CA Orléans, ch. com., économique et financière, 25 mars 1999, n° 97-01877
ORLÉANS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Juguètes Feber (SA), Juguètes Feber International
Défendeur :
Etablissements R. Meng (SA), Saulnier (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lardenonois
Conseillers :
M. Puechmaille, Mme Boury
Avoués :
SCP Laval-Lueger, SCP Duthoit-Desplanques
Avocats :
Mes Vinckel, Dagrancourt.
Statuant sur les appels principal et incident régulièrement formés respectivement par la SA Juguètes Feber et la SA Juguètes Feber International d'une part, Maître Saulnier ès qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la société SOREP et la SA Etablissements R. Meng d'autre part, contre un jugement rendu le 4 juin 1997 par le Tribunal de Commerce d'Orléans qui :
- s'est déclaré compétent,
- a validé les saisies conservatoires pratiquées à hauteur de 4.000.000 francs en exécution des ordonnances de référé des 25 septembre et 24 octobre 1996,
- a condamné la société SA Juguètes Feber et la société SA Juguètes Feber International à payer solidairement à la société Meng et à Maître Saulnier ès qualités de liquidateur de la société SOREP la somme de 735.887,67 francs sauf à parfaire avec intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 1996 date de la première assignation en référé,
- a condamné les mêmes solidairement à payer la somme de 4.000.000 francs à la société Meng et à Maître Saulnier ès qualité de liquidateur de la société SOREP à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat,
- a ordonné la saisie-exécution au profit des sociétés Meng/Sorep des sommes cantonnées à hauteur de 4.000.000 francs,
- a ordonné l'exécution provisoire,
- a condamné solidairement les deux sociétés à payer à la société Meng et à Maître Saulnier ès qualités la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Meng assurait depuis le 1er janvier 1984 la représentation commerciale en France des jouets fabriqués par la société espagnole Juguètes Feber SA.
Courant 1991, la société SOREP dont le capital était détenu par les Frères Meng et la SA Meng a été constituée à l'effet d'assurer la distribution exclusive en France des produits Feber.
Le 1er janvier 1992, les relations entre SOREP et Feber ont été définies par un courrier de celle-ci ainsi rédigé :
"La société Juguètes Feber SA (jouets) est représentée en exclusivité en France par la société SOREP dont le gérant est Monsieur Jean-François Meng et pour ce faire, il est alloué à la SOREP une commission sur facturation nette de 4,9% duquel il sera déduit le pourcentage ci-dessus du montant des ristournes de fin d'année des clients ainsi que les retours.
Pour aider la société SOREP et toujours d'accord au fonctionnement de cette société, une traite acceptée de 2.000.000 pesetas environ à 90 jours sera versée par Feber mensuellement en concept de commissions avancées qui s'ajustera périodiquement et toujours en fin d'année en fonction du chiffre d'affaires qu'on réalise en France.
La SOREP continue à s'engager à assurer tout le service commercial et le service après vente des produits Feber.
Ce présent certificat est valable pour l'année 1992. A partir de 1993, un nouveau contrat sera établi et dans lequel seront détaillés les points de fonctionnement pour la collaboration entre Feber et SOREP. ".
La société Juguètes Feber a fait l'objet d'une procédure de suspension provisoire des poursuites. La société Juguètes Feber International a alors été créée notamment pour commercialiser les jouets fabriqués par Juguètes Feber SA.
Le 21 février 1995 est intervenue entre d'une part Monsieur José Manuel Rodriguez représentant Juguètes Feber SA ainsi que Juguètes Feber International SA et d'autre part Messieurs Jean-François Meng et Jean-Claude Meng représentant la société SOREP une convention aux termes de laquelle il était indiqué que celle-ci était la représentante et l'agent commercial en France des deux autres sociétés pour la vente des jouets de marque Feber.
Cette convention avait pour objet de :
- liquider les comptes existants entre les parties pour 1994,
- établir les critères pour la régularisation du recouvrement par la société,
- établir le pourcentage à titre de commissions à percevoir par SOREP pour les ventes réalisées sur le marché français ainsi que la forme de paiement de celles-ci.
Dans ledit acte, il a notamment été prévu que l'agent ne pouvait retenir, en aucun cas, "les paiements faits par les clients en concept des ventes réalisées par Juguètes Feber SA, ces rétentions ne pouvant se produire ni en concept d'acomptes, ces acomptes ne pouvant se faire que moyennant des lettres de change acceptées".
Enfin, il a été indiqué :
"Pour l'interprétation et/ou exécution des clauses stipulées dans le présent document, les parties comparantes se soumettent à la compétence des Juges et Tribunaux à Ibi Alicante (Espagne) en renonçant à quelque autre for qui pourrait leur convenir".
