CA Saint-Denis de la Reunion, ch. civ., 3 octobre 1997, n° 317-96
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Guiot-Teisseire, Océanide (SARL)
Défendeur :
Laszlo
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Darolle
Conseillers :
Mme Legras, M. Szysz
Avocats :
Mes Belot-Akhoun-Cregut, Ardoin
Par déclaration enregistrée le 26 février 1996 au greffe de la cour, Caroline Guiot-Tesseire a interjeté appel, à l'encontre de Katia Laszlo, d'un jugement, rendu le 13 février 1996 par le Tribunal de grande instance de Saint-Denis qui a :
- dit que les parties étaient liées par un contrat d'agent commercial soumis aux dispositions du décret du 23 décembre 1958 modifié ;
- dit que la rupture des relations contractuelles n'étaient pas justifiée par une faute de Katia Laszlo ;
- condamné Caroline Guiot à payer à Katia Laszlo les sommes de :
* 67 972 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
* 23 491,46 F et 45 314,16 F à titre de rappel de commissions, avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice ;
* 543 776 F à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- débouté Caroline Guiot de la demande reconventionnelle ;
- ordonné l'exécution provisoire jusqu'à concurrence de la somme de 136 777,62 F ;
- condamné Caroline Guiot au paiement de la somme de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
L'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de donner acte à la SARL Océanide de son intervention volontaire, de condamner Katia Laszlo à lui payer, ainsi que la SARL Océanide, la somme de 46 008,46 F, avec intérêts légaux à compter du 18 juillet 1994, ainsi que la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de son recours, Caroline Guiot fait valoir :
- que, malgré les termes du contrat signé entre les parties le 20 février 1992, Katia Laszlo, en sa qualité de visiteur médical, ne peut se prévaloir du décret du 25 décembre 1958 ni de la loi du 25 juin 1991, faute d'avoir exercé réellement une activité d'agent commercial ;
- que la rupture des relations contractuelles est imputable à Katia Laszlo, qui a cessé toute activité à compter du 17 janvier 1994 ;
- que, subsidiairement, les préjudices invoqués par Katia Laszlo ne sont pas justifiés, étant souligné qu'elle n'a exercé ses activités que pendant deux années ;
- que les commissions allouées par les premiers juges à Katia Laszlo ne sont pas dues, dès lors qu'elle n'a accompli aucune prestation depuis le 18 janvier 1994 et qu'en son absence il a fallu assurer son remplacement ;
- qu'elle est bien fondée à obtenir le remboursement des commissions indûments versées à hauteur de la somme de 46 008,46 F, qu'elle avait réclamées par mise en demeure en date du 18 juillet 1994 ;
Katia Laszlo conclut à la confirmation du jugement déféré et, formant appel incident, demande à la cour de condamner solidairement Caroline Guiot et la SARL Océanide à lui payer également les sommes de 23 491,46 F et 67 972 F à titre de commissions pour les mois de juin à septembre 1994, avec intérêts légaux à compter de l'assignation introductive d'instance. Elle réclame, en outre, la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle soutient :
- que le juge ne peut requalifier le contrat d'agent commercial conclu entre les parties ;
- que la chronologie des relations entre les parties démontre que Caroline Guiot, informée de son arrêt de travail en janvier 1994, en raison d'une grossesse difficile, lui a régulièrement payé ses commissions jusqu'en mai 1994, mois de l'accouchement, et a ensuite prétendu, par lettre du 18 juillet 1994 que les commissions versées depuis le mois d'avril étaient "indues" du fait de sa "cessation d'activité" et de ce qu'elle ne pouvait "plus bénéficier d'un contrat d'agent commercial" ; que Caroline Guiot s'est ensuite opposée à sa reprise d'activité et lui a notifié, le 28 octobre 1994, la rupture du contrat au prétexte fallacieux qu'elle avait cessé ses activités, depuis le 18 janvier 1994 "sans explications" ;
- qu'il s'avère que pendant la période litigieuse le chiffre d'affaires de son secteur n'a subi aucune diminution, notamment parce qu'elle avait délégué un sous-agent, en la personne de Annie Carabignac, comme Caroline Guiot lui avait demandé par courrier du 21 janvier 1994 ;
- qu'elle est donc bien fondée à obtenir paiement des commissions qui lui sont dues pour les mois de juin à octobre 1994, étant relevé que les premiers juges ont commis une erreur dans le calcul de ces commissions, en lui accordant la somme de 45 314,16 F au lieu de celle de 67 972 F qui lui est due ;
- que les indemnités de préavis et de rupture allouées par le jugement déféré, correspondent à celles prévues par la loi du 25 juin 1991.
