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Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 2 février 1998, n° 9502035

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Assael

Défendeur :

Catimini (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chauvel

Conseillers :

M. Lemaire, Mme Lourmet

Avoués :

SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier-Langlois

Avocats :

Mes Guillaume, Martin.

TGI Angers, du 3 juill. 1995

3 juillet 1995

Suivant " lettre d'engagement réciproque " du 3 décembre 1977, la Société GTM, devenue Catimini et spécialisée dans la création, la fabrication et la commercialisation de vêtements pour enfants, a confié à Messieurs Gino et Claudio Assael, agents commerciaux demeurant à Rome, la représentation générale exclusive de ses confections pour tout le territoire de la République Italienne, les intéressés étant chargés de vendre et d'organiser les ventes par l'entremise d'agents régionaux qu'ils avaient la faculté de nommer et qui seraient responsables uniquement envers eux.

Plusieurs contrats ou avenants se sont succédés avec M. Claudio Assael, resté seul. En dernier lieu est intervenue une convention du 22 août 1985, applicable du 1er avril 1985 au 31 mars 1990 et renouvelable par tacite reconduction par périodes de cinq années, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties douze mois avant l'expiration du contrat ou l'une des périodes de reconduction.

Par lettre du 18 mars 1993, la Société Catimini, faisant état de manquements graves de son agent et d'une perte de confiance, a mis fin au contrat.

Elle écrivait :

" c'est en effet avec stupeur que nous venons d'apprendre, alors que nous avions toujours compté sur une collaboration des plus loyales de ta part, que tu avais passé outre nos instructions écrites et formelles par lesquelles nous avions refusé expressément la possibilité de te déléguer le mandat de stipuler pour notre compte des contrats directs avec les sous-agents (voir à ce sujet ta proposition du 13 janvier 1987 et notre refus du 10 mai 1987).

Cela nous choque d'autant plus que cela fait maintenant plus de 6 ans que cet état de fait se poursuit à notre insu alors même que pendant toute cette période les sous-agents ont émis sur ces indications des factures à l'ordre de Catimini directement, sans que notre maison n'en sache quoi que ce soit. Nous procédons d'ores et déjà à la suspension des commissions qui te sont dues et ce, à titre de caution en attente de la quantification du dommage subi par notre Société que nous nous réservons d'effectuer... ".

Par acte du 2 juillet 1993, elle a fait assigner M. Assael devant le Tribunal de Grande Instance d'Angers aux fins de se voir décerner acte de ce qu'elle se réservait de formuler toute demande complémentaire relative au préjudice par elle subi en suite de cette rupture de contrat, et de voir ordonner, sous astreinte, la communication par le défendeur de diverses pièces. Elle a ensuite réclamé des dommages intérêts en raison du comportement fautif de son adversaire.

Parallèlement, par acte du 24 septembre 1993, M. Assael a fait assigner la Société Catimini aux fins de la voir déclarer responsable de la rupture anticipée et abusive du contrat du 22 août 1985 ainsi que d'une violation des termes du contrat et la voir condamner à réparer son préjudice.

Par jugement du 3 juillet 1995, le Tribunal de Grande Instance d'Angers a :

- validé la révocation du contrat liant Monsieur Assael et la SA Catimini, opérée le 18 mars 1993, en raison de la faute commise par l'agent commercial ;

- condamné cependant la SA GTM-Catimini à verser à Monsieur Assael la somme de 176.205.480 lires italiennes au titre des commissions restant dues, ou la contre-valeur en francs français de cette somme au jour du paiement et sous réserve des intérêts légaux ;

- condamné Monsieur Assael à verser à la SA GTM-Catimini une somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- condamné M. Assael aux dépens.

Sans que cela soit spécialement repris dans le dispositif, il a écarté les différentes demandes de dommages intérêts de la Société.

