CA Paris, 25e ch. B, 11 septembre 1998, n° 1996-03114
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Peugeot (SA), Société Financière de Banque (SA)
Défendeur :
Dargent (ès qual.), Assistance Service Automobile (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pinot
Conseillers :
M. Cailliau, Mme Radenne
Avoués :
SCP Bourdais-Virenque, SCP Roblin-Chaix De Lavarenne
Avocats :
Mes Micheli, Mikailon.
LA COUR statue sur les appels relevés par la SA les Automobiles Peugeot, la société Financière de Banque (Sofib) et Me Jean-François Dargent, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Assistance Service Automobile (ASA),
- du jugement du tribunal de commerce de Paris (18e chambre), assorti de l'exécution provisoire, rendu le 12 juin 1992, qui a :
* dit la société Automobiles Peugeot bien fondée en sa demande à l'encontre de la société ASA, et a fixé provisoirement sa créance à la somme de 2 074 643,16 F, dit la société Sofib bien fondée en sa demande à l'encontre de la société ASA et a fixé provisoirement sa créance à a somme de 985 350,51 F,
* dit que la société Sofib avait, en collusion avec la société Automobiles Peugeot, supprimé de manière fautive le crédit consenti à la société ASA et qu'elle devrait, solidairement avec la société Automobiles Peugeot, réparer le préjudice en résultant pour la société ASA,
* ordonné une mesure d'expertise pour déterminer le préjudice de la société ASA,
- du jugement du tribunal de commerce de Paris (13e chambre), rendu le 18 juin 1997, après dépôt du rapport de l'expertise, qui a :
* condamné solidairement la société Automobiles Peugeot et la Sofib à payer à Me Dargent, ès qualités, la somme de 5 258 000 F en réparation du préjudice résultant de la rupture fautive du concours de la Sofib, interdisant à la société ASA de poursuivre l'exécution de son contrat de concession jusqu'à son terme normal,
* dit que le paiement s'effectuerait pour partie par compensation avec la créance de la société Sofib pour un montant de 985 350,51 F.
*débouté les parties de leurs autres demandes et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
II convient de se référer aux énonciations des premiers juges pour l'exposé détaillé des faits, des prétentions et des moyens des parties en première instance. Il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.
La société des Automobiles Peugeot a confié, le 23 décembre 1986, à la société ASA, la concession Peugeot de Chalons sur Marne pour une durée de quatre ans venant à expiration le 31 décembre 1990. Il était prévu que la société des Automobiles Peugeot serait réglée, dès la livraison des véhicules au concessionnaire, par la société d'affacturage Sofira, appartenant au groupe Peugeot, laquelle devait être payée à son tour par la société ASA dès la revente du véhicule et en tous cas dans un délai maximum de 90 jours, par virement du compte ASA ouvert dans les livres de la Sofib, établissement de crédit appartenant également au groupe Peugeot. Les trente premiers jours d'agios étaient pris en charge par la société des Automobiles Peugeot, les soixante suivants étant supportés par le concessionnaire selon un barème progressif.
La Sofira, bénéficiaire de la clause de réserve de propriété prévue au contrat de concession, disposait d'un droit de contrôle physique des stocks lui permettant de s'assurer de l'absence de véhicules non réglés (VNR) déjà revendus en clientèle.
Le 23 février 1990 la société Automobiles Peugeot faisait connaître à la société ASA son intention de ne pas renouveler le contrat au delà du 31 décembre 1990. Mais le contrat de concession devait être rompu avant ce terme par la société Automobiles Peugeot, le 19 septembre 1990, à la suite du non-paiement par la société ASA d'un effet protesté, conformément aux stipulations de l'article XIV du contrat de concession relatif à la résiliation.
La société ASA, dénonçant une collusion fautive entre les sociétés des Automobiles Peugeot, Sofib et Sofira a sollicité, outre une indemnité provisionnelle, leur condamnation solidaire à réparer le préjudice résultant pour elle de la rupture abusive du concours de la Sofib, consistant dans la perte de la marge brute d'exploitation de l'entreprise pour l'exercice 1990, de l'augmentation du passif et de la diminution de valeur des éléments d'actif.
