CA Paris, 5e ch. A, 5 décembre 2001, n° 2000-08542
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Brasseries les Vosges 2000 (SA)
Défendeur :
Terrenoire, Soframex (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard-Payen
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
Mes Blin, Huyghe, SCP Teytaud
Avocats :
Mes Jacob, Potjzelgues, Renucci
La société Brasserie Les Vosges 2000 est appelante du jugement réputé contradictoire rendu le 22 janvier 1999 par le Tribunal de Commerce de Paris qui, retenant que le contrat d'agent commercial conclu entre Denise Belleville épouse Terrenoire et la société Soframex a été transféré lors de la mise en location-gérance du fonds de cette dernière à la société Brasserie Les Vosges qui l'a rompu fautivement le 31 octobre 1998, a notamment :
- condamné in solidum les sociétés Soframex et Brasserie Les Vosges 2000 à payer à Madame Terrenoire à titre provisionnel les sommes de 156.053,38 F, 28.475,41 F au titre des commissions non payées d'avril à septembre 1998 ainsi que 1 F à parfaire au vu des factures dont la remise était ordonnée pour le mois d'octobre 1998,
- condamné in solidum ces deux sociétés au paiement de trois années de commissions au titre de l'indemnité de préavis et de trois années au titre de l'indemnité de rupture, le montant exact des sommes dues devant être déterminé après fixation comme indiqué ci-dessus des commissions dues pour les mois d'avril à octobre 1998, la condamnation étant prononcée à titre provisionnel à hauteur de la somme de 500.000 F,
- dit que la charge finale des condamnations ci-dessus prononcées sera supportée par la seule société Brasserie Les Vosges 2000, la société Soframex étant subrogée dans les droits de Madame Terrenoire si elle était amenée à exécuter tout ou partie desdites condamnations,
- ordonné l'exécution provisoire contre fourniture d'une caution bancaire à hauteur de 250.000 F,
- condamné la société Brasserie Les Vosges 2000 à payer à Madame Terrenoire la somme de 25.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à supporter les dépens.
La société Brasserie Les Vosges 2000 (ci-après BLV) prie la Cour, réformant cette décision, de débouter Madame Terrenoire de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 25.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel. Elle fait valoir que le contrat d'agent commercial de Madame Terrenoire ne lui a pas été transmis par la société Soframex, qui l'a au contraire rompu à la date du 25 février 1998 et est de ce fait seule débitrice de l'indemnité de rupture allouée à l'agent. Elle demande enfin qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle propose de verser à Madame Terrenoire une somme égale à 2 % du chiffre d'affaires réalisé par celle-ci pour la période d'avril à octobre 1998 hors factures Eliance, ses relations commerciales avec ladite société étant indépendantes de l'intervention de Madame Terrenoire.
La société Soframex, intimée, et la SCP Mizon-Thoux représentant des créanciers et Philippe Le Moux, administrateur judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de redressement judiciaire, assignés en intervention forcée, demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait supporter à la société BLV la charge finale des condamnations, de donner acte à cette dernière de ce qu'en l'état du jugement de cession du 16 février 2001 et de l'engagement par elle pris elle renonce à poursuivre la société Soframex en paiement des sommes qu'elle aurait éventuellement réglées au titre de la condamnation solidaire prononcée contre elle et qu'elle fera son affaire personnelle du règlement des condamnations prononcées le 22 janvier 1999, de débouter Madame Terrenoire de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Soframex et de la condamner au paiement de la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux entiers dépens. Ils indiquent, pour le surplus, s'en rapporter à justice.
Denise Belleville épouse Terrenoire a signifié le 9 octobre 2001 des conclusions par lesquelles elle demande à la Cour de constater l'extinction de l'instance du fait de l'acquiescement de la société BLV au jugement entrepris et, à défaut, confirmer ledit jugement et y ajoutant condamner solidairement Soframex et BLV au paiement de diverses sommes. Le rejet de ces écritures ayant été sollicité par la société BLV au motif que l'ordonnance de clôture avait été rendue le 10 octobre 2001 Madame Terrenoire a signifié le 16 octobre 2001 des conclusions tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture et subsidiairement au renvoi des plaidoiries.
