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Décisions

CA Nancy, 2e ch., 21 octobre 1998, n° 94002776

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Paquin

Défendeur :

Prodim (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lilti

Conseillers :

MM. Malherbe, Courtois

Avoués :

SCP Bonet-Leinster- Wisniewski, SCP Millot-Logier-Fontaine

Avocats :

Mes Jany-Leroy, Bednarski.

T. com. Verdun, du 5 sept. 1994

5 septembre 1994

I - Faits, Procédure et prétentions des parties :

Selon jugement en date du 29 juillet 1994 le Tribunal de Commerce de Verdun :

- dit que l'article L. 781-1 du Code du Travail n'est pas applicable aux époux Paquin,

- condamné les époux Paquin à payer à Prodim la somme de 1.764.424,85 F avec intérêts aux taux légaux à compter du 13 septembre 1991,

- rejeté toutes autres demandes,

- condamné les époux Paquin à verser à Prodim une somme de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Les époux Paquin ont interjeté appel de ce jugement.

A l'appui de leur recours ils ont fait valoir que :

- ils ont exploité en nom personnel, de 1987 à février 1991 un fonds de commerce, de type supermarché, en qualité de franchise du Groupe Prodim - Promodes, sous l'enseigne "Champion", situé à Stenay (Meuse), Avenue de Verdun.

A cet effet, et par actes sous seing privé distincts, ils ont conclu

- d'une part, avec la Société Promodes, un accord de franchise en date du 2 mars 1987 pour une durée de 7 ans, aux fins de permettre "au franchiseur (la Société Promodes) une assistance et une aide dans l'organisation de son activité".

- d'autre part, avec la Société Promodes, un contrat de location gérance, en date du 30 mars 1987, aux fins d'exploiter un commerce de vente au détail et de produits alimentaires et assimilés, à Stenay (Meuse) sous l'enseigne "Champion".

Au cours de cette exploitation, le Groupe Prodim - Promodes a effectué la gestion directe des comptes du magasin "Champion" et a assuré l'établissement matériel des bilans.

En 1990, prenant prétexte

- d'une part, de l'évolution concurrentielle dans la région de Stenay et notamment de l'implantation d'un nouveau supermarché sous l'enseigne "Intermarché".

- d'autre part, de pertes évaluées en ce qui concerne le magasin Champion de Monsieur et Madame Paquin par le service de comptabilité du Groupe Prodim - Promodes à 1.000.000 F;

La Société Promodes a sollicité des époux Paquin la mise en œuvre de la clause de préemption à son profit telle que prévue à l'article 3.5 (page 21) de l'accord de franchise sus-visé.

A cette fin, l'intégralité des pièces comptables du supermarché "Champion" était transmise au Groupe Prodim - Promodes par les fournisseurs, administration fiscale, caisse de retraite, etc...

Les services administratifs et comptables du groupe Prodim Promodes en assuraient le suivi et le traitement.

Les appelants n'avaient aucun moyen de contrôle ils devaient juste signer ce qui leur était envoyé.

Les points de vue des parties s'opposaient

- d'une part, le Groupe Prodim - Promodes proposait de racheter ledit fonds de commerce pour un montant de 2.100.000 F avec reprise des parts de la SCI Claudie pour 7.300 F, ainsi que la reprise de deux contrats de crédit-bail de matériel, et du contrat de crédit-bail immobilier, au profit de l'acquéreur du fonds.

- d'autre part, les appelants sollicitaient la réévaluation du prix du fonds de commerce de 2.600.000 F, car ils avaient acquis le fonds de commerce quatre ans auparavant pour 2.400.000 F et contestaient l'intervention quasi monopolistique du Groupe Prodim - Promodes dans l'exploitation du supermarché.

Confrontés au refus du Groupe Prodim - Promodes, de réévaluer le prix de rachat du fonds de commerce, les appelants refusèrent de signer en mars 1991, l'acte authentique de cession.

Par jugement en date du 27 septembre 1991, le Tribunal de Commerce de Verdun a validé la cession du fonds de commerce de Monsieur et Madame Paquin, moyennant la somme de 2.100.000 F.

Aux termes de cette cession, et par exploit d'huissier délivré le 13 septembre 1991, la Société Prodim s'est cru fondée à demander paiement aux époux Paquin d'une somme de 1.744.424,85 F correspondant à des marchandises demeurées impayées.

