CA Paris, 5e ch. C, 16 janvier 1998, n° 96-17218
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sebagh
Défendeur :
Galeries Lafayette (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Desgrange
Conseillers :
Mme Cabat, M. Betch
Avoués :
SCP Régnier-Bequet, SCP Cossec
Avocats :
Mes Nusimovici, Sentex
Par acte en date du 17 mars 1994, la SA Galeries Lafayette s'est engagée, pour une durée indéterminée, à mettre à la disposition de Monsieur Sebagh, exploitation de la marque Show Bizz, un emplacement non équipé dans le magasin du Boulevard Haussmann.
En avril 1995, la SA Galeries Lafayette a confirmé à Monsieur Sebagh que la promotion de la marque Show Bizz et donc la présentation de ses produits devait cesser à compter du 29 juillet 1995, date qui, devant les protestations de Monsieur Sebagh, a été reportée au 30 septembre suivant.
Monsieur Sebagh a alors invoqué la rupture abusive par la SA Galeries Lafayette d'un mandat d'intérêt commun et demandé réparation du préjudice ainsi causé.
Sur le litige ainsi né entre les parties, le Tribunal de commerce de Paris a rejeté l'intégralité de ses demandes et l'a condamné au paiement d'une somme de 25 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Sebagh a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Il expose que la convention établie avec la SA Galeries Lafayette lui permettait la disposition d'un emplacement personnalisé, au sein du rayon chaussures, à charge pour lui de l'équiper, de l'aménager à ses frais et de détacher sur ce stand un ou plusieurs démonstrateurs faisant partie de son personnel ; que l'approvisionnement en marchandises de cet emplacement se faisait sous forme d'achats sous condition suspensive par la SA Galeries Lafayette et que les ventes réalisées au profit de la clientèle de cette société lui étaient mensuellement communiquées pour qu'il lui en facture le montant mais ce sous déduction d'une remise de 22 % représentant la rémunération afférente à la mise à disposition de l'emplacement.
Monsieur Sebagh soutient que les produits ainsi vendus appartenaient bien à la SA Galeries Lafayette qui en encaissait le prix mais que ces ventes étaient parfaites dès l'accord du client donné à ses démonstrateurs et avant même leurs paiements de sorte que ceux-ci avaient bien mission de représenter les produits à la clientèle, de conclure les ventes et qu'ainsi la convention signée le 14 mars 1994 avec cette société, convention qui prévoyait également sa rémunération, doit s'analyser en un mandat d'intérêt commun dont la brusque rupture, intervenue sans motif, caractérise la faute de celle-ci.
Il ajoute qu'un contrat d'intérêt commun abusivement résilié a, en tout état de cause, lié les parties et que le délai de préavis accordé a, en outre, été, compte tenu de la nature des marchandises vendues, des contraintes de production de ces produits soumis aux impératifs saisonniers que connaissent les objets de mode, largement insuffisant.
Monsieur Sebagh détaille les préjudices que la faute de la SA Galeries Lafayette lui a ainsi causé et réclame condamnation de celle-ci au paiement de 6 370 000 F à titre de dommages-intérêts (perte de l'emplacement, perte sur stock, perte de notoriété, pertes matérielles sur agencement réalisés et frais de personnel) outre 50 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Il demande enfin la publication, aux frais de la SA Galeries Lafayette, de la décision à intervenir.
La SA Galeries Lafayette s'oppose à ces demandes en rappelant les dispositions de l'article 1134 du Code civil et en affirmant qu'elle n'avait pas à motiver sa résiliation unilatérale d'un contrat à durée indéterminée intervenue sans abus de droit.
Elle fait valoir qu'aux termes de l'article 1181 du Code civil la vente des marchandises, dans ses rapports avec Monsieur Sebagh, n'intervenait qu'au moment où la condition suspensive de leur revente était réalisée, soit au passage à ses caisses des clients et qu'ainsi l'appelant ne peut faire fixer le moment de la réalisation des ventes à l'instant, antérieur, de la fin de leurs rapports avec le démonstrateur simplement chargé de leur présenter les produits. Elle rejette par là, l'existence d'un mandat d'intérêt commun soutenue par Monsieur Sebagh et relève que, s'ils ont eu des intérêts commerciaux concordants et complémentaires, le contrat d'intérêt commun qu'il invoque, pour la circonstance, n'a aucune existence juridique établie.
La SA Galeries Lafayette souligne que la durée du préavis accordé lors de la résiliation d'un contrat à durée indéterminée dont l'exécution n'a duré qu'une année a été, en l'espèce, de six mois et qu'aucune rupture brutale ne peut donc lui être imputée. Subsidiairement, elle conteste la nature, les montants des préjudices allégués par Monsieur Sebagh et conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris ce avec attribution d'une somme supplémentaire de 30 000 F au titre des frais irrépétibles d'appel.
