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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 22 mai 1998, n° 705-98

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Garage des Eyssagnieres

Défendeur :

Volvo Automobiles France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gillet

Conseillers :

Mmes Lombard, Bourquard

Avoués :

SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Lissarrague-Dupuis

Avocats :

Mes Fourgoux, Gauclerc

CA Versailles n° 705-98

22 mai 1998

LES FAITS ET LA PROCEDURE

Titulaire depuis 1981 de la concession de la marque Volvo suivant contrat renouvelé pour une durée indéterminée le 13 février 1986 sur le département des Hautes-Alpes, la société Garage des Eyssagnieres s'est vue notifier le 24 octobre 1995 la dénonciation de ce contrat par la SA Volvo France.

Estimant que le concédant avait abusivement rompu cette convention et lui avait causé préjudice, la société concessionnaire l'a par acte du 28 mars 1997 assignée devant le Tribunal de Commerce de Versailles en paiement de dommages-intérêts.

Par jugement rendu le 8 octobre 1997, le tribunal a :

- dit la résiliation par la société Volvo Automobiles France le 24 octobre 1995 du contrat de concession signé le 13 février 1996 avec le Garage des Eyssagnieres régulière et non abusive,

- débouté le Garage des Eyssagnieres de sa demande en paiement de la somme de 1.311.600 F,

- donné acte à la société Volvo Automobiles France de son accord pour la reprise du stock de pièces détachées de marque Volvo selon les modalités contractuelles ainsi que celle des véhicules neufs de marque Volvo en parfait état, à leur prix d'achat, ou à défaut l'y condamne,

- reçu la société Volvo Automobiles France en sa demande reconventionnelle, l'a dit mal fondée, l'en a déboutée,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Appelante de cette décision et autorisée à assigner à jour fixe selon ordonnance rendue le 9 janvier 1998, l'EURL Garage des Eyssagnieres conclut à son infirmation sauf en ce qu'elle a débouté la SA Volvo France de sa demande reconventionnelle ; elle sollicite qu'il soit dit que la SA Volvo France a abusé de son droit de rompre le contrat de concession, a violé le règlement CE 1475-95 et l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1996 en rompant brutalement le contrat de concession sans laisser le temps nécessaire à la société Garage des Eyssagnieres de procéder à la réorganisation de son entreprise, que la SA Volvo France soit condamnée à lui payer la somme de 1.491.763 F à titre de dommages-intérêts du fait de la résiliation du contrat ainsi que la somme de 40.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Volvo Automobiles France demande de constater qu'elle a mis légitimement en jeu les dispositions contractuelles conformes au règlement européen R. 123-85, qu'elle n'avait pas à énoncer les motifs de la rupture, qu'elle n'a commis aucun abus dans la dénonciation du contrat de concession et de dire que la durée du préavis de dénonciation devait se trouver régie par le règlement communautaire R. 123-85 et elle conclut au débouté des prétentions de l'appelante et à la confirmation du jugement. Elle demande de lui donner acte de la reprise du stock des pièces de rechange du Garage des Eyssagnieres selon les modalités contractuelles et de la reprise d'un véhicule de démonstration. Par voie d'appel incident, elle sollicite que la société Garage des Eyssagnieres soit condamnée à lui payer une somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour agissement déloyaux postérieurement à la rupture des relations contractuelles et elle lui réclame 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

SUR CE, LA COUR

Considérant qu'il est constant que la convention signée entre les parties le 13 février 1986 prévoit expressément la faculté pour l'une ou l'autre des parties d'y mettre fin en la dénonçant avec préavis d'un an, que la résiliation du contrat à durée indéterminée prend effet à l'expiration du délai de préavis ; que ce contrat a été conclu conformément au règlement européen R 123-85 relatif à la distribution automobile ;

Considérant que la société concessionnaire soutient que la société Volvo France a engagé sa responsabilité à son égard en exerçant abusivement son droit de dénonciation, qu'elle estime que les circonstances de la rupture sont telles qu'elles constituent à la charge de la SA Volvo une faute dans l'exercice de son droit de rompre ;