Monsieur Assael a interjeté appel de cette décision pour demander à la Cour, par voie de réformation :

- de juger que la rupture du contrat d'agent commercial notifée par la SA Catimini les 4 janvier et 18 mars 1993 n'est pas justifiée par une faute imputable à Monsieur Assael ;

- de dire que la SA Catimini est entièrement responsable des préjudices par lui subis pour avoir dénoncé prématurément et abusivement le contrat d'agent commercial du 22 août 1985 ;

- de résilier le contrat à la date de l'arrêt à intervenir aux torts exclusifs de la SA Catimini ;

- de condamner la SA Catimini à lui verser les sommes de : 2.063.191.050 lires italiennes, ou la contre-valeur de cette somme en francs français au moment du paiement, pour manque à gagner jusqu'au terme normal du contrat, prévu le 31 mars 1995 sauf renouvellement ; 5.527.301.379 lires italiennes, ou la contre-valeur en francs français au moment du paiement à titre d'indemnité de rupture ; 6.000.000 francs à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral ; 1.047.559.191 lires italiennes sur laquelle ont été provisionnellement payés 813.502.495 lires, ce qui laisse à régler 234.056.696 lires, pour arriérés de commissions ; 100.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- de constater la déchéance du terme et dire que les intérêts moratoires au taux légal, sont dus depuis la mise en demeure écrite de payer les commissions du 18 mai 1993 sur la somme de 1.047.559.191 lires ;

- d'accorder les mêmes intérêts à compter de la même date et à titre de dommages intérêts compensatoires sur la totalité des autres sommes ci-dessus, compte tenu de l'ancienneté de leur chiffrage, et en réparation de l'attitude fautive de la SA Catimini ;

- d'ordonner la capitalisation de tous les intérêts d'année en année dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;

- de préciser que les paiements partiels de commissions effectués s'imputeront à leurs dates respectives d'abord sur les intérêts alors courus ;

- de condamner la SA Catimini aux entiers dépens.

Après rappel de l'historique des relations contractuelles, il prétend :

- que la Société Catimini a voulu s'approprier la part des bénéfices communs revenant à son cocontractant grâce aux performances de celui-ci, a évoqué une résiliation amiable le 4 janvier 1993, puis devant le coût d'une telle modification, a préféré rompre unilatéralement au prétexte d'une faute grave imaginaire, en prenant soin de retenir toutes les commissions dues à l'agent général et d'offrir un règlement direct aux agents régionaux sous condition de la signature par eux de nouveaux contrats,

- qu'il y avait accord initial de la Société Catimini sur la nomination des agents régionaux pour son compte,

- qu'une attestation du 14 octobre 1977 du PDG de la Société est particulièrement importante et ne saurait être annulée par les dispositions du contrat du 22 août 1985 ; qu'il en est de même d'un avenant de 1987,

- que des problèmes fiscaux italiens ont eu une influence sur les relations entre les parties sans qu'il ait pour autant fraudé,

- qu'il n'a pas fait un usage illicite ou équivoque du papier à en-tête de la Société Catimini,

- que la Société Catimini n'a eu de cesse de nouer des contacts directs et réguliers avec chacun des agents régionaux recrutés par lui au point que, les contrôlant en dernier lieu, elle a pu facilement évincer son agent général et conclure aussitôt de nouveaux contrats avec eux sous l'égide de sa nouvelle filiale ; qu'elle ne peut ainsi soutenir que l'absence de lien de droit ou de fait avec les agents régionaux aurait été une condition substantielle du contrat ; qu'elle n'a pas subi de préjudice.

- en résumé, que la Société a employé en fait une véritable stratégie pour parvenir à la rupture (harcèlement contractuel et déstabilisation des agents par une réduction du taux de commissions, une modification des conditions de remise des échantillons, une tentative de modification de la base commissionnable,

- élaboration secrète de nouvelles structures par des discussions directes avec les agents régionaux, la constitution d'une filiale italienne, l'organisation et la conclusion programmées de nouveaux contrats directs avec chacun de ces agents

- non respect des obligations légales de bonne foi, de mise en demeure et de saisine préalable du juge)

- qu'il n'a lui-même commis aucune faute et n'a notamment organisé aucun lien direct ou indirect entre sa mandante française et les agents régionaux italiens.

