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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 23 mai 2001, n° 1999-11332

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Copadis (SARL)

Défendeur :

Nicolas Feuillatte (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mme Jaubert, Mme Percheron

Avoués :

SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau, SCP Teytaud

Avocats :

Mes Catoni, Carnoye

T. com. Evry, 4e ch., du 11 mars 1999

11 mars 1999

Vu l'appel interjeté par la société Copadis à l'encontre du jugement rendu le 11 mars 1999 par le Tribunal de commerce d'Evry qui a :

- dit que la relation contractuelle ayant lié les parties ne s'inscrit pas dans le cadre d'un contrat d'agence commerciale obéissant aux règles du mandat d'intérêt commun,

- condamné la société Nicolas Feuillatte à payer à la société Copadis la somme de 111 474,20 F par provision en deniers ou quittances avec intérêts au taux légal à compter du 16 mai 1997,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 1154 du Code civil,

- dit que la société Nicolas Feuillatte doit sous astreinte de 200 F par jour de retard à compter de la signification du jugement, communiquer à la société Copadis les comptes statistiques des ventes effectuées par Carrefour en région parisienne pour les mois de janvier et de février 1997,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- laissé à chacune la charge de ses dépens

Vu les écritures par lesquelles la société Copadis poursuivant l'infirmation de ce jugement, demande à la cour de :

- dire que les relations contractuelles ayant lié les parties s' inscrivent dans le cadre d'un contrat d'agent commercial soumis à la loi du 25 juin 1991 et à titre subsidiaire, que ces relations constituent à tout le moins un mandat d'intérêt commun qui ne pouvait être rompu que pour une cause légitime reconnue en justice, que les conditions de la résiliation pour un faux motif, constitue une brusque rupture qui doit être qualifiée d'abusive,

- dire que la société Nicolas Feuillatte devra produire les factures de la période considérée permettant d'établir le montant des commissions dues de façon exacte en communiquant également des relevés de commissions permettant à l'agent de vérifier le mode de calcul de l'assiette de celles-ci,

- ordonner un expertise à défaut de production de ces documents aux frais avancés de l'intimée afin que soit établi le montant des commissions en prenant en considération toutes les factures de vente de la société Nicolas Feuillatte aux entrepôts Carrefour de la région parisienne,

- condamner en conséquence cette société à payer à la société Copadis les sommes suivantes 84 000 F augmentée de la TVA à titre d'indemnité de préavis ou d'indemnité de brusque rupture", 1 900 000 F à titre d' "indemnité de rupture ou de cessation du contrat", 700 000 F par provision sauf à parfaire après expertise au titre des commissions dues et 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les écritures par lesquelles la société Nicolas Feuillatte demande à la cour de débouter la société Copadis de son recours, de faire droit à son appel incident et de :

- infirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives au paiement de la somme de 111 474,20 F, à sa condamnation sous astreinte, à la communication des comptes statistiques des ventes effectuées par Carrefour en région parisienne pour les mois de janvier et de février 1997 et au rejet de sa demande en paiement de dommages et intérêts,

- constater que la somme de 111 474,20 F a été payée le 27 mai 1997,

- constater qu'elle a communiqué les comptes statistiques des ventes effectués par Carrefour en région parisienne pour les mois susvisés ;

- condamner la société Copadis à lui régler la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;

- confirmer pour le surplus la décision entreprise et débouter la société Copadis de l'ensemble de ses prétentions et la condamner à lui payer la somme de 50 000 F au titre de ses frais ;

Considérant qu'il convient de rappeler que la société Copadis qui se prévalait d'un contrat d'agent commercial régularisé par lettre du 19 mars 1996 par la société Nicolas Feuillatte laquelle l'avait abusivement interrompu le 4 février 1997, a saisi le tribunal de commerce d'Evry pour voir condamner cette société à lui payer les sommes qu'elle réclame aujourd'hui devant la Cour, que la défenderesse ayant résisté à cette action, c'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement dont appel ;

Considérant qu'au soutien de son recours la société Copadis, qui reprend l'argumentation qu'elle avait déjà développée devant le tribunal, prétend, en substance, que la relation contractuelle ayant lié les parties s'inscrit dans le cadre d'un contrat d'agent commercial régi par la loi du 25 juin 1991, puisqu'elle était chargée de suivre la clientèle et de négocier les contrats comme en attestent les pièces versées au débats, qu'il s'agit, à tout le moins, d'un mandat d'intérêt qui ne peut être rompu que par une cause légitime alors que l'intimée a rompu leurs accords de façon brusque et abusive en invoquant de faux motifs ; qu'elle ajoute que la société Nicolas Feuillatte n'a pas payé l'intégralité des commissions qui lui sont dues lesquelles doivent notamment être calculées sur les bouteilles à destination des magasins Carrefour et pour les entrepôts de Savigny, Santony et Croissy Beaubourg et soutient qu'elles doivent donc être calculées sur le chiffre d'affaire réalisé par l'intimée avec Carrefour sur ces entrepôts, qu'elle s'estime fondée à réclamer à celle-ci qu'elle lui communique ses factures, seules de nature à permettre de calculer ses commissions par UVC - Unité de Vente Consommateur -, dans laquelle doivent être pris en compte non seulement les bouteilles de 75 cl mais aussi les magnum et les lots de bouteilles de 20 cl, sans compter les demi-bouteilles.