Les premiers juges ont estimé que les demandes de fixation de créances des sociétés Automobiles Peugeot et Sofib étaient fondées, mais que le refus de la Sofib d'honorer les demandes de prélèvements transmises par la société ASA pour régler la société Sofira était fautif et avait mis la société concessionnaire dans l'impossibilité de respecter ses engagements, provoquant ainsi l'effondrement de l'édifice financier adossé au contrat de concession. La résiliation anticipée du contrat de concession n'était que la conséquence de la privation brutale du crédit fournisseur dont disposait la société ASA, qui ne pouvait plus régler au constructeur les véhicules revendus. Ils ont considéré que la société Peugeot, à travers la Sofib, avait créé elle-même les conditions lui permettant de résilier par anticipation le contrat de concession aux torts du concessionnaire.
Aux termes du second jugement, rendu après le dépôt du rapport d'expertise, les premiers juges ont estimé que le préjudice de la société ASA, résultant du retrait du concours de la Sofib, devait se déduire du montant de la marge brute de l'exercice 1990 et de celui qui aurait pu être dégagé si le niveau d'activité n'avait pas été perturbé par l'attitude de la Sofib. Ils ont réduit les estimations de l'expert pour tenir compte du ralentissement des affaires, en ce qui concerne les ventes de véhicules (760 au lieu de 850) et ont retenu l'hypothèse basse de calcul proposée pour le décompte des heures d'après-vente facturées, pour fixer à la somme de 5 258 000 F le montant du préjudice supporté par la société ASA.
Ils ont, en revanche, écarté tout lien de causalité entre la retrait du concours de la Sofib, en collusion avec les Automobiles Peugeot, et la liquidation judiciaire de la société ASA et dit, en conséquence, qu'il n'y avait pas lieu de mettre à leur charge les préjudices en résultant.
Enfin la compensation a été prononcée en ce qui concerne la seule créance de la société Sofib, qui, selon le tribunal, présentait seule un lien de connexité avec la créance indemnitaire de la société liquidée ASA sur la société Sofib, alors que la créance de la société Automobiles Peugeot ne présentait pas ce caractère.
Appelantes, les sociétés Automobiles Peugeot et Sofib concluent à l'infirmation des jugements précités, sauf en ce qu'ils ont fixé leurs créances respectives, au débouté de Me Dargent, ès qualités de mandataire liquidateur de la société ASA, subsidiairement au prononcé de la compensation entre les sommes éventuellement dues par elles à Me Dargent, ès qualités, et les créances détenues par elles à son encontre.
Elles demandent en outre la condamnation de Me Dargent, ès qualités, à leur verser une indemnité de procédure de 60 000 F en application de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.
Elles font valoir en substance que :
- aucune faute ne peut être reprochée à la Sofib, prétendument commise en collusion avec la société les Automobiles Peugeot, qui, loin de supprimer unilatéralement et sans préavis son concours bancaire à la société ASA, a légitimement refusé de dépasser le découvert autorisé,
- la société les Automobiles Peugeot, constatant que la société ASA devait à la société Sofira, le 12 juin 1990, la somme de 2 452 506,72 F, correspondant à 28 VNR, a pris des mesures de sauvegarde à l'encontre de la société ASA, sans commettre aucune faute, pour obtenir le transfert des véhicules sur un parc Gefco et faire protester une lettre de change à vue, non acceptée, de 1 627 246,88 F, par ordonnance de référé du Président du tribunal de commerce de Paris, lui permettant ainsi de résilier le contrat de concession, par application de son article 14, dès le 19 septembre 1990,
- la preuve de la collusion frauduleuse alléguée entre les sociétés Sofib et les Automobiles Peugeot n'est pas démontrée,
- l'existence éventuelle d'une faute commise par les appelantes dans l'exécution de leurs conventions à l'égard de la société ASA est sans lien de causalité avec le préjudice de cette dernière, dont le dépôt de bilan était inéluctable en raison de la faiblesse de ses résultats tant commerciaux que financiers, dès lors qu'elle était en état de cessation de paiements avant la survenance des incidents rencontrés avec la Sofib, et que, dès le 11 mai 1990, elle était dans l'incapacité de régler à la Sofira 8 véhicules neufs déjà revendus en clientèle,
