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Décisions

CA Douai, 1re ch., 1 avril 1997, n° 95-09579

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Deremetz

Défendeur :

La Voix du Nord (SA), Leclerc

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Corroller

Conseillers :

Mme Dagneaux, M. Mericq

Avoués :

Mes Cocheme, Kraut, Quignon

Avocats :

Mes Toulet, Doussot.

TGI Lille, du 14 sept. 1995

14 septembre 1995

Attendu que Patrick Deremetz a été dépositaire-vendeur-colporteur de journaux La Voix du Nord de 1985 à fin 1989 ; que dans le cadre de ces activités il a également livré aux services généraux de La Voix du Nord des quotidiens Nord Éclair et Nord Matin ; que la société Nord Éclair lui ayant réclamé le coût de ces journaux lui-même a assigné La Voix du Nord devant le Tribunal d'instance en paiement des sommes dues à ce titre ; que la société La Voix du Nord a alors fait une demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 162 851,89 F au titre des factures de journaux qu'elle l'avait chargé de distribuer ; que le Tribunal d'instance s'est alors déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance ; que Patrick Deremetz a assigné Jean-Michel Leclerc repreneur de son dépôt de journaux aux fins de le faire intervenir dans cette procédure ;

que par jugement du 14 septembre 1995, le Tribunal de grande instance de Lille a condamné Patrick Deremetz à payer à la Voix du Nord la somme de 133 349,89 F majorée des intérêts légaux à compter du 5 février 1990, date de la mise en demeure et débouté les parties du surplus de leurs prétentions ;

Attendu que Patrick Deremetz a interjeté appel par acte du 17 octobre 1995 ;

que par conclusions signifiées le 13 février 1996, il demande à la Cour de :

- réformer le jugement déféré,

- débouter tant La Voix du Nord que Jean-Michel Leclerc de l'ensemble de leurs demandes,

- prendre acte du fait que la société La Voix du Nord reconnaît être redevable d'une somme de 29 504 F, la condamner pour cette somme avec intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 1990, date de l'assignation devant le Tribunal d'instance,

- condamner la société La Voix du Nord au paiement de la somme de 129 432 F, montant du passif qu'il a acquitté lors de la reprise des clientèles de René Mons, Dernoncourt et Foucart,

- condamner la société La Voix du Nord au paiement d'une somme de 150 000 F de dommages-intérêts pour le préjudice qu'elle lui a fait subir lors de la rupture abusive du contrat de commission,

- condamner solidairement Jean-Michel Leclerc et la société La Voix du Nord au paiement de la somme de 236 495 F à titre de solde de connaissance de clientèle et de celle de 25 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

qu'il fait valoir que La Voix du Nord n'a jamais contesté devoir la somme de 29 504 F que le Tribunal lui a accordée mais sans lui faire produire d'intérêts alors que ceux-ci courent depuis l'assignation devant le Tribunal d'instance en date du 6 juillet 1990 ; que lorsqu'il a racheté successivement trois clientèles, il a versé à La Voix du Nord des sommes pour lesquelles cette dernière n'a jamais justifié à quoi elles correspondaient et pour lesquelles il convient de juger qu'elles ont été réglées pour apurer le passif en cours des dépositaires dont il prenait la succession ;que le jugement qui a rejeté sa demande à ce titre doit être réformé, que compte tenu du nombre de journaux qu'il diffusait chaque mois (environ 66 000 F) et de l'estimation donnée par le syndicat des agents de vente de la Presse du Nord Pas-de-Calais pur l'indemnité de connaissance de clientèle (entre 175 F et 215 F par client) il est en droit de réclamer une indemnité de 471 495 F ; que compte tenu de l'acompte de 235 000 F versé par Jean-Michel Leclerc, il lui reste dû 236 495 F ; que dans le cadre d'une procédure de référé Jean-Michel Leclerc avait accepté une mesure d'instruction mais n'a finalement pas versé la moitié de consignation mise à sa charge ; qu'en ce qui concerne ses relations avec la société La Voix du Nord (mandat d'intérêt commun), si le mandant a le droit de résilier ce contrat, il doit des dommages-intérêts s'il ne prouve pas un juste motif pour ce faire ; que la société La Voix du Nord à qui cette charge incombe, alors que le Tribunal a renversé la charge de la preuve ne justifie d'aucune faute sérieuse à son encontre ; que c'est de sa propre autorité et en l'absence de toute justification que la société La Voix du Nord a cru devoir le remplacer et l'a mis devant le fait accompli ; que cette rupture injustifiée de leurs relations commerciales l'a mis dans une situation dramatique, la Voix du Nord ayant par ailleurs fait pression sur les autres titres de la presse régionale qu'il distribuait pour qu' ils cessent également toute relation avec lui ; que le montant des sommes que La Voix du Nord lui réclame ne comprend pas celles qu'elle a perçues soit directement soit indirectement par l'intermédiaire de Jean-Michel Leclerc ; que la somme dont La Voix du Nord se prétend créancière ne peut être arrêtée dans son montant ;

