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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. des urgences, 5 mai 1993, n° 92-21921

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hamon (Sté), Bazars de l'Ecole Militaire (SA)

Défendeur :

Barbier Centre (SA), Assurances du Crédit (SA), Codec (Sté), Lafont (ès qual.), Horel (ès qual.), Du Buit (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier (conseiller faisant fonction)

Conseillers :

Mme Timsit, M. Linden

Avoué :

SCP Varin Petit

Avocats :

Mes Karpik, Seligman, Boccalini.

T. com. Paris, du 1er oct. 1992

1 octobre 1992

Le 3 avril 1991, la SA Barbier Centre présenta requête au Président du Tribunal de commerce de Paris aux fins d'injonction à la SA Société des Bazars de l'Ecole Militaire dite SBEM d'avoir à lui payer en règlement de marchandises les sommes de 7 971 08 F, en principal, de 1 594,20 F, au titre d'une clause pénale et de 1 500 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Une ordonnance du 18 avril 1991 enjoignit à la SBEM de payer en deniers ou quittances les sommes de 7 971,08 F avec intérêts légaux à compter du 5 décembre 1990 et de 1 500 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Cette décision fut signifiée le 7 mai 1991 à la société SBEM laquelle forma opposition le 31 mai suivant.

Le 3 septembre 1991, la SA de droit belge Assurances du Crédit, avait commandé à la SA Guinde diverses marchandises mais n'en avait pas réglé le montant de 417 115,87 F TTC à concurrence de 268 772,13 F et l'avait ainsi contrainte conformément au contrat d'assurance crédit qui les liait, à régler ladite somme, assigna la société Hamon devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de paiement assorti de l'exécution provisoire des sommes de :

- 268 772,13 F avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation,

- 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le 21 novembre 1991, la société Hamon invoquant le fait que " la présence des représentants légaux de la société Codec (qui avait été déclarée en règlement judiciaire par un jugement du Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes du 9 avril 1990) était indispensable à la clarté des débats assigna ladite société représentée par son administrateur au redressement judiciaire, Maître Jean-Christophe Avezou, Maître Hubert Lafont ès qualités d'administrateur provisoire, Maîtres Bernard Horel et Marie-Dominique Du Buit, ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de cette société et invoqua la compétence du Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes " pour tout litige pouvant mettre en cause la société Codec ".

Le 22 novembre 1991, la même société après avoir indiqué que, par fusion, les fonds de commerce exploités par la société SBEM étaient devenus sa propriété, intervint aux droits de celle-ci dans l'instance l'opposant à la société Barbier Centre, soutint que la présence des représentants légaux de la société Codec était également indispensable dans cette procédure, les assigna en conséquence et souleva à nouveau l'incompétence de la juridiction saisie au profit du Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes.

Elle demanda en outre par conclusions des 17 décembre 1991 et 4 février 1992 la jonction de ces procédures avec l'ensemble des affaires concernant la société Codec, pendantes devant la juridiction du redressement judiciaire.

Les représentants de la société Codec, se fondant sur les dispositions de l'article 174 du décret du 29 décembre 1985 et sur la clause attributive de juridiction insérée dans les relevés de comptes conclurent également le 25 juin 1992 au renvoi de l'instance devant le Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes.

Les Assurances de Crédit et la société Barbier Centre s'y opposèrent part conclusions des 9 avril et 25 juin 1992, en relevant pour les premières, que les actions engagées par elles bien que nées à l'occasion du redressement judiciaire se seraient produites même en l'absence de toute procédure de redressement judiciaire et pour la seconde, que rien ne peut déroger à la règle de la compétence du tribunal du domicile du demandeur.

Par jugement du 1er décembre 1992, le Tribunal de commerce de Paris observa qu'il était saisi d'une part, de deux actions intentées par les fournisseurs ou le subrogé de l'un d'eux à l'encontre de la société Hamon, sociétaire de la société Codec et d'autre part, de deux demandes en intervention forcée dirigées par la société Hamon à l'égard de la société Codec.