Sur ce, LA COUR
Sur la procédure :
Considérant que Madame Terrenoire demande à la Cour de révoquer l'ordonnance de clôture rendue le 10 octobre 2001 "par respect du principe du contradictoire et par application de l'article 784 du Nouveau Code de Procédure Civile", afin de voir déclarer recevables tant les conclusions signifiées le 9 octobre 2001 que les quatre pièces nouvelles communiquées, postérieurement à la clôture, le 16 octobre 2001 ; qu'elle fait valoir qu'elle ne pouvait conclure sur le fond avant que soit rendue l'ordonnance du magistrat de la mise en état sur les points dont elle l'avait saisi à la suite de l'évolution procédurale du litige, à savoir la reprise de Soframex par BLV et l'acquiescement au jugement de cette dernière à cette occasion.
Mais considérant que Madame Terrenoire n'a jamais conclu sur le fond avant le 9 octobre 2001 en dépit de l'injonction qui lui avait été délivrée le 6 juillet 1999 de conclure avant le 29 novembre 1999, soit près de deux ans plus tôt, et du fait qu'elle avait été avisée dès le 22 décembre 1999 de ce que l'affaire serait plaidée à l'audience du 26 février 2001 avec clôture le 18 octobre 2000 qu'à la suite du redressement judiciaire de Soframex, bien qu'ayant reçu le 6 juillet 2000, un nouvel avis fixant la clôture au 20 juin 2001 et les plaidoiries au 23 octobre 2001, assorti d'une nouvelle injonction de conclure avant 4 octobre 2000, elle n'a signifié le jour même prévu pour la clôture que des conclusions d'incident, sur lesquelles il a été statué le 5 octobre 2001 qu'elle ne peut donc que s'en prendre à elle-même de n'avoir conclu sur le fond que le 9 octobre 2001, veille du jour auquel avait été reporté le prononcé de l'ordonnance de clôture effectivement rendue le 10 octobre, soit deux semaines avant la date de l'audience.
Considérant, par ailleurs, que Madame Terrenoire n'explique pas les raisons pour lesquelles elle n'aurait pas pu verser aux débats avant le 16 octobre 2001 les quatre pièces communiquées à cette date.
Qu'elle ne justifie dès lors d'aucune cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture par application des dispositions de l'article 784 du Nouveau Code de Procédure Civile, ce qui rend de plein droit irrecevables les pièces communiquées postérieurement.
Que les conclusions signifiées par Madame Terrenoire la veille du prononcé de l'ordonnance de clôture violent le principe du contradictoire puisqu'elles placent la société BLV dans l'impossibilité d'y répliquer ; qu'elles doivent en conséquence être rejetées des débats conformément aux dispositions des articles 15 et 16 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur le fond :
Considérant qu'il est constant que la société Soframex, qui exploitait un fonds de commerce de marchand de vins et spiritueux en gros et demi-gros sous l'enseigne "Le Cellier des Ducs", a conclu avec Denise Terrenoire un contrat d'agent commercial ; que le 25 février 1998, elle a donné son fonds en location-gérance à la société BLV pour le compte de laquelle Madame Terrenoire a continué à prospecter la clientèle.
Considérant que, n'ayant pu obtenir paiement de ses commissions à compter d'avril 1998, Madame Terrenoire a pratiqué une saisie-conservatoire sur la société BLV, puis l'a fait assigner ainsi que la Soframex, le 2 novembre 1998, devant le Tribunal de Commerce de Paris, qui a statué par le jugement dont appel.
Considérant que la société BLV fait grief au premier juge d'avoir retenu que le contrat d'agent commercial de Madame Terrenoire lui avait été transmis et qu'elle était donc responsable de la rupture dudit contrat au motif erroné que le contrat d'un agent commercial qui dispose d'un certain droit sur la clientèle est nécessairement transmis par l'effet de la mise en location-gérance du fonds de commerce dont l'élément essentiel est la clientèle, alors que le principe est celui de la non-transmission des contrats, à l'exception des contrats de travail, le contrat litigieux contenant au surplus une clause excluant toute transmission en raison de son caractère intuitu personae, et que l'agent commercial n'a aucun droit sur la clientèle.
