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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 3 décembre 1997, n° 96005817

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Merlet

Défendeur :

BGC Vinocor France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frizon de Lamotte

Conseillers :

Mlle Courbin, M. Ors

Avoués :

SCP Rivel-Combeaud, SCP Casteja-Clermontel

Avocats :

Mes Rivière, Maze.

T. com. Bordeaux, du 6 août 1996

6 août 1996

Par jugement du 6 août 1996, le Tribunal de commerce de Bordeaux a dit que les éléments d'une faute grave justifiant la rupture du contrat d'agent commercial de M. Merlet étaient réunis, a débouté M. Merlet de sa demande de dommages intérêts pour rupture injustifiée, avant dire droit au fond, a désigné M. Hilaire en qualité d'expert avec mission de :

- convoquer les parties,

- les entendre en leurs explications,

- entendre tous sachants,

- se faire communiquer les documents de la cause,

- établir le chiffre d'affaires réalisé par Monsieur Pierre Merlet de septembre 1995 à février 1996 inclus qui servira de base au calcul de ses commissions et de l'indemnité de préavis et de déterminer les montants des commissions qui lui resteraient dues, et renvoyé l'affaire à une date d'audience pour qu'il soit statué au vu du rapport.

M. Merlet a interjeté appel le 27 août 1996, conclu le 10 décembre 1996 à la réformation du jugement ; il fait grief au Tribunal de s'être fondé sur la clause de quota pour justifier de la gravité de la faute qu'il aurait commise, alors que cette clause ne pouvait justifier la rupture du contrat mais seulement la perte de l'exclusivité, et qu'une clause de quota ne peut justifier la rupture, sauf à violer les dispositions des articles 12 et 13 de la loi du 25 juin 1991 qui sont d'ordre public ;

M. Merlet soutient que la chute du chiffre d'affaires ne lui est pas imputable, mais a pour cause l'incapacité de Vinicor à faire face à la demande de la clientèle dans les délais requis ; il demande la condamnation de Vinicor à lui payer 140.000 francs de dommages intérêts pour rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée et 630.000 francs d'indemnité de rupture, ses droits étant réservés en ce qui concerne l'arriéré de commissions ; il sollicite 15.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La SARL BCG Vinicor France, par conclusions du 1er août 1997, demande la confirmation du jugement, 8.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; elle soutient établir par les relevés du chiffre d'affaires réalisé par M. Merlet la grave désaffection de celui-ci pour son activité, justifiant qu'elle y ait mis fin sans tarder.

