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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 17 décembre 1986, n° 12813

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Clément Blanc (SA)

Défendeur :

Goutard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Masson

Conseillers :

MM. Mabilat, Chavanac

Avoués :

Mes Menard, Garrabos, Alizard

Avocats :

Mes Patou, Fert.

T. com. Paris, 6e ch., du 10 mai 1984

10 mai 1984

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Clément Blanc du jugement rendu le 10 mai 1984 par le Tribunal de commerce de Paris qui a déclaré que cette société avait rompu unilatéralement le contrat de mandat d'intérêt commun la liant à M. Christian Goutard, l'a condamnée à payer à ce dernier la somme de 280 000 F à titre de dommages-intérêts et a débouté cette société de ses demandes, ainsi que M. Goutard du surplus de ses prétentions.

Ensemble sur l'appel incident formé par Christian Goutard.

Il convient de rappeler que, courant avril 1979, M. Goutard, agent commercial, a conclu avec la société Clément Blanc, spécialisée dans la vente des viandes aux restaurants et collectivités, un accord verbal pour la représentation de cette société auprès de la clientèle de la région parisienne.

Au mois d'avril 1982, la société Blanc a rompu le contrat au motif que Christian Goutard représentait aussi, sur le même secteur géographique, une entreprise concurrente : la boucherie en gros Mainguy de Bobigny.

Par acte du 24 septembre 1982, M. Goutard a fait assigner la société Blanc devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de mandat d'intérêt commun liant les parties et en remboursement de frais irrépétibles.

C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision frappée d'appel à laquelle il convient de se référer pour un plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties.

Les premiers juges ont estimé qu'en l'absence de contrat écrit, les rapports liant les parties étaient ceux résultant d'un mandant d'intérêt commun et que la société Blanc n'apportant pas la preuve du bien fondé du motif invoqué, elle était tenue d'indemniser Goutard du préjudice subi par lui.

La société Clément Blanc, appelante principale, conclut, par infirmation du jugement entrepris, au débouté de M. Goutard de l'ensemble de ses demandes et à sa condamnation au paiement d'une somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

M. Goutard, intimé et appelant incident, conclut à la confirmation de la décision déférée sur le principe de la rupture abusive du contrat de mandat d'intérêt commun par la société Blanc, mais demande que l'indemnité allouée à titre de dommages-intérêts soit portée à la somme de 390 000 F et qu'il lui soit en outre octroyé une somme de 720 000 F en réparation des gains qu'il était en droit d'attendre de ses efforts et de ses frais de prospection et ce avec les intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation ; il sollicite enfin la somme de 5 000 F en remboursement des frais non compris dans les dépens.

Cela étant exposé, LA COUR,

Considérant qu'à l'appui de son appel, la société Blanc fait valoir qu'au cours de la période pendant laquelle Goutard a travaillé comme mandataire pour son compte, visitant la clientèle de la région parisienne en contrepartie d'une commission sur les affaires réalisées, il aurait aussi travaillé dans les mêmes conditions pour le compte d'une entreprise concurrente : la boucherie en gros Mainguy ;

Qu'à l'appui de ses affirmations, Blanc produit un " certificat " des Ets Mainguy du 10 juillet 1984, précisant que de novembre 1979 à juin 1983, M. Goutard a travaillé pour le compte de cette entreprise en qualité de commissionnaire en viandes ;

Qu'en agissant ainsi, Goutard a commis une faute particulièrement grave le privant de tout droit à une indemnité de rupture ;

Considérant que, pour conclure à la confirmation du jugement déféré, Christian Goutard, qui reconnaît dans ses écritures avoir travaillé pour le compte d'autres entreprises de boucheries que la société Blanc, soutient que cette société, qui aurait toujours refusé de signer le contrat écrit d'agent commercial qu'il lui demandait, n'ignorait pas cette situation et avait donc accepté tacitement cette représentation d'entreprises concurrentes ;

Qu'elle n'a pris prétexte de cette activité de Goutard que pour l'évincer sans indemnisation, au moment où il venait de lui apporter une client important en la personne de la société " Jet Chandler International ", gérant la restauration d'Air France et de l'Aérogare de Paris n°2 ;

Considérant que, bien que M. Goutard ait la qualité d'agent commercial et soit régulièrement immatriculé au registre spécial des agents commerciaux du greffe du Tribunal de commerce de Senlis, ses rapports avec la société Blanc doivent s'analyser - en l'absence de contrat écrit le liant à cette société - en une convention de mandat d'intérêt commun ;

Que, par sa nature, ce contrat implique la volonté commune des deux parties, par leurs activités réciproques et complémentaires, d'accroître la clientèle créée par le mandataire, mais devenue leur bien commun, en vue de participer à l'essor général de l'entreprise et d'augmenter ainsi leurs profits respectifs ;

Que ce développement de la clientèle sur laquelle les deux parties ont des droits directs, exclut - sauf convention contraire formelle - toute possibilité pour le mandataire de représenter une entreprise directement concurrente à laquelle il pourrait éventuellement adresser la clientèle déjà prospectée pour le compte de son premier mandant ;

Qu'en travaillant simultanément pour la société Blanc à compter d'avril 1979 et pour l'entreprise concurrente Mainguy à dater de novembre de la même année - sans avoir obtenu l'accord exprès de Blanc - Goutard a commis une faute contractuelle grave justifiant la rupture à ses torts exclusifs du contrat verbal de mandat d'intérêt commun le liant à la société appelante;

Considérant que les allégations de Goutard tendant à faire admettre que Blanc était au courant de ses activités au profit de Mainguy et avait donné son accord tacite ne sont étayées par aucun des documents versés aux débats;

Qu'au surplus même une simple tolérance du mandant à une telle pratique pendant un temps déterminé ne saurait remplacer l'accord exprès nécessaire en raison de l'intérêt évident du mandant à voir son mandataire ne pas détourner vers une entreprise concurrente tout ou partie de la clientèle constituée;

Considérant que, dès lors c'est en invoquant un motif légitime que Blanc a mis fin, en avril 1982, aux relations contractuelles unissant les parties;

Que le jugement doit donc être réformé et les prétentions de Goutard rejetées, la faute commise le privant de tout droit à indemnisation ;

Considérant qu'au vu des faits de la cause, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens exposés par elle tant en première instance qu'en cause d'appel ;

Par ces motifs : Déclare la société Clément Blanc bien fondée en son appel principal, M. Christian Goutard mal fondé en son appel incident ; Infirme le jugement déféré ; Et statuant à nouveau, Déclare que la société Clément Blanc avait un motif légitime pour rompre le contrat de mandat d'intérêt commun la liant à M. Goutard ; Déboute Christian Goutard de l'ensemble de ses demandes ; Rejette les demandes présentées par chacune des parties sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne Christian Goutard aux dépens de première instance et d'appel ; Autorise Me Menard, avoué, à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.