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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 12 septembre 1997, n° 97-002010

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Allium (SA)

Défendeur :

Alfin Incorporated (Sté), Groupe Inter Parfums (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

Mme Cabat, M. Betch

Avoués :

SCP Bernabe Ricard, SCP Parmentier Hardouin, SCP Autier

Avocats :

Mes Landon, Rosenfeld, Chaltiel.

T. com. Paris, 8e ch., du 24 mai 1995

24 mai 1995

La société de droit américain Alfin a conclu, en juillet 1989, avec la SA Allium, un contrat d'agent exclusif pour la distribution en Europe et en Israël des parfums commercialisés sous la marque Jean Charles Brosseau, contrat à durée indéterminée qui a été expressément stipulé régi par le droit de l'État de NewYork.

En juillet 1993, la SA Groupe Inter Parfums a acquis la licence mondiale de distribution des parfums Jean Charles Brosseau, a repris, par là, le contrat d'agent de la SA Allium puis lui en a notifié la résiliation ce avec respect d'un préavis de six mois prévu à l'acte établi en juillet 1989.

A la suite de cette résiliation, la SA a invoqué un défaut de paiement de l'intégralité des commissions devant lui revenir et une rupture abusive de contrat devant entraîner, pour elle, la perception de deux années de commissions. Sur le litige ainsi né entre les parties, le Tribunal de Commerce de Paris a, par jugement du 25 mai 1995 assorti de l'exécution provisoire, condamné la société Alfin à lui verser la somme de 93.771,63 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 1993 avec capitalisation de ceux-ci, ce au titre d'un arriéré de commissions et condamné la SA Inter Parfums à lui payer les sommes de 200.000F au titre du "préjudice subi pour détournement de clientèle avant l'expiration du contrat de distribution" et 10.000F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

La SA Allium a régulièrement interjeté appel de cette décision. Elle soutient que liée à la société Alfin, d'abord, puis à la SA Inter Parfums, ensuite, par un contrat auquel la loi de l'État de New-York est applicable, elle est fondée à invoquer celle-ci pour la détermination des obligations respectives des parties mais qu'elle ne peut être privée, concomitamment, du bénéfice des dispositions de la législation française protectrices des agents commerciaux qui s'analysent en des mesures de police dont les juridictions restent, en France, tenues de faire application en raison de cette nature même et qui réputent non écrites toutes clauses contraires aux dispositions des articles 2, 4, 11-3e et 4e alinéas, 15 ou dérogeant, au détriment de l'agent commercial, aux dispositions des articles 9-2e alinéa ,10 1er alinéa, 12, 13 et l4-3e alinéa de la loi du 25 juin 1991 sur les agents commerciaux.

Sur ces fondements, elle affirme que le droit de l'État de New-York imposait à la société Alfin, pour l'exécution du contrat qui les liait, de traiter loyalement et de bonne foi avec son agent et de ne pas altérer, comme elle l'a fait avec la suppression de toute promotion commerciale, l'abandon de certains produits, les reports réitérés de nouveaux lancements, la mise en œuvre du projet commun qui était le leur et la réalisation, par son cocontractant, des profits qu'il pouvait en attendre.

Elle souligne que ce désintérêt est d'autant plus fautif qu'il trouve sa cause dans le projet réalisé de cession des droits de distribution à la SA Inter Parfums, société qui, pour sa part, n'a repris le contrat de distribution que dans le dessein de le résilier sans frais et qui, durant le délai de préavis, a interdit à ses distributeurs d'adresser leurs commandes à l'agent pourtant désigné pour les recevoir.

La SA Allium conclut à la condamnation de la société Alfin au paiement d'une somme supplémentaire de 30.393,23 F représentant un montant de commissions qui resteraient encore exigibles, à la condamnation de cette société, solidairement avec la SA Inter Parfums, au paiement d'une somme de 1.600.000 F au titre de commissions perdues de janvier 1992 à janvier 1994, à la condamnation de la SA Inter Parfums au paiement d'une somme de 2.000.000 F au titre de l'indemnité de fin de contrat exigible par un agent outre celle de 400.000 F en réparation du préjudice commercial subi . Enfin, elle réclame aux sociétés Alfin et Inter Parfums une somme de 80.000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

La société Alfin objecte que selon le certificat de coutume permettant d'établir les obligations réciproques des parties telles qu'elles sont prévues par le droit de l'État de New- York, l'obligation de bonne foi dont les éléments et leur transgression sont invoqués par la SA Allium n'a pas le contenu extensif que celle-ci lui donne pour les seuls besoins de la cause. Elle souligne que cette obligation se trouve remplie dès lors que, comme en l'espèce, le mandant n'a rien fait qui contrarierait l'efficacité du mandat, a fourni les produits à distribuer et la rémunération prévue au contrat mais qu'elle n'emporte pas l'exigence, pour le mandant, de rendre des comptes de sa gestion économique ou industrielle à son mandataire ou encore de le laisser juge de son efficacité commerciale.

