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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 24 novembre 1998, n° 97003218

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rifobois (SARL)

Défendeur :

Belipa (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frizon de Lamotte

Conseillers :

Mlle Courbin, M. Ors

Avoués :

SCP Boyreau, SCP Fonrouge-Barennes-Gautier

Avocats :

Mes Chambonnaud, Vandenbogaerde

T. com. Bordeaux, du 10 mars 1997

10 mars 1997

Par acte du 10 juin 1997, la SARL Rifobois a relevé appel d'un jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 10 mars 1997 qui, après avoir constaté que le contrat d'agent commercial la liant à la SA Belipa avait été rompu sans que l'origine fautive de cette rupture puisse être imputée en totalité à l'une ou à l'autre des sociétés, a condamné la SA Belipa à lui verser une somme de 230 230 F.

La SARL Rifobois a conclu le 9 octobre 1997. Elle soutient que n'ayant commis aucune faute, la réformation de la décision entreprise s'impose.

Elle expose que, sans qu'un contrat ne soit signé, elle a commercialisé dans le grand Sud-Ouest à compter du mois de juin 1991 les produits de l'intimée.

A partir de 1994 elle a commencé à distribuer les parquets laminés fabriqués par une société EPI et commercialisés par la société KTA. A partir de 1995 la société KTA a cessé son activité et EPI a commercialisé ses produits par son intermédiaire.

De son coté la SA Belipa est entrée en relation avec la société KTA à partir du mois de novembre 1994 et ne lui a passé une première commande qu'en mai 1995.

Dès que la SA Belipa a appris ces doubles relations, elle a tout tenter pour la faire renoncer à sa collaboration avec EPI.

La SA Belipa lui a alors offert de lui verser une somme de 300 000 F HT au titre d'indemnité de rupture. Or celle-ci, suivant les critères usuels, se monte à 460 460 F. Devant le refus de la SA Belipa de lui régler cette somme elle saisissait les premiers juges.

Elle soutient que l'intimée ne lui a jamais reproché de faute grave et qu'elle n'en a démontré aucune.

N'ayant commis aucune faute grave et n'ayant pas démissionné elle a droit à l'indemnité de fin de contrat soit 460 560 F HT outre 57 557 F à titre d'indemnité de préavis et une somme identique au titre de l'indemnité de retour sur échantillonnages. Elle désire de plus 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'intimée a répliqué le 6 février 1998. Elle expose qu'en 1994 souhaitant étendre ses gammes de produits elle est entrée en contact avec la société KTA. En octobre 1994, elle a réuni l'ensemble de son service commercial pour déterminer dans quelles conditions les produits fabriqués par KTA pouvaient être commercialisés. Une autre réunion eut lieu en juillet 1995 et en juin 1995, l'ensemble des commerciaux était informé que les produits KTA étaient disponibles.

C'est dans les dernières semaines de l'année 1995 qu'elle était informée des liens entre l'appelant et KTA. Des négociations intervenaient, ne pouvaient être menées à bonne fin.

L'intimée conteste l'existence d'une offre transactionnelle et soutient l'existence d'une faute grave.

Elle sollicite en conséquence que la décision entreprise soit réformée et demande l'indemnisation de son préjudice qu'elle chiffre à 632 120 F. Elle désire en outre 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'appelante a répliqué le 31 août 1998. Elle s'oppose au rejet des débats des documents échangés durant les discussions transactionnelles. Elle soutient qu'elle bénéficie d'une antériorité sur la distribution des produits KTA devenue EPI.

Elle avance que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la demande reconventionnelle de l'intimée ne constituait qu'un ajustement de cause.

La SA Belipa a conclu en réponse le 25 septembre 1998. Elle conclut sur le rejet des débats des pièces échangées durant les pourparlers, sur la prétendue antériorité de distribution des produits KTA par l'appelante et sur la prétendue non concurrence des produits vendus.

Sur quoi, la COUR,

Attendu qu'il n'y a lieu d'écarter des débats des pièces qui ne présentent aucun caractère de confidentialité et qui de plus ont été communiquées en première instance par la partie qui en sollicite le rejet en cause d'appel.

Attendu que des transactions non abouties ne peuvent être retenues dans le cadre d'un débat judiciaire ni être constitutives de droits pour l'une ou l'autre des parties.