S'agissant de son solde de commisions, il fait valoir qu'il ne peut être tenu compte de prétendus impayés, d'une décision unilatérale de la Société d'une modification de base de calcul pour les dernières saisons, d'une retenue pour le paiement direct d'un pourcentage au profit des agents régionaux.

La Société Catimini conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a validé la révocation du contrat liant les parties, et à sa réformation pour le surplus, M. assael devant être condamné à lui payer la somme de 4.517.810,20 F en réparation du préjudice global par elle subi du fait des fautes graves qu'il a commises. Elle réclame la somme de 100.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle expose que l'argumentation de M. Assael est incohérente sur la portée tant de l'attestation du 14 octobre 1977 qui était une attestation à usage ponctuel que de l'avenant de 1987 qui avait pour objet de préciser le règlement de commissions, de même que sur la question de la TVA italienne, l'intéressé ayant en fait mis au point un opération lésant l'administration fiscale italienne.

Elle maintient que M. Assael a commis des fautes graves tenant à la conclusion de mandats directs sans son accord et même contre sa volonté expresse, à l'utilisation illicite du papier à en-tête Catimini pour l'établissement des contrats des sous-agents, au détournement d'argent sur les fonds devant être reversés à ces derniers.

Elle prétend qu'elle a, quant à elle, exécuté loyalement ses obligations et réfute à cet égard les griefs formulés à son encontre quant à la constitution de la filiale italienne, la facturation des échantillons, ses relations avec les sous-agents et les contrats passés avec ces derniers après la rupture avec M. Assael.

Elle appuie ses demandes sur les articles 1382 et 1992 du Code Civil et caractérise son préjudice par la nécessité de mise en place d'une nouvelle organisation commerciale en Italie, l'augmentation des impayés dans ce pays et des pertes de commandes.

Elle dénie par ailleurs tout droit de M. Assael à un solde de commissions après des versements par elle opérés en exécution d'une ordonnance de référé.

Elle soulève enfin un incident sur la production par son adversaire d'une attestation de M. Bilancia, qui présente à son sens un caractère confidentiel en ce qu'elle est relative à une réunion transactionnelle tenue dans le cabinet d'un avocat et n'ayant pas abouti. Après avoir demandé qu'il soit tardé à statuer jusqu'à la décision du Bâtonnier de Paris, par elle saisi de cette difficulté déontologique, elle entend, compte tenu des divers reports intervenus de ce fait et de l'absence de décision, que la Cour écarte elle-même le document litigieux et considère comme non écrits les passages des conclusions de M. Assael qui y sont relatifs. Elle conteste sur le fond les faits rapportés et estime que l'attestation en cause, émanant d'un mandataire de M. Assael, n'est ni plus ni moins qu'une attestation faite à soi-même.

M. Assael réplique que l'incident ou l'exception régularisé par la Société Catimini devant le Bâtonnier de Paris est irrecevable et en tous cas frappée de péremption ; que la pièce litigieuse, régulièrement communiquée, et les écritures afférentes sont parfaitement recevables, dès lors que le droit italien, seul applicable au régime de l'attestation contestée, ne reconnaît pas la confidentialité invoquée par la Société Catimini, et dès lors encore que l'auteur de l'attestation n'agissait ni comme conseil ni comme mandataire.

MOTIFS

Sur l'incident de production de pièce

L'on ne perçoit pas l'incidence du droit italien sur la difficulté soulevée dans le cadre d'une procédure soumise au droit français, étant de surcroît rappelé qu'aux termes des contrats, et notamment du dernier en date, seule la loi française est applicable. Il devrait en être de même des régies déontologiques.

