il était toujours " agent ", M. Pommerie a multiplié entraves et infractions d'une particulière gravité, ne participant plus, bien que convié, à aucune réunion d'information à la concession, refusant de réaliser l'opération commerciale menée sur l'ensemble du territoire pour le lancement de la Twingo, réalisant seulement 28 ventes de véhicules neufs en 1993, au lieu de 85, 80 et 76 lors des années précédentes ; que la Sarda dit avoir, au début du mois de septembre 1993, rappelé à M. Pommerie son offre de le conserver dans son réseau mais en vain, M. Pommerie l'ayant assignée le 22 septembre 1993 en responsabilité contractuelle, résiliation du contrat et indemnisation de son préjudice ;
Attendu que M. Pommerie invoque plusieurs fautes contractuelles de Sarda : le démarchage au mois de décembre 1991 d'un agent Citroën à Montpon Menesterol, alors que la Sarda l'obligeait à effectuer des investissements très importants ; qu'il reproche à la Sarda l'emploi d'un procédé qu'il assimile à la commission d'une infraction pénale pour la facturation des pièces qu'il commandait, consistant en la facturation de pièces retournées et objet d'un avoir, constituant donc une double facturation, pratique reconnue par Sarda puisque, en cours de procédure, elle a réglé le montant des sommes ainsi détournées ; que M. Pommerie reproche également une surfacturation de certaines pièces détachées ; qu'il invoque enfin de non-respect de l'esprit et de la lettre de la convention les liant, notamment au niveau du paiement des commissions, tardif, de la fixation unilatérale des objectifs commerciaux, a posteriori, sans discussion et accord préalables de l'agent ;
Sur la rupture du contrat :
Attendu que la Sarda critique le jugement en ce qu'il y est dit qu'aucun grief ne peut être reproché à M. Pommerie, en ce que le principe d'une indemnité au profit de ce dernier est accepté, en l'absence d'abus et donc de faute établie à son encontre, le tribunal ayant méconnu les règles de rupture d'un contrat d'intérêt commun ;
que M. Pommerie dit qu'il était disposé à devenir " agent service ", mais que la Sarda n'a pas souhaité le conserver au sein de son réseau, en raison de l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 1991 à compter du 1er janvier 1994, améliorant le statut des agents commerciaux, le nouveau contrat proposé prévoyant que l'agent n'a plus la qualité d'agent commercial, mais celle d'acheteur et de revendeur de véhicules, dont les obligations financières et d'organisation de l'entreprise sont alourdies ; que M. Pommerie en déduit que la résiliation est abusive, qu'elle repose sur un motif illégitime, qu'elle doit être prononcée aux torts de la Sarda ;
Attendu que Sarda démontre que le chiffre d'affaires réalisé par M. Pommerie grâce à l'activité de mandat de ventes de véhicules neufs de 290 000 F environ au cours des années 1990, 1991, 1992, et de 158 191 F en 1993, est peu important au regard de son chiffre d'affaires global de 6 369 758 F en 1992, 7 563 238 F en 1993, les résultats établissant que sa principale activité est celle de la vente de véhicules d'occasion et de prestations de services; que M. Pommerie ne peut donc soutenir un état d'assujettissement économique quasi-total par rapport à la Sarda ; que son activité d'intermédiaire dans la vente de véhicules neufs est très secondaire par rapport à la fonction de réparation, d'entretien de véhicules et de vente de véhicules d'occasion, qu'il exerce pour son compte; que dès lors il n'est pas démontré que la loi du 25 janvier 1991 lui aurait été applicable, l'article 15 de cette loi disant qu'elle est applicable si l'activité de mandat est exercée à titre principal ou déterminant; qu'en conséquence la volonté d'échapper à cette loi, en admettant qu'elle soit établie, n'est pas constitutive d'un motif illégitime de résiliation du contrat en cause ;
Attendu, sur l'application de la théorie du mandat d'intérêt commun, qu'aux termes des articles 2003 et 2004 du Code civil, le mandataire peut être révoqué " suivant les conditions et clauses spécifiées au contrat " ; que les parties peuvent donc insérer des clauses réservant à chacune d'elles le droit de mettre fin unilatéralement au mandat sans indemnité, moyennant un délai de préavis ou non ; que si les clauses contractuelles sont respectées, la demande de dommages-intérêts formée par le mandataire doit être rejetée, sauf à lui à établir un abus commis par le mandant ;
que l'article V du contrat d'agent signé le 21 février 1986 est ainsi libellé : " le contrat est conclu pour une durée indéterminée... Dans l'intérêt réciproque des deux parties, celle qui désirerait y mettre fin devra en prévenir l'autre par lettre recommandée en respectant un préavis d'un an " ;
que la Sarda a donc seulement usé de la faculté de rompre les relations contractuelles, donnée à chaque partie qui a accepté cette disposition, et qui ne peut donc critiquer l'usage qui en est fait, dès lors que les formalités prévues ont été respectées, soit l'envoi d'une lettre signifiée par huissier et préavis d'un an, délai reconnu comme suffisant car permettant d'anticiper et de pallier les conséquences de la rupture ; que le caractère indéterminé de la durée du contrat, ne fait pas obstacle à la cessation des relations contractuelles dès lors que les parties ont voulu réserver à chacune la possibilité d'y mettre fin, sous réserve seulement de l'envoi de la lettre recommandée et du préavis d'un an ;
