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Décisions

Cass. com., 13 novembre 1969, n° 68-10.768

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Jean Christophe et compagnie (Sté), Christophe

Défendeur :

Jules Morey et fils (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guillot

Rapporteur :

M. Mérimée

Avocat général :

M. Toubas

Avocats :

Mes Martin-Martinière, Galland.

Lyon, du 22 nov. 1967

22 novembre 1967

LA COUR : - Sur le second moyen, lequel est préalable : - Attendu que, selon les énonciations de l'arrêt infirmatif attaqué (Lyon, 22 novembre 1967), la famille Christophe était depuis plus d'un demi-siècle le seul agent, pour la région parisienne, de la société Jules Morey et fils, qui, non loin de Lyon, fabrique des salaisons ; que, depuis 1951, cette représentation était assurée, tant par Henri Christophe que par la société Jean Christophe et compagnie ; que, par lettres du 24 et du 31 mai 1965, adressées respectivement à la société Christophe et à Henri Christophe, la société Morey résilia, avec effet au 1er juin, le contrat qui la liait à ces deux agents ; que ceux-ci l'assignèrent alors en payement de dommages-intérêts ;

Attendu qu'il est fait grief à la cour d'appel d'avoir refusé de faire droit à cette demande, alors que, selon le moyen, d'une part, le mandat d'intérêt commun est un contrat intervenu entre deux parties qui s'engagent librement et à égalité ; que la révocation ne peut en être prononcée que pour une cause légitime, qui ne peut trouver de justification dans la volonté unilatérale d'une partie de modifier le contrat primitif ; que l'arrêt attaqué ne pouvait créer une inégalité en soumettant à la volonté du mandant celle du mandataire, ni en déduire une insuffisance de la part de ce dernier ; d'autre part, le mandat d'intérêt commun ne peut changer de caractère avec le temps, du moment que ses conditions initiales sont respectées de part et d'autre, et que la rupture unilatérale d'un contrat d'intérêt commun doit donner lieu à des dommages-intérêts, comme tout contrat synallagmatique, d'autant plus que l'arrêt attaqué constate la reconnaissance par le mandant du principe de l'indemnisation et qu'il lui appartenait de fixer celle-ci ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt attaqué, tout en retenant, sans être critiqué à cet égard, que les parties se trouvaient liées par un mandat d'intérêt commun, a souverainement constaté que le développement de l'activité industrielle de la société Morey avait modifié les conditions économiques de son exploitation commerciale, et rendait nécessaire de réorganiser le système de représentation mis sur pied cinquante ans auparavant, qui se révélait dépassé eu égard " aux impératifs économiques nouveaux ", lesquels exigeaient dans cette branche une recherche de la clientèle " au stade de détail " et non plus, comme c'était jusqu'alors le cas pour 86 % du chiffre d'affaires, auprès de quarante grossistes seulement; que cette réorganisation, nécessaire pour adapter les méthodes de prospection du marché à l'évolution des pratiques commerciales, s'imposait aux consorts Christophe, qui s'y étaient refusés malgré les avantages équivalents que les propositions nouvelles de la société Morey comportaient pour eux ; qu'il a pu dès lors considérer que la résiliation décidée unilatéralement par la société Morey avait une cause légitime, et refuser en conséquence aux consorts Christophe les dommages-intérêts réclamés par ceux-ci ;

Attendu, d'autre part, que, bien loin de déclarer que la société mandante avait reconnu le principe d'une indemnisation due aux consorts Christophe, la cour d'appel a constaté que les offres faites à cet égard par ladite société, au cours des pourparlers ayant précédé la rupture, avaient été repoussées ; qu'elle a donc refusé à bon droit de tenir compte d'une pollicitation ainsi devenue caduque ;

Sur le premier moyen : - Attendu qu'il est encore reproché à la cour d'appel d'avoir refusé de considérer comme fautifs l'envoi à la clientèle, à l'époque de la résiliation, d'une circulaire d'information, et la création d'une société filiale, la société Randon, alors que, selon le pourvoi, d'une part, l'arrêt attaqué ne pouvait sans une erreur manifeste de qualification des faits imputés à la société Morey, retenir que la circulaire, dénaturée sur ce point, était parfaitement objective et ne constituait pas une faute, dès lors que celle-ci, diffusée dans la clientèle prospectée par les consorts Christophe pendant une période de temps appréciable avant et après la rupture, était aussi bien inexacte que malveillante, notamment en présentant lesdits consorts Christophe comme s'ils avaient manqué à une obligation d'exclusivité, et commis une faute professionnelle lourde, ainsi qu'il était souligné dans des conclusions d'appel laissées sans réponse ; d'autre part, l'arrêt attaqué ne s'est pas expliqué, ainsi que l'y invitaient lesdites conclusions, sur les manœuvres de la société Morey qui, par la création de la société Randon, préparait déjà l'éviction de ses mandataires, comme cela s'est réalisé, ainsi qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué ;

Mais attendu, d'une part, que la société Morey ayant eu une cause légitime de résilier le mandat confié à ses agents, le fait par ladite société d'informer de cette réalisation les clients de sa marque par une circulaire, n'en constituait qu'une suite normale ; que, d'autre part, la circulaire litigieuse, qui est produite, était conçue en termes que l'arrêt a pu déclarer " objectifs ", comme tendant seulement à permettre à la fabrique de procéder à la vente directe de ses produits ; qu'enfin, la cour d'appel a constaté que les consorts Christophe avaient expressément accepté la substitution à la société Morey de la filiale de celle-ci, la société Randon ; qu'elle a pu, dès lors, décider qu'aucune des circonstances visées au moyen ne constituait une faute ; que, par cette déclaration, elle a répondu aux conclusions prétendument délaissées ; que le premier moyen ne saurait davantage être accueilli en aucune de ses deux branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.