Les appelants avaient sollicité dans le cadre de la procédure pendante par devant le Tribunal de Commerce de Verdun qu'il leur soit fait application de l'article 781-I du Code du Travail, compte tenu de l'interventionnisme de la Société Prodim dans tous les domaines (social, juridique, comptable...) lors de l'exploitation du magasin Champion sis à Stenay.

Le Tribunal de Commerce de Verdun, par jugement déféré a rejeté les prétentions des appelants au motif que

- d'une part, on ne pouvait considérer que les conditions de l'article 781-1 du Code du Travail étaient réunies car les époux Paquin avaient pu faire appel à un Conseil extérieur, à savoir la Société CFCI à Saint-Maur, et qu'en prenant conseil auprès d'un tiers, Monsieur et Madame Paquin auraient ainsi fait la démonstration de leur indépendance.

- d'autre part, le Tribunal de Commerce de Verdun a estimé que les prix de vente des différents produits n'étaient pas imposés à Monsieur et Madame Paquin mais seulement suggérés ou conseillés...

Les appelants estiment que le Groupe Prodim Promodes contraint les franchisés par le jeu des contrats de location-gérance et des accords de franchise à un état de subordination économique et juridique qui justifie l'application de l'article L 781-81 du Code du travail.

Selon les époux Paquin il appartient à la Cour de restituer aux actes et aux faits litigieux leur qualification exacte sans s'arrêter à la détermination que les parties en auraient proposé : en l'espèce les franchisés n'avaient aucune liberté dans l'exploitation de leur commerce.

Les époux Paquin soutiennent que les conditions d'application des dispositions susvisées du Code du Travail sont réunies à savoir

- l'approvisionnement exclusif du distributeur auprès du même fournisseur,

- la commercialisation dans un local fourni ou agréé par le fournisseur.

- les modalités d'exploitation: respect des conditions de vente édictées par le franchiseur, d'une part, respect des prix imposés par les fournisseurs d'autre part.

Selon les époux Paquin la Société Prodim les a placés dans un état de subordination économique et juridique tel qu'aucune initiative ne leur était permise.

Dès lors le principe d'irresponsabilité pécuniaire doit leur être appliqué et la Société Prodim doit être déboutée de ses demandes.

De plus les services comptables de Prodim ont commis de graves erreurs qui ont entraîné des déboires fiscaux des exploitants et qui justifient le versement de 600.000 F à titre de dommages-intérêts, les époux Paquin demandent ainsi à la Cour de :

- Réformer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Verdun ce 27 juillet 1994,

- Déclarer les époux Paquin recevables en leur appel,

- Juger et faire application des dispositions de l'article L 78 1-1 du Code du Travail au profit de Monsieur et Madame Paquin, ceux-ci étant manifestement sous l'emprise d'un lien de subordination économique et juridique vis à vis de la Société Prodim.

- En conséquence, débouter la Société Prodim de toutes ses demandes, fins et conclusions, aucune charge économique ne pouvant être supportée par les époux Paquin.

- Condamner la Société Prodim à payer aux concluants une somme de 600.000.00 F au titre de dommages et intérêts en réparation des défaillances des services comptables de la Société Prodim.

- A titre subsidiaire,

- d'une part, enjoindre la Société Prodim à communiquer toutes les pièces, et ce sous astreinte, sur laquelle elle fonde ses prétentions selon laquelle elle serait créancière des époux Paquin.

- d'autre part, dès lors que la Cour reconnaîtrait comme fondées les prétentions de la Société Prodim, accorder aux époux Paquin le bénéfice de l'article 1244 du Code Civil et dire qu'ils pourront s'acquitter de la somme de 1.744.424,85 F en 24 mois.

- Condamner la Société Prodim à leur payer 20.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La SNC Prodim réplique:

- Les marchandises figurant sur les factures versées aux débats ont été livrées par la Société Prodim aux époux Paquin.

- Ces factures correspondent à la créance de la Société Prodim,

- La créance de la Société Prodim, qui n'a pas été contestée, est certaine.

- Les époux Paquin ne sont pas concernés par l'application de l'article 781-1 du Code du travail = les époux Paquin restaient commerçants libres de s'approvisionner chez plusieurs fournisseurs ; ils disposaient du magasin avant la franchise signée avec Prodim : le franchiseur n'avait pas fait le choix du local.