Sur la nature du contrat ayant lié les parties :

Considérant qu'il est établi par les pièces versées aux débats qu'en août 1995, la société Nicolas Feuillatte qui commercialise deux types de produits le champagne Nicolas Feuillatte et un champagne premier prix Hubert de Clamenger, a initié et développé des relations commerciales avec la société Carrefour visant à commercialiser ses produits auprès de ce distributeur qu'elle avait négocié avec Carrefour France, les 25 octobre, 13 novembre et 13 décembre 1995, respectivement un contrat de prestations de services spécifiques, un accord de tarif et conditions de vente et un accord commercial ;

Que par courrier du 19 mars 1996, la société Nicolas Feuillatte a adressé à la société Copadis un courrier ainsi libellé ;

"Pour faire suite à notre dernier entretien, j'ai le plaisir de vous confirmer les grandes lignes de notre accord contractuel, étant entendu qu'un contrat plus formalisé vous sera communiqué dans un proche avenir.

Clientèle :

Enseignes : Carrefour

Casino

Sur la région parisienne (75, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95)

Objectifs 1996

Nicolas Feuillatte 90 000 UVC (bouteille 75 cl ou pack de 3 x 20 cl)

Premier prix Carrefour Pas de définition d'objectif sur la marque Hubert de Clamenger

Premier Prix Casino Pas de commission prévue en cas de marché négocié au niveau de la Centrale de Saint Etienne

Commissions

Nicolas Feuillatte 3,00F/ bouteille jusqu 'à l'objectif (90 000 UVC en 1996)

3,60F/ Bouteille pour le palier 1 de dépassement d'objectif (90 000 à 110 000 UVC) 5,00F/ bouteille pour le palier 2 de dépassement d'objectif (plus de 110 000 UVC)

Les paliers de commissions avec bonus étant révisables annuellement en fonction de l'objectif convenu en début d 'année.

Premier prix 0,10F/ bouteille à destination des magasins Carrefour pour les entrepôts de Savigny, Santeny et Roissy Beaubourg

Rémunération

Ces commissions sont des commissions nettes. Tous frais liés à l'exercice de votre activité étant pris en charge par vos soins.

La liste de clients est sujette à évoluer selon notre implantation dans la grande distribution ;"

Considérant que l'appelante prétend que par ce courrier, somme toute assez peu explicite, la société Nicolas Feuillatte lui aurait confié la représentation de sa marque auprès des enseignes Carrefour et Casino de la région parisienne, tandis que l'intimée soutient que par cet accord la société Copadis était missionnée pour promouvoir les ventes de ses produits distribués auprès de ces enseignes en région parisienne ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats dont très peu émanent de l'appelante (trois télécopies adressées à sa mandante en 11 mois), que pendant l'exécution du contrat la société Copadis s'est essentiellement occupée de la promotion des ventes et de la mise en place des animations ;

Que notamment, elle a rendu compte des résultats des foires aux lots et aux vins Carrefour, le 11 juin 1996, mais n'a pas négocié de contrats de vente pour le compte de sa mandante; qu'elle a en tout et pour tout transmis le 4 avril 1996, une commande de Carrefour Gennevilliers aux Champagnes Feuillatte ; que le fait que dans un courrier adressé, le 2 juillet 1996, à Carrefour France, la société Nicolas Feuillatte lui ait indiqué "Pour faire suite à votre entretien avec notre agent, Monsieur Coquelin (Copadis), veuillez trouver notre meilleure proposition pour votre tract "cadeau"....", est insuffisant à caractériser l'existence d'un contrat d'agent commercial ;

Considérant que selon l'article 1er de la loi du 25 juin 1991 relatives aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants, l'agent commercial est le mandataire qui, à titre de profession indépendante ..., est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux;

Considérant qu'en l'espèce, il résulte de ce qui précède, que la société Copadis, qui est intervenu auprès des sociétés Carrefour et de Casino dans le cadre de contrats cadres de distribution négociés et conclus par la société Nicolas Feuillatte, elle-même, auprès de ces entreprises de grande distribution dès avant son intervention, n'a elle-même négocié, ni conclu aucun contrat avec ces sociétés, qu'elle n'a procédé qu'à la promotion des ventes dans les magasins de la région parisienne de ces dernières contre une rémunération à la commission; que les relations contractuelles de 11 mois ayant existé entre les parties ne s'inscrivent donc pas dans le cadre d'un contrat d'agent commercial ni même dans celui d'un mandat d'intérêt commun, mais dans celui d' un contrat de prestations de services destiné à la mise en œuvre dans les meilleures conditions des contrats de distribution préalablement conclus par sa mandante ;