Par jugement du 25 octobre 1995, le Tribunal de Commerce d'Orléans a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société SOREP, fixé au 28 février 1996 la fin de la période d'observation et désigné la SCP Laureau-Jeannerot en qualité d'administrateur.
Le 16 novembre 1995, la société Feber a adressé à la société SOREP et ses associés ainsi qu'à l'administrateur un courrier résiliant le contrat de représentation "à cause de toutes les fautes importantes commises par la société SOREP".
Par jugement du 29 novembre 1995, le Tribunal de Commerce d'Orléans a prononcé la liquidation judiciaire de la société SOREP.
Le 31 janvier 1996, Juguètes Feber SA et SA Juguètes Feber International, prétendant être créancières de la SOREP pour diverses factures encaissées par celle-ci pour son compte, ont déclaré une créance de 1.487.743,51 francs en annexant "un état établi par Feber International reprenant les chiffres précités et faisant réserve à hauteur de 662.881,51 francs".
Le 24 septembre 1996, le conseil de ces sociétés a fait savoir à Maître Saulnier, liquidateur, que cette production devait s'entendre pour un montant de 1.487.743,51 francs pouvant être ramené en fonction des opérations non encore dénoncées à 662.881,51 francs.
Par ordonnance du 25 septembre 1996, rendue sur requête, le Président du Tribunal de Commerce d'Orléans a autorisé la société Meng, Maître Saulnier es qualités de liquidateur de la société SOREP, Messieurs Jacques Meng, Jean-Claude Meng et Jean-François Meng à former "saisie-arrêt" entre les mains de plusieurs sociétés pour avoir paiement de la somme de 6.000.000 francs à laquelle a été évaluée provisoirement une créance que les demandeurs ont prétendu détenir à l'encontre des société Feber SA Feber International SA, correspondant d'une part à des commissions, d'autre part à une indemnité de rupture.
Par ordonnance du 11 octobre 1996, Juguètes Feber SA et SA Juguètes Feber International ont été autorisées à assigner d'heure à heure aux fins d'en obtenir la rétractation.
Par ordonnance du 24 octobre 1996, le Président du Tribunal de Commerce après avoir retenu sa compétence, a dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance du 25 septembre précédent, a déclaré irrecevables Messieurs Jacques Meng, Jean-Claude Meng et Jean-François Meng en leurs demandes de saisie-conservatoire pour défaut d'intérêt à agir, a dit que les saisies-conservatoires des sociétés SOREP et Établissements Meng à l'encontre des sociétés Feber et Feber International étaient autorisées dans la limite de la somme de 4.000.000 francs, a ordonné la mainlevée des sommes saisies au delà de cette somme.
Par arrêt en date du 20 mars 1997, la présente Cour a déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Juguètes Feber et Juguètes Feber International, confirmé ladite ordonnance sauf en ce qu'elle avait considéré que la société Meng avait un intérêt à agir.
Suivant acte du 4 novembre 1996, les sociétés SOREP et Meng ont parallèlement fait assigner les sociétés Juguètes Feber SA et Juguètes Feber International SA en validation des saisies-conservatoires, paiement des sommes de 735.887,67 francs au titre des commissions restant dues et de 4.000.000 francs à titre d'indemnité pour rupture injustifiée et brutale du contrat de représentation.
Les sociétés défenderesses ont soulevé in limine litis l'incompétence du Tribunal de Commerce d'Orléans au profit du Tribunal d'IBI et subsidiairement dans le cas ou le Tribunal se déclarait compétent, ont demandé à être mises en demeure de conclure sur le fond conformément à l'article 76 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur quoi a été rendue la décision déférée.
Par jugement du 29 avril 1998, le Tribunal de Commerce d'Orléans a prononcé la liquidation judiciaire de la société Meng et désigné Maître Saulnier en qualité de liquidateur.
Déférant à l'injonction donnée par le magistrat de la Mise en État, les sociétés Juguètes Feber SA et Juguètes Feber International SA ont déposé devant la Cour des conclusions récapitulatives.
A titre principal, elles sollicitent l'annulation du jugement déféré pour violation de l'article 16 du Nouveau Code de Procédure Civile et en application de l'effet dévolutif de l'appel, prétendent à ce qu'il soit statué sur l'exception d'incompétence et à ce que les parties soient renvoyées à mieux se pourvoir. Elles réclament en outre 600.000 francs à titre de dommages-intérêts sanctionnant l'attitude fautive des intimés outre 200.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Subsidiairement, demandant de leur donner acte de ce qu'elles n'ont abordé le fond qu'ensuite de "la mise en demeure" de la Cour et sans que cela implique une quelconque prorogation de compétence dans les termes de l'article 18 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, elles prétendent à l'irrecevabilité de Maître Saulnier ès qualités de liquidateur à la société Etablissements R. Meng faute de qualité à agir. Elles revendiquent par ailleurs à l'égard de la SOREP l'application de la législation espagnole et concluent en conséquence au rejet des prétentions de Maître Saulnier son liquidateur.