Sur le mérite de l'exception d'incompétence dans les instances d'origine introduites par les sociétés Barbier et Assurances du Crédit, il retint que la société Codec avait agi en l'espèce dans le cadre du circuit dit " direct " en qualité de référenceur permettant à son adhérent, la société Hamon, de bénéficier de conditions d'achat favorables de la part de ses fournisseurs mais n'était pas intervenue dans les ventes elles-mêmes, les commissions de gestion administrative et financière que lui versaient les fournisseurs ne rémunérant que la garantie de paiement que leur consentait la société Codec.

Il rejeta la clause attributive de compétence du Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes, celle-ci figurant dans les documents récapitulatifs entre la société Codec et ses sociétaires et étant ainsi inopposable aux fournisseurs.

Il conclut que les actions engagées par les sociétés Barbier Centre et Assurance de Crédit auraient pu se produire même en l'absence de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la société Codec et rejeta de ce chef l'exception d'incompétence.

Sur le mérite de cette exception dans les instances en intervention forcée concernant les rapports entre la société Hamon, sociétaire et sa coopérative Codec en redressement judiciaire faisant application de l'article 174 du décret du 27 décembre 1985, il renvoya les parties devant le Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes.

La société Hamon forma contredit le 14 octobre 1992 à l'encontre des dispositions du jugement relatives aux demandes en paiement des sociétés Barbier Centre et Assurances du Crédit.

Elle expose à l'appui de ce recours que, dans l'accord de circuit direct, tel que conclu par les sociétés Barbier et Guinde avec la société Codec, celle-ci procédait au recollement des factures émises par le fournisseur au nom de ses clients, lesquels bénéficiaient d'une garantie de solvabilité puisque la société Codec payait les relevés établis et faisait son affaire du recouvrement des factures auprès du client, en contrepartie d'une commission de gestion versée par le fournisseur à la société Codec.

Elle en déduit que " par rapport au règlement des factures Codec était mandataire des fournisseurs envers lesquels elle était solidaire du règlement des factures par les adhérents, les fournisseurs rémunérant cette garantie de Codec par le versement d'une commission " et que, " la présente procédure n'existerait pas si la société Codec n'avait pas été déclarée en état de redressement judiciaire puisque quelle que soit la situation de son adhérent, le fournisseur était toujours réglé par la société Codec ".

Elle ajoute que les sommes réclamées par les Assurances du Crédit aux droits de la société Guinde lui étaient facturées par la société Codec au moyen de relevés par lesquels étaient délivrées les sommes dues au titre des livraisons de marchandises et que sur chaque relevé figurait une clause attributive de compétence au Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes.

Elle soutient en outre que l'ensemble des fournisseurs dont les sociétés Guinde et Barbier, ayant déclaré leurs créances au représentant des créanciers du redressement judiciaire de la société Codec, il existe une évidente connexité entre la demande présentée par ces sociétés et les vérifications des créances effectuées par le juge commissaire du redressement.

Elle sollicite en conséquence le renvoi de la société Barbier et de la société Assurances du Crédit à se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes et la condamnation de chacune d'elles à lui payer la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Barbier Centre réplique que " rien ne peut déroger à la règle de la compétence du tribunal du domicile du défendeur " et conclut à la confirmation du jugement déféré.

Les Assurances du Crédit allèguent que " s'il est exact aux termes de l'article 174 du décret du 27 décembre 1985 que le tribunal saisi d'une procédure de redressement judiciaire connaît de tout ce qui concerne le redressement judiciaire, il n'en demeure pas moins que cette compétence générale exclut de la compétence du tribunal qui a ouvert la procédure collective les actions qui, bien que nées à l'occasion du redressement judiciaire, ont leur cause dans un contrat ou un fait antérieur et qui s'est produit en l'absence de toute procédure de redressement judiciaire ".

Elles en déduisent qu'il importe de déterminer en l'espèce si le paiement réalisé par les sociétaires auprès de la société Codec était libératoire ou non puisque, dans l'affirmative, le litige serait la conséquence du redressement judiciaire.

Elles exposent que la société Codec est un groupement d'achat qui assurait une double fonction commerciale de grossiste revendeur et de référenceur ou circuit direct permettant à ses adhérents de bénéficier par son entremise de conditions d'achat favorables de la part des fournisseurs.

