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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 10 décembre 1998, n° 1994-09153

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fiat Auto France (SA)

Défendeur :

Polauto (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Hardouin Herscovici

Avocats :

Mes Cocchiello, Ouakrat.

T. com. Paris, 15e ch., du 1er oct. 1993

1 octobre 1993

Considérant que par arrêt du 29 mars 1996 la Cour d'appel de Paris :

- a confirmé le jugement déféré du 1er octobre 1993 du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il avait retenu que la société Fiat Auto Service ci-après appelée Fiat avait abusé de son droit de rompre les quatre conventions la liant à la société Polyservices France devenue Polautos,

- a expressément fait grief à la société Fiat d'avoir en parfaite connaissance de l'état de dépendance dans lequel se trouvait la société Polyservices France vis-à-vis d'elle, procédé sans raison à une rupture en deux temps d'accords contractuels en accordant priorité au refus de renouvellement des contrats bénéficiaires pour son co-contractant et en maintenant pour près de quatorze mois la seule concession déficitaire assortie d'une exclusivité susceptible de compromettre toute reconversion, et d'avoir ainsi sciemment porté préjudice à son co-contractant en déséquilibrant durablement ses conditions d'exploitation au mépris de toute bonne foi,

- a ordonné une expertise à l'effet de se procurer les éléments de nature à lui permettre de chiffrer le préjudice résultant directement pour la société Polyservices France de l'abus de droit de rompre reproché à la société Fiat Auto France tel qu'il a été défini,

- a condamné la société Fiat à verser à la société Polyservices France une provision de 4.000.000 F mais a débouté la société Polyservices France de ses demandes de dommages-intérêts concernant les doléances de clients.

Considérant que par arrêt du 3 avril 1997 la Cour a rejeté la prétention de la société Fiat à limiter l'indemnisation due à la seule incidence du décalage des termes des divers contrats résiliés et à neutraliser les dégradations de la situation de la société Polyservices France résultant de la conjoncture économique, des décisions de gestion de la société Polyservices France et de la publicité donnée à la rupture des relations contractuelles ; qu'elle a condamné la société Fiat aux dépens de cet arrêt rendu nécessaire par l'erreur d'interprétation qu'elle avait commise d'une décision pourtant dépourvue d'ambiguïté ;

Considérant que par ordonnance du 12 septembre 1997 le conseiller de la mise en état a constaté :

- que la société Polyservices France devenue Polautos avait dû licencier son personnel parisien et abandonner ses locaux pour tenter de se recentrer sur son seul établissement secondaire de Nemours, après la perte des revenus du contrat de location-gérance ;

- qu'elle avait toutefois perdu ses clients les plus fidèles, notamment les tours opérateurs, et été contrainte de verser des indemnités de licenciement à des personnels spécialisés dans le "buy-back" et le transit temporaire,

- que le bénéfice était tombé, selon l'une des analyses produites, d'1.570.000 F en 1991 à 66.000 F en 1992 et que la société Polautos enregistrait depuis lors des pertes,

- que la situation nette de la société Polautos serait négative de plus de 6.800.000 F au 23 avril 1997 de telle sorte que les 5.000.000 F alloués par les premiers Juges seraient déjà entièrement absorbés

et a porté à 10.000.000 F la provision accordée et mis les dépens de l'incident à la charge de la société Fiat ;

Considérant que la société Polautos demande désormais à la Cour de condamner la société Fiat à lui verser 12.634.000 F avec intérêts au taux légal sur cette somme du 22 janvier au 1er octobre 1993, date de la condamnation de première instance, sur 7.634.000 F du 1er octobre 1993 au 12 septembre 1997, date de l'ordonnance du conseiller de la mise en état, et sur 2.634.000 F depuis lors, sans préjudice des intérêts majorés entre la date du présent arrêt et le paiement, ainsi que 300.000 F pour ses frais irrépétibles ;

Considérant que la société Fiat Auto France dénonce les nombreuses erreurs que l'expert aurait commises, chiffre la dégradation des marges à 2.323.000 F, dément que la perte des fonds de commerce lui soit imputable, évalue subsidiairement la valeur de ces fonds à 195.000 et 582.000 F et demande à la Cour de chiffrer le préjudice à réparer tout au plus à 3.046.000 F, de dire que la société Polautos doit lui restituer l'excédent de ce qu'elle a reçu et de la condamner aux dépens ;

Considérant que l'expert Jacques Salato que la Cour avait commis, a constaté que la rupture prioritaire des trois accords contractuels bénéficiaires en parfaite connaissance du déséquilibre périlleux de l'exploitation qu'allait engendrer la prolongation durant quatorze mois de la concession exclusive déficitaire, avait provoqué en plus d'une dégradation considérable de la situation de la société Polautos mais aussi sa cessation d'activité en dépit des tentatives de reconversion et donc la perte du fonds de commerce;

Qu'il a chiffré ces dommages respectivement à 4.821.000 F pour la période allant du 30 septembre 1992, date de notification de la rupture anticipée critiquée, au 15 février 1994, date de la résiliation du dernier des contrats, pour la diminution de la marge et à 7.813.000 F pour la perte du fonds de commerce ;