Attendu que par conclusions signifiées le 17 juin 1995, la société La Voix du Nord et Jean-Michel Leclerc demandent à la Cour de :

- confirmer le jugement dont appel,

- condamner Patrick Deremetz à leur payer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

qu'ils soutiennent que Patrick Deremetz et Jean-Michel Leclerc se sont rapprochés en 1990 afin de céder le dépôt du 1er et de présenter la clientèle à cette cession, sans pour autant s'y à tout moment, selon les usages de la presse quotidienne régionale, révoquer toute convention de dépôt avec un préavis de 48 heures, sans motif et sans indemnité ; que les sommes qu'elle réclame à Patrick Deremetz ont été encaissées par lui auprès des lecteurs de La Voix du Nord ; que Patrick Deremetz reconnaît que les sommes sont bien dues ; qu'il est dans l'incapacité en revanche de démontrer que lorsqu'il a débuté dans son activité de dépositaire, elle l'a contraint à régler les factures en cours des dépositaires dont il prenait la succession ; qu'il en est de même lorsqu'il prétend qu'elle l'aurait contraint à cesser son activité ; que les sommes qu'elle lui réclame ne concernent aucunement Jean-Michel Leclerc puisqu'elle sont dues pour des journaux reçus et distribués par Patrick Deremetz ; que ces sommes n'ont à aucun moment été payées par Jean-Michel Leclerc à La Voix du Nord ; que Patrick Deremetz reconnaît que les factures sont restées impayées lors de la cession ; que l'indemnité de clientèle correspond au juste prix, et Patrick Deremetz n'a pas donné suite à la décision précédemment rendue nommant un expert ; que La Voix du Nord étrangère aux transactions entre les dépositaires ne saurait être condamnée à payer une indemnité de clientèle ;

DISCUSSION :

Attendu que la société La Voix du Nord ne remet pas en cause devant la Cour sa condamnation à payer à Patrick Deremetz la somme de 29 504 F correspondant aux livraisons que ce dernier a effectuées à La Voix du Nord de journaux du groupe Nord Éclair ; qu'en revanche Patrick Deremetz conteste le fait que cette somme ayant été déduite des sommes dues par La Voix du Nord, il n'y ait pas eu de condamnation aux intérêts courant sur cette somme ; attendu que cette somme a été réclamée dès la procédure devant le Tribunal d'instance initiée par assignation du 4 septembre 1990 à hauteur de 23 584,80 F puis lors de l'audience du 12 mars 1991 à hauteur de 29 504 F, ainsi que cela ressort du jugement d'incompétence rendu par le Tribunal d'instance le 9 avril 1991 ; qu'en conséquence les intérêts au taux légal courront sur la somme de 23 584,80 F à compter du 4 septembre 1990 et sur celle de 5 919,20 F à compter du 12 mars 1991 ;