Dans l'hypothèse où la législation française serait applicable, les sociétés appelantes demandent à être déclarées avoir été fondées en leur dénonciation anticipée du contrat d'agent et concluent aussi au rejet des prétentions de Maître Saulnier tendant tant à obtenir un dédommagement pour ladite rupture qu'en ses demandes en paiement de commissions. Elles réclament dans ce cas la condamnation de Maître Saulnier ès qualités "à leur payer un même montant" outre la condamnation de celui-ci "en sa qualité de liquidateur de la société Meng" à leur régler 50.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Les sociétés Juguètes Feber SA et Juguètes Feber International SA prétendent d'abord à l'annulation du jugement en relevant que c'est à tort que le Premier Juge a considéré que l'article 5 du Décret du 27 décembre 1985 devait recevoir application en l'espèce ; Elles ajoutent qu'en tout état de cause, même en matière de procédures collectives, le Juge n'est pas dispensé de mettre en demeure les parties de conclure sur le fond en application de l'article 76 du Nouveau Code de Procédure Civile, prétendant en outre que l'article 18 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 se serait opposé à ce qu'elles abordent directement le fond dès lors que cela aurait impliqué "leur renonciation d'incompétence".
Réitérant ensuite leur exception d'incompétence, les sociétés appelantes invoquent les dispositions des articles 2 et 17 de ladite Convention, pour prétendre à la compétence du Tribunal d'IBI et font valoir qu'il ne peut être soutenu que l'action entreprise par Meng et SOREP entre dans le domaine d'exclusion institué par l'article 1er de ladite Convention. A cet égard, elles relèvent que la rupture du contrat n'a jamais été retenue comme étant la cause de la conversion du redressement judiciaire en liquidation mais repose sur les fautes commises par la société SOREP antérieurement à l'ouverture de la procédure collective.
A titre subsidiaire, sur le fond, les sociétés appelantes soulèvent l'irrecevabilité de la société Établissements Meng faute de qualité à agir en observant que le dernier contrat ayant lié les parties a été passé entre elles et SOREP.
Invoquant l'article 5 de la Convention de la Haye du 14 mai 1978 et l'article 3 de la Convention de Rome du 19 janvier 1980, elles revendiquent par ailleurs l'application de la loi espagnole en faisant valoir que :
- dans les cinq premiers contrats (1984 à 1988) les parties étaient convenues que la loi espagnole serait applicable,
- en l'absence d'une mention expresse, le contrat du 21 février 1995 doit s'interpréter conformément aux contrats antérieurs.
Dans ce cadre, elles prétendent que la dénonciation anticipée était justifiée par :
1°) les fautes lourdes commises par la société SOREP qui ont entraîné une perte totale de confiance à savoir: le non-respect des minima des chiffres d'affaires exigés, le non-respect de l'obligation de non concurrence de la part de Jean-Claude Meng associé et gérant de fait de SOREP, l'encaissement de règlements de factures et de chèques, l'émission de chèques sans provision, l'atteinte à ses intérêts, la gestion de fait de la société par Jean-Claude Meng, l'absence de sincérité des comptes, la cessation des paiements datant de fin 1994, la vente de marchandises à perte, la confusion des sociétés du groupe Meng,
2°) la faillite de l'agent commercial (Loi 12-92 du 27 mai 1992):
Quant aux commissions, prétendant que Maître Saulnier se fonderait en partie sur un arrêté contradictoire et pour le reste sur des considérations purement fantaisistes et dépourvues de bases comptables, les sociétés appelantes allèguent qu'elles seraient en fait créancières de SOREP de 1.835.726,42 francs et contestent point par point les prétentions de leur adversaire en soulignant qu'en contractant le 21 février 1995, les parties ont entendu faire litière de leurs griefs respectifs antérieurs connus.
Quant à la lettre du 25 octobre 1995 invoquée par Maître Saulnier ès qualités, elles prétendent que ce courrier ne peut constituer un engagement en faveur de SOREP dès lors que ni Jacques Meng ni Jean-François Meng n'avaient qualité pour engager cette société sous administration judiciaire, et que les conditions qui y étaient contenues n'ont pas été remplies, ce qui aurait entraîné la dénonciation du 16 novembre suivant.
