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Décisions

Cass. com., 27 février 2001, n° 98-21.075

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Fray (SARL)

Défendeur :

Fina France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Viricelle

Avocats :

SCP Boré, Xavier, Boré, Me Blondel.

T. com. Paris, 8e ch., du 13 sept. 1995

13 septembre 1995

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Paris, 1er juillet 1998) et les productions, que par acte du 30 septembre 1994, la société Fina France a consenti à la société Fray la location-gérance d'un fonds de commerce de station-service, fonds appartenant jusqu'à cette date à la société Mobil dont la société Fray était mandataire chargé de vendre ses carburants ; que pendant toute la durée du contrat, le preneur s'était engagé à réserver à la société Fina l'exclusivité de ses achats de carburants et de produits lubrifiants et pétroliers connexes ; que les modalités de détermination du prix d'achat des produits par le preneur étaient contractuellement fixées ; que par acte du 13 juillet 1995, la société Fina a assigné la société Fray en paiement de certaines sommes, notamment au titre de la fourniture de carburants, la société Fray se prévalant reconventionnellement de la nullité du contrat ;

Sur le deuxième moyen, qui est préalable : - Attendu que la société Fray fait grief à l'arrêt d'avoir admis la validité de la convention du 30 septembre 1994, alors, selon le moyen, que l'information légale suppose une "présentation de l'état général et local du marché des produits et services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché" ainsi qu' "une présentation du réseau d'exploitants qui doit comporter : a) la liste des entreprises qui en font partie avec l'indication pour chacune d'elles du mode d'exploitation ; b) l'adresse des entreprises établies en France avec lesquelles la personne qui propose le contrat est liée par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, la date de conclusion ou de renouvellement de ces contrats ; c) le nombre d'entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la signature est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédent la délivrance du document. Le document doit préciser si le contrat est venu à expiration ou s'il a été résilié ou annulé" ; qu'en ne recherchant pas, ainsi que l'invitait la société Fray dans ses conclusions d'appel, si l'absence de ces informations relatives à l'évolution du réseau Fina dans lequel elle entrait pour la première fois, en conséquence de l'échange conclu par Fina avec la société Mobil, ancien loueur, l'empêchait de s'engager en connaissance de cause et viciait par-là même son consentement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions combinées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 et de l'article 1er du décret du 4 avril 1991 ;

Mais attendu que l'arrêt énonce à bon droit que si la loi du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et à l'amélioration de leur environnement juridique et social est applicable en cas de location-gérance, il ne suffit pas de constater qu'il n'y a pas eu communication de l'avant-projet de contrat de location-gérance en cause pour que la nullité de celui-ci soit prononcée et qu'il faut que le défaut d'information prévue par ce texte ait eu pour effet de vicier le consentement du locataire-gérant ; que l'arrêt constate que tel n'est pas le cas en l'espèce où certaines énonciations du contrat renseignaient sur l'ancienneté et l'expérience de la société Fina et relève qu'il était inutile de rappeler les perspectives du marché pétrolier à un cocontractant qui était un professionnel de la distribution des carburants ; que l'arrêt énonce encore que les stipulations du contrat de location-gérance étaient par ailleurs claires et ne faisaient nullement référence comme c'est souvent le cas dans les contrats voisins de mandat de distribution à l'application d'une formule mathématique ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations dont il ressort que contrairement aux allégations du moyen, la cour d'appel a procédé à la recherche prétendument omise des conséquences du défaut d'information sur le consentement de la société Fray, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Fray reproche à l'arrêt d'avoir admis la validité de la convention conclue entre les parties le 30 septembre 1994, alors, selon le moyen : 1°) que l'énumération des abus d'une situation de dépendance économique énoncés à l'article 8, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est purement indicative ; qu'en se bornant à énoncer que la société Fray ne rapportait nullement la preuve des conditions de vente discriminatoires sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par la société Fray dans ses conclusions d'appel, si, à la faveur de la clause relative au prix d'achat des carburants, lui permettant d'imposer au pompiste un prix d'achat égal au prix de détail le plus élevé pratiqué par l'une des quatre stations-service de référence sous déduction d'une marge de 14 centimes, la société pétrolière s'immisçait dans la gestion du fonds donné en location-gérance en conservant la maîtrise des prix de revente et des marges de la SARL distributive, ce qui était de nature à caractériser une exploitation abusive de la situation de dépendance dans laquelle se trouvait vis-à-vis de la société Fina, la SARL locataire-gérante du fonds appartenant à la société pétrolière et liée à elle par une double exclusivité d'approvisionnement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ; 2°) qu'à titre subsidiaire, est réprimé pénalement le fait par toute personne d'imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'une marge commerciale ; que la cour d'appel qui a relevé que, selon la clause relative au prix d'achat des carburants, ce prix devait être "au minimum inférieur de 0,14 francs HT du prix le plus élevé relevé par le preneur dans chaque catégorie de produits dans quatre stations proches du point de vente expressément énumérées au contrat, ces données devant être communiquées au moins deux fois par semaine à Fina", mais qui n'en a pas déduit que, grâce à cette clause, la société pétrolière imposait directement le prix de revente des carburants ainsi qu'une marge de 0,14 francs HT chaque fois que le prix d'achat était fixé par elle au montant le plus élevé des prix de vente au détail pratiqués par les quatre stations de référence, moins quatorze centimes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard des dispositions d'ordre public de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 3°) qu'à titre subsidiaire, est réprimé pénalement le fait d'opérer ou de tenter d'opérer la hausse ou la baisse artificielle du prix des biens ou de services, en utilisant tout moyen frauduleux ; qu'en ne recherchant pas si la pratique de prix imposé aménagé par la clause relative au prix d'achat des carburants, constituait un moyen frauduleux d'opérer une hausse artificielle du prix des carburants dans la zone de chalandise où se trouvait le fonds de commerce donné en location-gérance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 52-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans sa rédaction issue de la loi du 16 décembre 1992 à compter de l'entrée en vigueur de cette loi ;

