CA Rennes, 2e ch., 30 septembre 1998, n° 9800674
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
BRC (SA)
Défendeur :
Silanos (Sté), Silanos France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bothorel
Conseillers :
MM. Poumarede, Mesière
Avoué :
Mes Chaudet & Brebion
Avocats :
Mes Vincent, Roy.
Faits et procédure
Statuant sur la demande de la société BRC en paiement d'une indemnité de 1.500.000 F, outre celle de 20.000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, dirigée contre la société Silanos France et la société Silanos ;
Le Tribunal de Commerce de Nantes, par jugement du 8 janvier 1998, s'est déclaré Incompétent puis a invité les parties à mieux se pourvoir et réservé les dépens ;
la société BRC a formé contredit contre cette décision ;
Moyens et prétentions des parties
Demanderesse au contredit, la société BRC, fait grief au Tribunal d'avoir ainsi statué aux motifs :
Que compte tenu de la rupture du contrat contenant la clause attribuant compétence aux juridictions italiennes, la désignation de la juridiction devait se faire selon le droit commun,
Que l'article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile, autorisant le demandeur à faire citer au lieu où doit s'effectuer la livraison ou la prestation, était inapplicable, dés lors que le paiement du transport des marchandises devait s'opérer en Italie,
Que les articles 2 et 5 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, désignaient comme compétente soit la juridiction de l'Etat où le défendeur avait son siège, soit celle de l'Etat où l'obligation discutée s'était (ou devait être) exécutée, en l'espèce l'Italie,
Alors
Que l'obligation en cause étant le paiement de prestations, en l'espèce exécutable à Nantes, le Tribunal saisi était bien compétent, en vertu soit de l'article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile, soit de l'article 5 de la Convention de Bruxelles,
Que de toute façon, le litige portant sur la violation et la rupture d'un contrat de représentation, le Tribunal de Commerce de Nantes était bien compétent par application des articles 6 et 8 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978,
La société BRC demande, en conséquence, à LA COUR de :
Infirmer le jugement,
Dire le Tribunal de Commerce de Nantes compétent territorialement,
Débouter la société Silanos France et la société Silanos de toutes leurs demandes,
Enjoindre la société Silanos France et la société Silanos de conclure au fond,
Les condamner à payer à la société BRC la somme de 15.000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Intimées, la société Silanos France et la société Silanos, qui font leurs, pour l'essentiel, les motifs ci-dessus rappelés du Tribunal, concluent à la confirmation du jugement et réclament 10.000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; elles font valoir, en substance :
Qu'en renonçant à fonder ses prétentions sur la convention passée entre les parties le 9 novembre 1992, la société BRC s'était privée du droit de revendiquer le bénéfice du lieu d'exécution des prestations prévues à celle-ci et en l'absence de toute indication précise sur ce point dans l'échange ultérieur de correspondances, rien ne l'autorisait à affirmer que " l'obligation qui sert de base à la demande " devait être exécutée en France plutôt qu'en Italie,
Que le défaut de paiement des commissions, allégué en cause d'appel, relevait de l'appréciation de la juridiction italienne, une telle obligation, de droit quérable (article 1247 du Code Civil), devant s'exécuter au domicile du défendeur italien,
Qu'en réalité l'échange de correspondances ultérieur avait caractérisé non pas la rupture de la convention du 9 novembre 1992, mais un simple avenant à celle-ci, de sorte que la clause attributive de compétence désignant le Tribunal Civil de Milan, qui s'y trouvait insérée en son article 5, devait s'appliquer ;
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions déposées ;
Motifs
Considérant que les moyens invoqués par demanderesse au contredit au soutien de son recours ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile ceux dont le Tribunal a connu et auxquels il a répondu par des motifs pertinents et exacts que la Cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation ;
