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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 7 octobre 1999, n° 303-97

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Conseil et Partenariat Informatique (SA)

Défendeur :

Econocom Location (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Maron

Avoués :

SCP Lefevre, Tardy, SCP Julien-Lecharny-Roi

Avocats :

Mes Pelissie-Prunier, Versini.

T. com. Nanterre, du 27 sept. 1996

27 septembre 1996

Faits et procédure

La société Econocom Location, spécialisée dans la location et le négoce de matériel informatique, a conclu le 27 décembre 1989, un contrat d'agent commercial avec la société Conseil et Partenariat Informatique (ci-après désigné CPI) pour les départements 14 - 27 - 50 -61 et 76.

Par acte du 25 juin 1990, à effet du 1er janvier précédent, la société CPI a acquis de la société Axib, avec l'accord de la société Econocom Location, son droit de représentation sur tout le territoire de la Normandie.

A là suite d'un incident survenu le 10 juillet 1991, opposant les dirigeants des société Econocom Location et CPI, la première de ces sociétés a, par lettre du 18 juillet 1991, résilié avec effet immédiat le contrat d'agent commercial confié à la seconde en lui proposant, dans un cadre transactionnel, une indemnité forfaitaire de 560.000 francs.

Cette proposition n'ayant pas été acceptée, le Tribunal de Commerce de Rouen a été saisi à l'initiative de la société CPI.

Le Tribunal de Commerce de Rouen ayant relevé son incompétence, le Tribunal de Commerce de Nanterre, devant lequel la cause a été renvoyée, a, par jugement en date du 17 septembre 1992, dit que la rupture était intervenue aux torts exclusifs de la société Econocom Location, avant dire droit sur le montant de la réparation réclamée par la société CPI, ordonné une expertise et alloué à la société CPI une provision de 560.000 francs.

Ce jugement a été confirmé en toutes ses dispositions par arrêt en date du 02 juin 1994 de la Cour d'Appel de ce siège, passé en force de chose jugée.

L'expert désigné ayant déposé son rapport, par un deuxième jugement en date du 27 septembre 1996, le Tribunal de Commerce de Nanterre a statué dans les termes ci- après :

"Vu le rapport d'expertise,

Condamne la société Econocom Location à payer à la société Conseil et Partenariat Informatique - CPI - au titre de commission, la somme de 28.764,35 francs HT soit 34.114,52 francs TTC majorée des intérêts légaux à compter du 07 octobre 1991 avec anatocisme ;

Condamne la société Econocom Location à payer à la société CPI au titre d'indemnité la somme de 390.000 francs en sus de la provision déjà versée ;

Déboute les parties pour le surplus de leurs demandes ;

Ordonne l'exécution provisoire sous réserve qu'en cas d'appel la société Conseil et Partenariat Informatique - CPI - fournisse une caution bancaire égale au montant des condamnations prononcées ;

Condamne la société Econocom Location aux dépens y compris les frais d'expertise et à payer à la société CPI au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile la somme de 40.000 francs déboutant pour le surplus.

Appelante de cette décision, la société CPI reproche au premier juge d'avoir mal apprécié le montant et l'étendue du préjudice par elle subi. A cet égard, si elle n'entend pas remettre en cause le montant des commissions retenues après compensation, elle fait grief tout d'abord au Tribunal de ne pas lui avoir octroyé une indemnité distincte de préavis qu'elle estime devoir être fixée à 625.598,24 francs alors que le contrat, qui fait la loi des parties, prévoyait une telle indemnité. Elle soutient ensuite qu'elle est fondée à prétendre à une indemnité de rupture de 2.501.195 francs assise sans restriction sur la totalité de ses activités et représentant la moyenne de deux ans de commissions, ladite indemnité devant être en outre, majorée des intérêts de droit à compter de l'assignation eux-mêmes capitalisés conformément à l'article 1154 du Code Civil, sauf à tenir compte de la provision déjà perçue. Elle réclame également une indemnité de 120.000 francs "TTC" au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Econocom Location s'oppose pour sa part à l'argumentation adverse, contestant les bases de calcul retenues par l'appelante, et elle estime, dans le cadre d'un appel incident, que cette dernière ne saurait recevoir des sommes supérieures à celles arrêtées ci-après :

- commissions 34.114,52 francs

- préavis 125.000,00 francs

- indemnité de clientèle 250.000,00 francs

soit au total la somme de 409.114,52 francs

Elle demande en conséquence, restitution du trop perçu au titre de la provision avec les intérêts de retard, ainsi qu'une indemnité de 50.000 francs en couverture des frais de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer.

