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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 5 avril 2001, n° 1998-17811

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Spilers (SARL)

Défendeur :

JM Lorcy (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

M. Faucher, Mme Briottet

Avoués :

SCP Bommart-Forster, SCP Bernabe-chardin-Chevieller

Avocats :

Mes Picandet, Jourdan

T. com. Paris, 5e ch., sect. A, du 19 ju…

19 juin 1998

LA COUR est saisie de l'appel interjeté par la SARL Spilers du jugement contradictoirement rendu le 19 juin 1998 par le Tribunal de commerce de Paris qui, dans le litige l'opposant à la SA JM Lorcy, a fixé à 111 277,06 F sa créance sur l'intimée au 30 septembre 1997 et a débouté les parties de toutes autres demandes.

Au soutien de son recours, l'appelante, agent commercial de la société JM Lorcy, fait valoir dans ses dernières conclusions du 26 octobre 2000 :

- que l'arrivée de la société Intermarché dans le capital social de sa mandante a eu pour conséquence la perte de la clientèle des sociétés de grande distribution ou de la centrale d'approvisionnement de la Marine Nationale et la ruine de sa carte,

- que l'intimée ne l'a pas mise en mesure d'exécuter son mandat, a agi de mauvaise foi en ne dénonçant pas son contrat au moment de la prise de participation de la société Intermarché et, par ses agissements, a commis une faute grave.

En conséquence la société Spilers prie la cour de réformer pour partie la décision critiquée et de condamner sa mandante à lui payer, outre 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une indemnité calculée sur les deux années de la moyenne des commissionnements annuels des trois dernières années, à compter de la prise de participation dans le capital de la société Lorcy, soit le 1er septembre 1997, et, subsidiairement, à compter de sa lettre du 29 octobre 1997.

Après avoir, dans ses ultimes écritures du 1er décembre 2000, constaté que son mandataire ne maintenait pas en cause d'appel sa demande d'arriérés de commissions, la société JM Lorcy réplique :

- qu'elle souhaite poursuivre, comme par le passé, ses relations commerciales avec son agent et que la participation, de surcroît minoritaire, de la société Intermarché dans son capital n'a jamais été une cause de résiliation du mandat,

- que c'est à tort que l'appelante prétend qu'elle lui interdirait d'exercer son mandat,

- que la société Spilers avait un comportement surprenant vis-à-vis de ses clients,

- que le motif réel de la demande de la société Spilers réside dans le fait que son gérant ne parviendrait pas à céder ses parts sociales,

- que "l'effondrement" du chiffre d'affaires est antérieur à l'arrivée du groupe Intermarché puisqu'il remonte à 1995,

- que si la cour estime que la poursuite des relations commerciales avec la société Spilers n'est plus possible, leur rupture est imputable à la société Spilers.

Dès lors l'intimée conclut à la confirmation de la décision du tribunal ou, à titre subsidiaire, à la résiliation du contrat d'agent aux torts et griefs de la société Spilers et, en tout état de cause, à sa condamnation au paiement d'un indemnité de 50 000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce,

Considérant qu'il est constant que, agent commercial de la société JM Lorcy depuis une vingtaine d'aimées, la société Spilers a fait assigner sa mandante devant le Tribunal de commerce de Paris le 15 octobre 1996 pour que les Juges consulaires la déclarent responsable de la rupture de leurs relations contractuelles ;

Que, ayant été déboutée de cette demande par le jugement du 19 juin 1998, aujourd'hui déféré à la cour, qui a décidé que le contrat non écrit liant les parties se poursuivait, l'appelante a adressé à la société JM Lorcy le 28 octobre 1998 une lettre dans laquelle elle considérait une nouvelle fois que sa mandante avait mis fin au contrat litigieux, sans préavis, à compter du 1er octobre 1998, ce qu'a toujours contesté celle-ci ;

Que, reprenant les reproches contenus dans cette missive, la société Spilers fait valoir que, suite à la prise de participation, au mois de juillet 1997, de la société Intermarché dans son capital, la société JM Lorcy lui a fait perdre des clients et s'est trouvée à l'origine de difficultés avec le Service Central d'Approvisionnement des Ordinaires et des Marins (SCADOM) ;

Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 4 de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants : "L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat" ;

Considérant en l'espèce que nul ne conteste l'absence de faute de l'appelante dans l'exécution de son mandat et la prise de participation de la société Intermarché dans le capital de la société JM Lorcy au mois de juillet 1997 ;

Qu'il est par ailleurs justifié que, en raison même de cette entrée de la société Intermarché au sein de l'intimée, d'une part, comme cela résulte d'une lettre de la société Aldis et d'une télécopie de la société Erteco, ces sociétés, clientes de la société Spilers, ont renoncé à poursuivre leurs relations avec la société Lorcy, d'autre part, comme il en est attesté, deux agents commerciaux, Guenier & Associés et Claude Chambon, ont refusé la reprise de la "carte Lorcy" puisque, comme l'un d'eux l'a expliqué, se faisant ainsi l'écho d'articles parus dans la presse, cette société "sera inévitablement boycottée par tous les autres distributeurs ;

Qu'en outre, si le chiffre d'affaires de l'appelante avait déjà décliné avant 1997, comme se plait à le souligner l'intimée, il n'en demeure pas moins que ce processus n'a fait que s'amplifier postérieurement à la prise de participation de la société Intermarché puisque, comme cela résulte du tableau communiqué par la société JM Lorcy, de 1,9 millions au troisième trimestre de l'année 1997, le chiffre d'affaires de la société Spilers a constamment décru pour passer à 0,7 millions au cours du 4e trimestre 1998 ;

Considérant que, ceci étant, si aucune faute ne peut être reprochée à la société Lorcy, laquelle a la maîtrise de son capital, il n'en demeure pas moins que c'est en raison de la nouvelle composition de celui-ci que, confrontée à la rupture de marchés par des clients concurrents de la société Intermarché, l'appelante s'est trouvée contrainte de prendre, en fait, dans sa lettre du 29 octobre 1998 confirmée le 30 novembre 1998, l'initiative de la rupture qui, en dernière analyse, est imputable à la nouvelle stratégie économique et financière de la société Lorcy ;

Considérant de la sorte que,conformément aux dispositions des articles 12 et 13 de la loi du 25 février 1991 précitée, la société Spilers est en droit d'obtenir une indemnité compensatrice en réparation de son préjudice;

Qu'à cet égard si le montant de l'indemnité réclamée n'est pas déterminé, il est déterminable dans ses conclusions et au regard des éléments communiqués qui la chiffrent à 2 079 031,49 F TTC en tenant compte des commissions perçues en 1994, 1995 et 1996 ;

Considérant que la rupture du contrat est la conséquence d'une perte de clientèle et d'une dévalorisation de la "carte Lorcy"; que dès lors, compte tenu en particulier de l'ancienneté des relations contractuelles et des commissions perçues en 1995, 1996 et 1997, celles de 1998 ne pouvant être retenues en raison de la perte consommée de clientèle, la cour possède les éléments d'appréciation suffisants pour évaluer à 1 305 000 F le préjudice de la société Spilers ;

Considérant qu'il est équitable d'allouer à l'appelante une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que la société Lorcy, partie perdante, ne peut obtenir le remboursement de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en ses dispositions non contraires au présent arrêt, l'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau : Condamne la société JM Lorcy à payer à la société Spilers une indemnité de rupture de 1 305 000 F et une indemnité de rupture de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les parties de toutes autres demandes ; Condamne la société JM Lorcy aux dépens de première instance et d'appel; admet la SCP Caroline Bommart Forster, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.