Considérant que la société Fiat reprend sa prétention à limiter à douze mois la période de calcul de la baisse de marge que la Cour a déjà écartée par son arrêt du 3 avril 1997 ; qu'il convient de s'en tenir en effet, ainsi que cela avait été demandé à l'expert, à la réalité de la chronologie de la rupture en deux étapes des relations contractuelles et non à la durée du plus long des préavis ;

Qu'elle reproche à l'expert de n'avoir pas retenu qu'un développement des ventes d'une concession déficitaire ne pouvait, selon elle, que provoquer une augmentation des charges et des franchissements préjudiciables de seuils et donc un accroissement du déficit, que l'excédent brut d'exploitation de l'activité de la société Polautos relevant du contrat de concession s'était avéré négatif durant la période considérée à l'exception des six premières semaines de 1993 et que plus le chiffre d'affaires était élevé, plus la marge était négative ;

Que l'expert a fort justement écarté ce raisonnement qui ne tient aucun compte de ce que l'année 1991 précédant la rupture était bénéficiaire et de ce que l'année 1992, déficitaire selon l'expert, aurait pu s'avérer bénéficiaire si elle n'avait pas été perturbée par le conflit qui a conduit à la rupture, et que dément au surplus la pression constante du constructeur, sauf à incriminer sa bonne foi, pour amener ses concessionnaires à augmenter d'année en année leurs parts de marché ;

Considérant que la société Fiat reproche aussi à l'expert d'une part de lui avoir imputé une perte du fonds de commerce de la société Polautos dont elle conteste jusqu'à l'existence, parce qu'elle aurait procédé à une publicité intempestive de la rupture et autorisé des actes de concurrence, ce qu'elle dément, et aurait tergiversé durant une période de quatre semaines, et d'autre part d'avoir évalué le fonds de commerce activité par activité alors qu'il constituait un ensemble "aux caractéristiques très spécifiques" et sur la base de coefficients Francis Lefebvre approximatifs et inadaptés ;

Qu'elle oublie le grief qui lui est fait, d'avoir engendré ou aggravé un déséquilibre d'exploitation en procédant en pleine connaissance du risque mortel qu'elle faisait courir ainsi à la société Polyservices, à une résiliation sélective des conventions bénéficiaires et en maintenant pendant plus de quatorze mois le seul contrat de concession qui l'intéressait mais qu'elle savait déficitaire, de telle sorte que cette société ne pouvait ni céder son fonds de commerce ni chercher utilement un nouveau panonceau avant que la dégradation de ses résultats n'altère très sensiblement ses chances de survie;

Qu'elle ne peut considérer que le fonds de commerce comporte quatre entités distinctes pour l'appréciation de la dégradation de la marge et constitue un ensemble pour sa valorisation ; qu'elle ne saurait davantage fonder ses critiques sur l'existence des pertes que sa faute a engendrées ;

Qu'elle admet qu'elle avait renoncé à certaines des activités secondaires affectées par les premières en date des résiliations, à n'en pas douter parce qu'elle n'y trouvait pas, elle et elle seule, un intérêt suffisant ; qu'elle n'établit pas que la société Polautos a pu conserver une activité ni que les départements affectés par les résiliations initiales pouvaient être cédés alors que l'exclusivité de la distribution des véhicules de marque Fiat était maintenue;

Que l'expert a répondu de façon pertinente aux critiques qui lui sont faites, les conclusions du 3 juillet 1998 de la société Fiat ne faisant que reprendre les arguments avancés dans les nombreux dires qui lui avaient été remis, sur la base d'un rapport unilatéral d'un expert comptable qui avait par trop omis de lire les arrêts de la Cour ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de modifier les calculs de l'expert Jacques Salato; que la transaction du 17 février 1994 conclue par les sociétés Fiat et Polyservices constatait un accord d'anticipation de six semaines des effets de la dernière des résiliations, celle du contrat de concession, établissait des comptes entre parties, constatait que la société Polyservices n'entendait pas demander d'indemnisation pour la rupture anticipée du contrat de concession mais laissait expressément ouvert son droit à la réparation d'un dommage global, celui que la Cour a reconnu ; que l'anticipation convenue n'a pu que contribuer à minorer le dommage ;

Considérant que le dommage a été chiffré à la date de la rupture ; qu'il convient d'accorder les intérêts au taux légal demandés à compter de l'assignation à titre de complément d'indemnisation;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société Polautos la charge de ses frais irrépétibles.

Par ces motifs, Constate qu'il n'est plus demandé à la Cour que de se prononcer sur le préjudice causé à la société Polyservices devenue Polautos par la faute retenue à l'encontre de la société Fiat Auto France par les arrêts des 29 mars 1996 et 3 avril 1997, Condamne la société Fiat Auto France à verser à la société Polautos la somme de 12.634.000 F avec intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 1993 en tenant compte des paiements provisionnels opérés ainsi que 180.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Condamne la société Fiat Auto France en tous les dépens en ce compris les frais d'expertise, Admet la SCP Parmentier Herscovici, avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.