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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 14 juin 1989, n° 87-12411

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Unisabi (SA)

Défendeur :

Sopegros (SA), Gourdain (ès qual.), Meille (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chavanac (conseiller faisant fonction)

Conseillers :

M. Chardon, Mme Briottet

Avoués :

Mes Teytaud, Varin, Petit

Avocats :

Mes Pecnard, Gantelme.

T. com. Paris, 15e ch., du 19 juin 1987

19 juin 1987

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Unisabi du jugement du 19 juin 1987 par lequel le Tribunal de commerce de Paris l'a condamnée à payer à la société Sopegros, assistée de MM. Gourdain et Meille, syndics au règlement judiciaire de la société, la somme de 19 172,55 F avec les intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 1985, ainsi que celle de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC et a débouté les deux sociétés de leurs autres demandes,

Ensemble, sur l'appel incident formé par Sopegros et les demandes additionnelles présentées par chacune des parties.

Pour l'exposé des faits, de la procédure et des prétentions antérieures des parties, il convient de se référer au jugement frappé d'appel, en rappelant que par lettre du 24 octobre 1977, la société Unisabi, fabricant de produits alimentaires pour animaux domestiques, s'est engagée envers Sopegros, société regroupant des commerçants grossistes en alimentation, à verser à ces derniers, durant l'année 1978 un certain nombre de ristournes dont le montant variait selon le chiffre d'affaires réalisé par chacun d'eux, sa progression et le soutien apporté à la diffusion des marques de l'entreprise.

Sopegros, qui avait accepté par lettre du 22 novembre 1977, les propositions d'Unisabi, devait percevoir les ristournes ainsi versées et les reverser à ses adhérents.

Le 31 janvier 1979, le règlement judiciaire de Sopegros a été prononcé par le Tribunal de commerce de Paris.

Par arrêt du 6 mars 1984, la Cour d'appel de Paris a reconnu à Sopegros le droit de poursuivre auprès des fournisseurs le paiement des ristournes dues à ceux de ses adhérents dont le compte dans ses livres présentait un solde débiteur et à concurrence de ce solde.

Unisabi étant encore redevable envers les adhérents sociétés Gonnelle, Meyer et Sarrfourche, de ristournes s'élevant, pour l'année 1978, à la somme globale de 19 172,55 F, Sopegros a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 juillet 1985, mis en demeure ce fournisseur de lui régler la somme susvisée.

Sur refus d'Unisabi de s'exécuter, Sopegros a, par acte du 22 novembre 1985, fait assigner cette société devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement de cette somme, ainsi que le règlement de ristournes antérieures, sauf justifications de leur paiement à présenter sous astreinte et en versement de sommes accessoires.

C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision déférée.

La société Unisabi, appelante, conclut à l'infirmation du jugement entrepris (et donc implicitement au débouté de Sopegros de ses demandes) ; à titre subsidiaire, elle sollicite la Cour de saisir le conseil de la concurrence de la conformité aux dispositions régissant la libre concurrence des pratiques de la société groupement d'achat.

La société Sopegros, représentée par MM. Gourdain et Meille, syndics de la liquidation des biens de la société, conclut à la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a condamné Unisabi à lui payer la somme de 19 172,55 F avec les intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 1985, ainsi que celle de 3 000 F en remboursement des frais irrépétibles ; par voie d'appel incident, elle sollicite l'infirmation pour le surplus du jugement déféré et conclut à la condamnation d'Unisabi, sous astreinte définitive de 500 F par jour de retard, à justifier du paiement de la somme de 189 214 F qu'elle a affirmé avoir versé à titre d'acompte sur ristournes ; additionnellement, elle demande l'octroi d'une somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant qu'Unisabi soutient que le paiement des ristournes dont le versement lui a été réclamé était subordonné à la condition suspensive que tous les adhérents du groupement d'achat aient intégralement réglé les factures émises par elle ;

Que certains des associés ayant fait l'objet de procédures collectives dans lesquelles elle avait produit en vain, la condition n'aurait pas été remplie et sa dette serait inexistante ;

