CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 14 mai 1998, n° 2297-95
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Energies (SARL)
Défendeur :
Roussin (SA), Agence Générale d'Usines (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gallet
Conseillers :
MM. Boilevin, Raffejeaud
Avoués :
SCP Jullien-Lecharny-Rol, SCP Lissarrague-Dupuis, SCP Merle-Carena-Doron
Avocats :
Mes Ehm-Gaillard, Allemand, Gauclère.
La société Agence Générale d'Usines (ci-après AGU) est l'agent exclusif de la société Abel qui fabrique notamment des matériels pour l'éclairage public.
Elle a constitué un réseau d'intermédiaires, auxquels elle attribue des territoires d'intervention de manière non exclusive.
Elle a été amenée à l'occasion de la vente de matériels pour la centrale électrique de Golfech (Tarn et Garonne) à rémunérer la société Energies, titulaire de la zone géographique dans laquelle se trouve cette centrale.
Une difficulté est apparue lorsque la société Roussin, sous-agent pour le sud-est de la France, a prétendu à sa part de commission au motif qu'elle était à l'origine de la vente de ces matériels.
Sur assignation de la société AGU par la société Roussin en paiement d'une somme de 218.145 F, le tribunal de commerce de Nanterre, par jugement en date du 30 mai 1991, a désigné M. Harmand en qualité d'expert.
Après mise en cause de la société Energies, l'expert a déposé le 14 février 1994 un rapport dont il ressort essentiellement que lorsqu'un agent était l'initiateur d'un marché alors que la livraison du matériel s'effectuait sur le territoire d'un autre, la société AGU avait institué un partage de la commission à raison des deux-tiers pour l'initiateur et d'un tiers pour le titulaire du territoire, qu'en l'espèce la société Roussin avait bien été à l'origine du marché de la centrale de Golfech et qu'elle avait donc droit à une commission de 146.145,70 F.
Par jugement en date du 16 décembre 1994, le tribunal de commerce de Nanterre, homologuant le rapport de l'expert, a :
- condamné la société AGU à payer à la société Roussin la somme de 146.145,70 F avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 1990, jour de l'assignation, ainsi qu'à lui rembourser les frais d'expertise s'élevant d'après l'ordonnance de taxe, à la somme de 53.671,01 F ;
- dit que la société Energies devrait rembourser lesdites sommes à la société AGU,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société AGU à payer à la société Roussin la somme de 15.000 F en application de l'article 700 du NCPC et dit que celle-ci pourrait récupérer ladite somme sur la société Energies ;
- débouté la société Roussin du surplus de cette demande,
- condamné la société Energies aux dépens.
Celle-ci a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 17 février 1995.
Elle a fait grief aux premiers juges d'avoir fait droit sans plus d'explications à l'appel en garantie de la société AGU sans rechercher si les commissions qu'elle avait reçues ne correspondaient pas à la juste rémunération de son travail.
Elle a soutenu qu'un accord était intervenu avec la société AGU pour fixer le taux de ses commissions à 10 % et que cet accord avait toujours été respecté : que les engagements qu'avait pu prendre la société AGU à l'égard de la société Roussin lui étaient inopposables ; qu'au demeurant, la société Roussin n'avait eu qu'un rôle d'indicateur ponctuel et sur la première commande seulement, que pour cela elle avait été rémunérée et que pour le surplus elle ne devait percevoir des commissions que sur les affaires "intégralement démarchées" par elle.
Elle a donc demandé à être déchargée de toutes condamnations et a sollicité une somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
La société Roussin a fait valoir qu'elle avait été l'initiatrice du marché de Golfech et avait participé à la rédaction du cahier des charges.
Elle a conclu à la confirmation du jugement entrepris, sauf à lui allouer une somme complémentaire de 41.544,98 F au titre des commissions sur le chiffre d'affaires allant jusqu'en 1992, ce avec intérêts au taux légal à compter de la citation.
Elle a, en outre sollicité une somme de 25.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
La société AGU a refusé le droit à commission de la société Roussin à raison de son intervention minime et a conclu subsidiairement à la confirmation de la décision entreprise.
