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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 3 juin 1998, n° 9704570

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Dubix (SNC)

Défendeur :

Le Breton, Etablissements Dupuis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

MM. Van Ruymbeke, Poumarede

Avoués :

Mes D'Aboville & De Moncuit St Hilaire, Gautier

Avocats :

Mes Bronquard-Angelini, Pomies.

T. com. Quimper, du 16 mai 1997

16 mai 1997

EXPOSE DES FAITS - PROCEDURE - OBJET DU RECOURS

Aux termes d'un contrat ayant pris effet le 1er janvier 1996 [sic], la société Dubix a confié aux Etablissements Dupuis l'exclusivité de vendre du matériel de blanchisserie sur le Finistère. Le contrat, conclu pour deux ans, était renouvelable par tacite reconduction chaque année. Un quota, révisable en fonction du chiffre d'affaires global de la société Dubix, était prévu, soit à l'origine 250.000 F de chiffre d'affaires annuel.

A défaut pour le concessionnaire de réaliser 70 % du quota sur un an ou 85 % durant deux années consécutives, la société Dubix avait la faculté de vendre directement le matériel sur le secteur du concessionnaire. La société Dubix s'était réservé le même droit en cas de délaissement par le concessionnaire de façon systématique. A partir de 1992, les relations entre les parties se sont dégradées.

Par jugement rendu le 16 mai 1997, le tribunal de commerce de Quimper a condamné, avec exécution provisoire, la société Dubix à payer :

- à la société Etablissements Dupuis 300.000 F à parfaire au titre d'arriérés de commissions (le tribunal ayant ordonné une expertise pour le surplus),

- à Georges Le Breton 1.000.000 de F à titre d'indemnité de rupture du contrat de concession exclusive après avoir prononcé sa résolution judiciaire au torts de la société Dubix,

- à Georges Le Breton et à la société Etablissements Dupuis 5.000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Par acte du 19 juin 1997, la société Dubix a formé appel de ce jugement.

MOYENS PROPOSES PAR LES PARTIES

A l'appui de son appel, la société Dubix fait valoir que :

- elle a appris en cours de procédure que par acte du 13 avril 1979, le fonds ayant appartenu à l'origine à Mme Dupuis avait été donné en location-gérance à la société Etablissements Dupuis,

- à la suite du décès de Mme Dupuis, survenu le 5 mai 1991, son fils Georges Le Breton, seul légataire, a continué à assurer le contrat de location-gérance,

- l'assignation et les actes subséquents sont nuls, car la société Etablissements Dupuis n'avait plus d'activité commerciale lorsqu'elle a délivré l'assignation, aussi n'avait-elle pas la capacité d'ester en justice,

- ni Georges Le Breton, ni la société Etablissements Dupuis n'avaient de qualité à agir puisque le contrat a été initialement signé avec Mme Dupuis et que l'exclusivité n'était ni cessible, ni transmissible, sauf accord écrit de la société Dubix,

- l'action de Georges Le Breton est irrecevable puisque le fonds a été cédé à M. Coadou le 18 janvier 1996 et que le 8 novembre 1995, date relevée par les demandeurs au titre de la résiliation du contrat de concession, seule la société Etablissements Dupuis était en droit de faire valoir ses droits (Georges Le Breton n'étant alors que propriétaire du fonds),

- la rupture des relations est exclusivement imputable à la société Etablissements Dupuis, qui n'a pas tenu compte des avertissements donnés en raison du mécontentement des clients,

- elle a dû nouer des contacts directs avec la clientèle afin de ne pas la perdre et elle n'a commis aucune faute,

- aucune commission n'est due à la société Etablissements Dupuis et Georges Le Breton ne justifie d'aucun préjudice.