Au cas où la Cour jugerait la législation française applicable, les sociétés appelantes font valoir qu'elles n'avaient aucune raison de mettre en demeure, en application de l'article 37 de la Loi du 25 janvier 1985 l'administrateur de décider s'il entendait ou non poursuivre le contrat en cours, les manquements graves commis par SOREP rendant en tout état de cause impossible la poursuite des relations et justifiant une dénonciation pour faute et ledit article 37 ne pouvant conférer l'invulnérabilité et l'infaillibilité au failli.
Soutenant avoir dûment dénoncé à la SOREP lesdits manquements par mise en demeure du 12 mai 1995, acte notarié du 15 juin 1995 notifié à SOREP le 30 juin 1995 et indiquant avoir également fait procéder le 17 juillet 1995 à une notification à ses débiteurs, elles prétendent que la SOREP aurait été avertie de ce que faute de remboursement des sommes qu'elle se serait appropriée indûment, les relations commerciales prendraient fin.
Elles font valoir ensuite que dès la mise en redressement judiciaire, la société SOREP aurait été dans l'incapacité de continuer à fournir les prestations contractuelles lui incombant faute de personnel apte à y pourvoir, le non-accomplissement par l'agent de ses prestations s'assimilant à une cessation du contrat à son initiative, hypothèse prévue à l'article 13 de la Loi du 25 juin 1991 excluant dans ce cas toute réparation.
Elles ajoutent qu'à aucun moment, l'administrateur n'a imputé la cause de la conversion à la dénonciation anticipée du contrat d'agent et que dès lors que la liquidation était inéluctable, l'article 37 ne recevait pas application. Elles en déduisent que l'agent ne peut prétendre à un quelconque dédommagement.
A titre subsidiaire, elles soutiennent que l'indemnité réclamée serait exagérée en son montant compte tenu de la durée du contrat inférieure à neuf mois et alors qu'il n'y aurait pas lieu de prendre en compte la période antérieure au 21 février 1995. Elles affirment que seule la somme de 675.000 francs retenue pour 1995 par la société ORCOM dans un rapport d'expertise pourrait servir de fondement à la fixation de cette indemnité.
Maître Saulnier ès qualités de liquidateur de la société SOREP et intervenant volontairement en sa qualité de liquidateur de la société Etablissements Meng conclut à la compétence de la présente Cour, à l'application de la loi française, à la condamnation solidaire des sociétés Juguètes Feber SA et Juguètes Feber International SA au paiement, au bénéfice solidaire des sociétés SOREP et Meng SA, de la somme de 6.977.182,20 francs au titre de l'indemnité de rupture et de celle de 902.978,67 francs pour les commissions restant dues (ou 1.421.870,41 francs dans les motifs de ses dernières écritures) les dites sommes augmentées en cas d'exécution forcée du montant des frais et honoraires que les huissiers de justice sont en droit de retenir, enfin à la condamnation in solidum des sociétés appelantes au paiement de 450.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Le cas échéant, il demande d'ordonner une mesure d'expertise sur les commissions dues au titre de l'exercice 1995 et notamment sur celles afférentes aux commandes passées antérieurement à la résiliation et dans un subsidiaire de ses écritures dites responsives et récapitulatives une mesure d'expertise limitée au seul parachèvement des comptes entre les parties pour les commissions dues au titre des ventes réalisées en 1996.
Soutenant que la chaîne contractuelle présentée par Feber comme pratiquement ininterrompue est en fait discontinue et que la stratégie des appelantes consiste à préparer le déplacement de la discussion du terrain d'une rupture d'un contrat d'agence en pleine période d'observation et sans motif vers celui d'une pseudo-confirmation d'une rupture pour multiples fautes commises antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, Maître Saulnier ès qualité après avoir présenté "la synthèse du rappel des faits" prétend que l'admission de la société SOREP au redressement judiciaire et l'état de cessation des paiements ne résultent que du non-paiement par les sociétés Feber des sommes dues. Il ajoute que la rupture du contrat serait exclusivement motivée par le refus de Feber de payer les dites commissions tout en montant immédiatement une nouvelle structure avec les mêmes partenaires ce qu'il qualifie de tentative de fraude aux droits des créanciers.
