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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 25 novembre 1998, n° 9707193

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Mobilier européen (SA)

Défendeur :

Sonam (SARL), Goupil (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

M. Poumarède, M. Mesière

Avoués :

Mes Chaudet & Brebion, Mes Bazille & Genicon

Avocats :

Mes Cressard, Mahieu.

T. com. Saint-Nazaire, du 3 sept. 1997

3 septembre 1997

EXPOSE DES FAITS-PROCEDURE-OBJET DU RECOURS

La société Sonam a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Saint Nazaire le 3 janvier 1989. Elle avait pour gérant M. Vandroth et pour objet la vente de meubles. Le 25 octobre 1989, un contrat de franchise était signé entre la société Mobilier Européen (franchiseur) et la société Sonam (franchisé) . Par lettre recommandée du 2 novembre 1992, la société Mobilier Européen, constatant que la société Sonam ne lui avait pas réglé un montant global de 4.579.676 francs, mettait en demeure le franchisé de la payer. Celui-ci ne s'étant pas acquitté de sa dette, le franchiseur dénonçait le contrat par lettre recommandée du 25 novembre 1992.

La société Sonam a été déclarée en redressement judiciaire que le 22 septembre 1993. La liquidation judiciaire a été prononcée dès le 29 septembre 1993.

Par jugement rendu le 3 septembre 1997, le tribunal de commerce de Saint Nazaire a condamné la société Mobilier Européen à payer à Maître Goupil, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sonam, 4.618.957 francs, pour soutien abusif, au titre du préjudice causé aux créanciers de ainsi que 40.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Par acte du 8 octobre 1997, la société Mobilier Européen a formé appel de ce jugement.

MOYENS PROPOSES PAR LES PARTIES

A l'appui de son appel, la société Mobilier Européen fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute dans l'octroi des facilités accordées à la société Sonam.

Elle conclut au rejet des demandes de Maître Goupil et, subsidiairement, à un partage de responsabilités et à la réduction des dommages intérêts. Elle sollicite 50.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Maître Goupil, en qualité de liquidateur judiciaire de la société SONAN, fait valoir que :

- la situation n'a pas cessé de se dégrader à compter de 1990,

- la société Mobilier Européen, qui s'est comportée comme un dirigeant de fait, lui a accordé un soutien abusif, commettant ainsi une faute à l'origine du préjudice causé aux créanciers de la société Mobilier Européen.

En conséquence, il demande à la Cour de confirmer le jugement et réclame 40.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRET

Considérant au préalable que l'assignation n'a été délivrée par le liquidateur qu'en 1996 ;

Considérant que le contrat de franchise précisait expressément que le franchisé exerçait son activité en qualité de commerçant indépendant ; que si le franchiseur référençait des produits, négociait avec les fournisseurs les meilleures conditions et payait ces fournisseurs pour le compte des franchisés (répercutant ensuite ces achats auprès des franchisés destinataires des commandes), les commandes étaient passées par le franchisé ; que le franchiseur n'intervenait pas dans la gestion du franchisé ; qu'il n'est nullement démontré qu'il ait eu un comportement de dirigeant de fait ; que le seul fait que le franchiseur ait financé les achats et eu une participation temporaire et tardive (du 10 janvier 1992 au 10 juin 1992) dans le capital de franchisé (650 parts sur un total de 1.500 parts) ne suffit à caractériser un tel comportement ;

Considérant que le 22 février 1990, la société Mobilier Européen a consenti à la société Sonam des délais de paiement à 120 jours " à compter de la date d'ouverture " du magasin (soit le 25 janvier 1990), à concurrence de 1.327.000 francs ; que cet acte n'était pas anormal, puisqu'il permettait au franchisé de démarrer son activité dans de bonnes conditions par le financement, sous forme d'un crédit fournisseur, son stock de départ ;

Considérant que les comptes de résultat révèlent que les pertes se sont élevées :