- la résiliation des concours de la Sofib n'est pas la cause première de la liquidation judiciaire de la société ASA,
- la réalité du préjudice calculé par l'expert est éminemment discutable, tant en ce qui concerne l'évaluation de produits que celle des charges variables à déduire,
- le comportement des sociétés appelantes ayant été sans effet sur la liquidation judiciaire de la société ASA, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées de ce chef par Me Dargent, ès qualités,
- subsidiairement, l'évaluation de l'expert portant sur la minoration des actifs doit être écartée, de même que l'indemnisation de la perte de la clientèle d'après-vente, qui aurait en tout état de cause disparu à l'expiration du contrat de concession sans que la société ASA pût réclamer, à cet égard, une indemnité au concédant,
- dans l'hypothèse d'une condamnation des sociétés appelantes à verser des dommages-intérêts à Me Dargent, ès qualités, la compensation des créances réciproques doit être appliquée intégralement, tant à la Sofib qu'à la société les Automobiles Peugeot, dans la mesure où la connexité de la créance de dommages- intérêts est caractérisée avec les créances des appelantes issues d'une part de la convention de compte courant, d'autre part du contrat de concession.
Intimé et appelant Me Dargent, ès qualités de mandataire liquidateur de la société ASA, sollicite la confirmation du jugement rendu le 12 juin 1992 en ce qu'il a retenu le principe de la rupture fautive des concours consentis à la société ASA par la Sofib, en collusion avec la société les Automobiles Peugeot, et son infirmation en ce qu'il a limité la réparation du préjudice à la somme de 5 258 000 F. Il demande que cette réparation soit portée à la somme de 8 018 000 F au titre de la perte due à la rupture anticipée des crédits de la Sofib. Il estime par ailleurs que la société ASA pouvait, sans augmentation de ces concours, échapper au dépôt de bilan et que, en conséquence, les sociétés appelantes doivent être condamnées solidairement à lui payer en outre la somme de 5 482 000 F, ainsi qu'une indemnité de procédure de 60 000 F et les entiers dépens.
Il soutient principalement que :
- la société Sofib a fautivement retiré ses concours à la société ASA en refusant d'exécuter ses ordres de prélèvement d'un montant total de 1 603 098,59 F en faveur de Sofira, entre le 29 mai et le 8 juin 1990, et en augmentant artificiellement le découvert de la société concessionnaire sans exécuter ses ordres de prélèvement sur d'autres comptes bancaires, qui auraient eu pour effet de créditer le compte Sofib à hauteur de 480 000 F,
- la société Sofib a unilatéralement réduit ses concours sans en informer la société ASA ni respecter de préavis, comme l'imposaient pourtant les dispositions de l'article 60 de la loi bancaire du 24 janvier 1984, alors que la société ASA ne se trouvait pas dans une situation irrémédiablement compromise,
- la réaction de la société Sofira à cette rupture de concours a eu pour effet d'imposer à la société ASA, dès le 18 juin 1990, le règlement comptant des véhicules à la livraison et le transfert du stock de véhicules en exposition, ne laissant que 6 véhicules exposés alors que la concession fonctionnait avec un stock ordinaire de 100 véhicules,
- la société ASA s'est ainsi trouvée dans l'incapacité de poursuivre une activité normale, sans disposer du temps nécessaire pour trouver de nouvelles sources de financement, la société les Automobiles Peugeot a mis en œuvre la résiliation extraordinaire, sans préavis, du contrat de concession en s'appuyant sur son article XIV, alors que les difficultés financières de la concession avaient été provoquées par les incidents de paiement organisés par la Sofib, début juin 1990, dans l'intérêt exclusif du concédant, et par l'arrêt du mécanisme de financement dans les jours qui ont suivi ces incidents,