La société Alfin affirme que selon les pièces qu'elle produit, elle a toujours rempli son rôle sans attenter à son obligation de bonne foi et a toujours répondu ponctuellement aux demandes présentées par son distributeur en lui fournissant la coopération qu'il était en droit d'attendre. Elle rejette toute idée de versement d'un supplément de commissions en indiquant qu'elles correspondent à des fournitures restées impayées par des clients anglais et portugais et sont donc indues.

Elle relève qu'elle n'est liée à la SA Inter Parfums par aucune stipulation de solidarité entre cédant et cessionnaire du contrat d'agent dont la reprise à, en outre, été expressément acceptée par la SA Allium de sorte qu'aucune obligation, née des rapports ayant existé entre ces dernières, ne peut être mise à sa charge.

La société Alfin conclut au rejet des demandes présentées à son encontre par la SA Allium et réclame, subsidiairement, pour les condamnations qui seraient mises à sa charge, la garantie de la SA Inter Parfums. Elle sollicite, en l'absence d'une mise en demeure adressée par la SA Allium, le calcul des intérêts de retard à compter non du 1er juillet 1993 comme retenu par les premiers juges mais du 18 janvier 1994, date de la délivrance de l'assignation. Enfin elle demande l'attribution d'une somme de 30.000F au titre des frais irrépétibles.

La SA Inter Parfums rappelle qu'elle n'a été titulaire des droits de distribution et partie au contrat d'agent souscrit par la SA Allium qu'à compter du 15 juillet 1993 et qu'en l'absence d'une solidarité la liant à la société Alfin aucune condamnation ne peut être mise à sa charge au titre de l'exécution du contrat pour la période antérieure à cette date.

Elle fait valoir que le contrat d'agent était soumis au droit de l'État de New-York, offrait une faculté de résiliation avec préavis de six mois qui en l'espèce a été respecté et que la SA Allium qui n'a jamais pu se méprendre sur la nature et la portée de ses droits est malvenue à lui réclamer une indemnité de fin de contrat à laquelle elle ne peut pas prétendre puisque le contrat dont elle était titulaire ne la prévoit pas. La SA Inter Parfums souligne que la SA Allium qui demande la protection accordée aux agents commerciaux n'a jamais justifié de son inscription au Registre Spécial des Agents Commerciaux et ne peut donc revendiquer l'application des textes qui leurs sont réservés ce alors surtout que le contrat du 21 juillet 1989 constituait un ensemble indissociable compte tenu, notamment, de l'étendue du territoire concédé, du montant de la rémunération consentie et du caractère international de son objet, particularités ayant d'ailleurs conduit les parties à le soumettre, en toute connaissance de cause, à la loi de l'Etat de New-York.

La SA Inter Parfums indique encore que si la SA Allium sollicite une somme au titre de l'atteinte portée à sa réputation commerciale et des conditions dans lesquelles il a été mis fin à son contrat, elle n'établit aucune des fautes qu'elle lui impute à ces titres et s'est abstenue, dès la notification de la résiliation, de toute activité commerciale à laquelle elle restait encore pourtant tenue.

Elle conclut à l'infirmation de la décision des premiers juges en ce qu'elle l'a condamnée a paiement de sommes à la SA Allium , au rejet de l'intégralité des demandes de cette société et lui réclame 30.000F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

CELA EXPOSE,

Considérant que la SA Allium invoque la transgression par les sociétés Alfin et Inter Parfums de l'obligation de coopération et d'assistance prévue par le droit de l'Etat de New-York et l'absence de bonne foi de ces sociétés dans l'exécution du contrat soumis à ce droit;

Considérant qu'il ressort d'un certificat de coutume établi par M W Epstein et non valablement contredit par la SA Allium que les obligations du mandant et du mandataire leur imposent de ne pas affecter, par leur comportement, l'efficacité du mandat, la fourniture à l'agent des produits à distribuer et le paiement de sa rémunération;

Considérant que M W Epstein précise que l'agent ne peut se plaindre, sauf stipulations spécifiques en l'espèce inexistantes, de la façon dont le mandant administre ses affaires ou de ses choix économiques ou industriels puisque chacune des parties reste indépendante et seule responsable de sa gestion;

Considérant que la preuve des fautes imputées à ce titre aux sociétés intimées ne résulte pas des nombreuses pièces mises aux débats par la SA Allium puisque celles-ci établissent surtout que la société Alfin a toujours rempli son rôle de mandant, a livré les quantités réclamées, payé les commissions correspondantes en fournissant même les supports publicitaires pouvant être nécessaires à l'activité de son mandataire qui reconnaissait lui-même, par lettre du 10 janvier 1992, les succès rencontrés dans la distribution des produits ;

Considérant que la preuve de ces fautes ne peut découler du simple récit que la SA Allium donne de leurs relations, récit qui reste insuffisant, à lui seul et quelque puisse être la déception commerciale éprouvée, pour établir la transgression par la société Alfin de son obligation de bonne foi au sens du droit de l'Etat de NewYork ou une faute commise par la SA Inter Parfums génératrice de la responsabilité de celle-ci ;