Motifs de la décision

Considérant qu'il n'est plus contesté par la société Econocom Location qu'il est désormais définitivement acquis, en vertu des décisions de justice susvisées passées en force de chose jugée, que la rupture du 18 juillet 1991 est intervenue à ses torts exclusifs et que cette rupture ouvre droit à réparation pour la société CPI ; que les parties s'opposent néanmoins sur l'assiette de calcul et le montant des sommes devant revenir à l'agent commercial ; que chaque chef de demande sera en conséquence analysé séparément ;

* Sur les commissions

Considérant que, après examen des données fournies par l'expert, le Tribunal a condamné, après compensation, la société Econocom Location à payer, au titre des commissions, à la société CPI la somme de 28.764,35 francs HT soit 34.114,52 francs TTC, majorée des intérêts au taux légal à compter du 07 octobre 1991 ; que les parties n'élèvent plus aucune contestation de ce chef; que le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point.

* Sur le préavis

Considérant qu'il est constant que le contrat d'agent commercial en litige reste soumis aux dispositions du décret du 23 décembre 1958 ;

Considérant que, si contrairement à la loi nouvelle du 25 juin 1991, le décret susvisé n'imposait aucun préavis, il n'en reste pas moins que les parties pouvaient librement dans leur convention, prévoir un délai de préavis ;

Considérant qu'en l'espèce le contrat du 27 décembre 1989 réservait à chaque partie, après une période probatoire d'un an, la possibilité de mettre fin aux relations commerciales en respectant un préavis de 6 mois ; que la société CPI est dès lors fondée à réclamer, en exécution de ces dispositions qui font la loi des parties, paiement d'une indemnité de préavis dans la mesure où, sans motif légitime comme il a été définitivement jugé, le contrat a été rompu brutalement à l'initiative du mandant; que contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges et à ce que soutient la société Econocom Location,l'indemnité de préavis ne saurait être intégrée dans l'indemnité de rupture; qu'en effet ces deux indemnités ont pour vocation de réparer des chefs de préjudice différents à savoir, pour la première, la brutalité de la rupture et, pour la seconde, la perte définitive du support de l'activité de l'agent; que l'indemnité de préavis doit, par ailleurs en la cause, intégrer non seulement le montant des commissions qu'aurait dû percevoir la société CPI sur le secteur Normandie qui lui a été attribué, mais également le secteur de son auteur, la société AXIB, dès lors que, par acte du 25 janvier 1990 à effet rétroactif du 1er janvier 1990, soit 18 mois avant la rupture, la société CPI a acquis, avec l'agrément du mandant, le secteur antérieurement réservé à la société Axib et que la société EPI est ainsi devenue titulaire des droits et obligations de son ayant cause;

Considérant que l'indemnité de préavis sera en conséquence calculée au vu des données ci-après qui ne sont pas utilement contestées et qui résultent des pièces produites aux débats, par référence à la moyenne des commissions perçues au cours des trois dernières années tant pour le secteur Normandie que pour le secteur appartenant entièrement à la société Axib :

-1989 : 1.387.684 francs

-du 1er janvier 1990 au 28 février 1992 : 1.134.455 francs

- du 1er mars 1991 au 18 juillet 1991 : 552.507 francs

soit un total de commissions de : 3.074.646 francs TTC

ou 2.592.450 francs HT

ce qui donne en commissions moyennes mensuelles 2.592.450 francs : 30 mois = 86.415 francs HT

que le préavis sera ainsi fixé

86.415 francs x 6 mois = 518.490,00 francs

+ TVA 20,6 % 106.808,94 francs

ce qui donne un total T.T.C. de 625.298,94 francs

Que cette somme ayant un fondement contractuel sera assortie des intérêts de droit à compter de l'assignation introductive d'instance du 07 octobre 1991, valant mise en demeure ; que ladite indemnité, en raison de sa vocation qui est celle de réparer une privation brutale d'activités, ne saurait faire l'objet d'un quelconque abattement pour frais professionnels ou de fonctionnement comme le voudrait la société Econocom