En conséquence, la société Dubix demande à la Cour de dire que l'assignation est nulle et que Georges Le Breton comme la société Etablissements Dupuis sont irrecevables en leurs demandes faute de qualité à agir. Subsidiairement, elle conclut au rejet de leurs demandes. Enfin elle réclame 100.000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et injustifiée et 50.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Georges Le Breton et la société Etablissements Dupuis font valoir que :

- les demandes en défaut de capacité et de qualité à agir ainsi que celles tendant à l'annulation de l'assignation sont irrecevables comme étant nouvelles en instance d'appel,

- la société Etablissements Dupuis justifie d'une immatriculation régulière lors de l'introduction de l'instance et des actes subséquents, le transfert de siège n'ayant aucune incidence,

- la société Dubix, qui fait preuve de mauvaise foi, connaissait la situation et le rôle de Georges Le Breton au sein de la société Etablissements Dupuis et des relations commerciales ont effectivement existé entre la société Dubix et la société Etablissements Dupuis,

- le fonds s'est trouvé dévalué par la faute de la société Dubix et Georges Le Breton subit un important préjudice en sa qualité de propriétaire du fonds,

- le contrat d'exclusivité n'a pu être cédé à M. Coadou, aussi la valeur du fonds cédé en a-t-elle été affectée,

- le pré-rapport de l'expert fait état de commissions impayées s'élevant à 333.168 F,

- le concédant a commis une faute grave en ne respectant pas l'exclusivité concédée par lui et en procédant à des ventes directes,

- les griefs qui leur sont reprochés sont marginaux.

Ils concluent à la confirmation de la décision déférée, sauf à porter la provision à 333.168 F, concluent à l'irrecevabilité des demandes nouvelles de la société Dubix et sollicitent 10.000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Ils ont déposé de nouvelles pièces et conclusions le 20 avril 1998, soit 3 jours avant que n'intervienne l'ordonnance de clôture. La société Dubix conclut à leur rejet.

MOTIFS DE L'ARRET

Les conclusions

Considérant au préalable que l'ordonnance de clôture, au vu des dispositions de l'article 784 du Nouveau code de procédure civile, ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; qu'en l'espèce aucune cause grave n'est intervenue ni même alléguée ;

Considérant par conséquent que les conclusions et pièces déposées par Georges Le Breton et la société Etablissements Dupuis le 20 avril 1998, soit 3 jours avant que n'intervienne l'ordonnance de clôture, seront écartées des débats pour violation du principe du contradictoire, la société Dubix n'ayant pu en prendre connaissance et y répondre en temps utile ;

Les demandes nouvelles présentées par la société Dubix

Considérant que les parties peuvent invoquer en instance d'appel des moyens nouveaux justifiant les prétentions qu'elles ont soumises au premier juge ; que tel est le cas des moyens présentés par la société Dubix relatifs à la nullité pour des motifs de fond, et non de forme, de l'assignation résultant du défaut de qualité à agir des défendeurs ; qu'au surplus ces moyens nouveaux ont pour but de faire écarter les prétentions adverses ; que ces moyens sont ainsi recevables ;

L'assignation

Considérant que la société Etablissements Dupuis justifie d'une immatriculation régulière lors de l'introduction de l'instance et des actes subséquents ; qu'en effet :

- l'extrait du registre du commerce du tribunal de commerce de Quimper produit fait état d'une radiation d'office intervenue le 26 avril 1996, c'est-à-dire postérieurement à l'assignation et, de surcroît fait état d'un transfert du siège à Paris sous le numéro 96 B 12198,

- celui du tribunal de commerce de Paris sous le numéro 96 S 12198 fait état d'une immatriculation enregistrée le 12 septembre 1996 et d'un transfert le 26 avril 1996 ;

Considérant que le seul transfert de son siège à Paris n'a pu avoir aucune incidence sur la validité de l'assignation et des actes postérieurs, celle-ci disposant de la personnalité morale et de la capacité à agir en justice ; qu'il en est de même de l'absence d'activité commerciale durant quelques mois, du 27 décembre 1995 au 26 avril 1996 ;

La recevabilité

Considérant que le contrat initial a été conclu entre la société Dubix et les Etablissements Dupuis, lesquels bénéficiaient d'une exclusivité de vente personnelle non cessible et non transmissible, sauf accord écrit du concédant ;

Considérant que Georges Le Breton et la société Etablissements Dupuis font valoir que le contrat a été signé à l'origine par M. Girard, avec lequel Mme Dupuis était remariée; qu'il est produit la copie d'un courrier adressé le 5 septembre 1985 par M. Gardot, directeur commercial de la société Dubix, aux Etablissements Dupuis, à l'attention de " M. Breton ", précisant qu'ils considéraient M. Girard comme "l'homme de la blanchisserie" ; que la société Dubix apparaît ainsi mal fondée à soutenir qu'elle n'avait traité qu'avec Mme Dupuis ;