Attendu qu'en ce qui concerne le passif que Patrick Deremetz prétend avoir payé lors de la reprise des clientèles des dépositaires précédents, s'il produit la copie d'un chèque de 71 132 F émis le 26 septembre 1985 à l'ordre de La Voix du Nord, ce qui correspond au montant de la dette qu'une de ces prédécesseurs, René Mons, avait envers La Voix du Nord (cf lettre de La Voix du Nord à René Mons en date du 21 septembre 1985), en revanche aucun élément n'établit qu'il appartienne à la Voix du Nord de rembourser à Patrick Deremetz cette somme au moment de la cessation de ses fonctions ; qu'aucun document n'est en effet versé à ce sujet sur un éventuel accord en ce sens, étant observé que d'autres chèques ont été émis au nom de René Mons et qu'aucune explication n'est fournie sur le montant exact convenu entre ce dernier et Patrick Deremetz pour l'indemnité de clientèle, le versement de ce chèque directement à La Voix du Nord pouvant être une des modalités de règlement de cette indemnité ainsi que le syndicat des agents de vente de la presse du Nord Pas-de-Calais l'explique dans son courrier du 14 janvier 1993 ; qu'en tout état de cause Patrick Deremetz n'explique pas à quel titre la société La Voix du Nord devrait rembourser cette somme ; que pour les deux autres sommes également réclamées, Patrick Deremetz n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'il s'en est acquitté et que là encore la société La Voix du Nord serait tenue de les lui rembourser ; que le Tribunal a donc à juste titre débouté Patrick Deremetz de sa demande à ce titre ;

Attendu que Patrick Deremetz avait assigné le 6 juillet 1990 Jean-Michel Leclerc en condamnation au paiement d'une somme de 430 000 F au titre de l'indemnité de clientèle ; que l'expertise ordonnée alors a été déclarée caduque par ordonnance du 16 mai 1991 mais les parties n'expliquent pas ce qu'est devenue cette affaire ; que si Patrick Deremetz établit par un courrier du Syndicat des Agents de Vente de la Pression du Nord et du Pas-de-Calais en date du 14 janvier 1993 que le prix de cession de clientèle est déterminé de gré à gré entre vendeur et repreneur et peut être estimé sur Lille aux environs de 175 à 215 F par client, en revanche il ne donne les chiffres relatifs au nombre de journaux distribués que pour décembre 1989, ce qui est nettement insuffisant pour permettre de calculer un prix moyen qui ne peut se faire que par référence à une moyenne annuelle au minimum ; que l'expertise ordonnée en 1990 et qui n'a pu avoir lieu à cette époque, faute de consignation de la provision par Jean-Michel Leclerc apparaît toujours nécessaire ; qu'il y a lieu de l'ordonner d'office, l'avance des frais devant être faite par Patrick Deremetz demandeur sur ce point ;

Attendu que les relations existant entre Patrick Deremetz et La Voix du Nord ne sont consacrées par aucun contrat écrit ; que cependant il résulte notamment des factures établies par La Voix du Nord que Patrick Deremetz était rémunéré à la commission par cette dernière et qu'il n'était pas propriétaire des journaux, puisque La Voix du Nord reprenait les invendus ; que Patrick Deremetz avait cependant intérêt à la diffusion des journaux puisque le montant de sa rémunération variait en fonction du nombre de journaux vendus, de sorte qu'il avait intérêt à l'essor de l'entreprise par création et développement de la clientèle, ce qui caractérise le mandat d'intérêt commun ; que la reprise des invendus constituait une participation de La Voix du Nord aux pertes et n'était pas exclusive de l'intérêt commun ; or attendu que le mandat d'intérêt commun est par nature irrévocable ad nutum ; qu'en l'absence d'un contrat écrit écartant cette irrévocabilité, comme le fait le contrat type produit par La Voix du Nord en son article 9 selon les usages professionnels, le mandataire ne peut révoquer un tel contrat que pour faute dont il lui appartient de rapporter la preuve ; qu'une telle preuve est insuffisamment rapportée par les courriers émanant de La Voix du Nord en date des 11 octobre 1989 et 4 décembre 1989, qui ne sont étayés par aucune pièce de nature à démontrer que Patrick Deremetz, qui même s'il était lié par un mandat d'intérêt commun était un travailleur indépendant, avait à communiquer ses documents comptables à La Voix du Nord et aurait pris de ce chef un engagement qu'il n'aurait pas ensuite respecté ; que le courrier du 4 décembre 1989 par ailleurs affirme, sans apporter la preuve correspondante, que Patrick Deremetz ne serait plus affilié à l'URSSAF depuis 1988 ou qu'il consentirait des rabais trop importants à un hôtel lillois ; que la preuve d'une faute de Patrick Deremetz n'est donc pas rapportée et La Voix du Nord doit répondre de cette rupture abusive du contrat ; que cette rupture a créé pour Patrick Deremetz un préjudice important compte tenu des commissions qu'il percevait de La Voix du Nord, même s'il ne travaillait pas exclusivement avec celle-ci ; qu'au vu des éléments dont la Cour dispose ce préjudice peut être réparé par l'octroi d'une somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ; que cette somme portera intérêts à compter du présent arrêt ;