II conteste en tout état de cause les fautes reprochées à la SOREP en faisant valoir notamment que :
- jusqu'à la rupture de leurs relations contractuelles Feber n'a jamais contesté l'usage par SOREP de son logo,
- toutes les prétendues anomalies antérieures au 21 février 1995 ont été prises en compte et Feber n'a pas estimé devoir en tirer une quelconque conséquence quant à une éventuelle rupture des relations contractuelles,
- les règlements par SOREP des factures clients auraient été acceptés,
- le seul point en litige concernerait la surcharge d'un chèque imputable à Jean-Claude Meng, la confiance demeurant totale à l'égard des deux autres frères Meng,
- les paiements faits directement à SOREP n'auraient pas constitué une cause de rupture mais auraient été compatibles avec l'offre d'entamer de nouvelles relations contractuelles au préjudice des créanciers de SOREP, tel que cela résulte d'un courrier du 25 octobre 1995,
- la concurrence déloyale n'est argumentée par aucun document précis,
- les actes notariés des 30 juin et 10 juillet 1995 ne contiennent aucune dénonciation d'une résiliation de contrat.
Rappelant par ailleurs la chronologie des événements, Maître Saulnier prétend que si, à la date du 27 novembre 1995 la SOREP n'avait plus d'activité, c'est précisément parce que onze jours plus tôt, celle-ci avait cessé d'être possible en raison de la résiliation du seul contrat d'agent dont elle disposait et qui a conduit nécessairement à sa liquidation judiciaire.
II dénie ensuite toute valeur au rapport Orcom qu'il demande à la Cour d'écarter des débats compte tenu de ses lacunes.
Il insiste par ailleurs sur les anomalies qui caractériseraient la production des créances de Feber au passif de SOREP et après avoir demandé de dire qu'elles ne satisfont ni en la forme ni au fond aux exigences de la vérification des créances, observe que le Juge Commissaire a rendu le 27 octobre 1998 une décision relevant la litispendance.
Quant à la demande d'annulation du jugement, Maître Saulnier ès qualités, après avoir soutenu en liminaire que les sociétés appelantes se seraient délibérément privées du droit de développer par écrit leurs moyens de fond alors qu'elles auraient pu solliciter un report d'audience, soutient que l'article 5 du Décret du 27 décembre 1985 aurait une portée générale et ne se limiterait pas au seul cas où la compétence du Tribunal français connaissant de la procédure collective est contestée concomitamment à l'ouverture de celle-ci.
Invoquant par ailleurs l'article 1-2ème de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, il fait valoir que le Tribunal de Commerce d'Orléans ayant ouvert la procédure collective était bien fondé à se déclarer compétent en raison de la résiliation du contrat par le concédant en pleine période de redressement judiciaire une telle résiliation étant en réalité motivée par cette seule procédure collective et de nature à entraîner des conséquences directes sur celle-ci et sur sa solution.
S'agissant de la prétendue irrecevabilité de la société Établissements Meng, il soutient que le contrat d'agence liant celle-ci à Feber n'a jamais fait l'objet d'une résiliation formelle et que des relations contractuelles certes modestes se sont perdurées entre les deux sociétés, relevant que la production de créance de Feber est faite à l'encontre de Meng/Sorep, que la notification de la résiliation a été adressée à la société Meng et aux trois frères Meng qu'enfin l'imbrication des comptes entre les deux sociétés Feber constitue une raison suffisante pour maintenir la société Meng en cause.
Quant à la loi applicable au contrat litigieux, Maître Saulnier soutient qu'il s'agit de la loi française tant en vertu de l'article 6 de la Convention de la Haye de 1978 que des articles 3 et 4 de la Convention de Rome de 1980 et l'absence de tout choix exprès dans le contrat.
Au cas où la Cour déciderait que la législation espagnole devrait régir le contrat, il prétend qu'en tout état de cause, l'article 26 de la Loi de 1992 autorisant la résiliation en cas de faillite est inapplicable en raison du caractère d'ordre public de l'article 37 de la Loi du 25 janvier 1985.
Maître Saulnier demande en conséquence de juger que les sociétés Feber n'avaient pas le droit de se faire leur propre juge et de se substituer aux organes de la faillite pour décider des chances économiques, financières et matérielles de continuation des contrats en cours, en raison de la situation de la société SOREP alors qu'une telle situation n'est établie qu'à l'aide de documents qui n'ont pas été contradictoirement élaborés et qui suppose une appréciation que seul l'administrateur était en droit d'exercer.
