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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 29 janvier 1993, n° 90-02616

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sapaic (SA)

Défendeur :

De La Celle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schumacher

Conseillers :

M. Durand, Mme Robert

Avoués :

SCP Junillon-Wicky, SCP Brondel-Tudela

Avocats :

Mes Venet, Balsan.

T. com. Lyon, du 20 oct. 1989

20 octobre 1989

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par acte d'huissier signifié le 23 juin 1987, M. De La Celle a assigné la SA Sapaic aux fins de s'entendre condamner au paiement de :

- de la somme de 960 000 F à titre de préjudice pour résiliation unilatérale des conventions concernant sa situation d'agent commercial ;

- de la somme de 38 132 F au titre de commissions concernant des affaires traitées avec la Société Carrier en 1986 ;

- de la somme de 88 122,88 F au titre des commissions sur les affaires traitées en 1987 jusqu'en mai ;

- des commissions au taux de 2,40 % concernant le contrat portant sur 8 000 carters à usiner en 1987 ;

- de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société Sapaic s'est opposée à la demande et a demandé qu'il lui soit donné acte de son offre de payer à M. De La Celle la somme de 8 574,03 F au titre des commissions 1987 sur les carters.

Par jugement du 20 octobre 1989, le tribunal a dit que M. De La Celle était un agent commercial statutaire et a condamné la Société Sapaic à lui payer les sommes de 320 000 F + 88 122,88 F + 8 574,03 F et la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Société Sapaic a relevé appel de cette décision.

Elle demande qu'il soit constaté que M. De La Celle n'a pas la qualité d'agent commercial statutaire et conclut au rejet des demandes d'indemnités et de rappel des commissions et pour le surplus à la confirmation du jugement.

L'appelante expose les faits suivants :

I - Spécialisée dans l'usinage de pièces métalliques elle travaille la plupart du temps en sous-traitance dans le cadre de marchés de fournitures dont les conditions aussi bien techniques que financières sont âprement négociées avec le client.

Dans le courant de l'année 1977, M. De La Celle lui indiquait qu'il serait susceptible de lui obtenir un marché d'un certain volume grâce à ses relations avec un responsable des achats de la Société Le Compresseur Frigorifique (LCF) devenue ensuite la Société Carrier.

Un contrat de collaboration technique était ainsi signé entre Sapaic et la Société LCF le 19 septembre 1979 (pièce n° 0).

Par ailleurs, il était convenu verbalement avec M. De La Celle que, pour chaque campagne de vente avec la Société LCF (devenue Carrier), Sapaic étudierait un prix à charge pour le premier d'y ajouter sa commission, de faire accepter le tout au client et de faire évoluer les prix en fonction de la hausse des coûts.

C'est ainsi que pour 1978, M. De La Celle parvenait à majorer le prix de Sapaic de 5 % représentant le montant de sa commission.

La collaboration se poursuivait sur cette base d'année en année, durant lesquelles M. De La Celle parvenait régulièrement à faire accepter à la Société Carrier une augmentation de 5 % par rapport au prix proposé par Sapaic.

II - En 1983, la Société Carrier, en fonction de quantités plus importantes, réclamait à Sapaic un réajustement de prix en baisse.

Par suite, il était convenu entre M. De La Celle et Sapaic une révision des taux de commissions qui devenaient dégressifs : 5 % jusqu'à 2 MF, 4 % de 2 à 4 MF, 3 % de 4 à 6 MF et 2 % au-dessus.

En 1986, M. De La Celle ne parvenait pas à négocier le prix pour l'année à venir en rapport avec les hausses de coûts supportés par Sapaic.

En fonction de l'incidence du taux des commissions M. De La Celle sur la marge restant à Sapaic, il était de nouveau convenu un réajustement en baisse des commissions M. De La Celle : 2,5 % sur prix de revient, soit 2,4 % sur prix de facturation (P. 1). Les carters étaient négociés au prix de 999 F (P. 2).

III - Pour 1987, non seulement M. De La Celle ne parvenait à négocier aucune baisse, mais il ne pouvait proposer que des prix en forte hausse par rapport à l'année précédent, et ce, avec des quantités plus faibles.

La Société Sapaic qui ne pouvait se permettre de perdre ce client important, reprenait alors la discussion avec Carrier et obtenait les conditions suivantes :

- 851,80 F l'unité du 1er janvier au 1er mai 1987 ;

- 759,00 F l'unité par la suite.

De ce fait, le marché devenait déficitaire pour la Sapaic qui était contrainte de l'accepter néanmoins dans le seul souci de ne pas licencier de personnel.