Considérant sur ce dernier point qu'en effet, contrairement au VRP, l'agent commercial n'est pas titulaire de la clientèle qu'il prospecte, qui est celle de son mandant ; que d'ailleurs l'indemnité qui lui est due lors de la rupture du contrat est indépendante du fait qu'il ait apporté ou créé la clientèle et a pour seul objet la réparation du préjudice que lui cause la privation pour l'avenir du courant d'affaires sur lequel il percevait une commission.
Considérant par ailleurs que le contrat de location-gérance est un bail de fonds de commerce consenti à une personne qui exploite le fonds pour son compte et à ses risques et paie un loyer au propriétaire; que le principe en est la non-transmission des contrats, sauf en ce qui concerne les contrats de travail, et ce par application du régime d'exception instauré par l'article L. 122-12 du Code du Travail dont relèvent les salariés de la société Soframex et les VRP, en vertu duquel ces contrats se poursuivent avec le preneur pendant toute la durée de location-gérance.
Considérant toutefois qu'il existe une autre exception au principe de non-transmission, lorsque le locataire-gérant a contracté l'engagement de prendre en charge l'exécution de contrats en cours relatifs à l'exploitation du fonds ; que cette obligation peut résulter tacitement des circonstances, à condition que le locataire-gérant ait été au courant de l'existence des engagements du bailleur ;
Considérant que tel est le cas en l'espèce, dès lors que :
- l'article 10 du contrat de location-gérance relatif aux obligations du locataire concernant le personnel indique, à la suite de la liste nominative des 12 salariés de Soframex avec leur fonction, leur rémunération brute mensuelle et leur date d'entrée, ainsi que 18 représentants et agents commerciaux dont la liste a été visée séparément par les parties",
- la société BLV a réglé à Madame Terrenoire les commissions à elle dues pour son activité de mars 1998 - soit postérieurement à la location-gérance - sur la base des commissions convenues avec Soframex,
- la société BLV a continué d'avril à octobre 1998 à adresser à Madame Terrenoire des relevés de commissions au titre des commandes prises par cette dernière qu'elle exécutait, même si elle a alors unilatéralement appliqué un taux de commission de 2 % très inférieur à celui convenu au contrat d'agent ;
Que c'est en vain que la société BLV invoque la clause du contrat d'agent commercial de Madame Terrenoire qui dispose que "compte-tenu de son caractère intuitu personae le présent contrat ne pourra être transmis ni entre vifs ni à cause de mort", alors que la volonté des parties peut y faire échec et qu'en l'espèce Soframex a transmis ce contrat avec l'accord de Madame Terrenoire, qui revendique l'existence d'un lien contractuel avec celle-ci.
Qu'il importe peu également que le conseil de Madame Terrenoire, qui ignorait l'étendue des engagements du locataire-gérant, se soit inquiété de l'absence de signature d'un avenant au contrat d'agent commercial et ait le 7 mai 1998 sollicité un entretien à ce propos.
Considérant qu'il en résulte que la société BLV, qui a poursuivi l'exécution du contrat d'agent commercial qui liait initialement la société Soframex à Madame Terrenoire avant de prétendre imposer à cette dernière un taux de commission dérisoire qu'elle n'a pas accepté, est responsable de la rupture dudit contrat.
Qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée tant au paiement des commissions - y compris au titre du client Eliance qui figurait à l'annexe 3 du contrat d'agent commercial de Madame Terrenoire - que des indemnités de préavis et de rupture dont les modalités de calcul ne font l'objet d'aucun débat.
Considérant que la mission de toute juridiction étant de trancher les litiges qui lui sont soumis il n'y a pas lieu pour la Cour de donner acte à la société Soframex de droits qu'elle tient d'une autre décision de justice.
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application au profit de la société Soframex des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que la société BLV condamnée aux dépens, ne peut prétendre à l'application de ces dispositions.
Par ces motifs : Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture ; Rejette des débats les conclusions signifiées par Madame Terrenoire le 9 octobre 2001 ; Confirme le jugement entrepris, Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la société Brasserie Les Vosges 2000 aux dépens ; Admet les avoués concernés au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.