Considérant qu'elle fait valoir aussi que, Sopegros ayant agi en qualité de commissionnaire dans ses rapports avec elle, n'aurait pas rempli les obligations de vigilance dans la sélection des adhérents, de renseignements sur leur solvabilité, de garantie au cas d'insolvabilité de leur part, auxquels cette société s'était ainsi engagée, ce qui l'autoriserait à se prévaloir à son encontre de l'exception d'inexécution ;

Considérant qu'elle soutient en outre, si Sopegros déniait être tenue des obligations sus-indiquées, que les accords conclus en 1977 seraient nuls pour absence de cause, les engagements contractés par elle n'ayant pas de contrepartie ;

Que, par ailleurs, cette absence de contrepartie réelle ne laisserait subsister de la part du groupement d'achat qu'une globalisation artificielle des chiffres d'affaires de l'ensemble des adhérents dans le seul but d'obtenir du fournisseur une remise, ce qui constituerait une pratique anticoncurrentielle entraînant la nullité des engagements pris par elle, pour illicéité de la cause ;

Considérant, enfin, qu'elle fait valoir que, pour les adhérents de Sopegros, la contrepartie des conditions de vente particulières qui leur avaient été accordées, était leur solidarité envers elle, solidarité qui, par ailleurs, devrait se présumer par l'intérêt commun de chacun des adhérents et l'apparence créée ;

Considérant, tout d'abord, qu'il convient, au vu des termes des lettres contrats d'octobre et novembre 1977 et de la pratique suivie par les contractants pour l'exécution des ces conventions (pratique démonstratrice de leur intention commune lors de la conclusion de l'accord), de relever :

- que Sopegros est intervenue, pour le compte de ses adhérents auprès d'Unisabi, afin de proposer à ce fournisseur la clientèle de ses membres et obtenir de lui des conditions de prix particulières sur la vente de ses produits ;

- qu'une fois établis les divers taux des ristournes consenties, Sopegros a diffusé le barème parmi ses membres ;

- que ceux-ci ont ensuite librement et directement passé commande à Unisabi, leur chiffre d'affaires individuel étant seul pris en compte pour la détermination du taux de ristourne ;

- que ces opérations ont fait l'objet de factures adressées directement aux acquéreurs et réglées par eux entre les mains d'Unisabi, seules les ristournes étant adressées, en fin d'exercice à Sopegros, afin que cette société les redistribue ensuite intégralement à ses adhérents ;

Considérant que le rôle de Sopegros a donc consisté à présenter ses adhérents à Unisabi et à obtenir de ce fournisseur les meilleures conditions d'achat à leur faveur, en laissant ensuite à ses membres l'entière liberté de contracter ou non avec ce fabricant;

Que Sopegros a donc eu une activité de courtage, son absence d'intervention en son nom propre dans l'acte d'achat excluant toute action de commissionnaire de sa part ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments, et notamment du caractère particulier aux deux parties du contrat conclu à chaque commande entre l'adhérent de Sopegros et Unisabi, que le règlement de la ristourne ne peut être subordonné au paiement par les autres adhérents de leurs propres factures;

Que, par ailleurs, une telle condition (alléguée par Unisabi) n'est pas incluse, ni formellement ni même implicitement, dans les accords des 24 octobre - 22 novembre 1977 ;

Considérant, de même, que simple courtier non tenue contractuellement d'une obligation ducroire et donc non débitrice envers Unisabi d'une quelconque obligation de vigilance dans la sélection des adhérents, de renseignement sur leur solvabilité et encore moins de garantie en cas d'insolvabilité de leur part, Sopegros ne saurait se voir utilement opposer par Unisabi une exception d'inexécution d'obligations en fait inexistantes, pour s'exonérer du paiement des sommes dues à divers adhérents pour des achats régulièrement opérés et réglés par eux dans le cadre de contrats librement consentis entre ces derniers et le fournisseur ;