Quant aux commissions, Maître Saulnier ès qualités fait valoir que l'affirmation de Feber selon laquelle elle aurait été créancière de SOREP de 1.835.726,64 francs, est exacte en son montant, mais erronée dans la mesure où un tel chiffre est présenté comme un solde final des comptes entre les parties alors qu'il n'est à prendre en considération qu'au début d'un raisonnement dont l'issue fait apparaître un solde créditeur au profit des sociétés intimées. II relève que les commissions n'auraient pas été réglées en temps utile, que le taux pratiqué n'était plus le taux contractuel qui aurait été de 5% et conteste les affirmations de Feber quand aux sommes en cause. II prétend que l'assiette de ces commissions s'établirait pour l'année 1995 à 2.240.009,57 francs que le montant total de celles encore dues serait de 2.296.429,33 francs soit après déduction de 1.835.726,42 francs un solde en faveur de SOREP de 460.702,91 francs auquel il conviendrait d'ajouter d'une part les commissions dues au titre des commandes prises courant 1995 mais concernant les livraisons à effectuer en début d'année 1996 pour la saison des jouets d'été 1996 (687.776,87 francs) et d'autre part des avoirs non comptabilisés pour 273.391,03 francs.
S'agissant de l'indemnité pour rupture, Maître Saulnier ès qualités prétend enfin qu'elle ne saurait être inférieure à deux années de commissions.
Sur ce :
Sur l'annulation du jugement :
Attendu qu'à supposer que l'article 5 du Décret du 27 décembre 1985 s'applique à toutes les actions qui concernent le redressement et la liquidation judiciaire et non pas seulement à celles tendant à l'ouverture d'une procédure collective il n'en demeure pas moins que l'article 2 du même Décret dispose que les exceptions d'incompétence sont réglées par les articles 75 à 99 du Nouveau Code de Procédure Civile sauf à ce que notamment lorsque sa compétence est contestée le Tribunal, s'il se déclare compétent, statue sur le fond dans le même jugement ;
Qu'il en résulte que par application de l'article 76 du Nouveau Code de Procédure Civile, le Premier Juge devant lequel les sociétés Feber n'avaient conclu que sur la compétence, aurait du les mettre en demeure de conclure sur le fond, les dispositions susvisées s'appliquant à toutes les juridictions y compris le Tribunal de Commerce, nonobstant l'oralité des débats ;
Qu'en ne le faisant pas, le Tribunal a violé l'article 16 du Nouveau Code de Procédure Civile qui oblige le Juge en toutes circonstances à faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, peu important qu'il se soit estimé suffisamment informé, ce qui en l'absence de tout débat contradictoire sur le fond est pour le moins audacieux ;
Que la décision déférée doit donc être annulée ; que toutefois en application de l'effet dévolutif de l'appel, il convient d'évoquer.
Sur la compétence :
Attendu que si l'article 17 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 prévoit que lorsque les parties ont par convention désigné les tribunaux d'un état contractant pour connaître des différends relatifs à un rapport de droit déterminé, seuls ces tribunaux sont compétents, l'article 1er de ladite convention exclut de son application "les faillites concordats et autres procédures analogues".
Que l'expression "procédures analogues" englobe toutes les contestations se rapportant à une faillite à condition qu'elles dérivent directement de celle-ci et s'insèrent étroitement dans le cadre d'une procédure de faillite, la convention demeurant applicable aux seules actions de droit commun exercées à l'occasion d'une procédure collective mais non affectées par celle-ci ;
Qu'il convient donc en l'espèce pour déterminer la juridiction compétente de s'interroger sur le point de savoir si la contestation est née de la procédure collective ou si celle-ci a exercé sur elle une influence juridique.
Attendu qu' il est constant que les sociétés Feber qui se prévalent de fautes commises antérieurement au redressement judiciaire, n'en avaient cependant encore tiré aucune conséquence quant à la poursuite du contrat d'agent commercial ;
Qu'elles ne peuvent se prévaloir de faits antérieurs au 21 février 1995, date à laquelle est intervenue la dernière convention alors que par celle-ci, elles pérénissaient leurs relations avec la société SOREP nonobstant les éventuels manquements commis par celle-ci ;
Que s'il est vrai que par lettre du 12 mai 1995, puis par actes des mois de juin et juillet 1995, elles ont dénoncé certains agissements et notamment :
- l'utilisation du logo Feber,
- la perception directe par SOREP des règlements des clients,
- l'existence d'un chèque libellé à l'ordre de la "société Feber-Meng",
les sociétés Feber ont cependant exclusivement menacé leur cocontractante d'annulation du contrat en cas de récidive et en l'absence d'explications suffisantes ;
Que par une lettre du 25 octobre 1995 qui démontre qu'elles savaient que l'ouverture de la procédure collective de la société SOREP allait intervenir, elles ont renouvelé leur confiance à Jean-François et Jacques Meng en acceptant que la nouvelle société qui serait constituée par ces deux derniers sans leur frère Jean-Claude, après le dépôt de bilan de SOREP continue à être leur agent commercial pour la France et en affirmant en outre dans le commentaire final "Amis Meng, nous sommes disposés à vous aider pour sortir de votre problème et à continuer..." ;
Que les sociétés appelantes ne peuvent donc pas sérieusement soutenir que la cause de la dénonciation du contrat intervenu seulement trois semaines après ladite lettre doive être recherchée dans les fautes commises par la société SOREP, peu important à cet égard que la nouvelle société n'ait pas encore été constituée le 16 janvier 1995 ou qu'il n'ait pas encore été confirmé que Jean-Claude Meng n'y participerait pas ;
Qu'il s'ensuit que l'action en cause à l'occasion de laquelle se pose la question de la possibilité de résiliation par un cocontractant après l'ouverture de la procédure collective d'un contrat en cours ne peut s'analyser comme une action de droit commun non affectée par ladite procédure mais au contraire comme une contestation s'insérant étroitement dans le cadre de celle-ci ;
Qu'en application de l'article 1er de la Convention de Bruxelles, le Tribunal de Commerce d'Orléans lieu d'ouverture de la procédure collective de SOREP était donc compétent pour connaître de ladite action ; qu'il en est de même de la présente Cour, statuant ensuite de l'annulation du jugement.