Considérant que la société Copadis ne peut donc prétendre au bénéfice des dispositions protectrices de la loi susvisée, ni de celles découlant du mandat d'intérêt commun ;

Considérant que la société Copadis ayant bénéficié d'un préavis d'un mois en février 1997, à la suite de la rupture, ne peut donc solliciter une indemnité de préavis ;

Qu'en outre faute de justifier du moindre investissement pour l'exécution de ce contrat qui n'a duré que 11 mois, elle ne justifie pas de son préjudice ;

Sur les commissions

Considérant que pour calculer le montant des commissions qui lui resteraient dues, l'appelante sollicite la communication de l'intégralité des factures que la société Nicolas Feuillatte a adressé aux entrepôts Carrefour de la région parisienne pendant la durée du contrat ;

Que la société Nicolas Feuillatte qui soutient avoir communiqué l'ensemble des documents nécessaires et réglé la totalité des commissions dues à l'appelante, fait, de son côté, observer que le réseau de vente de la grande distribution est organisé à partir de plates-formes "d'éclatements" ou "entrepôts", qu' il s'agit de stocks-dépôts qui adressent des commandes aux fournisseurs et approvisionnent les magasins, que sa facturation est adressée entrepôts par entrepôt, que cependant un entrepôt déterminé peut desservir des magasins situés dans le secteur de la société Copadis et des magasins situés dans les secteurs voisins, desservis par d'autres commerciaux, de sorte que les commissions ne peuvent être assises sur les factures adressées aux entrepôts mais uniquement sur les sorties en direction des magasins de chaque secteur, que le calcul des commissions ne peut se faire qu'en fonction des statistiques effectuées par Carrefour et que la production de ses factures à chacun des entrepôts n'est d'aucune utilité pour calculer le montant de commission revenant à chaque commercial ce dont la société Copadis est parfaitement au courant ;

Considérant que selon la lettre du 19 mars 1996, ci-dessus rappelée, la société Copadis devait intervenir dans la région parisienne, qu'il y était prévu notamment une commission avec bonus sur les bouteilles à destination des magasins Carrefour pour les entrepôts de Savigny, Santeny et Croissy Beaubourg, les bouteilles commissionnées étant celles à destination des magasins de la zone émanant des entrepôts, étant ici relevé qu'il n'était prévu un commissionnement que pour les bouteilles de 75 cl ou les packs de 3 x 20 cl ;

Considérant que la société Copadis à laquelle a été communiqué les statistiques Carrefour pour l'année 1996 qui comprennent 19 pages, se prévaut des chiffres figurant à la dernière page, qu'elle a communiquée sans les 18 autres, relative à l'intégralité des produits de la marque vendue dans l'année pour la France entière, pour solliciter une provision de 700 000 F ;

Qu'il résulte de l'examen de ces statistiques que le calcul des commissions de 1996, effectué par la société Nicolas Feuillatte conformément à la lettre de mission, correspond exactement à ces statistiques lesquelles reprennent d'ailleurs les noms des cinq entrepôts ayant desservis chaque magasin de la zone comprenant d'ailleurs deux entrepôts non visés à la lettre susvisée Emerainville et Lieusaint ;

Considérant que le 28 mai 1997, la société Nicolas Feuillatte a réglé à l'appelante la somme de 114 474 20 F solde lui restant due au titre des commissions pour l'année 1996, par chèque débité de son compte le 20 juin suivant ;

Qu'enfin, l'intimée lui a communiqué, le 9 juin 1999, les statistiques Carrefour des mois de janvier et de février 1997 et a procédé au règlement par chèque de la somme de 11 557,34 F au titre des sommes lui restant dues comprenant notamment des commissions Casino 96 et Carrefour 97, après déduction de l'acompte préalablement réglé ;

Considérant que la société Copadis ayant été réglée des commissions auxquelles elle pouvait prétendre, sera en conséquence déboutée de son appel et de l'ensemble de ses prétentions ;

Considérant que l'intimée qui ne justifie pas du préjudice dont elle demande réparation, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts qu'en revanche, il convient de lui allouer la somme précisée au dispositif au titre de ses frais irrépétibles qu'il serait contraire à l'équité de laisser à sa charge ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement dont appel sauf en ce qu'il a enjoint sous astreinte à la société Nicolas Feuillatte de communiquer les comptes statistiques de ventes effectuées par Carrefour et statuant à nouveau de ce chef, déboute l'appelante de ses demandes de communication des factures adressées par l'intimée aux entrepôts ; Déboute la société Nicolas Feuillatte de se demande de dommages et intérêts ; Condamne la société Copadis à lui payer la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par l'avoué concerné.