- la mauvaise foi de la société les Automobiles Peugeot résulte de la poursuite du processus de désorganisation financière de son concessionnaire jusqu'à ce qu'elle soit en mesure de faire personnellement dresser protêt d'un effet de commerce pour disposer d'un motif de résiliation du contrat de concession,
- l'évaluation du préjudice telle qu'elle a été retenue par les premiers juges ne tient pas compte de la réalité de la conjoncture de l'année 1990, en ce qui concerne les immatriculations en France des véhicules Peugeot, et alors, par ailleurs, que la divulgation de la résiliation du contrat de concession, notamment auprès des professionnels du secteur, a eu un effet de recul très sensible sur les ventes et les prises de commande dès le mois de mars 1990,
- les résultats du premier quadrimestre de l'année 1990 ne peuvent donc pas revêtir de réelle signification au regard de l'évolution prévisible normale de l'activité de la société ASA pour l'exercice 1990,
- l'estimation de l'expert doit en conséquence être retenue sur la base de ses hypothèses les plus hautes, tant en ce qui concerne les ventes de véhicules neufs (950) que les heures de main d'œuvre (25 000) pour tenir compte de l'augmentation prévisible des ventes,
- la situation financière de la société ASA, selon l'expert, mais aussi de l'avis du constructeur qui, le 5 février 1990, établissait une étude prévisionnelle laissant apparaître un résultat avant impôt de 2 236 743 F, était satisfaisante, et les premiers juges, tout en dénonçant l'état de grande vulnérabilité de la société ASA, n'ont pas démontré que la faiblesse des fonds propres de la concession ni que la probabilité d'un incident de conjoncture auraient rendu inéluctables la décision de rupture de la Sofib et ses conséquences,
- la société ASA était donc parfaitement capable d'échapper au dépôt de bilan et de poursuivre son activité normalement jusqu'au terme de son contrat,
- au titre de la réparation du préjudice résultant de la liquidation judiciaire, les sociétés appelantes doivent être condamnées à lui verser, du fait de la minoration de actifs la somme de 1 073 000 F retenue par l'expert, du fait de l'augmentation du passif, le somme de 1 058 715,80 F et à raison de la perte de l'entretien du parc la somme de 3 351 000 F, soit au total 5 482 000 F,
Postérieurement à l'ordonnance de clôture rendue le 7 mai 1998, à la suite des conclusions récapitulatives déposées par Me Dargent, ès qualités, le 6 avril 1998, et par les sociétés appelantes, le 30 avril 1998, Me Dargent a déposé de nouvelles conclusions le 18 mai 1998, dont les appelantes ont sollicité le rejet par écritures signifiées le 20 mai 1998.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article 783 du NCPC aucune conclusion ne peut être déposée après l'ordonnance de clôture;
Que Me Dargent, ès qualités, n'invoque aucune cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture et que les sociétés appelantes sollicitent le rejet des dernières conclusions de l'intimé;
Que les conclusions signifiées par Me Dargent, ès qualités, à la société les Automobiles Peugeot et à la société Sofib seront déclarées irrecevables;
Considérant que les conditions dans lesquelles a été mis en œuvre le mécanisme de crédit-fournisseur proposé à la société ASA, avec le concours de la société Sofira, liée par un contrat d'affacturage à la société les Automobiles Peugeot, et de la société Sofib, liée à la société ASA par un contrat de compte courant, créaient une situation de totale dépendance du concessionnaire à l'égard du constructeur, impliqué lui-même dans le mécanisme financier par la cession de ses créances à la société d'affacturage;
Considérant que les incidents de paiement survenus au début du mois de juin 1990 entre la société Sofib et la société ASA ont été provoqués par l'établissement de crédit au prétexte d'un dépassement du découvert autorisé (1 200 000 F), alors qu'aucun montant de découvert maximum n'avait été fixé contractuellement par les parties et que la pointe de dépassement du découvert moyen autorisé ne pouvait, par son ampleur relative, déjà dépassée antérieurement, justifier une rupture brutale unilatérale et sans préavis des concours accordés à la société ASA;