qu'aucune obligation n'est faite au mandant de tenir compter d'importants investissements qui auraient été effectués ; que cette révocation du mandat n'est donc pas constitutive d'un abus de droit ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de rechercher une quelconque faute commise par l'une ou l'autre partie, dès lors que la Sarda n'était pas tenue de motiver sa décision ; qu'en tout état de cause, M. Pommerie ne démontre pas le préjudice qui serait résulté pour lui de la proposition faite à l'agent Citroën de Montpon Menesterol en décembre 1991 de devenir agent Renault, alors que Sarda lui a signifié la résiliation du contrat deux ans après ;
que la double facturation des pièces détachées lorsqu'elle a fait l'objet d'une réclamation par M. Pommerie a donné lieu à un règlement en cours de procédure ; qu'une erreur de facturation a également été réparée ;
que Sarda reconnaît des erreurs commises concernant le taux des commissions dues à M. Pommerie qui ont été rectifiées ;
que M. Pommerie ne justifie d'aucune protestation quant à la fixation des " objectifs " fixés par Sarda si ce n'est au cours de la présente procédure ;
que M. Pommerie ne prétend d'ailleurs même pas avoir invoqué, antérieurement à la résiliation du contrat à l'initiative de Sarda, l'une quelconque de ces fautes, dont il ne démontre pas qu'elles seraient la cause d'un quelconque préjudice qui n'est réparé en l'état ;
que M. Pommerie est mal fondé à demander la résiliation aux torts exclusifs de la Sarda ;
Attendu en outre que M. Pommerie ne démontre pas l'existence d'un quelconque préjudice consécutif à la résiliation, puisque les éléments comptables versés aux débats relèvent que son activité de vente, chiffrée à 4 961 746 F au 30 juin 1992, est passée à 9 312 303 F au 30 juin 1994 alors que l'activité d'atelier est restée pratiquement constante ; que le jugement est réformé en ce qu'il a ordonné une expertise pour évaluer le préjudice de M. Pommerie ;
Sur la demande reconventionnelle de la Sarda :
Attendu que la Sarda invoque à l'appui de sa demande l'obligation pour les parties durant la période d'un préavis de respecter la totalité des obligations qui pèsent sur elles et soutient que M. Pommerie, à tout le moins à partir du mois de mars 1993, a mis tout en œuvre pour désorganiser la Sarda en cessant pratiquement toute activité pour elle, en sabordant véritablement le négoce des véhicules neufs ; que le tableau comparatif produit par la Sarda démontre effectivement la baisse importante des ventes par rapport aux années précédentes, 28 en 1993, au lieu de 86 en 1992 et 80 en 1991 ;
qu'en ce qui concerne la présentation de la Twingo, les lettres recommandées de mises en demeure adressées par la Sarda à M. Pommerie et les réponses faites par ce dernier, si elles révèlent la mauvaise entente régnant entre eux, ne caractérisent pas la faute de l'un ou l'autre ;
qu'en ce qui concerne les entraves systématiques à l'activité du vendeur de la concession chargé du secteur, il s'agit d'une simple affirmation non étayée par les pièces du dossier ;
Attendu, cependant, au vu du tableau comparatif de ventes par années démontrant une baisse importante de celles-ci durant l'année de préavis, que l'expertise est nécessaire afin de rechercher si cette baisse est la conséquence du comportement de M. Pommerie, qui n'aurait pas respecté ses obligations durant l'année de préavis, ou d'autres facteurs notamment le contexte économique, et ce, dans quelles proportions ; que cette mesure d'expertise doit fonctionner aux frais avancés de la Sarda qui la sollicite et dans l'intérêt de laquelle elle est ordonnée ; qu'en l'absence de tout élément permettant d'évaluer le préjudice la demande de provision est prématurée ; qu'il n'y est pas fait droit ;
Attendu que les dépens sont réservés ;
Par ces motifs : - dit la Sarda fondée en son appel, réformant partiellement le jugement et statuant à nouveau, - déboute M. Pommerie de sa demande de résiliation du contrat d'agent aux torts exclusifs de la Sarda et de sa demande de dommages-intérêts, - avant dire droit sur la demande reconventionnelle de la Sarda, désigne M. Gerberon 31 avenue Françoise " Trélissac " 24750 Trélissac Périgueux avec mission de : prendre connaissance du livre des ventes réalisées par M. Pommerie sur son secteur au cours de l'année 1993, rechercher les ventes de véhicules neufs, de véhicules de très faibles kilométrages de marque Renault et d'autres marques durant cette même période, rechercher des éléments de comparaison afin d'apprécier si la baisse des ventes est la conséquence du comportement de M. Pommerie ou d'autres causes, notamment du contexte général, au regard plus particulièrement des résultats d'autres agents, donner tous éléments pour chiffrer le préjudice subi par le mandant du fait d'une éventuelle faute de M. Pommerie durant la période de préavis, dit que l'expert à cette fin entendra les parties, tous sachants, se fera remettre tous documents y compris ceux détenus par des tiers, et procèdera à toutes ces opérations contradictoirement, dit que la Sarda consignera la somme de 4 000 F à titre de provision à valoir sur la rémunération de l'expert, auprès de la Régie d'Avances et de Recettes de la Cour dans les deux mois du présent arrêt, dit qu'à défaut de consignation dans le délai, la désignation de l'expert sera caduque, sauf prorogation du délai ou relevé de caducité, dit que l'expert déposera son rapport au Secrétariat Greffe de la Cour dans les 4 mois suivant le dépôt de la consignation, dit qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert, il sera pourvu à son remplacement par simple ordonnance du Conseiller de la Mise en Etat, - réserve les dépens.