Considérant que la demande présentée à ce titre par la SA Allium doit donc être rejetée ;

Considérant que la SA Allium demande l'attribution d'une somme supplémentaire 30.393,23 F de commissions ; qu'il ressort des documents versés que celles-ci seraient afférentes à des livraisons opérées aux sociétés Jean Patou Ltd et Ememe Lda;

Considérant que la société Alfin établit par les documents commerciaux et comptables mis aux débats que les livraisons opérées à ces sociétés n'ont pas été payées, que les sommes correspondantes n'ont pas davantage fait l'objet d'une compensation valant paiement ;

Considérant qu'il y a donc lieu de rejeter la demande présentée sur ce point par la SA Allium ;

Considérant que la SA Allium demande aussi le versement par la SA Inter Parfums de l'indemnité compensatrice prévue pour les agents commerciaux;

Considérant que la SA Allium ne justifie pas, bien qu'elle ait exercé en France, lieu de son siège social, une activité qu'elle définit comme celle d'un agent commercial, être ou avoir été immatriculée au registre spécial des agents commerciaux, immatriculation pourtant exigée, sous peine de sanctions pénales, par les dispositions du décret du 23 décembre 1958 ;

Considérant que le contrat signé en juillet 1989 a été expressément soumis au droit de l'État de NewYork qui ne prévoit pas l'attribution de cette indemnité ; que tant par sa nature, son objet et le montant élevé de la rémunération qu'il accordait à la SA Allium (13,5%), montant qui s'explique par l'absence convenue d'indemnité de résiliation et l'étendue du territoire concédé, ce contrat a formé un tout indissociable auquel ne peuvent être intégrées, sans dénaturation de la volonté claire et expresse des parties, liées par un contrat international, des dispositions protectrices dont la SA Allium ne justifie pas, par ailleurs, pouvoir bénéficier ;

Considérant que pour ces motifs la demande présentée sur ce point par la SA Allium doit être rejetée;

Considérant que le délai de préavis prévu par la convention du 21 juillet 1989 a été respecté ;

Considérant que la SA Allium ne peut valablement soutenir et ce sans fournir d'élément probant au soutien de cette allégation, que la SA Inter Parfums lui a causé, durant le déroulement du délai de préavis, un préjudice commercial ou qu'elle s'est livré à une concurrence déloyale préjudiciable puisqu'il apparaît que dès avant la notification de la résiliation du contrat qui la liait à la société Alfin, elle avait déjà, elle-même et de son propre aveu selon une lettre adressée à la SA Inter Parfums le 28 juillet 1993, engagé, en contravention aux dispositions de l'article 2.2 de l'acte du 20 juillet 1989, des pourparlers avec d'autres fournisseurs pour offrir à la vente des produits concurrents ;

Considérant que la SA Allium ne fournit pas davantage d'élément pour caractériser la négligence qu'elle impute à faute à la SA Inter Parfums étant ajouté, sur ce point, que la SA Allium a expressément accepté et même demandé la reprise de son contrat par la SA Inter Parfums et qu'elle ne peut donc valablement soutenir que celle-ci lui a fautivement masqué la cession des droits à elle consentie par la société Alfin ;

Considérant que le dénigrement ou la désorganisation de l'activité de la SA Allium imputable à la SA Inter Parfums n'est pas établi et que le montant du préjudice allégué à ces titres ne l'est pas non plus ;

Considérant que la demande présentée au titre du préjudice commercial par la SA Allium est donc à rejeter ;

Considérant que les intérêts sont exigibles sur le montant de la condamnation principale mise à la charge de la société Alfin à compter de la date de l'assignation délivrée à la requête de la SA Allium, soit le 18 janvier 1994 et qu'il y lieu de faire droit à la demande de capitalisation de ceux-ci ;

Considérant que l'équité ne dicte pas l'attribution à l'une des parties d'une somme au titre des frais irrépétibles de première instance ou pour ceux d'appel ;

Considérant que compte tenu de la complexité des rapports qui ont lié les parties et de la nature des difficultés apparues entre elles, les sociétés Alfin et Inter Parfums doivent être déclarées tenues au paiement des dépens de première instance et la SA Allium à ceux d'appel;

Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable l'appel de la SA Allium, Confirme la décision du 24 mai 1995 mais seulement sur la condamnation principale prononcée à l'encontre de la société Alfin et sur la charge des dépens, L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau : Dit que la somme de 93.771,63 F mise à la charge de la société Alfin portera intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 1994, Dit que les intérêts échus et dus pour plus d'une année entière se capitaliseront pour porter eux-mêmes intérêts au taux légal, Rejette toutes demandes plus amples ou contraires, Ordonne la restitution des sommes versées au delà des condamnations prononcées par la présente décision, Condamne la SA Allium au paiement des dépens d'appel et admet les avoués concernés au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.