Qu'il résulte des énonciations non contredites du jugement attaqué, des écritures des parties et des pièces par elles régulièrement produites que, par convention sous seing privé du 9 novembre 1992, intitulé " contrat de représentation exclusive " la société Silanos, de droit italien, a consenti à la société française Velco, aux droits de laquelle vient actuellement la société BRC, à la suite d'une fusion absorption, l'exclusivité sur la France de la vente des produits de sa fabrication, pendant cinq années, moyennant une commission de 6,70 % que cet acte contenait une clause attribuant, en cas de litige, compétence aux "tribunaux du ressort du constructeur" ; que, par lettre du 12 janvier 1995, la société Silanos, " demeurant ferme sur la terminaison du contrat au 31 décembre 1994 " , proposait de nouvelles relations contractuelles sans exclusivité ni obligation d'achat ; qu'à la suite de cette rupture, un nouvel accord était conclu le 18 mai 1995, essentiellement sur les bases offertes par le fabricant italien ; que cette convention ne reprenait pas la clause attributive de compétence ; que se plaignant de manœuvres de la société Silanos, accomplies avant comme après la rupture de la convention de 1992, et discutant l'assiette de calcul et le montant de ses commissions, la société BRC saisissait le Tribunal de Commerce de Nantes pour obtenir le paiement d'une somme de 1.500.000 F, soit à titre d'indemnité pour inexécution, soit à titre de commissions ;
Que la convention de novembre 1992 ayant été résiliée, d'accord parties, la clause, qui y était insérée, attribuant compétence aux juridictions italiennes ne saurait s'appliquer ; que cette compétence doit en conséquence s'apprécier selon le droit commun ;
Que selon l'article 5-1 de la Convention de Rome, applicable aux litiges commerciaux opposant des parties domiciliées dans des pays différents ayant adhéré à cette Convention internationale, comme c'est le cas de la France et de l'Italie où la société BRC et la société Silanos ont respectivement leur siège :
" le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait, dans un autre Etat contractant en matière contractuelle, devant le Tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée... " ;
Que le litige porte non pas sur la vente ou la livraison de marchandises mais sur les modalités de calcul des commissions dues à la société BRC, agent commercial en France de la société Silanos ayant son siège en Italie ; que les termes de l'assignation tendent à l'interprétation des contrats de représentation successivement passés entre les parties, et sur les conséquences dommageables de la rupture intervenue ; qu'ainsi, pour déterminer le lieu d'exécution de tels contrats, il doit être fait application de l'article 6 de la Convention de La Haye, du 14 mars 1978, en vigueur en France depuis le 1er mai 1992, relative aux contrats d'intermédiaires et à la représentation, selon lequel :
" la loi applicable est la loi interne de l'Etat dans lequel au moment de la formation du rapport de représentation, l'intermédiaire a son établissement professionnel ou à défaut, sa résidence habituelle... "
Que l'article 8 de ce texte international, précise même que :
" la loi applicable en vertu des articles 5 et 6 régit la formation et la validité du rapport de représentation, les obligations des parties et les conditions d 'exécution, les conséquences de l'inexécution et l'extinction de ces obligations. et en particulier... aux chefs de dommages pouvant donner lieu à réparation... "
Que l'article 9 ajoute que :
" Quelle que soit la loi applicable au rapport de représentation, on aura égard en ce qui concerne les modalités d'exécution à la loi du lieu d'exécution "
D'où il suit que c'est à tort que le Tribunal de Commerce de Nantes, dans le ressort duquel la société BRC, intermédiaire au sens de cette Convention internationale, avait son siège, et les obligations contractuelles devaient être essentiellement exécutées, s' est déclaré territorialement incompétent ; que le jugement sera donc infirmé et les parties renvoyées devant ce Tribunal ;
Que la société Silanos France et la société Silanos qui succombent, supporteront les dépens de première instance et d'appel qu'elles ne peuvent, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que l'équité commande, en revanche, de faire droit, partiellement, à la demande de la société BRC, fondée sur ce texte ;
Par ces motifs : Infirme le jugement ; Statuant à nouveau ; Dit que le Tribunal de Commerce de Nantes est compétent territorialement pour connaître de l'affaire opposant les sociétés Silanos et BRC, et renvoie la cause et les parties devant ledit Tribunal ; Condamne la société Silanos France et la société Silanos à payer à la société BRC la somme de 10.000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la société Silanos France et la société Silanos aux entiers dépens de première instance et d'appel.