Quant à M. De La Celle, en considération des rapports d'amitié qui avaient animé les relations mutuelles depuis leurs débuts, il lui était offert un taux de 1 % sur les prix de 850,00 F et de 0,5 % sur les prix de 795,00 F ; parallèlement, il se voyait reconnaître un commissionnement de 1 % sur un nouveau marché de maillons pour la Société Caterpillar, obtenu en dehors de son intervention et sur lequel, normalement, il n'aurait pu prétendre à aucun pourcentage... (pièces 3 et 4).

M. De la Celle refusait cette proposition (pièce 5) et menaçait la Société Sapaic, si elle devait maintenir sa position, de mettre fin aux relations commerciales (pièce 5).

Devant l'intransigeance de la Société Carrier, la Société Sapaic ne pouvait que confirmer la disparition de sa marge et l'exploitation déficitaire du marché ; elle réitérait donc sa proposition (pièce 6). Pour toute réponse, M. De La Celle faisait signifier une sommation (pièce 7) puis une assignation sur laquelle était rendu le jugement frappé d'appel.

L'appelante soutient que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, M. De La Celle n'avait pas le statut d'agent commercial car les conditions de forme et de fond n'étaient pas réunies ; qu'en effet les relations contractuelles doivent être constatées par écrit alors que le seul document écrit se rattachant au marché Carrier est un " manifold page 28 " document de travail adressé par le PDG de la concluante à sa secrétaire pour lui donner des directives quant au calcul des commissions, document qui n'évoque pas la qualité d'agent commercial de l'intimé et qui ne lui était pas destiné ;

Que si la concluante a reconnu expressément à M. De La Celle la qualité d'agent commercial statutaire pour le marché Caterpillar dans un écrit du 24 avril 1986 il ne peut être question d'étendre les effets de ce document en dehors du champ restreint voulu par les parties.

La Société Sapaic souligne que pour les affaires Carrier représentant certaines années 97 % du montant des commissions versées, les parties n'ont pas voulu s'engager dans les liens contraignants du statut d'agent commercial ; qu'ainsi M. De La Celle échappant aux obligations d'agent statutaire n'a pas assuré le suivi technique du produit, n'a pas transmis de rapport de visite ni effectué le moindre travail de coordination alors que pour Caterpillar il s'est vu imposer des missions précises.

L'appelante fait valoir qu'ainsi M. De La Celle était un simple mandataire d'intérêt commun et qu'ainsi le contrat pouvait être rompu du consentement mutuel des parties ou pour une cause légitime reconnue en justice.

Qu'en l'espèce le motif de la rupture est celui qui a été évoqué par l'échange de correspondances du début de l'année 1987 : amennisement progressif des marges industrielles depuis 1983 puis leur disparition à compter du 1er octobre 1987.

Sur la demande de la somme de 88 122,88 F correspondant au décompte suivant :

- commission de janvier 1987 9 534,27 F

- commission de février 1987 74,42 F

- commission de mars 1987 19 412,70 F

- commission d'avril 1987 18 616,99 F

- commission d'avril 1987 2 167,16 F

- factures antérieures au 1er mai 1987

(pour commissionnement) 38 466,16 F

TOTAL 88 122,88 F

La Société Sapaic soutient que les commissions de janvier 1987 (9 534,27 F), se rapportant à des livraisons du mois de novembre 1986, sont en dehors du litige.

Qu'elles ont donc été logiquement calculées au taux de 2,4 % qui avait cours pour l'année 1986 et réglées par suite à M. De la Celle le 10 février 1987 avec les autres commissions sur les factures se rapportant aux livraisons du mois en question (pièces 19.1 à 19.4).

Que quant aux autres commissions (pièces 18.5 et suivantes) ainsi que celles des " 8000 carters à usiner en 1987 ", elles ne sont pas dues pour la raison suivante :

En premier lieu, il doit être souligné que M. De La Celle a commis une erreur dans le compte des factures du mois de Janvier 1987.

En effet, pour cette période, il réclame un rappel de 9 534,27 F correspondant au décompte suivant :

- facture n° 45.358 91 634,76 F

- facture n° 45.359 305 626,68 F

TOTAL 397 621,44 F

Montant des commissions H.T. 9 534,27 F

Or, à la suite d'une erreur dans la transcription des numéros de factures, M. De La Celle n'a pas pris garde au fait que celle-ci avait déjà fait l'objet de commission au mois de février 1987.