Caroline Guiot et la SARL Océanide rétorquent :
- que Katia Laszlo ne se considérait pas, elle même, comme un agent commercial dans la mesure où elle a estimé devoir faire établir des avis d'arrêt de travail ;
- que, subsidiairement, l'intimée était tenue d'exercer sa profession de manière exclusive et constante, et qu'il n'en fut rien pendant plusieurs mois; qu'en se faisant temporairement remplacer par Annie Carabignac, qui prétendait alors également être liée à Caroline Guiot par un contrat d'agent commercial, l'intimée lui a fait subir un préjudice financier important, justifiant que le contrat soit rompu pour faute grave ;
- que, très subsidiairement, les commissions réclamées ne sont pas dues, dès lors qu'aucune opération n'a été conclue, depuis le 18 janvier 1994, du fait de l'activité de Katia Laszlo ;
- qu'à supposer que celle-ci ait droit à une indemnité de préavis, elle ne pourrait, être due que pour la période du 18 janvier au 18 avril 1994, pendant laquelle l'intimée a perçu ses commissions, de sorte qu'il ne lui est dû aucune indemnité de préavis ;
- que Katia Laszlo ne saurait revendiquer une indemnité de rupture calculée sur deux ans de commissions, alors qu'en l'espèce son activité n'a pas entraîné la conclusions de nouveaux contrats et est sans rapport avec les chiffres d'affaires générés ;
- que, très subsidiairement, Caroline Guiot a cédé son fonds à la SARL Océanide, qui a été évalué à 900 000 F par un commissaire aux apports ; qu'à supposer qu'une indemnité de rupture soit due, il conviendrait de tenir compte que, du temps des relations contractuelles entre les parties, quatre personnes, outre Caroline Guiot, exerçaient des fonctions identiques à celle de Katia Laszlo, de sorte que l'indemnité ne saurait être supérieure à 1/5e de la valeur du fonds, ramenée au prorata temporis de la durée de son activité, par rapport à celle de l'entreprise créée en 1978.
Katia Laszlo, en réponse, soutient que son préjudice est constitué par les commissions dont elle a été privée, par suite de la rupture du contrat, et n'a rien à voir avec la valeur comptable du fonds, non prouvée au demeurant.
Dans les conclusions notifiées le 12 juin 1997, Katia Laszlo soutient que les éléments chiffrés produits aux débats démontrent que le chiffre d'affaires qu'elle a apporté à sa mandante, de 1991 à 1994, est de l'ordre de 5,4 MF.
L'appelante, par écritures notifiées le 13 juin 1997, demande que ces dernières conclusions et les pièces qui y sont jointes, déposées par l'intimée la veille de la clôture, soient jugées irrecevables.