Dans le cadre strict du pouvoir d'appréciation de la Cour, les développements consacrés à l'incident sont vains dans la mesure où, quelque soit le caractère confidentiel de la réunion tenue dans un cabinet d'avocat aux fins de propositions transactionnelles, d'une part, et comme le fait valoir l'intimée, l'auteur de l'attestation litigieuse était le mandataire de l'appelant et non un tiers (" A la demande de M. Assael, je me suis rendu à l'étude de Me Rosalba Grasso... La proposition n'a été acceptée ni par moi-même ni par Me Grasso "), d'autre part le contenu de ladite attestation présente certaines contradictions et incertitudes et est en tout état de cause indifférent à la solution du litige, des propositions transactionnelles ayant échoué ne pouvant être utilisées contre son auteur.

Sur la rupture du contrat

Les éléments de droit et de fait soumis à la Cour ainsi que les moyens développés sont exactement les mêmes que ceux dont les premiers juges ont eu à connaître, qu'ils ont parfaitement analysés et auxquels ils ont exactement répondu par une motivation pertinente qui, sauf à la paraphraser, doit être tenue ici pour reproduite tant en ce qui concerne l'imputabilité de la rupture à M. Assael que l'absence de préjudice subi par la Société Catimini.

Sur les commissions

Les parties sont en opposition sur le montant et sur le principe même d'un solde de commissions dû à M. Assael, la discussion portant sur deux points. Par une motivation que la Cour adopte, les premiers juges les ont encore exactement départagées en retenant l'un des moyens au bénéfice de la Société Catimini.

Ils ont en revanche omis de préciser le point de départ des intérêts afférents à la condamnation prononcée et de statuer sur l'imputation éventuelle des règlements et ont écarté la capitalisation desdits intérêts au visa inopérant des " circonstances de la rupture conventionnelle ".

Par une lettre recommandée datée du 28 juillet 1993, et non du 18 mai 1993, adressée à la Société Catimini à St Macaire en Mauges (Maine et Loire), à laquelle est annexé un simple avis de dépôt du 3 août 1993 à " Paris - Ile de la Cité ", Monsieur Assael a mis en demeure ladite Société de lui payer un solde de commissions de 598.514.279 lires ou la contre-valeur en francs français, et non une somme de 1.047.5591191 lires.

Concomittamment, soit le 19 août 1993, il a fait assigner en référé la Société Catimini pour obtenir à ce titre paiement d'une provision de 499.059.624 lires, soit une somme moindre. Satisfaction lui a été donnée à hauteur de 386.068.907 lires par ordonnance du 23 septembre 1993, laquelle a été exécutée dès le 13 octobre 1993 par un versement correspondant sur compte Carpa, puis versement direct le 4 novembre 1993. La Société Catimini a ensuite spontanément versé le 16 décembre 1993 la somme de 139.672.181 lires et le 13 juillet 1994 celle de 287.761.407 lires, le total de ses règlements s'établissant ainsi à 813.502.495 lires. Ce n'est que par conclusions notifiées le 19 octobre 1994 que Monsieur Assael a réclamé un solde de 234.056.696 lires, lequel a été réduit par le Tribunal à la somme de 176.205.480 lires, approuvée par le présent arrêt.

Au vu de ces éléments, seule cette somme doit porter intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 1994, date de la demande, les intérêts étant capitalisés, dans les conditions de l'article 1154 du Code Civil, à compter du 19 octobre 1995.

Sur les demandes accessoires

L'issue du litige conduit à écarter toute application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de l'une ou de l'autre des parties et à ordonner la compensation des dépens, et ce, tant en première instance qu'en cause d'appel.

Par ces motifs : Dit inutiles le rejet des débats de la pièce n° 130 et des développements qui lui sont consacrés par l'appelant ; Confirme le jugement entrepris, sauf à : 1. préciser que la condamnation au paiement de la somme de 176.205.480 lires ou sa contre-valeur en francs français, prononcée au profit de Monsieur Assael, est assortie d'intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 1994, lesdits intérêts étant capitalisables à compter du 19 octobre 1995 dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code Civil ; 2. décharger Monsieur Assael de la condamnation prononcée contre lui au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; 3. ordonner la compensation des dépens de première instance ; Déboute les parties de toute demande plus ample ou contraire ; Ordonne la compensation des dépens d'appel.