Mais attendu que l'arrêt constate que le prix d'achat des carburants par le preneur devait être au minimum inférieur de 0,14 francs HT du prix le plus élevé relevé par le preneur dans chaque catégorie de produit dans quatre stations proches du point de vente expressément énumérées au contrat ; que l'arrêt énonce que les modalités de fixation du prix d'achat des carburants laissaient en toute hypothèse à la société Fray une "marge" de 14 centimes par litres; que l'arrêt relève encore que la société Fray n'apporte nullement la preuve d'un abus dans la fixation du prix des carburants ; qu'en l'état de ces constatations dont il ressort que les clauses contractuelles garantissaient seulement un prix d'achat plafond du carburant en dessous duquel ce prix était négocié entre les parties, excluant ainsi les pratiques d'abus de dépendance économique par la maîtrise des prix de revente et d'imposition d'une marge minimum alléguées, la cour d'appel a légalement justifié sa décision sans violer les textes visés au moyen, lequel n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Fray fait grief à l'arrêt d'avoir écarté sa demande en paiement de dommages-intérêts et d'avoir dit que celle-ci n'avait droit qu'à la rémunération prévue par les accords interprofessionnels, alors, selon le moyen : 1°) qu'il ressort des conclusions d'appel de la société Fray que celle-ci formait, à titre subsidiaire, une demande en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui avait causé la société Fina en pratiquant, à la faveur de la clause relative au prix d'achat des carburants, des prix d'achat limitant abusivement sa marge de manœuvre dans la détermination de ses prix de revente et de ses marges et la privant, par là-même, des moyens de pratiquer des prix concurrentiels sur le marché de détail des carburants ; que dans des conclusions en réplique, la société Fray a chiffré le montant d'un poste de son préjudice à la somme de 509 874,39 francs, correspondant aux pertes d'exploitation subies en conséquence du manquement de la société pétrolière à son obligation d'exécuter le contrat de bonne foi et, par ailleurs, a sollicité une mesure d'expertise ayant pour objet de déterminer les "soutiens" ou "subventions" qui auraient été versés par la société Fina en application de prétendus accords interprofessionnels "dont celle-ci ne contestait pas l'application", après avoir demandé à la cour d'appel de prendre acte de ce que la société pétrolière reconnaissait le droit de la SARL locataire-gérante à percevoir une "rémunération minimale" en application de ces prétendus accords ; que dès lors, en prêtant à la société Fray une demande en paiement d'une rémunération fondée sur des accords interprofessionnels "dont elle-même n'aurait pas contesté l'application", la cour d'appel a entaché sa décision d'une dénaturation des conclusions d'appel de la société Fray et a par là- même méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) que sont prohibées, lorsqu' elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; qu'en déclarant applicables aux relations contractuelles les accords interprofessionnels invoqués par la société Fina sans rechercher si les dispositions combinées de ces accords et des contrats de location-gérance assortis de la convention d'approvisionnement exclusif en carburants -identiques dans tous les réseaux des compagnies pétrolières signataires- réduisent abusivement la marge des locataires-gérants et sont, par là-même, de nature à constituer des ententes ou pratiques concertées susceptibles de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de détail des carburants, au plan local comme au plan national, en privant les locataires-gérants de toute liberté de manœuvre appréciable en matière de prix de revente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 7 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, voire au regard de l'article 85 du traité de Rome ; 3°) qu'est prohibée, dans les mêmes conditions, l'exploitation abusive par un groupe d'entreprises d'une position dominante collective ; qu'en ne recherchant pas si la société Fina et les autres compagnies pétrolières membres du syndicat signataire des accords interprofessionnels dont la première revendiquait l'application en l'espèce, occupaient ensemble une position dominante sur le marché de gros des carburants sous marques dont elles abusaient en imposant aux locataires-gérants de leurs réseaux, notamment au moyen des prétendus accords interprofessionnels, des contrats assortis de clauses d'approvisionnement exclusif en carburants et de clauses de prix d'achat inéquitables pour ces produits, de nature à priver leurs cocontractants de toute possibilité de pratiquer des prix concurrentiels sur le marché de détail des carburants, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 8-1 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, voire au regard de l'article 86 du traité de Rome ;

Mais attendu, en premier lieu, que, selon les conclusions arguées de dénaturation, la société Fray sollicitait de la cour d'appel qu'elle constate que "l'exploitation de la station-service a généré une perte d'exploitation de 509 874,39 francs dont FINA est redevable au titre de la rémunération minimale prévue par les accords interprofessionnels dont elle ne conteste pas l'application", le défaut de contestation desdits accords étant imputée à la société Fina ; que l'arrêt énonce que la société Fray demande à la cour d'appel de condamner la société Fina à lui verser la somme de 509 874,39 francs dont Fina est redevable "au titre de la rémunération minimale prévue par les accords interprofessionnels", dont elle ne conteste pas l'application, en prêtant à la société Fray l'absence de contestation sur l'applicabilité des accords interprofessionnels ; qu'en l'état de ces énonciations dont il ressort que la société Fray elle-même fondait sa réclamation sur lesdits accords interprofessionnels, la cour d'appel n'a pas violé l'objet du litige ;

Attendu, en second lieu, qu'il ne ressort pas des conclusions que la société Fray ait formulé les critiques invoquées aux deuxième et troisième branches du moyen ; que celles-ci sont nouvelles et mélangées de fait et de droit ; Qu'il suit de là que le moyen, non fondé en sa première branche et irrecevable en ses deuxième et troisième branches, ne peut être accueilli ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.