Considérant, enfin, sur le moyen tiré de l'absence de contrepartie aux engagements contractés par Unisabi, qu'il convient de relever que les ristournes litigieuses correspondent, ainsi qu'il vient d'être rappelé, à des achats régulièrement effectués et réglés par trois adhérents en fonction du chiffre d'affaires réalisé par chacun d'eux, la conservation définitive desdites ristournes par Sopegros n'étant que la conséquence de l'arrêt du 6 mars 1984 ; que la contrepartie réside donc dans des achats effectués par ces divers adhérents ;

Que, par ailleurs, dans le cadre des accords généraux d'octobre novembre 1977, la contrepartie des avantages consentis par Unisabi résidait dans la diffusion que Sopegros faisait parmi ses adhérents, dispensant ainsi Unisabi d'une onéreuse prospection commerciale ;

Que les engagements contractés par Unisabi n'étaient donc pas dépourvus de cause ;

Considérant, sur la non-conformité des accords conclus avec les dispositions légales régissant la libre concurrence, que, contrairement aux allégations d'Unisabi, l'intervention de Sopegros n'avait pas pour but de globaliser artificiellement les chiffres d'affaires des adhérents pour obtenir sans contrepartie des avantages supplémentaires, les ristournes étant consenties en faveur de chaque adhérent pris individuellement et étaient fonction de son chiffre d'affaires ou de la progression de celui-ci ;

Que, par ailleurs, Unisabi ne démontre pas que le regroupement de distributeurs au sein de Sopegros portait une atteinte sensible à la concurrence sur le marché, les adhérents étant libres de s'adresser au fournisseur de leur choix (même non référencé) et Sopegros ne représentant qu'une part très faible de la distribution des grossistes en alimentation (5 % du marché environ) ;

Qu'il n'y a donc pas lieu, en l'espèce, de solliciter l'avis du conseil de la concurrence ;

Considérant, enfin, qu'il ne résulte pas des éléments versés aux débats par Unisabi que l'intérêt commun des adhérents et l'apparence créée par eux aient pu, légitimement, laisser croire à cette société qu'une solidarité quelconque existait entre ces commerçants, l'indépendance des ristournes consenties à chacun d'eux, en fonction de ses seules commandes, établissant la présomption opposée ;

Considérant que les moyens soulevés par Unisabi à l'appui de son appel ne sont pas pertinents ; que le jugement doit donc être confirmé de ce chef ;

Considérant, sur l'appel incident de Sopegros, que c'est aussi à juste titre que le premier juge a rejeté la demande de cette société tendant à voir Unisabi condamnée à justifier, sous astreinte, du paiement de la somme de 189 214 F représentant les ristournes de l'année 1978 ;

Qu'il appartient en effet à Sopegros, demandeur de ce chef, d'établir la réalité et le bien fondé de sa demande, sa carence dans l'administration de la preuve quant à l'existence de cette créance ne l'autorisant pas à demander la condamnation sous astreinte d'Unisabi à démontrer sa libération ;

Considérant qu'au vu des faits de la cause, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de Sopegros les frais non compris dans les dépens exposés par cette société en cause d'appel ;

Par ces motifs, Donne acte à Mes Varin et Petit, avoués associés, de leur constitution aux lieu et place de Me Varin, avoué, précédemment constitué ; Déclare la société Unisabi non fondée en son appel à titre principal, la société Sopegros, représentée par MM. Gourdain et Meille, syndics de la liquidation judiciaire de la société, non fondée en son appel incident, les deux sociétés mal fondées en leurs demandes additionnelles ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Rejette toutes autres demandes des parties plus amples ou contraires à la motivation retenue, notamment la demande d'Unisabi tendant à la saisine du conseil de la concurrence ainsi que les prétentions de Sopegros relatives à l'instauration d'une mesure d'astreinte ou au remboursement de frais irrépétibles d'appel ; Condamne la société Unisabi aux dépens exposés devant la Cour et autorise Mes Varin et Petit, avoués associés, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.