Attendu que Patrick Deremetz ne saurait soutenir que Jean-Michel Leclerc avait l'obligation de prendre en charge la créance de La Voix du Nord conformément aux usages de la profession alors qu'il a été déjà relevé que Patrick Deremetz n'établissait nullement une telle obligation et que notamment lorsqu'une somme était ainsi versée par le repreneur à La Voix du Nord cela correspondait à une partie de l'indemnité de clientèle directement versée au créancier du vendeur ; que Patrick Deremetz ne conteste pas ne pas avoir payé toutes ses factures au moment de sa révocation, mais soutient que puisqu'il a distribué plus de journaux que ce qu'on lui réclame, c'est que La Voix du Nord s'est fait payer autrement ; or attendu que si La Voix du Nord fait effectivement état sur la facture de décembre 1989 (pièce n° 12 sous le cachet de Me Doussot) d'un montant de journaux distribués pour 255 167,30 F, elle en déduit les commissions pour 71 301,58 F, d'où un solde de 183 865,72 F ramené à 162 853,89 F après imputation de la facture du 15 janvier 1990 et des invendus ; que c'est à juste titre que Patrick Deremetz a été condamné au paiement de cette somme ; que celle-ci ne peut porter intérêt en application de l'article 1153 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 13 juillet 1992 applicable en la cause, que de la demande en justice, présentée devant le Tribunal d'instance à l'audience du 12 mars 1991 ;

Attendu que les circonstances de l'espèce ne conduisent pas à appliquer les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement rendu le 14 septembre 1995 par le Tribunal de grande instance de Lille, Statuant à nouveau : Condamne La Voix du Nord à payer à Patrick Deremetz : - la somme de 29 504 F, - la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, Dit que les intérêts courront au taux légal sur : - la somme de 23 584,80 F à compter du 4 septembre 1990, - la somme de 5 919,20 F à compter du 12 mars 1991, Condamne Patrick Deremetz à payer à La Voix du Nord la somme de 162 853,89 F, Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 12 mars 1991, Avant dire droit pour le surplus, Ordonne une mesure d'expertise, Commet pour y procéder M. Babe Pierre 16 rue Desmettre à 59700 Marcq-en-Baroeul, avec mission - tous droits et moyens des parties étant réservés, les parties entendues ainsi que tous sachant s'il y a lieu, connaissance prise de tous documents, en s'entourant de tous renseignements à charge d'en indiquer la source de : - se faire communiquer par les parties les éléments de sa comptabilité relatifs aux années 1987, 1988, 1989 retraçant les relations entre La Voix du Nord et Patrick Deremetz, - calculer le nombre moyen de journaux à permettre à la Cour de déterminer la valeur de l'indemnité de clientèle due par le repreneur à Patrick Deremetz, Dit que l'expert devra déposer son rapport dans les trois mois de l'avis qui lui sera donné à la consignation de la provision à avoir sur sa rémunération, Fixe le montant de cette provision à 5 000 F et dit qu'elle sera versée par Patrick Deremetz avant le 7 mai 1997 faute de quoi l'expert ne sera pas saisi de sa mission, Dit que l'expert devra faire connaître, dès la première réunion d'expertise, le coût prévisible de ses débours et honoraires, Dit que les opérations d'expertise s'effectueront sous le contrôle du Conseiller de la Mise en Etat, Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance du Conseiller de la Mise en État, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Réserve le dépens, Renvoie la cause et les parties à l'audience de mise en état du 9 décembre 1997.