Elles précisent que :

- le circuit direct mis en place par cette société coopérative de commerçants détaillants destiné à assurer un meilleur approvisionnement passait par un lien contractuel direct entre les fournisseurs et ses sociétaires,

- la centrale Codec n'était pas partie aux différents contrats de vente et n'intervenait qu'en amont de ceux-ci pour fixer le cadre des relations contractuelles qui pouvaient naître entre fournisseurs et sociétaires, soit un contrat dit de référencement.

Si elles ne contestent pas que ce contrat n'aurait pas dû en principe générer de flux financiers entre le fournisseur et/ou le sociétaire et la centrale, le sociétaire directement livré et facture devant, en bonne logique, régler directement le fournisseur, elles reconnaissent que " certaines clauses accessoires du contrat de référence faisaient pourtant intervenir la centrale Codec dans le flux financier, notamment pour le règlement des sommes facturées au sociétaire" et que l'application de ces clauses par la centrale est à l'origine du présent litige puisqu'il était prévu dans la fiche d'accord circuit direct que les factures seraient adressées à la centrale qui ferait au fournisseur l'avance du règlement, la société Codec se chargeant ensuite de recouvrer les sommes ainsi avancées auprès de ses sociétaires.

Elles conviennent que si ces différentes règles avaient été strictement appliquées, la mise en redressement judiciaire de la société Codec n'aurait soulevé aucun litige particulier, les paiements des sociétaires à la centrale n'intervenant qu'après que celle-ci eut déjà avancé les fonds aux fournisseurs, lesquels n'auraient ainsi plus eu de créances sur les sociétaires qui se seraient eux-mêmes définitivement libérés en remboursant la centrale de l'avance qu'elle leur avait faite.

Mais elles font valoir que la société Codec commit pour les livraisons ayant donné lieu aux factures dont le paiement est contesté deux fautes dans l'exécution de la convention de circuit direct en ne faisant pas au fournisseur l'avance des sommes par lui facturées au sociétaire, en omettant ensuite de transmettre dès réception au fournisseur le paiement reçu du sociétaire ou en cédant à des organismes bancaires des créances sur les sociétaires qu'elle n'avait pas puisqu'aucune avance n'avait été faite pour leur compte.

Elles soutiennent que, pour admettre le caractère libératoire du paiement fait par le sociétaire à la centrale, il faudrait supposer, soit que le fournisseur ait donné mandat à la société Codec de recevoir le paiement en son nom, soit qu'il ait accepté cette société pour unique débiteur en lieu et place du sociétaire et alléguant à cet égard que :

- les éléments de la fiche d'accord circuit direct permettent d'établir que le sociétaire restait débiteur du fournisseur, nonobstant la garantie conférée par la centrale, laquelle s'engageait seulement aux côtés du sociétaire à payer le fournisseur par l'effet d'une obligation nouvelle.

- l'existence d'un mandat au recouvrement " serait contre nature puisque Codec se serait alors mis au service des fournisseurs alors que l'objet même de cette société coopérative de commerçants détaillants était de se mettre au service de ses sociétaires pour faciliter leur activité commerciale ".

Rejetant le caractère libératoire du paiement effectué par la société Hamon, elles en déduisent que leurs actions à l'encontre de celle-ci, " bien que nées à l'occasion du redressement judiciaire, se seraient produites même en l'absence de toute procédure de redressement judiciaire ".

Elles concluent à la confirmation de la décision entreprise et à l'attribution d'une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Maître Lafont, Maître Avezou, Maître Horel et Maître Du Buit ès qualités demandent acte de ce qu'ils s'en rapportent à justice.

