Cass. com., 22 janvier 2002, n° 99-14.150
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Malka
Défendeur :
Bultel Bekleidungswerke (GmbH)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Tric
Avocat général :
M. Feuillard
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Mes Garaud, Choucroy.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Colmar, 1er décembre 1998), que la société GmbH Bultel Bekleidungswerke (société Bultel) ayant mis fin, par lettre du 22 décembre 1993, avec effet au 30 juin 1994, au contrat d'agence commerciale la liant à M. Malka, celui-ci l'a assignée en paiement d'une indemnité de rupture et du solde d'une transaction intervenue sur l'indemnité pour cessation de la gamme cuir ; que la société Bultel a formé une demande reconventionnelle en annulation de la transaction pour dol et en remboursement des sommes déjà versées à ce titre ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Bultel reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. Malka la somme de 753 998,91 francs au titre du solde lui restant dû sur l'indemnité transactionnelle relative à la cessation de sa gamme cuir, majorée des intérêts au taux légal à compter de sa demande, alors, selon le moyen : 1°) qu'est constitutive de dol, cause de nullité d'un contrat, toute réticence de l'une des parties sur un fait connu d'elle, qui, si elle en avait informé l'autre, aurait conduit celle-ci à ne pas contracter ou à contracter dans d'autres conditions; qu'il ressort des constatations de l'arrêt que, pour mettre un terme aux prétentions de M. Malka, lequel alléguait la cessation de la commercialisation de vêtements de cuir constituant de la part de la société Bultel un manquement au contrat d'agent commercial conclu le 18 février 1985 équivalent à une rupture et lui donnant droit à une indemnité, la société Bultel a accepté, le 18 mai 1993, la transaction qui lui a été proposée par M. Malka aux termes de laquelle elle s'est engagée à lui verser une somme de 3 % du chiffre d'affaires qu'il réaliserait, et ce, avec un montant maximal cumulé de 1 200 000 francs ; qu'il est apparu postérieurement à la conclusion de cette transaction que M. Malka faisait preuve depuis plusieurs années de déloyauté envers la société Bultel et commercialisait, en dépit de l'exclusivité de représentation à laquelle il s'était engagé, par le contrat d'agent commercial du 18 février 1985, des produits concurrents de ceux de la société Bultel; que la cour d'appel a décidé que ces agissements déloyaux constituaient une faute grave justifiant la rupture du contrat d'agent commercial par la société Bultel le 23 décembre 1993; qu'il est manifeste que si ces faits, antérieurs au 26 mai 1993, date de la transaction, avaient été connus de la société Bultel, celle-ci n'aurait pas accepté de conclure avec Malka un accord dont l'objet était de permettre la poursuite du contrat d'agent commercial et de lui accorder une commission supplémentaire de 3 % de son chiffre d'affaires; qu'en décidant que si le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant un fait qui aurait empêché l'autre partie de contracter, tel n'était pas le cas en l'espèce, la cour d'appel, qui avait préalablement constaté la déloyauté de M. Malka antérieure à la conclusion de la transaction et constitutive d'un manquement grave au regard du contrat d'agent dans le cadre duquel la transaction avait été conclue, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 1116 du Code civil : 2°) que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites; que la cour d'appel, qui a tout d'abord relevé que la société Bultel acceptait de dédommager M. Malka par le versement de la somme de 1 200 000 francs sous forme d'une augmentation du taux de commission de 3 % du chiffre d'affaires réalisé, étant précisé que ce dédommagement serait versé mensuellement et qu'il serait limité à la somme de 1.200.000 francs, qui a ensuite décidé que la rupture du contrat d'agent commercial était légitiment intervenue à l'initiative de la société Bultel du fait des fautes graves de M. Malka - ce dont il résultait que ce dernier n'était plus susceptible, à compter de la rupture, de réaliser un chiffre d'affaires servant d'assiette aux commissions en cause - et qui a enfin constaté qu'à la date de la rupture la société Bultel avait versé à M. Malka au titre de l'accord du 23 mai 1993 un montant de 446.001,11 francs, a, en décidant que la société Bultel devait verser le solde impayé de 753 988,91 francs, violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé d'un côté que la société Bultel a pris l'initiative de mettre fin à la commercialisation d'une gamme rentable et a accepté pour cette raison de dédommager M. Malka du préjudice ainsi causé, et de l'autre que, si M. Malka a représenté des entreprises concurrentes, celles-ci ne commercialisaient pas du cuir, la cour d'appel a pu retenir qu'en se taisant sur ses activités concurrentes M. Malka n'avait pas usé de manœuvres dolosives pour obtenir une transaction sur les vêtements de cuir ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt relève que la société Bultel a accepté à titre transactionnel de verser à M. Malka une indemnité forfaitaire de 1.200.000 francs dont une partie seulement a été versée; qu'ainsi la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; D'où il résulte que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le premier et le second moyens du pourvoi incident, pris en leurs diverses branches : - Attendu que M. Malka reproche de son côté à l'arrêt d'avoir dit que la rupture pour faute grave du contrat était justifiée et d'avoir rejeté ses demandes relatives à l'indemnité de rupture, alors, selon le moyen : 1°) que la disposition de l'article 3 du contrat d'agent commercial se poursuivant ainsi: "si la société était à même dans l'avenir, de mettre en vente de nouveaux produits, elle