- pour l'exercice 1989 à 979.000 francs, soit 15,56 % du chiffre d'affaires,

- pour l'exercice 1990 à 1.235.000 francs, soit 21,66 % du chiffre d'affaires,

- pour l'exercice 1991 à 912.000 francs, soit 12,05 % du chiffre d'affaires,

- pour l'exercice 1992 à 1.643.000 francs, soit 31,68 % du chiffre d'affaires,

- pour l'exercice 1993 (après dénonciation du contrat de franchise) à 2.416.127 francs ;

Considérant que le rapport de gérance de la société Mobilier Européen, daté du 9 juillet 1991, attribue la perte de l'exercice 1990 à l'inadaptation de sa structure, estimant que son " équipe de vente " n'était pas " préparée " ; que cette équipe avait été restructurée lors du dernier trimestre 1990, ce qui s'était fait sentir au niveau des résultats enregistrés "dès le premier semestre 1991" par une progression des ventes ; que la gérance envisageait alors " une progression du chiffre d'affaires tout en restreignant les charges afin de parvenir à une exploitation équilibrée " ;

Considérant que la situation du franchisé s'est effectivement améliorée en 1991 puisque les montants impayés au franchisé, qui s'étaient élevés en 1990 à 2.825.000 francs, sont tombés en 1991 à 265.000 francs ; que le chiffre d'affaires s'est parallèlement accru, puisqu'il est passé en 1991 à 7,5 millions au lieu de 5,7 millions en 1990 ; qu'ainsi le franchiseur pouvait alors légitimement croire que la situation s'était redressée de façon sérieuse (après une première année difficile) ;

Considérant que le rapport de gérance de la société Sonam, daté du 27 juin 1992, mentionnait " une amélioration du taux de charge brute ", mais relevait le caractère excessif des " charges d'exploitation ", faits qui sont directement imputables au franchisé, et non au franchiseur ; que celui du 30 juin 1993 révélait que la conjoncture économique avait été défavorable, ayant eu des effets désastreux dans le secteur d'activité dans lequel intervenait la société Sonam, le chiffre d'affaires étant tombé à 5,2 millions de francs ;

Considérant ainsi que ce n'est qu'à la fin de l'année 1992 que le franchiseur a pu constater que le franchisé était défaillant ; que jusqu'alors il pouvait légitimement considérer que l'entreprise était viable et qu'il serait, comme les autres créanciers, honoré de sa créance ;qu'il n'a commis aucun abus en accordant un crédit fournisseur qui aurait dû permettre au franchisé de poursuivre son exploitation dans de bonnes conditions ;que d'ailleurs, les créances déclarées au passif de la société Sonam apparaissent pour la plupart postérieures à la rupture du contrat puisque datées de 1993 ;

Considérant que les concours accordés étaient liés au développement du chiffre d'affaires et ne présentent aucun caractère abusif ;que le crédit fournisseur est une pratique conforme aux usages du commerce ;

Considérant que M. Vandroth a poursuivi l'exploitation durant 10 mois après la dénonciation du contrat de franchise, puisque la société Sonam n'a été déclarée en redressement judiciaire que le 22 septembre 1993 ;

Considérant enfin que la société Sonam est une entreprise sérieuse, liés à de nombreux commerces exploités sous la forme de contrats de franchise sur le territoire national ; qu'elle n'a commis aucune faute dans l'octroi des facilités accordées à la société Sonam ;

Considérant qu'il convient en conséquence d'infirmer la décision déférée et de rejeter les demandes présentées par Maître Goupil, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sonam ; que ce dernier, qui échoue en instance d'appel, n'est pas fondé à réclamer le remboursement de ses frais irrépétibles et supportera la totalité des dépens ;

Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de la société Mobilier Européen les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de globale de 30.000 francs ;

Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement et contradictoirement ; Infirme le jugement déféré ; Condamne Maître Goupil, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sonam, à verser à 30.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne Maître Goupil, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sonam, à l'ensemble des dépens, ceux d'appel pouvant être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.