Sur ce, LA COUR :

Sur l'exception d'incompétence :

Considérant que l'article 174 du décret du 27 décembre 1985 dispose que le tribunal saisi d'une procédure de redressement judiciaire connaît de tout ce qui concerne le redressement et la liquidation judiciaire ;

Que, cependant, les actions qui, bien que nées à l'occasion du redressement judiciaire ont leur cause dans un contrat ou un fait antérieur et qui se seraient produites s'il n'y avait pas eu redressement judiciaire ne relèvent pas de celui-ci ;

Considérant que la société Codec fit l'objet d'un redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes du 9 août 1990 ;

Que la société Hamon allègue que les paiements par elle effectuée auprès de cette société ont un caractère libératoire et que leur contestation doit en conséquence être portée devant le tribunal susvisé ;

Considérant que la société Codec a pour objet de fournir à ses associés des marchandises, denrées ou services et le matériel nécessaire à l'exercice de leur commerce notamment par la construction et l'entretien de tout stock de marchandises ;

Qu'à ce titre, elle exerce deux fonctions :

- celle d'un grossiste qui achète tous autres produits que les produits frais aux fournisseurs pour les revendre aux sociétaires dans le cadre d'un circuit indirect qui exclut toutes relations entre ceux-ci ;

- celle qui est caractérisée par un circuit direct, mis en cause, en l'espèce ;

Considérant que ce circuit intervient dans le cadre d'une relation commerciale directe entre le fournisseur et le sociétaire à laquelle la société Codec participe en tant que " centrale de référencement " c'est à dire d'organisme qui définit avec le fournisseur une gamme de produits pour lesquels celui-ci est référencé, qui communique à ses sociétaires les offres dont s'agit, qui négocie pour leur compte des avantages immédiats ou différés, des accords de coopératives, des délais de livraisons, des conditions de garantie ou de reprise et écarte à leur profit toute clause de réserve de propriété, la participation de la centrale de référencement étant alors rémunérée par le versement à la charge du fournisseur d'une commission dite de gestion commerciale ;

Qu'en application du système de ce circuit, le sociétaire commande directement des marchandises au fournisseur figurant sur la brochure annuelle éditée et distribuée par la centrale, lequel le livre directement ;

Que, cependant, ces relations directes entre le sociétaire et le fournisseur n'excluent pas l'intervention de la société Codec, puisque celle-ci procède au recollement des factures émises par le fournisseur, les globalise sur un relevé mensuel à l'usage des sociétaires bénéficiant de sa garantie de solvabilité, paye les relevés par écritures passées au crédit du compte du fournisseur, fait son affaire du recouvrement des factures auprès du sociétaire à la date convenue entre elle et le fournisseur et perçoit de celui-ci à ce titre une commission dont l'assiette est constituée par le chiffre d'affaires réalisé par lui auprès des sociétaires, prélevée sur le montant des sommes facturées ;

Que la société Codec qui entretient ainsi avec le fournisseur des relations directes et indépendantes de celles qui la lient à ses sociétaires dans la mesure où elle règle à la date convenue avec lui et se porte garante du paiement des marchandises commandées par le sociétaire, doit être considérée comme son mandataire pour le recouvrement des sommes dues par ce dernier;

Qu'en conséquence, le paiement par un sociétaire auprès de la société Codec est d'effet libératoire pour celui-ci;

Qu'il en résulte que les présents litiges trouvent leur origine dans l'inexécution par la société Codec de ses obligations à l'égard des fournisseurs Barbier Centre et Guinde, inexécution tenant à son redressement judiciaire, qui justifie la compétence du Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes, laquelle fondée sur les dispositions d'ordre public de l'article 174 du décret du 27 décembre 1985 exclut toute clause attributive de juridiction ;

Sur les autres demandes :

Considérant que les Assurances du Crédit qui succombent, ne sauraient se prévaloir des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Qu'il est équitable de laisser à la société Hamon la charge des frais exposés par elle à ce titre ;

Que la SCP Varin Petit, avoué constitué pour Maître Lafont, Maître Avezou, Maître Horel et Maître Du Buit ès qualités, ne saurait revendiquer le bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile, le ministère d'avoué n'étant pas obligatoire en matière de contredit ;

Par ces motifs : Dit le contredit recevable et bien fondé ; Dit le Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes compétent en l'espèce ; Renvoie la cause et les parties devant cette juridiction ; Rejette toutes autres demandes ; Met les frais afférents au contredit à la charge de la société Hamon.