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Décisions

CA Versailles, 9e ch., 10 juin 1999, n° 469-99

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Honda France, Procureur général près de la Cour d'appel de Versailles

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Canivet

Conseillers :

Mme Delafollie, M. Limoujoux

Avocats :

Mes Farthouat, Landault.

TGI Nanterre, 14e ch. corr., du 6 oct. 1…

6 octobre 1998

RAPPEL DE LA PROCEDURE

LE JUGEMENT

Par jugement en date du 6 octobre 1998, le Tribunal Correctionnel de Nanterre a relaxé Françoise X des faits d'abus de confiance,

Faits commis à Nanterre, entre le 28 février 1994 et le 18 novembre 1994,

a déclaré la société Honda France irrecevable en sa constitution de partie civile,

a débouté Françoise X de sa demande en paiement de dommages et intérêts,

a dit n'y avoir lieu à application de l'article 475-1 du code de procédure pénale,

APPELS

Appel a été interjeté par :

- la société Honda France, le 9 octobre 1998, des dispositions civiles du jugement,

- le Ministère public, le 9 octobre 1998,

DECISION

LA COUR

après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Statuant sur les appels susvisés, réguliers en la forme, et interjetés dans les délais de la loi ;

Considérant que Françoise X est prévenue d'avoir à Nanterre (92) entre le 28/02/94 et le 18/11/94, détourné au préjudice de la société Honda France, des véhicules automobiles qui ne lui avaient été remis qu'à charge de les vendre ou représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé, s'agissant de véhicules d'exposition remis à titre de simple dépôt;

faits prévus et réprimés par les articles 406 et 408 de l'ancien code pénal applicable jusqu'au 1/03/94 et par les articles 314-l, 314-l al 2, 314-10 du nouveau code pénal pour les faits commis postérieurement;

Considérant que le 14/10/94, la société Honda a déposé une plainte assortie d'une constitution de partie civile contre Mme X du chef d'abus de confiance, délit commis le 28/02/94 et le 18/11/94 portant sur 13 véhicules qui ne lui avaient été remis par Honda qu'à charge de les représenter;

Considérant que le 06/03/92 un contrat de concession a été conclu entre Honda France et M. Y, gérant de la société "Z" aux termes duquel le prix des véhicules livrés au concessionnaire était réglé à la société Honda en fonction des délais librement établis par lui, en général à 90 jours ;

que le contrat conclu s'analysait en une vente parfaite ;

qu'il prévoyait l'obligation pour le concessionnaire de fournir une caution bancaire à son concédant ;

que pour l'année 1992, " Z " avait donné à Honda la caution de la société Namur ;

que début 1993, " Z " connaissait des difficultés financières, partiellement résolues permettant à la société d'obtenir un prêt de 1 million de francs, montant intégralement remis à Honda, soldant une grande partie de son arriéré ;

que la caution de la société Namur était renouvelée jusqu'au 31/12/1993, mais non pour l'année 1994 ;

que néanmoins la société Honda ne résiliait pas le contrat de concession alors qu'elle en avait la possibilité aux termes de l'article 34 dudit contrat ;

que le 6/05/93, l'annexe annuelle du contrat de concession était signée et stipulait que pour la gamme des véhicules "Concerto", ceux-ci "pourront être mis en dépôt-vente chez le concessionnaire pendant une période de 120 jours à charge pour le concessionnaire de les vendre au client final" ; que ces véhicules faisaient l'objet d'un contrat de dépôt ;

Considérant que le 5/03/94 le PDG, M. Y, décédait et était remplacé par son épouse Mme X le 17/04/1994 à son poste de PDG;

Considérant qu'au 18/07/94, à la suite d'échanges épistolaires entre Z et Honda France, desquels il résultait que la société "Z" savait :

- ne pas avoir communiqué la liasse fiscale pour l'exercice clos le 31/12/93,

- ne pas avoir obtenu le renouvellement de la caution bancaire de la société Namur, la conséquence en étant que Honda France ne pouvait plus accorder de crédit-fournisseur,

- qu'elle était débitrice de trois échéances revenues impayées à Honda France pour plus de 271 000 F, l'encours de "Z" était ainsi porté à 2 862 000F, en ce non compris la valeur des véhicules confiés en dépôt (1 689 000 F),