La facture de La Celle n° 42 du 10 février 1987 porte en effet sur le chiffre d'affaires suivant :

- facture n° 45.318 147 847,68 F

- facture n° 45.346 67 200,00 F

- facture n° 45.378 31 571,64 F

- facture n° 45.377 86 244,48 F

- facture n° 45.376 249 909,90 F

- facture n° 45.378 (en réalité 45.358) 91 634,76 F

- facture n° 45.379 (en réalité 45.359) 305 626,68 F

TOTAL 980 035,14 F

Montant des commissions H.T. 23 520,84 F

Quant aux autres commissions ainsi que celles des " 8000 carters à usiner en 1987 ", l'appelante considère qu'elles ne sont pas dues.

Qu'en effet, comme en 1986, où les négociations annuelles de prix et de quantité entre Sapaic et Carrier avaient conduit la première à négocier un nouveau prix de commissionnement de 2,4 % pour M. De La Celle, pour l'année 1987, des discussions s'engageaient à nouveau entre Sapaic et son client sur les prix et les quantités à livrer entre le 1er janvier et le 31 décembre.

Carrier imposait finalement un prix unitaire de :

851,70 F pour les livraisons du 1er janvier au 30 avril ;

795,00 F pour le reste de l'année 1987.

Que parallèlement, Sapaic et M. De La Celle entreprenaient de négocier le taux du commissionnement, pour l'année 1987, sur ces nouvelles bases de prix Carrier.

Que les discussions aboutissaient finalement à un constat de rupture effectué par M. De La Celle aux mois d'avril - mai 1987 : aucun taux de commissionnement n'avait pu être déterminé d'accord entre lui même et Sapaic pour les ventes devant s'échelonner du 1er janvier au 31 décembre 1987.

Que par conséquent, la rupture du mandat remonte au 1er janvier 1987, même si elle a été formellement postérieurement.

Qu'il s'ensuit que M. De La Celle ne peut prétendre à commissionnement pour cette période ni :

- à raison des factures totalisant 88 122,88 F (sous déduction de celles de janvier déjà payées) ;

- à raison des livraisons de " 8000 carters à usiner en 1987 " (cette demande faisant d'ailleurs partiellement double emploi avec la précédente)...

Sur la demande en rappel de commission d'un montant de 38 132,00 F la Société Sapaic expose que :

- la somme de 38 132,00 F correspondant à des commissions calculées sur le montant des factures de réparation et d'outillage adressées à la Société Carrier ;

- que M. De La Celle, comme c'est d'ailleurs l'usage, n'a jamais été commissionné sur ces prestations ;

- que c'est donc à bon droit que le tribunal a rejeté sa demande.

M. De La Celle conclut à la confirmation du jugement sur sa qualité d'agent commercial, demande à titre subsidiaire qu'un mandat d'intérêt commun liait les parties auquel la Société Sapaic a mis fin unilatéralement ; que celle-ci soit condamnée à lui payer :

- la somme de 960 000 F à titre de dommages-intérêts ;

- la somme de 178 122,88 F au titre de commissions antérieures à la rupture ;

- la somme de 853 441 F au titre des commissions des années 1987 à 1989 ;

- la somme de 38 132 F avec intérêts aux taux légal à compter du 23 juin 1987 date de la saisine du Tribunal de Commerce au besoin à titre de dommages-intérêts complémentaire;

- et la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur sa qualité d'agent commercial M. De la Celle soutient qu'étant agent commercial, inscrit au Registre du Commerce, il a cette qualité à l'égard de la Société Sapaic ainsi que le démontre le " manifold " qui lui a été remis par le PDG de cette entreprise et comme le confirment la DAS 2 établie pour l'année 1986 et la note du 24 avril 1986 confirmant le taux de commission de 5 % pour un marché Caterpillar.

Sur la charge de la rupture, l'intimé considère qu'il n'a commis aucune faute dans sa mission, que la détérioration des rapports entre les parties était due aux problèmes techniques imputables à Sapaic qui doit l'indemniser soit en sa qualité d'agent commercial soit en sa qualité de mandataire.

Il demande à être indemnisé pour deux années de recettes toutes taxes comprises.

Sur l'apurement des comptes, M. De La Celle soutient qu'une partie de la commission de janvier 1987 ne lui a pu encore été réglée ; que les conditions antérieures à la rupture sont dues aux conditions de rémunération prévues en 1986 et jusqu'aux expéditions antérieures au 21 mai 1987 à la somme de 88 122,88 F à laquelle il convient d'ajouter un forfait de 90 000 F ; que comme le démontrent les courriers échangés entre Sapaic et Carrier, il est fondé à réclamer les commissions dues pour l'exécution du contrat passé en décembre 1986 au taux de cette époque et pour sa durée soit pour un chiffre moyen des trois années précédentes :

334 369,74 + 318 664,56 + 307 087 x 1,3 = 320 040 F soit pour 32 mois 853 441 F.