Considérant que M. Gardot ajoutait dans ce même courrier qu'il connaissait le rôle de "M. Breton" ainsi que les statuts des Etablissements Dupuis ; qu'il s'adressait à lui en tant qu'interlocuteur ; que les papiers commerciaux des Etablissements Dupuis mentionnaient sa forme sociale ; que l'extrait du registre du commerce du tribunal de commerce de Quimper produit par la société Dubix mentionne que la société était locataire-gérante du fonds depuis 1979, donc bien avant l'envoi du courrier du 5 septembre 1985 ;

Considérant que le contrat a trouvé application de 1976 à 1991 sans que des difficultés majeures apparaissent ;

Considérant que ces éléments établissent que le contrat a été renouvelé en connaissance de cause durant toute cette période par les deux partenaires ; que la société Dubix avait accepté de renouveler ce contrat avec les Etablissements Dupuis, dont seule la forme juridique avait changé, une société ayant été constituée ;

Considérant que le fonds de commerce, qui appartenait à l'origine à Mme Dupuis, puis à M. Le Breton (lequel en avait hérité de sa mère, décédée le 5 mai 1991), avait été donné en location-gérance à la société Dupuis le 13 avril 1979 ;

Considérant qu'il n'a été mis fin amiablement au contrat de location-gérance par M. Le Breton et la société Dupuis que le 27 décembre 1995 ; que, le 18 janvier 1996, M. Le Breton et son épouse cédaient le fonds de commerce; que, dans leur assignation, M. Le Breton et la société Dupuis demandaient que la résolution judiciaire du contrat de concession exclusive soit prononcée le 8 novembre 1995, cette résolution ayant des effets patrimoniaux les affectant ; que cette date est en effet antérieure à la résiliation du contrat de location-gérance et de la cession du fonds ;

Considérant ainsi que la société Dupuis avait qualité et intérêt à agir ; que l'action de la société Dupuis est donc recevable ;

Considérant de même qu'il est versé plusieurs correspondances adressées par la société Dubix à "M. Le Breton Etablissements Dupuis" en 1991, 1992 et 1993 ; que, le 10 septembre 1993, la même société, qui n'hésite pas à prétendre dans ses écritures - faisant ainsi preuve d'une mauvaise foi manifeste - qu'elle n'a jamais su que son interlocuteur avait changé, écrivait à l'un de ses clients en faisant expressément état de la qualité de "concessionnaire" de M. Le Breton ;

Considérant qu'en sa qualité de propriétaire du fonds, celui-ci avait lui aussi un intérêt direct et personnel à agir ;

Le fond

Considérant que les fautes reprochées par la société Dubix sont caractérisées, puisque :

- le 7 novembre 1991 un client se plaignait auprès de la société Dubix d'une panne, affectant un matériel livré, apparue le 30 octobre et de retards dans le service après-vente (reprochés aux Etablissements Dupuis),

- la société Dubix a adressé une lettre de reproches à M. Le Breton Etablissements Dupuis le 13 février 1992 sur l'existence de retards,

- en mars 1992 une mise au point a dû être faite sur place,

- par un courrier du 30 avril 1992, la société Dubix informait son concessionnaire qu'elle avait dû traiter directement avec certains clients qui l'exigeaient, par crainte de la concurrence,

- le 20 mai 1992, M. Le Breton prenait acte par écrit des conseils prodigués par le concédant et s'engageait à les suivre, reconnaissant qu'il avait perdu des affaires,

- par un courrier du 12 juin 1992, le concédant informait son concessionnaire qu'il maintenait sa décision de traiter directement avec certains clients, s'engageant à les limiter en nombre et se plaignait de son absence lors d'une réunion d'information,