Sur ce,
Sur le respect du principe de la contradiction :
Attendu que les parties ont reçu le 10 décembre 1996, du conseiller de la mise en état, injonctions de conclure, et ont été avisées que la clôture de l'instruction interviendrait le 23 mai 1997 et que l'affaire était fixée pour être plaidée à l'audience du 20 juin 1997 ; qu'à la demande des parties la clôture a été reportée, et est intervenue le 13 juin 1997, par décision du conseiller de la mise en état portée à leur connaissance le 23 mai 1997 ;
Attendu que selon l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, l'intimée, en concluant la veille de la date fixée pour la clôture, a violé ce principe, de sorte que doivent être écartées des débats ses conclusions notifiées le 12 juin 1997, ainsi que les pièces qui y sont jointes ;
Sur le fond
Attendu que l'article 1134 du Code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et doivent être exécutées de bonne foi ;
Attendu, en l'espèce, que les parties ont expressément convenu que le contrat conclu par acte sous-seings privés du 20 février 1992 est un contrat d'agent commercial "conclu conformément aux dispositions du décret n° 58-1345 du 23 décembre 1958 modifié sur le statut des agents commerciaux", et qu'il "prendra effet à compter du 1er janvier 1992 pour une durée d'une année, sans tacite reconduction" ; qu'il stipule que " Mme Caroline Guiot confie à Mademoiselle Katia Laszlo, qui accepte, le mandat de la représenter auprès de la clientèle qu'elle visitera " dans les conditions qu'il détermine ; qu'il en résulte que l'appelante n'est pas fondée à voir juger que l'intimée ne peut bénéficier du statut des agents commerciaux ;
Attendu qu'il n'est pas discuté que ce contrat a continué à être exécuté par les deux parties après son terme, pendant l'année 1993 et postérieurement au 1er janvier 1994, de sorte que les dispositions de la loi n° 91-593 du 5 juin 1991 lui sont applicables ; qu'ainsi, selon l'article 11 de cette loi, le contrat est réputé transformé en contrat à durée indéterminée ;
Attendu que les parties avaient convenu, dans l'acte sous seings privés en date du 20 février 1992, que le secteur d'activité de Katia Laszlo "s'étendra du Port à Saint Philippe" ; que celle-ci "exercera son activité en toute indépendance et qu'il lui sera cependant fait obligation de rendre compte de son activité sous forme d'un rapport hebdomadaire et qu' elle sera tenue d'exercer sa profession de manière exclusive et constante" (art. 5) ; qu'" en rémunération de ses services, Mlle Katia Laszlo recevra une commission " dont "le calcul est effectué mensuellement à partir des sorties grossistes Réunion et réglé dès réception de ces statistiques mensuelles" (art. 6) ;
Attendu que pour juger de la responsabilité de la rupture de leurs relations contractuelles, il est nécessaire d'analyser l'évolution de leurs rapports, en 1994, jusqu'à ce qu'intervienne le courrier, adressé le 28 octobre 1994 par Caroline Guiot à Katia Laszlo, par lequel l'appelante écrivait à celle-ci : "Vous avez cessé à compter du 18 janvier 1994 de me remettre un compte rendu de vos activités sans me fournir d'explications. Je me suis rendu compte par moi même que vous aviez cessé toutes visites auprès des médecins pour raison de santé liée à votre état de grossesse pour lequel vous n'avez pas daigné me faire parvenir ni justificatif ni information (...). Vous me mettez en demeure de vous reprendre en qualité d'agent commercial alors que j'estime que vous avez pris l'initiative de rompre vous même nos relations contractuelles. A l'extrême rigueur et dans un souci de conciliation, je puis vous engager à nouveau, non pas en qualité d'agent, mais en qualité de visiteur médical mandataire (...)" ;
Qu'ainsi, il s'avère que dans une lettre en date du 21 janvier 1994, Caroline Guiot écrivait à Katia Laszlo qu'un accord était intervenu entre elles ("suite à notre conversation de ce jour") "concernant les nouveaux taux de commissions" pour 1994, et, s'agissant de son "remplacement" ("vous avez envisagé la possibilité de vous faire remplacer plus tôt que prévu si votre médecin jugeait nécessaire votre mise au repos (...)") qu'il conviendrait d'"envisager de confier à un sous-agent les produits" dont celle-ci avait la charge dans son secteur d'intervention ; que le 5 avril 1994, Caroline Guiot écrivait : "Chère Katia, les résultats de Mars sont excellents. Je m'occupe ce jour même des ordres de virement (...)" ;