Que le solde débiteur du compte de la société ASA dans les livres de la Sofib (-646 529,74 F), à la date à laquelle cette dernière a reçu les ordres de prélèvements au profit de la Sofira, d'un montant de 1 603 000 F, ne justifiait pas la rupture brutale imposée à la société ASA, laquelle ne pouvait trouver d'autres concours financiers dans un si court délai, susceptibles de suppléer la disparition de son crédit-fournisseur;
Que, dès le 1er juin 1990, la société ASA offrait, en effet, à la Sofib de prélever sur ses comptes bancaires de la Société Générale et du Crédit Agricole les sommes de 180 000 F et de 300 000 F, dont la Sofib allègue, sans l'établir, qu'elles n'étaient pas disponibles sur lesdits comptes; qu'au surplus la Sofib s'est abstenue de réclamer ces sommes aux établissements de crédit détenteurs des comptes de la société ASA, alors que son intérêt lui dictait d'entreprendre ces démarches, pour la sauvegarde de sa créance, avant même d'envisager la réduction éventuelle de ses concours;
Que la société Sofib n'avait aucun motif de refuser de d'encaisser les virements proposés par la société ASA en provenance d'autres comptes bancaires, et que cette attitude, qui ne pouvait qu'accroître son risque, trouve sa justification dans la collusion existant entre elle et la société les Automobiles Peugeot;
Considérant que la rupture de son concours par la Sofib est de nature fautiveet que la société les Automobiles Peugeot a contribué, dans son seul intérêt, à l'effondrement du mécanisme financier mis en place lors du montage du contrat de concession;
Considérant que, si le non-renouvellement du contrat de concession consenti à la société ASA, notifié à cette dernière, le 23 février 1990, sans avoir à être motivé, ainsi que l'autorisait la convention des parties, devait néanmoins permettre à la société concessionnaire de poursuivre l'exécution de son contrat jusqu'à la fin de l'année 1990, il est constant que cette mesure a provoqué un ralentissement des affaires du fait de l'incertitude planant sur la poursuite ou la reprise de la concession et sur la qualité du repreneur;
Considérant que la société les Automobiles Peugeot, au prétexte du risque commercial encouru par elle, a exploité la situation financière structurellement fragilisée de la société ASA par l'application rigoureuse du contrat de concession, en imposant brutalement à cette dernière des conditions de paiement comptant impraticables;
Considérant que la société les Automobiles Peugeot n'a pas exécuté de bonne foi la convention etqu'elle s'est prévalue abusivement des stipulations contractuelles (art. 14) pour obtenir la résiliation anticipée du contrat après avoir fait dresser protêt d'une lettre de change impayée;
Que, en effet, s'il n'est pas contestable que le bénéficiaire d'une lettre de change impayée peut en faire dresser protêt pour préserver ses droits, les circonstances de la rupture du concours de la Sofib, en collusion avec la société les Automobiles Peugeot, ne permettaient pas à cette dernière de se prévaloir de l'effet protesté, dont elle savait, dès son émission, qu'il resterait impayé, pour invoquer ensuite les stipulations contractuelles lui permettant de résilier le contrat de concession;
Considérant que la société ASA a subi un préjudice direct à la suite de la rupture du concours de la Sofib et de la résiliation anticipée de son contrat de concession, qui s'est manifesté par la perte de sa marge brute résultant de l'interruption brutale de son activité, dès le 31 mai 1990, concernant aussi bien les ventes de véhicules neufs et d'occasion que les heures de travail après-vente et les pièces détachées;
Considérant que les prévisions de vente et de résultat qui avaient été arrêtées par la constructeur-concédant pour l'exercice 1990 avant la notification du non renouvellement du contrat de concession ne peuvent être maintenues pour évaluer le préjudice de la société ASA;
Que le volume des ventes retenu par l'expert (850) a été rabaissé à juste titre par les premiers juges à 760 pour tenir compte du ralentissement des affaires, mais aussi de l'effet négatif sur la clientèle du terme annoncé du contrat de concession;