MOTIFS ET DÉCISION

Sur la rupture des relations contractuelles

Attendu que le document n° 28 du 2 février 1983 dont il n'est pas contesté qu'il a été écrit par le PDG de la Société Sapaic ne comporte que les modalités de calcul des commissions à verser à M. De La Celle et ne fait pas état de la qualité de ce dernier ; qu'ainsi ce document manuscrit ne répond pas aux prescriptions du décret du 23 décembre 1958 qui prévoit que le contrat liant l'agent commercial à ses mandants est écrit et indique la qualité des deux parties contractantes ;

Attendu que M. De La Celle ne produit aucun écrit de nature à constituer une convention répondant aux prescriptions du décret ; que dès lors il ne peut se prévaloir de la qualité d'agent commercial à l'égard de la Société Sapaic dans ses relations avec la Société Carrier au sujet de laquelle le litige est survenu entre les parties; que le fait que M. De La Celle exerce la profession d'agent commercial et soit immatriculé au registre spécial des agents commerciaux depuis 1974 est sans conséquences sur les relations entre les parties ;

Attendu que dans ces conditions les rapports des parties sont régis par les règles du mandat d'intérêt commun, mandat qui peut être révoqué par le consentement mutuel des parties ou pour une cause légitime reconnue en justice ;

Attendu que les pièces versées aux débats (lettres de la Société Sapaic à la Société Carrier et échange de courriers Sapaic - De la Celle du début de l'année 1987) établissent que les marges bénéficiaires de la Société Sapaic ont pour le marché Carrier diminué progressivement puis disparu en janvier 1987 ce qui a conduit la Société Sapaic à proposer à son agent un taux réduit de commissions, offre refusée par M. De La Celle qui après une sommation du 21 mai 1987 a fait assigner son mandant ;

Attendu qu'il apparaît que du fait du caractère déficitaire du marché Carrier, faisant l'objet du mandat d'intérêt commun, la Société Sapaic a été contrainte de proposer à son agent la réduction du taux des commissions, ce qui constitue une cause légitime de rupture du mandat, l'offre n'ayant pas été acceptée par le mandataire; que dès lors celui-ci qui ne démontre aucune faute de son mandant ne peut prétendre à des dommages-intérêts ;

Sur les comptes entre les parties

Attendu que M. De La Celle revendique des commissions sur huit mois de 1987, et pour les années 1988 et 1989 ; qu'il ne peut prétendre à des commissions que pour les ventes réalisées par son intermédiaire sur les factures de carters Carrier s'échelonnant du 1er janvier au 31 décembre 1987 ; que le taux des commissions, sera celui qui a été convenu entre les parties en 1986 soit 2,4 % ;

Attendu que la Cour ne disposant pas d'éléments d'appréciation une expertise s'impose pour rechercher tous éléments permettant de déterminer le montant des commissions afférentes à ces ventes ; qu'en outre l'expert vérifiera si les commissions de janvier 1987 ont été réglées ;

Attendu que M. De La Celle ne conteste pas qu'il n'a jamais été prévu comme ce serait l'usage qu'il soit commissionné sur le montant des factures de réparation et d'outillage adressées à la Société Carrier ; que le jugement sera confirmé sur le rejet de cette demande ;

Par ces motifs, LA COUR, Réformant le jugement entrepris ; Dit que les rapports des parties sont régis par un mandat d'intérêt commun qui a été rompu pour une cause légitime ; Rejette la demande de dommages-intérêts de M. De La Celle ; Avant-dire droit sur les comptes entre les parties ; Ordonne une expertise ; Désigne M. Pittiot en qualité d'expert avec mission de : 1°/ rechercher tous éléments permettant de déterminer le montant des commissions pouvant être dues à M. De La Celle pour les ventes Carrier intervenues en 1987 ; 2°/ vérifier si les commissions de janvier 1987 ont été réglées ; 3°/ faire le compte entre les parties ; Dit que M. De La Celle devra consigner au Greffe de la Cour dans les deux mois de l'arrêt la somme de 10 000 F à valoir sur la rémunération de l'expert et que le rapport d'expertise sera déposé dans les cinq mois de la saisine ; Confirme le jugement sur le rejet de la demande de 38 132 F ; Réserve les demandes fondées sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et les dépens.