Les époux Paquin sont devenus propriétaires du fonds sept mois après la conclusion des contrats de franchise et de location gérance.

- Les époux Paquin ont fait appel à un conseil extérieur (étranger à la Société PRODIM) pour la gestion de leur commerce et de leur personnel (la Société Prodim intervenant seulement comme comptable).

- Les prix pratiqués étaient seulement "conseillés" ou "suggérés" par le franchiseur.

La SNC Prodim conclut ainsi à la confirmation du jugement et au débouté de toutes les demandes des époux Paquin. Elle sollicite leur condamnation à payer 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 30.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Par conclusions subséquents la SNC Prodim constate que les ristournes dues aux époux Paquin leur ont été versées ainsi que cela résulte des comptes de gestion de ces derniers et d'une situation du magasin arrêtée au 28 février 1991. Au total de janvier 1990 à février 1991 les époux Paquin ont reçu une somme totale de ristournes de 424.094,30 F.

La SNC Prodim estime que le redressement fiscal dont ont fait l'objet les époux Paquin ne résulte pas d'une faute de sa part.

II- Motifs de la décision :

Vu le jugement, les pièces régulièrement produites et les conclusions des parties auxquelles il est fait référence pour un plus ample exposé des faits et moyens,

A/ Sur la demande des époux Paquin, tendant à voir requalifier le contrat de franchise en contrat de travail

Attendu que l'article L. 781-1 du Code du Travail invoqué par les époux Paquin suppose que soient réunies les conditions suivantes

- un local fourni ou agréé par le fournisseur,

- l'approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif auprès d'un seul fournisseur,

- les conditions de vente et les prix imposés par le fournisseur.

Attendu que lorsqu'une seule des conditions cumulatives prévues par l'article L. 781-1 du Code du Travail fait défaut ledit article n'est pas applicable;

Attendu que les époux Paquin disposaient du local dans lequel ils exerçaient leur activité de commerçants lorsque la Société Prodim leur a proposé la franchise "Champion" et la location gérance du fonds;

Que les époux Paquin sont devenus propriétaires de leur fonds 7 mois après la signature des contrats de franchise et de location gérance

Que les époux Paquin ne rapportent donc pas la preuve que leur local d'exploitation était fourni ou agréé par le franchiseur.

Attendu que les époux Paquin ne peuvent pas démontrer que la Société Prodim leur imposait un approvisionnement exclusif : le contrat de franchise prévoyait certes une priorité d'achats soit chez le franchiseur soit chez les fournisseurs référencés par le franchiseur.

Que cependant le franchisé gardait la possibilité de s'approvisionner de façon indépendante "dès lors qu'il était en mesure de démontrer que ses approvisionnements externes lui permettaient de pratiquer une politique nécessaire à la spécificité de son point de vente".

Attendu que les attestations de Payen et Fondu produites par les appelants ne sont pas circonstanciées et ne permettent pas de vérifier si les méthodes de la Société Prodim qu'ils décrivent s'appliquent aux époux Paquin ;

Attendu que la SNC Prodim justifie encore que le taux maximum de produits achetés par les époux Paquin auprès du franchiseur ou de ses fournisseurs agréés n'a pas dépassé 63,49 % au cours des trois années 1987, 1988 et 1989 ;

Qu'au-dessous du seuil de 80 % l'approvisionnement ne peut être considéré comme exclusif ;

Attendu que les contraintes du franchisé à l'égard du franchiseur -inhérentes à ce type de contrat - n'ont pas empêché les époux Paquin de gérer leur magasin avec une grande liberté : les époux Paquin restaient titulaires de leur compte et les factures ne pouvaient être payées par la Société Prodim qu' avec leur accord ; qu' ils pouvaient faire appel à un tiers pour la gestion de leur commerce - ce qu'ils ont fait en 1991 (la Société CFCI de Saint-Maur qu'ils ont choisie comme conseil) ;

Attendu que les appelants étaient aussi maîtres de la gestion de leur personnel : ils avaient toute latitude pour l'embauche d'employés, les horaires de travail et les salaires et la Société Prodim n'est pas intervenue pour imposer ses vues dans de domaine ;

Attendu que la politique des prix de la Société Prodim n'était pas imposée aux appelants qui avaient la possibilité de pratiquer des prix inférieurs à ceux proposés par le franchiseur ;

