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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 3 octobre 2001, n° 1999-15596

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sevestre

Défendeur :

Seagram France Distribution (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Bernabe-Chardin-Cheviller

Avocats :

Mes Duhalde, Montel.

T. com. Paris, 11e ch., du 17 mai 1999

17 mai 1999

L'EURL Agence Commerciale Sevestre (ci-après l'EURL Sevestre), représentée par son dirigeant Robert Sevestre, est appelante du jugement rendu le 17 mai 1999 par le Tribunal de Commerce de Paris qui l'a déboutée de ses demandes à l'encontre de la société Seagram France Distribution et condamnée à payer à cette dernière la somme de 6.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à supporter les dépens.

L'EURL Sevestre prie la Cour, réformant cette décision, de condamner la société Seagram à lui payer la somme de 307.137 F représentant la différence entre le montant de l'indemnité de rupture de son contrat d'agent commercial (538.556 F) et la somme qui lui a été versée (231.419 F), et ce avec intérêts de droit à compter de l'introduction de l'instance. Elle sollicite en outre la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'EURL Sevestre fait grief au jugement entrepris de méconnaître la loi du 25 juin 1991, fixant le statut des agents commerciaux (codifié sous les articles L. 134-1 et suivants du Nouveau code de Commerce), en l'indemnisant du préjudice résultant pour elle de la rupture du contrat par référence à l'indemnité de clientèle des VRP.

La société Seagram France Distribution (ci-après Seagram) poursuit la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré et la condamnation de la société Sevestre à lui payer la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Elle estime satisfactoire le versement de l'indemnité de 231.419 F calculée sur la base de la plus-value réalisée par l'agent depuis l'attribution des cartes Mumm et Barton & Guestier, qui avaient déjà antérieurement une valeur patrimoniale.

Sur ce, LA COUR

Considérant qu'il est constant que depuis le 20 mars 1974, la société Agence Commerciale Martory aux droits de laquelle se trouve l'EURL Agence Commerciale Sevestre exerçait l'activité d'agent commercial pour le compte des sociétés Perrier-Jouet et Barton & Guestier aux droits desquelles se trouve la société Seagram France pour la distribution de champagnes, vins et spiritueux dans un secteur géographique déterminé, produits et secteur ayant varié au cours des années ; que le 31 décembre 1996 la société Seagram a réorganisé son réseau de vente et rompu le contrat d'agent commercial la liant à l'EURL Sevestre, lui payant à cette occasion une indemnité globale de 231.419 F calculée sur la base de deux années de commissions pour la "cartes" Perrier-Jouet dénuée de valeur patrimoniale lors de son attribution à l'agent et de deux fois la plus-value annuelle réalisée sur les "cartes" Mumm et Barton & Guestier attribuées sans contrepartie alors qu'elles avaient déjà une valeur patrimoniale ;

Considérant que l'EURL Sevestre a immédiatement contesté ce mode de calcul comme contraire au statut des agents commerciaux dont l'indemnité de rupture doit être calculée sur la base de l'ensemble des commissions perçues ; que par acte d'huissier du 24 novembre 1997 elle a fait assigner la société Seagram en paiement de la somme de 307.137 F devant le Tribunal de Commerce de Paris, qui a statué par le jugement dont appel ;

Considérant que pour débouter l'EURL Sevestre de sa demande le Tribunal a validé le mode de calcul de la société Seagram en retenant que le préjudice économique réellement subi par l'agent commercial ne peut porter, s'agissant des "cartes" qui lui ont été attribuées gratuitement alors qu' elles avaient une valeur patrimoniale au moment de leur attribution, que sur la plus-value qu'il leur a apportée, et que Seagram n'a fait que respecter les dispositions de l'article 5 du contrat concernant un calcul indemnitaire que l'EURL Sevestre avait accepté en 1994 lors du retrait de certains des produits dont la distribution lui était confiée ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article L. 134-12 du Nouveau Code de Commerce "en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi" ; que contrairement à l'indemnité de clientèle du VRP, l'indemnité de rupture de l'agent commercial n'implique pas que celui-ci ait créé ou apporté la clientèle ; qu'elle a pour objet la réparation du préjudice que lui cause la privation pour l'avenir du courant d'affaires sur lequel il percevait une commission et doit donc être calculée sur la base de la totalité de sa rémunération, l'évaluation se faisant en fonction notamment de la durée des relations contractuelles, de l'importance des investissements effectués par l'agent et de la part de l'activité perdue dans son chiffre d'affaires global;

Que c'est à tort que le tribunal a cru devoir justifier le calcul opéré par Seagram par l'application de l'article 5 du contrat de mandataire liant les parties qui prévoit qu'à l'expiration du contrat le calcul de l'indemnité sera fait à dires d'expert en tenant compte des variations économiques intervenues pendant la durée du contrat, alors que non seulement aucune expertise n'a été mise en œuvre mais surtout la clause susvisée est réputé non écrite comme dérogeant au détriment de l'agent aux dispositions de l'article L. 134-12 susvisé, et ce par application des dispositions de l'article L. 134-16, et que les accords précédemment intervenus entre les parties à l'occasion de modifications affectant les produits distribués ou les secteurs prospectés sont sans incidence sur la détermination de l'indemnité de rupture ;

Considérant qu'il est constant que les relations contractuelles se sont poursuivies pendant 22 ans ; que dans ses courriers des 24 mai et 4 juin 1997, l'EURL Sevestre invoque le fait que les commissions reçues de Seagram représentaient en 1996 53 % de son chiffre d'affaires total, ce qui n'est pas contesté par le mandant et résulte du relevé de son compte courant professionnel de l'année 1996 ;

Quedans ces conditions, l'EURL Sevestre est fondée à prétendre au paiement, au titre de l'indemnité de rupture, de deux années de commissions sur la base de la somme perçue au titre de l'année 1996 (269.278 F selon la propre déclaration de Seagram) étant relevé que les commissions antérieurement perçues étaient d'un montant très proche (265.681 en 1995 et 265.081 F l'année précédente) ; qu'il y a lieu en conséquence de condamner la société Seagram à payer à l'EURL Sevestre la différence entre le montant de l'indemnité de rupture ainsi déterminé (538.556 F) et la somme déjà réglée par Seagram (231.419 F), soit la somme de 307.137 F avec intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 1997, date de l'assignation introductive d'instance, en tant que de besoin à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'EURL Sevestre, à hauteur de la somme de 15.000 F, les frais irrépétibles par elle exposés ;

Par ces motifs, réforme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, condamne la société Seagram France Distribution à payer à l'EURL Agence Commerciale Sevestre la somme de 307.137 F avec intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 1997, la condamne à payer à l'EURL Agence Commerciale Sevestre la somme de 15.000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile du Nouveau Code de Procédure Civile et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, admet l'avoué concerné au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.