La société Honda France, par un de ses collaborateurs, procédait à un constat de la présence des véhicules en dépôt et notait des manquants;

que 6 véhicules seront repris par Honda France le 22/08/94; que Honda France demandait à Z de lui indiquer où se trouvait les manquants en rappelant que les véhicules confiés en "dépôt" ne pouvaient pas être utilisés à d'autres fins que "l'exposition" et ne pouvaient pas être vendus sans son accord préalable;

Que le 25/07/94, Mme X demandait la facturation de 13 véhicules "en dépôt" dont huit seront visés dans la plainte Honda France;

que le 26/07/97, le directeur financier de Honda France, M. Faure répondait à Z que :

- Honda France n'accédait pas à la demande de facturation sauf paiement comptant des 13 véhicules visés dans la demande, et que dans la négative Honda France serait amenée à procéder à leur reprise,

- pour les autres véhicules en dépôt pour lesquels Z n'avait pas voulu signer de contrat de dépôt (3 véhicules sont visés dans la plainte) Honda France entendait procéder à leur reprise,

- pour les véhicules en dépôt pour lesquels un contrat avait été signé (ne concerne qu'un modèle Civic), ceux-ci restaient confiés à Z,

Considérant qu'au 5/08/94, Honda France mettait Z en demeure de régulariser sa situation sous 30 jours faute de quoi il serait mis fin au contrat de concession;

que le 22/08/94, Z qui contestait les impayés tentait de justifier la vente des véhicules en dépôt et estimait que la demande de caution était sans objet compte tenu de la suppression du crédit-fournisseur ; que Honda France par correspondance du 24/08/94 demandait à Mme X de faire savoir où se trouvaient 17 véhicules dont les 13 objets de la plainte ultérieure;

que le 30/08/94, Honda France maintenait les termes de sa mise en demeure du 5/08/94;

que le 12/09/94, Honda France constatait que la mise en demeure était restée sans effet, notifiait la résiliation du contrat de concession avec effet immédiat ;

Considérant que, sur le plan commercial, Honda France a assigné Z en référé provision pour obtenir le paiement de factures impayées et la somme de 1.2 million de francs à valoir sur le préjudice subi du fait de la restitution des véhicules confiés en dépôt;

que Z a été déclarée en liquidation judiciaire le 6/04/95 et que le 18/04/95, Honda France a déclaré une créance de 2 423 429 F dont 1 260 351 F, correspondant à la valeur des véhicules en dépôt non restitués;

Considérant que les contrats de dépôt accompagnant chacun des véhicules "remis" par Honda France à la suite d'une commande individualisée prévoyaient notamment que :

- le véhicule confié en dépôt restait la propriété de Honda France, le concessionnaire ne pouvant s'en dessaisir,

- nonobstant les dispositions de l'art. 14, Honda France se réservait le droit de demander la restitution du véhicule à tout moment qu'il jugerait utile,

- En cas de cessation du contrat de concession quelqu'en soit la cause, le véhicule en dépôt devrait être immédiatement restitué à Honda France,

ce contrat était conclu pour une durée commençant le ... date de prise en charge par le concessionnaire et se déterminant le ... date de restitution du véhicule,

cette durée pouvant éventuellement être prolongée par Honda France,

- Les véhicules pourraient faire l'objet d'une facturation de Honda France au concessionnaire à l'issue du délai de dépôt, sauf reprise du véhicule décidée par Honda France;

- le contrat était régi par les articles 1917 à 1948 du code civil.

Considérant que Françoise X prétend que, profitant du changement de dirigeant, Honda avait exigé que "Z" commande 29 véhicules avant le 29/03/94, en dépit du défaut de caution;

- qu'à compter d'avril 1994, Honda retirait le bénéfice de son crédit-fournisseur et y substituait un " encours dépôt" dans les limites d'un plafond de 2 millions de francs;

- que le concédant émettait, à réception des commandes qui lui étaient faites, des accusés de réception portant la mention de dépôt à la place de celle de "stock" habituellement utilisée ; qu'enfin il bloquait le système minitel, les commandes devant être passées par télécopie ou par téléphone;

qu'au mois de juin, Honda adressait à Z une vingtaine de contrats de dépôt concernant des véhicules, pour la plupart déjà livrés, selon Mme X, contrats que celle-ci n'a pas signés, à l'exception de celui concernant un modèle Civic DS 227.868;

qu'elle en concluait qu'en l'absence de "contrat de dépôt" régulier, signé par elle, le préalable nécessaire pour caractériser le début d'abus de confiance faisait défaut;