Attendu que les époux Paquin inscrits au registre du commerce et propriétaires de leur fonds et donc des marchandises en stock avaient la qualité de commerçants responsables de leur exploitation ;

Qu'ils ne sont donc pas soumis aux dispositions de l'article L. 781-1 du Code du Travail ;

Attendu que les époux Paquin sont aussi mal fondés à soutenir que la Société Prodim avait été "dirigeant de fait" de leur exploitation ;

Que les éléments du dossier ci-dessus analysés interdisent de considérer le franchiseur comme s'étant immiscé dans la gestion de leur commerce ;

II Sur le bien fondé de la demande en paiement de la Société Prodim ;

Attendu que les marchandises livrées aux époux Paquin ont fait l'objet de factures versées aux débats ;

Que les époux Paquin n'ont pas contesté le montant de ces factures ni à la réception, ni à la livraison des marchandises, ni enfin après la mise en demeure de payer qui lui a été adressée par exploit d'huissier le 11 mars 1991 ;

Attendu que les époux Paquin font état de ristournes qui n'auraient pas été décomptées par la SNC Prodim ;

Attendu que les comptes de gestion produits font apparaître que les époux Paquin ont bénéficié de ristournes :

- 92.427 F pour l'exercice 1987,

- 59.995 F pour l'exercice 1988,

- 128.159 F pour l'exercice 1989.

Attendu que le contrôle de l'expert-comptable Boyer (dont la lettre du 11/12/1997 figure au dossier) n'a pas été effectué contradictoirement ;

Attendu qu'au demeurant ce spécialiste constate que dans "l'accord de franchise" il n'y a aucune mention concernant "la détermination du montant des ristournes" ;

Attendu que l'expert comptable aboutit néanmoins à la conclusions que M. Paquin restait à recevoir 332.861,88 F au 4/2/1991 ; qu' il apparaît toutefois des comptes de gestion de janvier à février 1991 établis par la Société Prodim que 304.229 F ont été pris en compte à titre de ristournes ;

Attendu que les appelants ne produisent aucun document comptable établissant leur demande en paiement de ristournes supplémentaires ;

Attendu que les éléments à la disposition de la Cour ne permettent pas de retenir des ristournes - non comptabilisées par la Société Prodim - qui viendraient en déduction de la somme due par les époux Paquin ;

Attendu qu'à juste titre les premiers Juges ont fait droit à la demande en paiement de la Société Prodim pour un montant de 1.764.424,85 F avec les intérêts légaux à la date de l'assignation ;

C/ Sur la demande en dommages-intérêts des époux Paquin ;

Attendu que les époux Paquin ne rapportent pas la preuve que les redressements fiscaux dont ils ont fait l'objet résultent de manquements ou d'erreurs de la Société Prodim en sa qualité de franchiseur chargé d'établir la comptabilité des époux Paquin ;

Attendu que la SNC Prodim fait valoir à juste titre que la lettre du 18 juin 1993 par laquelle le conseil des époux Paquin demande un dégrèvement fiscal ne fait aucunement mention des erreurs commises par la Société Prodim dans l'établissement de la comptabilité transmise aux services fiscaux ;

Attendu qu'en tout état de cause les époux Paquin ne justifient pas du préjudice dont ils seraient victimes ; que leur demande en dommages-intérêts doit être rejetée ;

D/ Sur la demande de délais de paiement :

Attendu que les époux Paquin ne justifient pas de leurs difficultés financières propres à entraîner l'obtention de délais de paiement ;

Qu'au demeurant ils ont bénéficié d'un long moratoire résultant de la procédure en cours ; qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 1244-1 du Code Civil ;

Et Sur les dommages-intérêts, l'article 700 du NCPC et les dépens ;

Attendu que la Société Prodim ne caractérise pas le caractère abusif du recours exercé par les époux Paquin ; que sa demande en dommages-intérets doit être rejetée ;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du NCPC en faveur du franchiseur à hauteur d'appel ;

Attendu que les dépens doivent rester à la charge des époux Paquin qui succombent en leur appel ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, Déclare recevable l'appel des époux Paquin, Confirme le jugement du Tribunal de Commerce de Verdun en date du 29 juillet 1994 en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires. Condamne les époux Paquin aux entiers dépens et autorise la Société Civile Professionnelle Millot Logier Fontaine, avoués associés, à faire application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.