Qu'elle fait valoir que la rupture du contrat entraîne sa ruine pure et simple par la perte de son fonds de commerce alors que durant quinze années de collaboration, elle n'a jamais démérité et a toujours bénéficié d'excellents résultats ;

Qu'elle soutient que dans ce contexte, la prétendue réorganisation du réseau liée à l'évolution de la gamme et à la nécessité de satisfaire aux souhaits de la clientèle invoquée par la SA Volvo a posteriori démontre la mauvaise foi de cette dernière et ce d'autant plus que le Garage des Eyssagnieres s'est pleinement investi dans la promotion de la marque Volvo en abandonnant en 1990 la distribution des véhicules Mazda ;

Qu'elle estime que le comportement déloyal de la SA Volvo est également stigmatisé par le fait qu'elle lui a imposé en 1995 la modification de sa forme sociale, que cette modification a alourdi son fonctionnement et nécessité l'immobilisation d'un capital, que cet investissement a été réalisé avec l'assurance que son contrat de concession serait renouvelé, alors même qu'il devait être dénoncé quelques jours plus tard sans aucune explication ;

Qu'elle soutient que cet amortissement nécessitait une stabilité des relations contractuelles, que la SA Volvo devait conformément à l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 respecter un délai de préavis, "prenant en compte non seulement les usages de la profession mais également l'ancienneté des relations contractuelles nonobstant tout clause contraire" ; qu'à défaut, elle a engagé sa responsabilité ; que compte tenu de la forte dépendance du concessionnaire, le délai de préavis est habituellement fixé à deux ans, durée rendue impérative par le règlement CE 1475-95 du 28 juin 1995, qu'elle aurait donc dû bénéficier de ce délai dès lors que le contrat expirait postérieurement au 30 septembre 1996 ; qu'en violant délibérément le règlement CE 1475-95 la SA Volvo a engagé sa responsabilité à l'égard de son concessionnaire ;

Qu'enfin, elle réfute s'être désintéressée de la marque Volvo pendant le préavis et avoir eu une quelconque attitude concurrentielle fautive postérieurement à la résiliation du contrat ;

Mais considérant que l'ensemble des circonstances ainsi alléguées ne démontrent pas que la volonté du concédant de dénoncer le contrat ait été motivée par une quelconque intention de nuire au concessionnaire, se soit manifestée par une légèreté blâmable ou encore ait été empreinte de déloyauté; qu'en effet la qualité des services rendus par un concessionnaire pendant de nombreuses années tant dans l'intérêt de l'essor économique de sa concession que dans celui de la promotion de la marque qui bénéficie au concédant ne saurait avoir pour effet de priver l'une ou l'autre des parties de la faculté de dénoncer le contrat avec respect du délai de préavis ; que la SA Volvo qui n'avait pas à motiver sa dénonciation, n'a nullement fait état d'un quelconque motif fallacieux relatif (notamment) à la nécessité de réorganiser le réseau dans sa lettre de dénonciation du 24 octobre 1995, que la circonstance selon laquelle elle a postérieurement invoqué le contexte économique qui la conduisait à réexaminer sa politique de distribution en France n'a donc pas à être examiné comme motif invoqué à l'appui de la dénonciation du contrat;

Considérant que l'EURL Garage des Eyssagnieres ne rapporte pas la preuve que la SA Volvo France lui ait fallacieusement laissé entrevoir qu'elle envisageait de poursuivre ses relations contractuelles, qu'elle ne peut tirer aucun argument de l'abandon d'une autre marque près de six ans avant la résiliation du contrat, qu'il est établi que les investissements dont elle fait état concernant la modification de sa forme juridique de son exploitation ont été facturés à la SA Volvo qui les a pris en charge, que cette transformation répondait à une demande formée depuis 1992 par Volvo auprès de l'ensemble de ses membres du réseau exerçant en nom propre, que la société Garage des Eyssagnieres ne peut donc tirer argument de ce qu'elle s'est conformée tardivement à cette demande courant 1995 ;