Sur la recevabilité de l'action de la société Meng :
Attendu qu'il résulte de la lettre du 1er janvier 1992 que l'exclusivité de la représentation dé Feber en France a été accordée à la société SOREP ;
Que la convention du 21 février 1995 ne concerne que les rapports entre les sociétés Feber et SOREP ;
Que Maître Saulnier ès qualités ne démontre pas que nonobstant cette exclusivité les relations se soient poursuivies avec la société Établissements Meng ; qu'il importe peu à cet égard que la lettre de résiliation ait été adressée à celle-ci puisqu'il résulte de sa lecture qu'en fait, elle a été envoyée aux trois associés de SOREP ; que de même, le fait que les sociétés Feber aient déclaré leur créance à la procédure collective en faisant figurer la mention SOREP/Meng ne confère pas pour autant un intérêt à agir au profit de la société Établissements Meng dès lors que dans le cadre de ladite procédure, seules les créances à l'encontre de SOREP peuvent en tout état de cause être retenues ;
Qu'il convient en conséquence de déclarer irrecevable la société Établissements Meng en son action faute par elle de justifier de son intérêt à agir.
Sur la loi applicable:
Attendu qu'aux termes de l'article 5 de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux conventions d'intermédiaire et à la représentation, la loi interne choisie par les parties régit le rapport de représentation entre le représenté et l'intermédiaire ; que le choix de cette loi doit être exprès ou résulter avec une certitude raisonnable des dispositions du contrat et des circonstances de la cause ;
Que selon l'article 6 de la même convention dans la mesure où elle n'a pas été choisie dans les conditions prévues à l'article 5, la Loi applicable est la loi interne de l'État dans lequel au moment de la formation du rapport de représentation l'intermédiaire a son établissement professionnel ou à défaut sa résidence habituelle.
Attendu qu'en l'espèce, il est constant que tant la lettre du 1er janvier 1992 que la convention du 21 février 1995 ne contiennent aucune clause concernant la loi applicable au contrat ;
Que les sociétés Feber ne peuvent se référer aux conventions antérieures à 1992 pour prétendre que ladite Loi serait la Loi espagnole alors que la société SOREP non encore constituée n'y était pas partie
Qu'en l'absence de choix exprès et faute de pouvoir déterminer avec une certitude raisonnable la loi choisie les dispositions de l'article 6 de la Convention de la Haye doivent donc recevoir application; qu'il s'ensuit que le rapport de représentation doit être considéré comme régi par la loi française, la société SOREP ayant son établissement professionnel en France.
Sur la résiliation du contrat d'agent commercial et l'indemnité de rupture:
Attendu qu'aux termes de l'article 37 de la Loi du 25 janvier 1985, l'administrateur a seul la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur; que le contrat est résilié de plein droit après une mise en demeure adressée à l'administrateur restée plus d'un mois sans réponse;
Que le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d'exécution par le débiteur d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture, le défaut d'exécution de ces engagements n'ouvrant droit au profit des créanciers qu'à déclaration au passif.
Attendu qu'il est constant que les sociétés Feber n'ont pas respecté les dispositions susvisées en adressant à la SCP Laureau-Jeannerot administrateur la lettre du 16 novembre 1995 par laquelle elles ont résilié le contrat d'agent ; qu'au regard de ce qui a déjà été dit précédemment elles ne peuvent se prévaloir de fautes antérieures à l'ouverture de la procédure collective alors que :
- le contrat était en cours et qu'aucune action n'avait été intentée pour le résilier,
- elles avaient encore manifesté leur confiance à deux des frères Meng le 21 octobre 1995 en acceptant de poursuivre après le dépôt de bilan leurs relations avec une société nouvellement créée par eux.