Que c'est donc avec une particulière mauvaise foi que Caroline Guiot prétendait, dans sa lettre adressée à l'intimée le 18 juillet 1994, que celle-ci avait cessé son activité "depuis six mois" ;
Qu'en réalité, l'examen des pièces de la procédure met en évidence que Caroline Guiot a pris l'initiative de la rupture du contrat, par lettre du 18 juillet 1994, en ayant prétendu alors imposer à l'intimée une modification unilatérale de leurs relations contractuelles, et en lui refusant le bénéfice du contrat d'agence, ainsi que le droit de conserver les commissions qu'elle lui avait versées, comme convenu entre elles, pour les mois d'avril et mai 1994 ;
Attendu que la date de la rupture du contrat doit être fixée, dans ces circonstances, au 18 juillet 1994, étant également relevé que Katia Laszlo n'établit pas avoir poursuivi son activité d'agent commercial après cette date (cf. sa lettre du 25 août 1994, adressée à Caroline Guiot, par laquelle elle lui fait part de son intention de reprendre cette activité "à compter du 1er septembre 1994") ;
Attendu que Caroline Guiot, qui a rompu le contrat sans respecter le préavis de trois mois qui s'imposait, a justement été condamnée, par les premiers juges, à payer à Katia Laszlo la somme de 67 972 F, dont le calcul n'est pas discuté;
Attendu que pour prétendre au paiement des commissions dû pour le mois de juillet 1994, l'intimée se fonde sur les calculs effectués à partir "des sorties grossistes Réunion" et des statistiques de ce mois, non discutées, qui en établissent le montant à la somme de 23 491,46 F ; qu'ainsi, le jugement entrepris sera également confirmé en ses dispositions condamnant Caroline Guiot au paiement de cette somme ;
Attendu que pour condamner l'appelante au paiement de la somme de 45 314,16 F à titre, également, de commissions dues, les premiers juges ont, implicitement mais nécessairement, retenu que la rupture du contrat était intervenue fin septembre 1994 et que Katia Laszlo justifiait avoir exécuté les opérations ouvrant droit à ces commissions ; que, cependant, le jugement devra être réformé de ce chef, dès lors que la rupture est intervenue le 18 juillet 1994 et que l'intimée ne prouve pas que les commissions qu'elle réclame au titre des mois d'août et septembre 1994 soient acquises au sens des articles 7 et suivants de la loi du 25 juin 1991 ;
Attendu, sur l'indemnité compensatrice du préjudice causé par la rupture, qu'il échet de relever, en premier lieu, qu'elle était expressément stipulée au contrat du 20 février 1992 (art. 8.b), et, en second lieu, que c'est à bon droit que le tribunal a retenu que le principe de cette indemnisation est acquis au profit de Katia Laszlo, dès lors que la cessation du contrat n'a pas été provoquée par une faute grave de sa part ;
Attendu que pour contester le mode de calcul de cette indemnité retenu par les premiers juges, l'appelante prétend, à l'encontre même des termes du contrat liant les parties, qu'elle ne peut être établie comme il est d'usage pour un agent commercial ;
Attendu que la volonté des parties, l'usage et les circonstances de l'espèce justifient que cette indemnité soit calculée sur les deux dernières années d'exercice normal du contrat et soit fixée à la valeur de deux années de commissions, soit la somme totale de 543 776 F retenue par les premiers juges ;
Attendu que l'équité n'impose pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de Katia Laszlo, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
Attendu que l'appelante supportera les dépens d'appel, qui seront distraits au profit de Maître Ardoin avocat, aux offres de droit.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort : - Déclare Caroline Guiot recevable en son appel ; - Déclare irrecevables les conclusions notifiées le 12 juin 1997 par Katia Laszlo ; Au fond ; - Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception de celle condamnant Caroline Guiot au paiement de la somme de 45 314,16 F à titre de rappel de commissions, et l'Infirme de ce chef ; Y ajoutant ; - Déboute Katia Laszlo de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; - Condamne Caroline Guiot aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Ardoin, avocat, aux offres de droit.