Mais considérant qu'il est constant que la société Z savait, dès le début de 1994, que la dénonciation de la caution bancaire était sanctionnable, en vertu du contrat de concession;

qu'elle savait qu'il y avait retrait du bénéfice du crédit-fournisseur de Honda France, l'encours de livraison étant jusque là plafonné à 2 millions de frais, et qu'il s'y substituait un "encours de dépôt" dans les mêmes limites;

Que dès lors il importe peu que Z, par sa gérante, n'ait pas signé (à une exception près) les 12 contrats "de dépôt", individualisés, pour chacune des commandes de véhicules, d'autant qu'il n'est pas contesté que Mme X a "accepté" les véhicules, acceptation démontrée par la réception matérielle de chacun d'eux et par la demande postérieure de facturation;

que "l'acceptation" des véhicules par Mme X dans le cadre d'un contrat comportant la "remise" par Honda France, l'obligation de demander l'accord préalable de celle-ci lorsqu'un acquéreur passait commande ce dont Mme X était informée car elle ne disposait pas du certificat de cession, et enfin la restitution ou la représentation du prix versé par l'acheteur constituait le "rapport de confiance" entre les deux parties, lequel était caractérisé par une "remise acceptée", au titre d'un dépôt et mandat de vendre le véhicule en cas d'acceptation du "déposant concédant";

que le détournement sciemment opéré des 13 véhicules résulte de l'absence de représentation de ceux-ci, le défaut d'accord pour la vente de Honda France étant établi, (ou de la non restitution du prix versé), peu important l'information faite à celui-ci postérieurement à la commande d'un client ou une demande de la facturation de la dépositaire qui ne constituent pas, en 1994, le rapport de confiance entre les parties;

Considérant que l'intention coupable résulte de la connaissance qu'avait Mme X des limites, en l'espèce commerciales, de son activité sur les véhicules "confiés", transgressées pour chacun d'eux ; qu'il importe peu que les prix de vente à la clientèle aient été utilisés pour les besoins de l'exploitation, cette destination étant contraire aux rapports déposant-dépositaire ;

que le préjudice occasionné est équivalent au prix commercial de chacun des véhicules neufs pour Honda France;

Considérant qu'il est indifférent que le dépôt, en vertu duquel Honda France remettait le véhicule à Z, ne suive pas jusqu'à son terme le régime juridique de l'article 1915 du code civil puisque seul importe le "rapport de confiance" constitué par une remise et par une acceptation de l'objet "confié";

Considérant enfin que Mme X est mal venue de faire état de la connaissance qu'avait Honda France de l'existence d'une commande par chaque client final dans la mesure où elle n'a demandé la facturation de 8 véhicules (sur les 13 visés par la prévention) qu'au 25/07/94 alors qu'elle en "disposait" avec le "contrat de dépôt" y attaché depuis le 1/6 jusque, au plus tard le 30/06/94;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence de déclarer Mme X coupable du délit d'abus de confiance portant sur les 13 véhicules Prélude-Accord et Civic visés dans la plainteet de la condamner :

- sur l'action publique, suite à l'appel du ministère public, à un emprisonnement de trois mois totalement assorti du sursis,

- sur l'action civile de Honda France, déclarant sa constitution de partie civile recevable, à verser à celle-ci la somme de 1.260.351,10 F à titre de dommages et intérêts et celle de 10.000 F au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, pour l'ensemble de la procédure ;

Par ces motifs : statuant publiquement et contradictoirement, en la forme : Reçoit les appels, Au fond : Infirme le jugement entrepris, sur l'action publique, Déclare Françoise X coupable du délit d'abus de confiance portant sur les 13 véhicules Prélude-Accord et Civic, la condamne à la peine d'emprisonnement de 3 mois totalement assortis du sursis, Dit que l'avertissement prévu à l'article 132-29 du code pénal a été donné à la condamnée, sur l'action civile, Déclare la constitution de partie civile de Honda France recevable, Condamne Françoise X à verser à la société Honda France la somme de 1.260.351,10 F à titre de dommages et intérêts et celle de 10.000 F au titre de l'article 475.1 du code de procédure pénale.