Attendu, aux termes du contrat d'agent commercial du 27 juillet 1995, signé entre la SARL Bouchons Grand Cru - BGC - représentée par son gérant M. Da Silva Ribeiro, le mandant, et Pierre Merlet, l'agent commercial, que ce dernier avait pour mission de négocier la vente de bouchons liège fabriqués ou commercialisés par la société BGC ou par toute société ayant un lien de filiation avec elle ; que des clients répertoriés et individualisés ont été énoncés dans une annexe I au contrat sur lesquels BGC a accordé à M. Merlet le droit de vendre, à titre exclusif, des bouchons liège ; qu'en outre M. Merlet devait visiter, sans exclusivité, tout type de clientèle au nom et pour le compte de BGC en vue de la promotion et de la vente de bouchons liège ; qu'une annexe II définissait des clients individualisés sur lesquels M. Merlet ne pourrait pas exercer son activité ; que la durée du contrat était déterminée pour un an à compter du 1er septembre 1995, le contrat devant être ensuite réputé transformé en contrat à durée indéterminée, sauf dénonciation par l'une ou l'autre partie par lettre recommandée avec accusé de réception trois mois avant l'arrivée du terme ; que l'article 4 fixait la rémunération, sous forme d'une commission, dont les modalités de calcul étaient définies ; que l'article 6 "obligation de l'agent commercial", disait qu'en contrepartie de l'exclusivité de représentation consentie à l'agent sur les clients répertoriés et individualisés à l'annexe I, l'agent s'engageait à faire réaliser annuellement à BGC un chiffre d'affaires minimum HT de 4.000.000 francs étant ajouté "le défaut pour l'agent de faire réaliser à son mandant le chiffre d'affaires minimum ci-dessus pendant la durée du présent contrat, soit du 1er septembre 1995 au 31 août 1996, entraînera en cas de renouvellement dudit contrat pour une durée indéterminée la perte de l'exclusivité de l'agent commercial sur les clients figurant à l'annexe n° I des présentes" ; que l'article 11 définit l'indemnité compensatrice : à l'expiration du contrat, comme en cas de résiliation, à l'exclusion d'une rupture de son fait ou provoquée par sa faute grave, l'agent commercial aura droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi, conformément aux dispositions de l'article 12 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 février 1996, le gérant de BGC a notifié à M. Merlet la rupture du contrat pour faute grave, "à compter du 22 février 1996, soit au terme des 15 jours de préavis réglementaire" ; qu'il lui reproche le nombre et le volume des commandes conclues auprès de ses clients, inacceptables compte tenu de l'importance des fichiers clients et des chiffres réalisés par ses soins antérieurement et par les autres commerciaux ajoutant "... n'ayant réalisé à ce jour qu'un chiffre d'affaires de 453.000 francs pour cinq mois, il nous parait impossible que vous réalisiez le chiffre d'affaires minimum conclu pour une période annuelle de 4.000.000 francs", puis "en plus de l'insuffisance de travail et de commandes, nous avons à déplorer une perte de clientèle très importante par exemple seulement 9 % de vos clients travaillent à ce jour avec notre entreprise. De plus un seul client représente environ 65 % du chiffre d'affaires de ces 9 % de clients" ; que dès le 15 février 1996, BGC a informé ses clients de ce que M. Merlet ne faisait plus partie de sa société ; que par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 février 1996, M. Merlet a protesté contre le préavis de 15 jours prévu par le contrat seulement dans le cas de non renouvellement au terme convenu du contrat, a informé BGC de ce qu'il considérait qu'il y avait rupture abusive, ouvrant droit à dommages intérêts outre les indemnités et commissions dues en application du contrat ; qu'il protestait également contre l'interdiction qui lui était faite de visiter les clients de l'annexe I ;

Attendu que M. Merlet critique le jugement, en ce qu'il a qualifié de faute grave la baisse importante du chiffre d'affaires et la non réalisation des objectifs contractuellement fixés, soit 4.000.000 francs pour la première année, alors qu'il avait atteint plus de 6.000.000 francs pour les années 1992, 1993 et 1994, 3.623.000 francs pour les huit premiers mois de 1995, cette comparaison démontrant sa grave désaffection pour son activité d'agent commercial, justifiant qu'il y soit mis fin sans tarder ;

Attendu en effet qu'aux termes de l'article 6 du contrat, la sanction de la non réalisation du chiffre d'affaires de 4.000.000 francs, n'est pas la rupture du contrat, mais la perte de l'exclusivité de M. Merlet sur ses anciens clients individualisés dans l'annexe I, et qui étaient les siens quand il était le gérant de BGC ;

Attendu, au vu du rapport de l'expert désigné par le Tribunal avant de statuer sur les commissions restant dues, afin de rechercher le chiffre d'affaires réalisé, que celui-ci s'élève à 679.682,94 francs et non 453.000 francs comme énoncé par BGC dans sa lettre de rupture, soit un montant nettement supérieur ;

Attendu qu'en outre, au vu de ce rapport, BGC a réglé à M. Merlet 6.409,54 francs HT de commissions lesquelles s'élèvent en fait à 67.288,29 francs HT, qu'ainsi BGC, sur cinq mois d'activité, était redevable de 60.878,75 francs HT soit 73.419,77 francs TTC ; que les commissions étaient "payables, sitôt le règlement du client dans les 15 jours suivants la fin de chaque mois", aux termes de l'article 4 du contrat ; que les factures ont été payées par les clients à l'exception de celles du domaine de la Mette du 11 décembre 1995, de 78.296,54 francs TTC réglées seulement le 18 avril 1996, qu'en tout état de cause, même en tenant compte du temps écoulé entre les factures clients et l'encaissement, il est certain qu'au 12 février 1996, BGC réglait avec retard les commissions dues à son agent; qu'ainsi BGC a failli à une obligation essentielle du mandant, celle de payer la rémunération du mandataire, justifiant la rupture du mandat, cette faute compromettant l'équilibre économique de l'agence ; que M. Merlet produit des courriers aux termes desquels il a demandé paiement de ses commissions, 7.729,90 francs le 30 novembre 1995, impayées malgré des réclamations des 9 et 16 janvier 1996 ; que BGC n'était donc pas fondée à reprocher à M. Merlet un "désintérêt complet de son travail", alors qu'elle-même ne remplissait pas son obligation essentielle de lui régler les commissions dues ;

Attendu qu'au surplus M. Merlet verse au dossier une lettre recommandée avec accusé de réception du 21 décembre 1995 aux termes de laquelle il a protesté contre le démarchage d'un de ses clients réservés par un commercial de BGC, une autre lettre recommandée avec accusé de réception du 5 février 1996, contre l'absence de réponse à ses fax et lettres demandant le tarif des bouchons, le double des commandes passées directement à BGC par ses clients, les relevés de factures établies par BGC en ce qui concerne sa clientèle, pour les mois de décembre 1995 et janvier 1996 ; que l'absence de fourniture des éléments ainsi sollicités, nécessaires à M. Merlet, pour la poursuite de son activité, démontre la volonté de BGC, antérieure à la lettre de rupture du 7 février 1996, de mettre fin au contrat d'agent commercial sans attendre le terme de la première année ; que par des courriers échangés entre les parties M. Merlet démontre les difficultés qu'il a rencontrées au cours du dernier trimestre 1995 à obtenir une livraison dans le temps prévu, des tarifs, et quant à la qualité des bouchons critiquée gravement notamment par une importante maison de négoce de Bordeaux, cause certaine d'une diminution des affaires concrétisées pour BGC ;

Attendu que M. Merlet établit la rupture anticipée du contrat avant le terme convenu d'une année, imputable à BGC qui ne démontre aucune faute grave à son encontre ; que la rupture est intervenue en février alors que la préparation de la mise en bouteilles, soit la période la plus favorable pour la vente des bouchons allait commercer ainsi que le montre le chiffre d'affaires obtenu au cours de 1994 les résultats les plus élevés étant ceux des mois de mars, avril et mai, les résultats les plus faibles étant ceux d'octobre, novembre et décembre ;

Attendu que le Tribunal de commerce de Bordeaux a statué, au vu du rapport d'expertise de M. Hilaire, le 26 septembre 1997, a condamné BGC à payer à M. Merlet 73.419,77 francs de commissions, a débouté M. Merlet de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis ; que la Cour est dès lors incompétente pour statuer sur cette même indemnité ;

Attendu qu'aux termes de l'article 2 "indemnité compensatrice", à l'expiration du contrat, comme en cas de résiliation, à l'exclusion d'une rupture de son fait ou provoquée par sa faute grave, l'agent commercial aura droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi conformément aux dispositions de l'article 12 de la loi du 25 juin 1991;

Attendu qu'en l'absence de toute mention faite au contrat du mode de calcul de cette indemnité, l'usage de deux années de commissions, doit être retenu, BGC ne démontrant pas que le préjudice subi par M. Merlet serait moindre, et le fondement de cette indemnité étant le rupture du mandat commun, cause de la perte d'une part de marché, et non la clientèle créée ou préexistante ; que M. Merlet ne démontre pas le motif justifiant de trois années de commissions alors que si la particularité du contrat en cause est certaine, M. Merlet n'était tenu par aucune exclusivité à l'égard de BGC, qui aurait eu pour conséquence une perte de marché plus importante" ; que la Cour retient donc deux années sur une base de commissions de 210.000 francs, compte tenu de la différence de résultats obtenus de septembre à janvier, époque effectuée, et ceux nettement supérieurs que M. Merlet aurait obtenus si le contrat avait atteint son terme ; que l'indemnité est donc fixée à 420.000 francs ;

Par ces motifs : - dit M. Pierre Merlet fondé en son appel réformant pour partie le jugement du 6 août 1996 et statuant à nouveau ; - condamne la société BGC Vinocor France à payer à M. Merlet Pierre la somme de 420.000 francs pour indemnité de rupture du contrat d'agent commercial ; - donne acte à M. Merlet de ses réserves quant à ses droits concernant l'arriéré de commissions ; - dit M. Merlet irrecevable en sa demande d'indemnité de préavis ; - condamne la société BGC Vinocor France à payer à M. Merlet 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; - condamne la société BGC Vinocor France aux entiers dépens, application étant faite des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.