Cela exposé
Considérant qu'aux termes d'un acte du 17 mars 1994, la SA Galeries Lafayette a mis, gratuitement et pour une durée indéterminée, à la disposition de Monsieur Sebagh un emplacement personnalisé dans son rayon "chaussures" à charge pour celui-ci de l'équiper et de l'aménager à ses frais ; que Monsieur Sebagh détachait sur ce site une ou plusieurs personnes faisant partie de son personnel et que l'approvisionnement du stand se faisait sous forme d'achats, par la SA Galeries Lafayette à Monsieur Sebagh, sous condition suspensive de la revente des marchandises ainsi offertes ;
Considérant qu'aux termes de ce même acte, les ventes enregistrées aux caisses du magasin et ainsi réalisées étaient mensuellement communiquées à Monsieur Sebagh qui en facturait les montants à la SA Galeries Lafayette, sous déduction d'une remise correspondant à la rémunération de la mise à disposition de l'emplacement et l'accès à la clientèle attitrée du magasin ;
Considérant qu'il n'est pas discutable que la facturation, l'encaissement et la responsabilité du vendeur ont été assumés par la SA Galeries Lafayette restée directement soumise aux obligations fiscales sur ces ventes et aux opérations administratives de contrôle ;
Considérant que ce contrat a été résilié le 11 avril 1995 par la SA Galeries Lafayette en conformité aux dispositions de son article 9 et par application des dispositions de l'article 1134 du Code civil étant précisé que Monsieur Sebagh a disposé d'un délai de préavis de 6 mois pour un contrat à durée indéterminée dont la durée d'exécution a été, avant notification de sa résiliation, d'une année ;
Considérant qu'en raison de la nature même du contrat conclu, Monsieur Sebagh ne peut exiger la fourniture par la SA Galeries Lafayette des motifs de cette résiliation ; qu'il ne fournit, à la présente instance, aucun élément établissant l'abus dont il aurait été victime dans l'exercice par cette société de son droit de résiliation, cet abus ne pouvant pas être caractérisé par la seule perte du chiffre d'affaires que l'interruption de ses rapports avec la SA Galeries Lafayette a pu entraîner; que le délai de préavis dont il a disposé apparaît, en l'espèce, suffisant puisqu'il a été de 6 mois après notification de la résiliation d'un contrat signé un an auparavant étant précisé que cette résiliation n'a eu, en elle-même et selon les modalités adoptées pour la commercialisation de ses produits, aucun caractère infamant;
Considérant que si Monsieur Sebagh soutient encore qu'il a été lié à la SA Galeries Lafayette par un mandat d'intérêt commun puisque ce sont ses salariés qui ont procédé à la vente de ses produits et qu'ils ont ainsi réalisé des actes juridiques pour le compte de cette société, force est de constater que la vente des marchandises aux clients a toujours été effectuée par la SA Galeries Lafayette qui en a encaissé le prix, délivré les factures et a conservé les obligations du vendeur ;
Considération que Monsieur Sebagh ne peut davantage faire découler de simples actes matériels de présentation des produits par ses préposés l'existence d'actes juridiques accomplis par ceux-ci pour le compte de la SA Galeries Lafayette ; qu'il ne peut valablement soutenir que la perfection de la vente a été acquise dès la fin des rapports entre ses présentateurs et les clients puisque seul le passage à la caisse de ceux-ci manifeste leur volonté d'acquérir et que les dispositions de l'article 1181 du Code civil ne donnent en effet aux ventes des marchandises, entre Monsieur Sebagh et cette société, qu'au moment où la condition suspensive constituée par la revente est réalisée ;
Considérant qu'en l'absence d'un mandat d'intérêt commun, aucun contrat "d'intérêt commun" ne peut être juridiquement invoqué puisque les parties, si elles ont été liées par un contrat synallagmatique concourant à la réalisation, par chacune d'elles, de ses projets, ont eu des objectifs restés distinct et spécifiques à l'une et à l'autre ;
Considérant que pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, que l'intégralité des demandes présentées par Monsieur Sebagh doit être rejetée ;
Considérant que l'équité dicte l'attribution à la SA Galeries Lafayette d'une somme de 25 000 F au titre des frais irrépétibles de première instance ; qu'elle ne dicte pas l'allocation d'une somme pour frais irrépétibles d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR, Déclare recevable l'appel de Monsieur Sebagh ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Rejette toutes demandes plus amples ou contraires ; Condamne Monsieur Sebagh au paiement des dépens de première instance et d'appel avec admission pour ces derniers, de l'Avoué concerné au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.