Que la teneur du dit courrier telle que rappelée ci-dessus démontre en fait que l'ouverture de la procédure collective est la seule cause de la dénonciation par les sociétés Feber du contrat en cause.
Mais attendu qu'il est constant que la SCP Laureau-Jeannerot n'a pas réagi à réception de la lettre susvisée alors qu'elle aurait pu exiger la continuation du contrat ou à tout le moins demander des explications sur cette résiliation ;
Que ce silence démontre qu'elle n'envisageait pas de poursuivre le contrat en cause dans la mesure où elle n'était pas en mesure de fournir la prestation promise.
Qu'en effet contrairement à ce qu'il est soutenu par Maître Saulnier ès qualités, la liquidation judiciaire n'a pas été prononcée au motif de la résiliation ; que s'il est vrai que les Juges visent l'absence d'activité, il est également établi par le rapport de l'administrateur qu' à l'exception de l'agent technique et du technicien le reste du personnel de SOREP (dont l'attaché commercial) avait été licencié en octobre 1995 simultanément au dépôt de bilan que le contrat de bail dont bénéficiait la société SOREP n'avait pas été poursuivi ; qu'aucun achat sur la période d'observation n'avait eu lieu même avant la rupture des relations ; que le seul employé de La Ferté Saint-Aubin travaillait en fait pour le compte d'une autre société.
Qu'il en résulte qu'en licenciant la majorité de son personnel dès le dépôt de bilan, la société SOREP avait mis en tout état de cause l'administrateur dans l'impossibilité de fournir la prestation promise dont il avait été prévu entre les représentants des deux parties si l'on en croit la lettre du 25 octobre 1995 qu'elle serait assurée par une société nouvellement créée.
Que dans ces conditions le contrat en cours ne pouvait en tout état de cause se poursuivre du fait de l'initiative prise par la société SOREP d'arrêter son activité dès le dépôt de bilan;
Qu'en conséquence en application de l'article 13 b) de la Loi du 25 juin 1991, la réparation prévue en cas de cessation des relations du mandataire avec le mandant n' est pas due ; que Maître Saulnier ès qualités de liquidateur de la société SOREP doit donc être débouté de sa demande de paiement d'une indemnité ensuite de ladite rupture.
Sur le montant des commissions
Attendu que les pièces versées aux débats ne permettent pas à la Cour de faire le calcul des commissions qui seraient éventuellement encore dues par les sociétés Feber à la société SOREP et donc en conséquence le compte entre les parties
Qu'il convient avant-dire-droit d'ordonner une expertise sur ce point.
Sur les demandes annexes:
Attendu qu'il sera en l'état sursis à statuer sur les réclamations annexes en dommages-intérêts et sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
LA COUR, Annule le jugement rendu le 4 juin 1997 par le Tribunal de Commerce d'Orléans, Évoquant : Rejette l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Feber ; Déclare irrecevable Maître Saulnier ès qualités de liquidateur de la société Établissements Meng en son action ; Dit la loi française applicable au présent litige ; Déboute Maître Saulnier ès qualités de liquidateur de la société SOREP de sa demande en paiement d'une indemnité de rupture ; Avant-dire-droit sur le montant des commissions et le compte à faire entre les parties ; Ordonne une expertise et Désigne pour y procéder Monsieur Gilbert Le Pironnec 51-55, boulevard de Châteaudun - BP 722 - 45017 Orléans Cedex 1, lequel après avoir convoqué les parties, s'être fait communiquer tous documents utiles aura pour mission : - de calculer au regard des conventions intervenues entre les parties et des taux prévus le montant des commissions normalement dues par les sociétés Feber à la société SOREP, - de rechercher les sommes réglées à ce titre par les sociétés Feber, - de faire le compte entre les parties, Dit que le rapport devra être déposé au Greffe de la Cour au plus tard le 1er octobre 1999 ; fixe à 15.000 francs la somme à valoir sur les frais d'expertise que Maître Saulnier ès qualités de liquidateur de la société SOREP devra consigner à la Régie d'Avances et de Recettes de la Cour le 3 mai 1999 au plus tard ; Dit qu'il sera fait application des dispositions de l'article 271 du Nouveau Code de Procédure Civile en cas de refus de consignation de cette somme par l'intéressé dans le délai prescrit ; Sursoit à statuer sur le surplus des prétentions des parties, Réserve les dépens, et le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier.