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Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 31 octobre 1997, n° 96-13096

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mathias (SARL)

Défendeur :

Strafun Distribution (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

M. Faucher, Mme Deurbergue

Avoués :

SCP Baskal, Me Pamart

Avocats :

SCP Pinson, Me Bessonnet.

T. com. Meaux, du 20 févr. 1996

20 février 1996

La COUR statue sur les appels interjetés respectivement à titre principal par la société Mathias et à titre incident par la société Strafun Distribution à l'encontre du jugement du Tribunal de Commerce de Meaux, prononcé le 20 février 1996 qui a condamné la première société à payer à la seconde, outre une indemnité de 5.000 francs en vertu de l'article 700 du NCPC, la somme de 112.467,40 francs, puis a débouté les parties de leurs autres demandes.

Référence faite au jugement attaqué et aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il suffit de rappeler les éléments suivants.

Par lettre recommandée du 10 février 1995, la société Mathias a notifié à la société Strafun Distribution sa décision de mettre fin à compter du 10 mai 1995, au contrat d'agent commercial qui les liait, donnant pour justification la faiblesse des résultats obtenus par cette société, l'absence de développement de la clientèle et par conséquent du chiffre d'affaires, et la dispensant d'exécuter le préavis de trois mois tout en lui offrant le paiement d'une indemnité calculée sur ce délai.

Alléguant que cette rupture des relations contractuelles était uniquement imputable à la société Mathias et lui causait un préjudice, la société Strafun Distribution a assigné sa cocontractante devant le Tribunal de Commerce de Meaux afin d'obtenir le règlement de l'indemnité de cession du contrat d'agent commercial - demande à laquelle il a été fait droit ainsi que le paiement de dommages et intérêts - prétention dont elle a été déboutée.

Appelante à titre principal de cette décision, la société Mathias conteste avoir gêné l'exécution du mandat de son agent commercial et l'avoir traité différemment de ses autres agents. Elle fait valoir en substance que si elle a rompu la convention qui les liait, c'est parce que le chiffre d'affaires réalisé par la société intimée avait baissé de manière notable et que les résultats étaient en forte diminution.

Elle prie la Cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter l'intimée de ses prétentions et de la condamner à lui payer une indemnité de 25.000 francs en vertu de l'article 700 du NCPC.

Intimée et appelante à titre incident, la société Strafun Distribution répond que c'est la société Mathias qui est responsable de la rupture des relations parce que, depuis sa restructuration interne, les clients se sont plaints de la mauvaise qualité des meubles vendus et de délais de livraison anormalement longs, qu'elle-même a été confrontée à une pénurie chronique des tarifs et des catalogues ainsi qu'à une incohérence des recommandations en matière de politique commerciale.

L'intimée soutient qu'elle a droit au paiement d'une indemnité de cession du contrat d'agent, puisque depuis 1984, successivement Thierry Trochu, Monique Trochu et elle-même ont créé de toute pièce une clientèle jusqu'alors inexistante, pour le compte de la société Calligaris France devenue en 1986 la société Mathias.

Elle prétend aussi que son remplacement en cours de contrat par un autre agent lui a causé un préjudice.

Elle conclut donc à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a fait droit à sa demande de paiement d'une indemnité de cession de contrat, mais à son infirmation en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts.

Elle sollicite la Cour de condamner la société Mathias à lui payer la somme de 50.000 francs à titre de réparation et une indemnité de 30.000 francs en application de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, la COUR :

Considérant qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; que cependant, cette réparation n'est pas due quand la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial, ou qu'elle résulte de son initiative dans certaines circonstances précisées à l'article 13b de la loi du 25 juin 1991, ou encore, en cas de cession à un tiers de ses droits et obligations, en accord avec le mandant ;

Considérant que la société Mathias ne conteste pas avoir pris l'initiative de la rupture de la convention la liant à son agent et qu'elle la justifie par une absence de résultats et une baisse catastrophique du chiffre d'affaires ; qu'elle soutient que l'intimée a négligé l'essentiel de sa tâche, ce qui rend la rupture du contrat imputable à elle-même, et qu'en outre elle lui reproche de ne pas avoir développé la clientèle ;

Considérant que la société Strafun Distribution prétend quant à elle avoir été empêchée par son mandant d'exécuter correctement son mandat, comme le démontrent les doléances de nombreux clients sur la mauvaise qualité des marchandises vendues, les délais de livraison anormalement longs, et faute pour elle-même de disposer des tarifs et des catalogues des produits et d'avoir des recommandations cohérentes en matière de politique commerciale ;

Considérant toutefois que les critiques formulées par l'agent à l'encontre de son fournisseur ne sont pas déterminantes pour la solution du litige ;

Considérant qu'en effet,dès lors que la rupture des relations n'est pas intervenue à l'initiative de l'agent ou à la suite d'un accord des parties dans le cadre d'une cession des droits et obligations détenus en vertu du contrat, c'est au mandant de prouver la faute commise par son cocontractant s'il veut échapper au paiement de l'indemnité; qu'il lui faut préciser le fait matériel et caractériser la faute sur lesquels il fonde son refus ;

Or considérant qu'il résulte des éléments du dossier que les différents secteurs géographiques où exercent ses agents ont tous enregistré une baisse notable de leurs chiffres d'affaires de l'année 1991 à l'année 1994 ; que les lenteurs des livraisons, les défauts présentés par certains meubles vendus, l'absence de catalogues et de tarifs, réclamés à diverses reprises, les changements de politique commerciale ont gêné de manière évidente la société Strafun Distribution dans son activité de démarchage de la clientèle ; que l'appelante ne démontre pas que l'insuffisance des résultats obtenus révélée par la baisse du chiffre d'affaires soit due à une faute de son agent ; que celui-ci peut donc prétendre au paiement de l'indemnité visée à l'article 12 de la loi du 25 juin 1991 ;

Considérant qu'il incombe toutefois à l'agent de prouver qu'il a apporté une clientèle à son mandant ;

Considérant que les relations d'affaires ont débuté entre la société Calligaris France et Thierry Trochu, puis se sont poursuivies entre la société Mathias et successivement Monique Trochu et la société Strafun Distribution qui vient aux droits de cette dernière ; que cette collaboration ne remonte donc pas a l'année 1991, comme le soutient l'appelante, mais en 1984 ; qu'il n'est pas discuté qu'à cette date la société Calligaris France, remplacée par la société Mathias, n'avait pas de clientèle en France ; que ce sont les époux Trochu puis leur société qui l'ont créée et développée ; qu'il s'en suit que du fait de la rupture des relations la société Strafun Distribution subit un préjudice, constitué notamment par la perte des commissions, qui doit être réparé;

Considérant que les modalités de calcul de l'indemnité ne sont pas discutées par la société Mathias ; que le jugement sera donc confirmé sur le principe et le montant de la condamnation ;

Considérant que l'intimée prétend avoir subi un autre préjudice du fait que l'appelante l'a remplacée par un autre agent commercial avant la fin du contrat ;

Mais considérant que ce remplacement est intervenu alors que la convention avait été rompue avec dispense de préavis et paiement de l'indemnité due à ce titre ; qu'il s'en suit que l'intimée n'a pas subi de préjudice et que c'est à juste titre que le Tribunal l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Considérant qu'il est équitable d'allouer une indemnité complémentaire de 10 000 francs à l'intimée en application de l'article 700 du NCPC ; qu'en revanche, l'appelante, partie perdante, doit conserver la charge de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Condamne la société Mathias à payer à la société Strafun Distribution une indemnité complémentaire de 10.000 francs en application de l'article 700 du NCPC ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la société Mathias aux dépens d'appel, admet Maître Pamart au bénéfice de l'article 699 du NCPC.