Attendu qu'il résulte de l'attestation de Madame Van Gelder, gérante de la société KTA qui a distribué pendant un temps les produits de la société Epi, qu'elle est entrée en relations d'affaires avec la SARL Rifobois en mai 1994, qu'elle n'a noué des contacts avec la SA Belipa qu'à compter du mois de juillet 1994 et que cette relation ne s'était pas concrétisée par des commandes au mois de mars 1995.

Attendu que le début des relations est confirmé par la SA Epi qui indique que les échanges commerciaux ont débuté avec la SARL Rifobois à compter du mois de juin 1994.

Attendu que si la SA Belipa conteste les éléments rapportés dans ces pièces, elle ne produit aucun document attestant de la fausseté des affirmations qu'elles contiennent et ne soutient pas avoir diligenté une procédure pénale.

Attendu qu'ainsi les relations entre les sociétés KTA et EPI d'une part et la SARL Rifobois d'autre part ont débuté en mai-juin 1994 alors que les relations des premières avec la SA Belipa n'ont débuté qu'au mois de juillet 1994.

Attendu que la SA Belipa ne peut donc prétendre à aucune antériorité et la SARL Rifobois n'a commis aucune faute en entrant en relation avec une entreprise fabriquant des produits qui n'étaient pas concurrents de ceux qu'elle distribuait au profit de la SA Belipa.

Mais attendu que l'article 4 de la loi du 25 juin 1991 édicte que les rapports entre l'agent commercial et son mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.

Qu'il résulte des pièces produites aux débats, en particulier de l'attestation de Monsieur Feraud, que les 6 octobre 1994 et 18 juillet 1995 la SA Belipa a organisé des réunions pour informer les différents commerciaux intervenant pour son compte qu'elle allait commercialiser des parquets mélaminés, qu'il n'est pas contesté que l'appelante ait été présente à ses réunions.

Qu'il appartenait donc à cette dernière, dès qu'elle a eu connaissance de cette future commercialisation, qu'elle informe son mandant qu'elle représentait des produits concurrents quelqu'en soit le fabriquant.

Attendu qu'ainsi la SARL Rifobois a commis une faute non seulement en omettant de porter ce fait à la connaissance de son mandant mais aussi en assistant aux réunions au cours desquelles ce dernier mettait au point la stratégie pour la vente de ce produit.

Attendu qu'aucune absence de mise en demeure ne peut être reprochée à la SA Belipa puisqu'il résulte des propres écritures de la SARL Rifobois que "la société Belipa tenta par tous moyens (pressions verbales, téléphoniques, courrier...) de la faire renoncer à sa collaboration avec Epi."

Attendu que le manquement au devoir de loyauté dû par un agent commercial à son mandant constitue une faute grave ce qui exclut le versement de l'indemnité de résiliation et de l'indemnité de préavis, qu'ainsi seule l'indemnité prévue par l'article 7 de la loi du 25 juin 1991 soit 57 557 F HT avec intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 1996 doit être versée.

Attendu que la SA Belipa sollicite l'indemnisation de son préjudice qu'elle chiffre à 632 120 F pour la perte de chiffre d'affaires et la désorganisation de son réseau commercial, qu'il faut relever que sa perte de chiffre d'affaires est la conséquence de la désorganisation de son réseau commercial, qu'elle ne peut donc obtenir deux indemnisations pour un même préjudice.

Attendu que la SA Belipa fixe sa perte, compte tenu de sa marge brute et de ses frais professionnels, à 710 000 F, somme qu'elle réduit à 300 000 F au regard de la situation difficile du marché et d'une baisse générale du prix de vente moyen.

Qu'au vu de ces éléments reconnus mais non chiffrés, la cour accordera à la SA Belipa la somme de 100 000 F au titre de son préjudice.

Attendu qu'il n'apparait pas inéquitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Attendu que la SARL Rifobois supportera les dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs : LA COUR, Déclare la SARL Rifobois mal fondée en son appel principal ; Déclare la SA Belipa fondée en son appel incident, en conséquence y faisant droit réforme la décision entreprise dans toutes ses dispositions et statuant de nouveau ; Condamne la SA Belipa à payer à la SARL Rifobois la somme de 57 557 F avec intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 1996 ; Condamne la SARL Rifobois à payer à la SA Belipa la somme de 100 000 F ; Dit qu'il n'y a lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de la SARL Rifobois, application étant faite de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.