Sur l'indemnité de rupture

Considérant que l'indemnité de rupture a pour vocation, comme il a été dit, d'indemniser la perte par l'agent commercial de son support d'activité; que cette indemnité doit être cependant calculée en fonction des circonstances propres à chaque cas d'espèce et en prenant en compte non seulement la perte des commissions auxquelles l'agent pourrait raisonnablement prétendre si le mandat s'était poursuivi mais aussi les investissements réalisés par l'agent commercial pour les besoins de ses activités;

Considérant qu'en la cause, il apparaît tout d'abord que les relations entre les parties ont été de courte durée de sorte que la société CPI aura moins de difficultés pour réorienter ses activités comme cela n'aurait pas été le cas si ladite société avait distribué depuis de nombreuses années, les produits Econocom ; que par ailleurs, et comme l'ont relevé les premiers juges, la société CPI a acquis la clientèle de la société AXIB le 28 décembre 1989, pour un montant particulièrement faible, soit 500.000 francs correspondant à moins de 5 mois de commissions brutes reçues en 1989 par la société AXIB ; que dans ces conditions, l'indemnité de rupture sera fixée à 14 mois de moyenne mensuelle de commissions, au lieu des deux années allouées habituellement en la matière :

soit 86.415 francs H.T. x 14 = 1.209.810 francs,

ladite somme étant assortie des intérêts de droit à compter de l'assignation introductive d'instance.

*Sur les autres demandes

Considérant que la société CPI sera autorisée à capitaliser les intérêts de retard, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code Civil et ce, à compter de la première demande en justice formée par voie de conclusions en date du 29 mars 1996 ;

Considérant qu'il conviendra par ailleurs, de déduire des condamnations ci-dessus prononcées, la provision de 560.000 francs que la société CPI reconnaît avoir perçue le 06 février 1993 ;

Considérant en outre, qu'il serait inéquitable de laisser à la société CPI la charge des frais qu'elle a été contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits; que la société Econocom sera condamnée à lui payer une indemnité globale, en couverture des frais exposés jusqu'à ce jour, de 50.000 francs, étant rappelé que contrairement à l'honoraire de l'avocat, cette indemnité compensatrice ne relève pas du régime de la TVA ;

Considérant enfin que la société Econocom qui succombe, supportera les entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise ;

Par ces motifs : La Cour statuant, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Reçoit la société Conseil et Partenariat Informatique ; "CPI" en son appel principal et la société Econocom Location en son appel incident ; Faisant droit partiellement au premier et rejetant le second ; Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Econocom Location à payer à la société Conseil et Partenariat Informatique "CPI", au titre des arriérés de commission, la somme de 28.764,35 francs HT soit 34.114,52 francs TTC avec intérêts de droit à compter du 07 octobre 1991 ; Infirmant pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne la société Econocom Location à payer à la société Conseil et Partenariat Informatique "CPI", en deniers et quittances valables : à titre d'indemnité de préavis la somme de 625.298,94 francs, à titre d'indemnité de rupture la somme de 1.209.810,00 francs ; Donne acte à la société, Conseil et Partenariat Informatique "CPI" de ce qu'elle reconnaît avoir perçu le 06 décembre 1993 ; à titre de provision à valoir sur le montant de ces condamnations, la somme de 560.000 francs ; Dit que les condamnations ci-dessus, sauf à tenir compte de la provision déjà versées, porteront intérêts de droit à compter de l'assignation introductive d'instance du 07 octobre 1991 ; Autorise la société Conseil et Partenariat Informatique "CPI" à capitaliser les intérêts de retard, conformément à l'article 1154 du Code Civil, et ce à compter du 29 mars 1996, date de la première demande en justice formée par voie de conclusion ; Rejette le surplus des prétentions des parties exceptées celles formées sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne à ce titre la société Econocom Location à payer à la société Conseil et Partenariat Informatique "CPI" une indemnité globale de 50.000 francs ; Condamne également la société Econocom Location aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise et Autorise la SCP d'Avoués Lefevre & Tardy à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.