CA Paris, 5e ch. A, 27 mai 1998, n° 94-02461
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Citroën (SA)
Défendeur :
Société Nouvelle Arverne Automobile, Arverne Automobile (SA), Réau (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Madame Renard-Payen
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
SCP Bourdais-Virenque, SCP Roblin-Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes Kouchnir, Bourgeon, Dousset.
Par un arrêt du 14 septembre 1994 auquel il est renvoyé pour l'exposé des faits, des moyens et des prétentions des parties, cette chambre de la Cour réformant partiellement le jugement déféré :
- a dit que la SA des Automobiles Citroën avait résilié unilatéralement et sans motif valable le contrat de concession qui la liait à la société Arverne Automobile,
- et avant dire droit sur le préjudice subi par cette société a ordonné une mesure d'expertise qu'elle a confiée à Monsieur Lipski avec pour mission de lui fournir tous les éléments lui permettant d'évaluer le préjudice subi par la société Arverne Automobile du fait de la résiliation du contrat de concession,
- a condamné la société des Automobiles Citroën à payer à la société Arverne Automobile la somme de 400.000 F à titre de provision.
La Cour par un arrêt interprétatif du 14 septembre 1996 a dit que parmi les éléments que l'expert devra fournir pour évaluer le préjudice il y avait lieu de tenir compte de la diminution ou de la suppression des dividendes distribués par la société Nouvelle Arverne Automobile à la société Arverne Automobile et de la perte éventuelle de la valeur des parts sociales de la société Nouvelle Arverne Automobile détenues par la société Arverne Automobile à la suite de la résiliation du contrat de concession "ce qui nécessite l'appréciation du préjudice subi par la société Nouvelle Arverne Automobile du fait de cette résiliation".
Pour une meilleure compréhension du litige, il suffit de rappeler que le 1er janvier 1988 et jusqu'au 31 décembre 1991 (sauf tacite reconduction) un contrat de concession a été conclu entre la société Citroën Automobile et la société Arverne Automobile qui, conservant son patrimoine immobilier, a le 24 janvier 1991 apporté son fonds de commerce à la société Nouvelle Arverne contre l'attribution de 4434 actions sur les 4400 créées par cette société et que par suite de cette opération la société Citroën Automobile a rompu le contrat de concession le 26 mars 1991.
L'expert a proposé de fixer le préjudice à un montant compris entre trois et quatre millions de francs.
La société Citroën Automobile critique le rapport d'expertise en ce qu'il s'est contenté d'évaluer mathématiquement la valeur du fonds de commerce de la société Nouvelle Arverne pour en déduire que le préjudice subi par la société Arverne pouvait se chiffrer au même montant alors qu'il y avait lieu de prendre en compte d'une part des éléments spécifiques à savoir la clientèle tenant pour l'essentiel au panonceau Citroën non cessible, le caractère non transmissible du contrat de concession, le fait que le fonds de commerce ne pouvait intéresser un repreneur éventuel qu'avec l'accord préalable d'Automobiles Citroën ; d'autre part le fait que le fonds n'avait pas disparu par suite de la résiliation puisque la société Nouvelle Arverne Automobile avait conclu un contrat de concession avec la société General Motors France Automobiles pour représenter la marque Opel, contrat que délibérément elle n'a pas reconduit pour le transmettre à une nouvelle filiale de la société Arverne Automobile, la société Clermont Sud.
Elle ajoute que contrairement à ce qu'affirme la société Arverne Automobile aucun préjudice n'a pu être subi par cette société du fait de l'appauvrissement de la société Nouvelle Arverne du 1er avril 1991 au 31 décembre 1991 dans la mesure où ledit appauvrissement allégué n'a pas généré pour la société Arverne Automobile un préjudice direct c'est-à-dire soit une diminution de la valeur des parts soit une suppression de revenus sous forme de dividendes et qu'au cas où la Cour devrait allouer une indemnité à la société Arverne Automobile celle-ci ne saurait porter intérêt qu'à compter de l'arrêt à intervenir.
Elle prie en conséquence la Cour de débouter la société Arverne Automobile et Maître Reau ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Nouvelle Arverne Automobile de leurs demandes et de les condamner solidairement à lui payer la somme de 100.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Arverne Automobile et Maître Reau ès-qualités répliquent que :
- les conclusions de l'expert aboutissent à une évaluation de la perte de valeur des parts sociales détenues par la société Arverne Automobile dans sa filiale, qui doit être approuvée dans son estimation la plus haute, le véritable bénéficiaire de la résiliation du contrat de concession ayant été la succursale Citroën de Clermont-Ferrand qui a bénéficié du volume d'activité retiré aux sociétés Arverne Automobile et Nouvelle Arverne,
- la société Opel France n'a jamais accepté de confier la représentation de sa marque en qualité de concessionnaire à la société Nouvelle Arverne Automobile trop affaiblie financièrement par la rupture du contrat de concession et de ce fait la société Arverne Automobile a dû investir de nouveaux moyens dans la constitution d'une nouvelle entité juridique, la société Clermont Sud Automobiles qui n'est devenue officiellement concessionnaire Opel que dans le courant du premier semestre 1992 au travers d'une SCI distincte de la société Nouvelle Arverne Automobile de plus cette dernière société comme la société Clermont Sud Automobiles ont fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire de sorte que la société Nouvelle Arverne Automobile a totalement perdu la valeur de son fonds de commerce,
- la société Arverne Automobile est bien fondée contrairement à ce qu'affirme l'expert à solliciter des dommages et intérêts équivalents à l'appauvrissement subi qui constitue une conséquence directe de la faute contractuelle commise par la société des Automobiles Citroën,
- la réparation du préjudice implique que les dommages et intérêts soient conformément à l'article 1153-1 du Code Civil majorés des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 1991.