Que le nombre des heures de travail après-vente, proposé par l'expert, justifie que soit retenue la base de 25 000 heures, s'agissant de prestations concernant principalement des véhicules déjà vendus au cours des exercices précédents, donc faiblement touchées en volume par la baisse des ventes prévisibles en 1990;
Que, par voie de conséquence, compte tenu des ventes réalisées au 31 mai 1990 et des heures de travail après-vente effectuées à cette date, il convient de retenir une perte de marge brute se montant à la somme de 5 851 587 F représentant le préjudice subi par la société ASA, que les sociétés appelantes seront condamnées solidairement à lui régler;
Considérant que la brusque rupture du concours de la Sofib, imposée à la société ASA dans les conditions déjà exposées, a eu pour effet de souligner la fragilité d'un mode de financement librement accepté par la société concessionnaire, qui ne pouvait ignorer que ses fonds de roulement étaient principalement alimentés par les sociétés dépendant du groupe PSA;
Que le risque financier en résultant pour la société ASA a été pris par cette dernière en toute connaissance de cause, de sorte que le retrait du concours financier de la Sofib, pour fautif qu'il ait pu être, ne peut avoir été la cause directe de la cessation des paiements de la société concessionnaire;
Que cette dernière devait, en effet, dans un souci de bonne gestion, diversifier ses sources de financement pour ne pas être l'otage d'un mécanisme de crédit-fournisseur dont elle ne maîtrisait pas la structure, mais dont elle a profité sans mesure pour consolider sa trésorerie en accroissant son volume de véhicules non réglés;
Considérant que, dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté tout lien de causalité entre d'une part la rupture fautive du concours de la Sofib et la résiliation anticipée du contrat de concession et d'autre part la liquidation judiciaire de la société ASA;
Considérant que la créance de dommages-intérêts de la société ASA sur la société Sofib et sur la société les Automobiles Peugeot présente un lien de connexité avec les créances de ces dernières sur la société ASA, puisqu'elles résultent toutes de l'exécution de contrats de concession et de compte-courant étroitement imbriqués;
Que la fixation des créances des sociétés Sofib et Automobiles Peugeot au passif de la société en liquidation judiciaire ASA ne fait donc pas obstacle au prononcé de la compensation des créances réciproques entre les parties, laquelle sera ordonnée intégralement;
Que toutefois, en application de l'article 1294 du code civil, la solidarité s'appliquera à la société Sofib et à la société les Automobiles Peugeot après déduction, pour chacune d'elle, de sa créance respective telle que fixée par la Cour;
Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne justifie qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du NCPC;
Par ces motifs : dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture du 7 mai 1998 et rejette les conclusions signifiées par Me Dargent, ès qualités, le 20 mai 1998, confirme les jugements entrepris en ce qu'ils ont fixé les créances des sociétés Sofib (985 350,51 F) et Automobiles Peugeot ( 2 074 643,16 F) au passif de la société liquidée ASA, retenu la faute de la société Sofib et de la société les Automobiles Peugeot dans la rupture du concours accordé à la société ASA, et son lien de causalité avec le préjudice subi par cette dernière, prononcé la compensation entre les créances réciproques de la société Sofib et de Me Dargent, ès qualités, le reformant pour le surplus, ordonne la compensation des créances connexes entre la société les Automobiles Peugeot et Me Dargent, ès qualités, à concurrence de leurs quotités respectives, condamne solidairement les sociétés Sofib et les Automobiles Peugeot à payer à Me Dargent, ès qualités, la somme de 5 851 587 F, dit que la solidarité sera limitée, pour chaque débiteur solidaire, au montant de la condamnation diminué de sa propre créance compensée, déboute les parties de leurs autres demandes, condamne la société Sofib et la société les Automobiles Peugeot aux dépens de première instance, en ce compris les frais d'expertise, et d'appel, et admet la SCP Roblin Chaix De Lavarene, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.