Considérant que l'appelante ne justifie pas comme elle le prétend que la SA Volvo France lui ait interdit en cours de contrat de représenter une autre marque ;

Considérant que le nouveau règlement d'exception catégorielle applicable à la distribution automobile est entré en vigueur dès le 1er juillet 1995, qu'il a toutefois autorisé les concédants à maintenir avec leur réseau les dispositions antérieures résultant du règlement 123-85 jusqu'au 30 septembre 1996;

Considérant que le contrat dont s'agit a été dénoncé le 24 octobre 1995 à effet au 25 octobre 1996, c'est-à-dire pendant la période transitoire;

Que son préavis a expiré postérieurement au 1er octobre 1996, date à laquelle la période intérimaire a pris fin, qu'à compter de cette date, le contrat s'est certes trouvé, pour ce qu'il en restait à courir, soumis à l'article 85 paragraphe 1 du traité de Rome, qu'il n'a pas rempli pour cette période les conditions de l'exemption imposées par le nouveau règlement, que la SA Volvo justifie avoir fait part dès le 26 septembre 1996 à son concessionnaire qu'il bénéficiait désormais des dispositions du nouveau règlement européen apparaissant plus favorables que les dispositions antérieures; que l'appelante qui invoque l'éventuelle caducité ou nullité du contrat à compter du 1er octobre 1996 ne démontre pas que la SA Volvo lui ait causé un grief sauf en ce qui concerne l'application de la nouvelle durée de deux ans de préavis;

Mais considérant que l'obligation de mise en conformité à la nouvelle norme européenne des contrats considérés comme en cours dans tous leurs effets ne saurait entraîner la substitution d'un délai de préavis autre que celui prévu dans le cadre d'un contrat en phase d'expiration suite à la dénonciation avec préavis dès lors que le mécanisme de résiliation contractuelle a été initié selon les normes applicables lorsqu'il a été déclenché entraînant ainsi sa vocation à jouer son effet à la date fixée;

Que la société Garage des Eyssagnieres ne peut donc se prévaloir d'une durée de préavis autre que celle d'une année prévue et librement acceptée contractuellement, durée conforme aux usages de la profession et au règlement communautaire directement applicable en droit interne;

Considérant que la décision déférée doit en conséquence être confirmée en ce qu'elle a estimé que la SA Volvo France n'avait pas abusé de l'exercice de son droit de dénoncer le contrat la liant à la société Garage des Eyssagnieres et a débouté cette dernière de sa demande de dommages-intérêts ; qu'il convient de donner acte à la SA Volvo France de la reprise du stock de pièces de rechange dudit garage selon les modalités contractuelles et de la reprise d'un véhicule d'occasion ;

Considérant que la SA Volvo France reproche à la société Garage des Eyssagnieres d'avoir procédé à des agissements constitutifs de concurrence déloyale en continuant à faire état plus de trois mois après la rupture des relations contractuelles de sa qualité de concessionnaire Volvo, de la représentation du logo de la marque Volvo ainsi que d'un modèle Volvo 850, qu'elle se fonde sur deux correspondances adressées le 31 janvier 1997 à des clients par cette société ;

Mais considérant que la SA Volvo ne démontre pas que la société Garage des Eyssagnieres soit directement à l'origine des courriers incriminés qui semblent émaner de la société chargée par la SA Volvo de la distribution de "mailings" promotionnels ; qu'elle ne justifie avoir subi un quelconque préjudice du fait de tout autre agissement de son ancien concessionnaire ; que c'est à juste titre qu'elle a été déboutée de sa demande reconventionnelle ;

Considérant que l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, que l'appelante doit supporter les entiers dépens.

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Donne acte à la SA Volvo France de ce qu'elle déclare avoir repris le stock de pièces de rechange du Garage des Eyssagnieres selon les modalités contractuelles ainsi qu'un véhicule d'occasion, Rejette toutes autres prétentions des parties et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Condamne l'EURL Garage des Eyssagnieres aux entiers dépens et autorise la SCP Lissarrague-Dupuis, Avoués associés, à les recouvrer directement comme il est prescrit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.