Ils demandent à la Cour de :
- débouter la société Automobiles Citroën de ses demandes,
- condamner cette société à payer à la société Arverne Automobile les sommes de quatre millions de francs et de 850.000 F à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 100.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur ce,
Considérant que l'expert après avoir relevé notamment que le contrat de concession liant la société des Automobiles Citroën à la société Arverne Automobile devait expirer le 21 décembre 1991 (p. 4 du rapport) et qu'il y avait lieu de prendre en compte les résultats nets comptables de cette société (p. 30 du rapport) entre autres éléments puis avoir rappelé la définition du préjudice telle que retenue par la Cour, avoir analysé les méthodes d'évaluation de celui-ci proposées par chacune des parties et par une argumentation pertinente soumise à l'examen des parties, avoir écarté pour partie certaines de leurs objections (telle la question de l'appauvrissement net) et en avoir admis d'autres, - la plupart d'entre elles ayant été reprises dans les moyens qu'elles ont soutenues devant la Cour -, a procédé à l'évaluation du préjudice subi par la société Arverne Automobile par application de méthodes appropriées aux critères déterminés par la Cour et au cas de l'espèce et reconnus comme fiables par les professionnels (il s'agit de la méthode de l'évaluation du fonds de commerce par une approche basée sur les multiples de la capacité d'autofinancement engendrée par la société Arverne Automobile, la méthode de l'évaluation du fonds de commerce déterminée en pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par famille d'activité ainsi que celle d'évaluation par l'estimation de la marge sur coûts directs sur une période d'un an);
Considérant par ailleurs que devant la Cour la société Automobiles Citroën se fondant sur un rapport d'expertise non judiciaire qu'elle a fait établir dans le cadre d'un litige l'opposant à un autre de ses concessionnaires - la société Tassel Frères - propose de nouveaux critères d'évaluation ;
Qu'il y a lieu d'observer qu'elle n'a pas cru devoir faire état de ce rapport (qui est en date du 31 juillet 1993) devant Monsieur Lipski ni produire les observations qu'il a suscitées de son contradicteur ainsi que la décision de justice qui a été prononcée après examen de ce document et du rapport de l'expert judiciaire qu'il critiquait ;
Qu'en tout état de cause, les circonstances de l'affaire susvisée ne sont pas les mêmes que celles de l'instance présentement soumise à la Cour, l'expert tenant compte notamment d'une "situation déficitaire aggravée" de la société Tassel Frères "à la veille de la liquidation de biens" et des frais non négligeables de licenciement et de préavis
Que de plus Monsieur Lipski a examiné les comptes annuels détaillés de la société "Nouvelle Arverne Automobile" des années 1991-1992 (p. 10 du rapport) qui pour 1991 et suivant les déclarations de cette société visées par son commissaire aux comptes correspondent à une période au cours de laquelle elle était liée par un contrat de concession avec la société General Motors France Automobile;
Qu'il s'ensuit que les moyens soulevés par la société Automobiles Citroën sont inopérants;
Considérant eu égard à l'ensemble de ces éléments qu'il y a lieu d'entériner le rapport d'expertise;
Considérant s'agissant du montant de l'indemnité que l'expert l'évalue entre trois et quatre millions de francs expliquant l'existence de cette fourchette par la nécessité de pondérer fortement le résultat issu de la méthode de la valorisation du fonds de commerce (soit 9,1 à 9,7 millions de francs) et de se rapprocher ainsi du résultat obtenu à l'aide de la deuxième méthode de valorisation, ce, en raison de l'absence de résultat net comptable dégagé par la société Arverne Automobile au cours des cinq exercices qui ont précédé la date de la rupture du contrat ;
Que compte tenu du nombre d'exercices concernés par l'absence de résultat, le coefficient de pondération retenu doit être le plus fort de ceux proposés par l'expert;
Qu'au vu des motifs qui précèdent (p. 5) la demande en paiement de la somme de 850.000 F à titre de dommages et intérêts formée par la société Arverne Automobile compte tenu de l'appauvrissement net n'est pas fondée ;
Que le préjudice de la société Arverne Automobile sera en conséquence réparé par l'allocation de la somme globale de trois millions de francsavec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en justice à titre de dommages et intérêts complémentaires ;
Considérant qu'il est équitable d'allouer à la société Arverne Automobile la somme de 20.000 F au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Qu'il n'est pas inéquitable de laisser les autres parties supporter leurs frais irrépétibles,
Qu'elles seront déboutées de leurs demandes formées à ce titre.
Par ces motifs, LA COUR, Vu les arrêts prononcés les 14 septembre 1994 et 24 janvier 1996, Statuant sur le montant du préjudice, l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et les dépens, Réforme le jugement déféré des chefs relatifs au montant des condamnations et à l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, statuant à nouveau et y ajoutant : Condamne la société des Automobiles Citroën à payer en deniers ou quittance à la société Arverne Automobile la somme de trois millions de francs avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en justice ainsi que celle de vingt mille francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Déboute Maître Reau ès-qualités ainsi que la société Automobiles Citroën de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Condamne la société Automobiles Citroën aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.