devra en confier la vente à l'agent qui demeure libre de l'accepter ou de la refuser- ce dont il résulte que la prospection confiée à M. Malka était limitée "au placement des articles fabriqués, commercialisés, griffés par un couturier, ou articles brevetés provenant du groupe de la société" produits par ce dernier à la date de la signature du contrat - que l'affirmation de la cour d'appel, selon laquelle l'article 3 faisait interdiction à M. Malka sans l'accord préalable de la société Bultel, d'exercer une quelconque activité pour une société ayant pour objet la commercialisation d'effets vestimentaires quels qu'ils soient au nombre desquels figurent tous les pantalons sans restriction tenant à leur matière" procède d'une dénaturation des termes et dispositions clairs et précis du dit article et de l'article 4 en violation de l'article 1134 du Code civil : 2°) qu'en se déterminant par des motifs d'où il résulte qu'à la date de la signature du contrat conclu en 1985 entre la société Bultel et M. Malka, les "pantalons extensibles" n'étaient pas au nombre des produits dont, aux termes de l'article 3, la représentation était confiée par la première au second, en sorte que ce dernier n'avait besoin d'aucune autorisation de la société Bultel pour représenter des "pantalons extensibles", la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil : 3°) que la société Bultel se prévalant des dispositions de l'article 3 du contrat du 18 février 1985 pour soutenir que M. Malka les avait enfreintes en ne l'informant pas à cette date de l'existence du contrat de représentation qui le liait depuis 1982 à la société Kempel et Liebfried, et en ne demandant pas ultérieurement son autorisation pour poursuivre l'exécution simultanée des deux contrats, la preuve de la faute ainsi dénoncée ne pouvait être tenue pour rapportée avant, et sans que la société Bultel n'ait fourni la preuve qu'à la date du contrat du 18 février 1985 et/ou ultérieurement, la gamme de produits dont M. Malka assurait la représentation pour la société Kempel et Leibfried, concurrençait la gamme des produits de son groupe telle que définie à l'article 3 du contrat de 1985; d'où il suit qu'en se déterminant comme elle a fait, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du Code civil : 4°) que la société Bultel se prévalant des dispositions de l'article 3 du contrat du 18 février 1985 pour soutenir que M. Malka les avait enfreintes en concluant le 1er août 1992, ès qualités de gérant de la SARL Sachatex - société créée le 1er juillet 1989 avec Mme Malka pour gérante - un contrat d'agent commercial avec la société Holzl GMBH sans son accord exprès, la preuve de la faute ainsi dénoncée ne pouvait être tenue pour rapportée sans que la société Bultel n'ait fourni la preuve que la gamme de produits dont la SARL Sachatex avait pris la représentation pour la société Holzl, concurrençait la gamme des produits de son groupe telle que définie à l'article 3 du contrat de 1985, ou un produit nouveau de son groupe ajouté depuis lors à la liste de ceux-ci avec l'accord de M. Malka, conformément aux dispositions dudit article ; d'où il suit qu'en se déterminant comme elle a fait, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du Code civil : 5°) qu'il était soutenu dans des conclusions laissées sans réponse en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, que les produits commercialisés par la société Sachatex n'entraient pas en concurrence avec les produits Bultel; que créée en septembre 1984, cette société avait Mme Malka pour gérante; que M. Malka ne possédait ni parts ni actions de cette société et n'y jouait aucun rôle; qu'en fait, comme il ressortait de l'extrait K bis produit, il avait eu la qualité de gérant de novembre 1993 à juin 1994, c'est-à-dire pendant le cours de la procédure ayant conduit au prononcé de son divorce avec Mme Malka le 14 novembre 1994, à la suite de quoi cette dernière avait repris la gérance : 6°) que les rapports entre l'agent commercial et le mandant étant régis par une obligation de loyauté réciproque, la cour d'appel ne pouvait se déterminer comme elle a fait aux termes de motifs entachés de dénaturation du contrat, de manque de base légale et d'inversion de la charge de la preuve, tout en retenant qu'antérieurement à la rupture, du contrat de M. Malka, la société Bultel avait mis en vente un nouveau produit en violation de l'article 3 de ce contrat, et sans avoir égard au fait qu'à aucun moment cette société n'avait demandé à son agent d'arrêter telle ou telle de ses activités ; ce en quoi sa décision manque de base légale au regard de l'article 4 de la loi du 25 juin 1991 ;
Mais attendu que l'arrêt retient, sans dénaturer les termes du contrat, que l'objet social de la société étant l'habillement, ce qui recouvre par définition tous les vêtements, M. Malka, qui s'est engagé à prospecter la clientèle en vue du placement des articles fabriqués, commercialisés, griffés par un couturier, ou articles brevetés provenant du groupe de la société, ne pouvait représenter des sociétés commercialisant tous les effets vestimentaires, quels qu'ils soient, au nombre desquels figurent les pantalons sans restriction tenant à leur matière, tandis qu'il avait représenté des sociétés commercialisant des "pantalons extensibles" sans y être autorisé par la société Bultel et qu'il avait conclu avec la société Holzl GMBH un contrat d'agent commercial en vue du placement de "pantalons extensibles" en qualité de représentant de la société Sachetex au sein de laquelle il avait exercé cette activité jusqu'à la date de cessation des paiements de cette société; que, répondant ainsi aux conclusions prétendument omises, sans inverser la charge de la preuve et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la sixième branche, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois tant principal qu'incident.