Elle s'est opposée, en tout état de cause, à la demande complémentaire de la société Roussin et a sollicité une somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts, outre 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Sur ce, la COUR
Sur la demande principale de la société Roussin
Considérant que par courrier en date du 29 novembre 1983 ayant trait précisément au marché de la centrale de Golfech, la société AGU rappelait à la société Roussin "les principes qui régissaient les affaires couvertes par deux agents", à savoir lorsque l'affaire avait été "intégralement démarchée par un agent géographiquement extérieur au secteur : répartition des commissions - en général 1/3 au chargé de secteur, 2/3 au démarcheur (sauf accords particuliers entre agents)" ;
Considérant que par lettre adressée le 4 novembre 1988 à la société Energies, la société AGU précisait :
" La société Roussin a été à l'origine de cette affaire " (marché de Golfech) "et un arrangement par une répartition par moitié des commissions entre la société Roussin et votre prédécesseur M. Coyette avait été conclu" ;
Considérant que sont ainsi reconnus par la société AGU, le rôle de la société Roussin en tant qu'initiatrice du marché de Golfech, de même que son droit à une partie des commissions générées par ledit marché ;
Considérant que cette répartition par moitié a été contestée par M. Coyette lui-même dans une attestation au 20 février 1992, aux termes de laquelle il a affirmé avoir été étranger aux accords qui avaient pu être passés entre les sociétés AGU et Roussin ;
Considérant que l'expert a relevé que la société Roussin et M. Coyette avaient été commissionnés par la société AGU, la première sur la base de 11,04 % en moyenne, le second sur celle de 6,49 % en moyenne, ce qui à peu de choses près correspondait bien à la répartition 2/3-1/3 évoquée précédemment ;
Considérant que cette répartition, qui avait déjà été pratiquée dans deux autres affaires où était intervenue la société Roussin, a cessé en 1984 lorsque la société Energies a pris la succession de M. Coyette ;
Considérant que la société AGU n'a jamais dénoncé les engagements pris et a, au contraire, reconnu dans sa lettre du 4 novembre 1988 qu'ils étaient toujours en vigueur, en invitant la société Energies à rechercher avec la société Roussin une solution au litige ;
Considérant que c'est vainement que la société AGU tente de réduire le rôle de la société Roussin à celui d'un "indicateur ponctuel", alors qu'ainsi que le rappelait l'expert, la société Roussin, qui était en relation avec le bureau d'études d'EDF de Marseille dont dépendait la centrale de Golfech, avait été l'initiateur et le démarcheur permanent auprès d'EDF pour la fourniture des produits Abel à la centrale de Golfech ; qu'elle avait également participé à l'élaboration du cahier des charges ;
Considérant enfin, quel'absence de réclamation de ses commissions pendant quatre ans est sans incidence sur le droit de la société Roussin à obtenir ce qui lui est dû et auquel elle n'a jamais renoncé ;
Considérant qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris ;
Considérant que la demande additionnelle de paiement de commissions de 1990 à 1992 n'est justifiée par aucun document probant et sera rejetée ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Roussin une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;
Sur l'appel en garantie
Considérant que les engagements pris par la société AGU à l'égard de la société Roussin sont inopposables à la société Energies, peu important que Mme Henry, signataire de la lettre du 29 novembre 1983 au nom de la société AGU, fût devenue par la suite la dirigeante de la société Energies ;
Considérant que les commissions, au demeurant fortement réduites par rapport au passé, qu'a versées la société AGU à la société Energies ont correspondu à la juste rémunération qu'elle a estimé lui devoir en fonction du travail fourni ;
Considérant que la société Energies, de même que son prédécesseur M. Coyette, n'ont jamais promis de rétrocéder une partie de leurs commissions à la société Roussin ;
Considérant qu'il convient donc de débouter la société AGU de son appel en garantie ;
Considérant qu'elle paiera à la société Energies une somme de 10.000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement ; Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Energies à garantir la société Agence Générale d'Usines de toutes les condamnations prononcées au bénéfice de la société Roussin et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens ; Statuant à nouveau ; Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ; Déboute la société Agence Générale d'Usines de son appel en garantie à l'encontre de la société Energies ; Décharge celle-ci de toutes condamnations, Confirme les dispositions non contraires du jugement, Y ajoutant ; Condamne la société Agence Générale d'Usines à payer à chacune des sociétés Roussin et Energies une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du NCPC ; Condamne la société Agence Générale d'Usines aux dépens de première instance et d'appel, et accorde pour ceux d'appel aux SCP Lissarrague Dupuis et Jullien Lecharny Rol, le bénéfice de l'article 699 du NCPC.