- il est versé par le concédant de nombreuses lettres de clients se plaignant de carences graves des Etablissements Dupuis : Résidence Mieux vivre sa retraite (absence de déplacements des Etablissements Dupuis lors de la mise en service de machines en mai 1995), hôpital de Lanmeur (délais d'intervention de plus en plus longs des Etablissements Dupuis sur des matériels de buanderie installés durant plusieurs années l'ayant conduit à changer de fournisseur), maison de retraite de Taule (carences des Etablissements Dupuis lors du service après-vente, inexistence de la formation sur des matériels neufs, recours à un tiers pour résoudre les difficultés), fondation hospitalière de Plouescat (recours à la concurrence compte tenu de la déficience des Etablissements Dupuis), maison de retraite de Mont Le Roux (laquelle se félicite d'avoir demandé à traiter directement avec la société Dubix compte tenu des "défaillances répétées" des Etablissements Dupuis), hôpital Le Jeune (demande d'intervention directe du concédant au vu de l'incompétence des Etablissements Dupuis), association les Genets d'Or (recours à la société Dubix au vu des problèmes rencontrés avec les Etablissements Dupuis lors du service après-vente) ;

Considérant ainsi que le concessionnaire a commis de graves négligences et n'a pas respecté ses propres obligations envers la clientèle; que de nombreux clients ont sollicité La société Dubix afin qu'elle intervienne directement pour pallier à la carence des Etablissements Dupuis; que c'était le seul moyen pour elle d'éviter de perdre sa clientèle, dans un marché soumis à la concurrence; qu'en outre le concessionnaire ne s'est pas présenté lors des séminaires annuels de la société Dubix en 1994 et 1995;

Considérant que le délaissement systématique de la clientèle par le concessionnaire permettait au concédant, au vu de l'article V du contrat, de traiter directement avec la clientèle; qu'il n'avait en l'espèce pas d'autre alternative, sous peine de perdre sa clientèle au vu des carences répétées du concessionnaire; qu'elle l'en a d'ailleurs informé, et ce par courriers; que l'approvisionnement direct par le fournisseur des clients situés dans le territoire exclusif était justifié par l'exception d'inexécution; que le concessionnaire a persisté dans cette inexécution;

Considérant enfin qu'il a été mis fin au contrat de location-gérance par M. Le Breton et la société Dupuis que le 27 décembre 1995 ; qu'ainsi le contrat a été rompu à l'initiative du concessionnaire, lequel avait préalablement fait preuve de carences graves dans l'exécution du contrat ; que ni M. Le Breton, ni la société Dupuis, qui ne subissent aucun préjudice, ne peuvent prétendre à une quelconque indemnisation liée à la rupture du contrat ; qu'en particulier M. Le Breton, compte tenu de ce comportement et de la perte de son crédit auprès de la clientèle, ne peut se plaindre d'une moins-value lors de la cession du fonds liée à la rupture du contrat ;

Considérant qu'au vu des carences du concessionnaire, seule une expertise est de nature à fixer le solde des commissions dues ; que le jugement a prescrit à tort le paiement d'une provision de 300.000 F, compte tenu des négligences du concessionnaire et des contestations émises par le concédant ;

Considérant qu'il convient en conséquence de réformer la décision déférée, sauf en ses dispositions relatives au principe du paiement des commissions dues et à l'expertise justement ordonnée ; que le recours de la société Dubix étant justifié pour une large part et les demandes présentées par Georges Le Breton et la société Etablissements Dupuis exorbitantes et pour la majeure partie non fondées, ces derniers ne sont pas fondés à réclamer le remboursement de leurs frais irrépétibles et supporteront la totalité des dépens ;

Considérant que si la société Dubix n'apporte pas la preuve du préjudice que serait censée lui occasionner la procédure qu'elle estime abusive, il est en revanche inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme globale de 10.000 F ;

Par ces motifs : La COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Ecarte des débats les conclusions et pièces déposées par Georges Le Breton et la société Etablissements Dupuis le 20 avril 1998 ; Confirme le jugement déféré en ses seules dispositions relatives au principe du paiement des commissions restant dues par la société Dubix à la société Etablissements Dupuis ainsi qu'à la désignation d'un expert afin de procéder à leur évaluation, Réforme le jugement en toutes ses autres dispositions ; Rejette la demande de provision présentée par la société Etablissements Dupuis au titre des commissions ; Condamne Georges Le Breton et la société Etablissements Dupuis à payer à la société Dubix la somme globale de 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne Georges Le Breton et la société Etablissements Dupuis à l'ensemble des dépens, ceux d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.