Cass. com., 6 juin 2001, n° 99-10.768
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Norelem (SA)
Défendeur :
LJ Financière (SA), Tiberghien (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Boré, Xavier, Boré, SCP Célice, Blancpain, Soltner.
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Norelem que sur le pourvoi incident formé par la société LJ financière ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Paris, 9 octobre 1998) que la société LJ financière, a conclu le 22 mai 1991 avec la société Norelem, un contrat de concessionnaire exclusif venant à terme le 31 mai 1994 ; que le 25 janvier 1994, la société Norelem a notifié à la société LJ financière sa décision de résilier ce contrat et l'a informée de sa proposition d'en conclure un nouveau ; que le 21 juillet 1994, la société Norelem a adressé une proposition de contrat, comportant des modifications par rapport à l'ancienne convention ; que le 1er octobre 1994, la société LJ financière a fait connaître son intention de ne pas donner suite à cette proposition ; que parallèlement, le 22 mai 1991, la société LJ financière s'est vue agréer en qualité de distributeur officiel stockiste par la société Enerpac, pour une durée de 3 ans ; que le 6 mai 1994, la société Enerpac a fait connaître à la société LJ financière que le contrat venait à expiration et qu'un nouveau contrat lui serait proposé ; que le 5 septembre 1994, la société LJ financière a fait connaître son désaccord ; qu'estimant que les contrats conclus avec les sociétés Norelem et Enerpac avaient été résiliés abusivement, la société LJ financière a poursuivi ces sociétés, dans deux instances distinctes, jointes en cause d'appel, en dommages-intérêts ; qu'en cours d'instance, la société LJ financière a été mise en liquidation judiciaire ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses quatre branches : - Attendu que la société Norelem fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. Tiberghien, en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire à la société LJ financière, la somme de 350 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) que la faute suppose la violation d'une obligation préexistante ; qu'en l'espèce, seul, un pacte "de contrahendo" un nouveau contrat de concession exclusive eut interdit à la société Norelem de faire une offre de contrat de concession non exclusive ou de conclure des ventes dans le secteur de la société LJ financière, postérieurement à l'expiration du contrat, le 31 mai 1994 ; qu'en imputant à la société Norelem "une tromperie sur ses intentions réelles et un manque de loyauté" du fait que, postérieurement à l'expiration du contrat, celle-ci avait pris langue avec des tiers ou conclu une vente directe "pendant la période (prétendue) de négociation sans constater que le contrat expiré eût comporté une clause obligeant les parties à négocier un nouveau contrat de concession exclusive à son expiration ni, d'ailleurs, que le contrat conclu avec la société SCMR en septembre 1994 eût conféré à celle-ci une exclusivité, la cour d'appel a irrémédiablement privé sa décision de toute base légale au regard des dispositions des articles 1147 et 1134 du Code civil ; 2°) que par ailleurs, la cour d'appel, qui a constaté que la société LJ financière avait été avertie dès le 25 janvier 1994 de la fin du mandat exclusif et que les conditions de paiement de l'ancien contrat avaient été maintenues jusqu'au refus de la société LJ financière le 1er octobre 1994, de conclure le contrat non exclusif, mais qui n'en a pas déduit que la société LJ financière avait disposé d'un large délai pour se préparer à la disparition, justifiée selon la cour d'appel elle-même, des avantages exorbitants accordés en contrepartie d'une mission - pénétration accrue du secteur exclusif - qui n'avait pas été remplie par le concessionnaire et pour accepter le nouveau contrat standard, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a, dès lors, violé l'article 1147 par fausse application ; 3°) que le manquement d'une partie à un pacte "de contrahendo" ne peut engendrer, au détriment de l'autre partie, que le préjudice tiré de la perte de chance de conclure le contrat ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que c'est le concessionnaire qui a refusé, le 1er octobre 1994, de signer le nouveau contrat, jugé par elle à tous égards satisfaisant ; qu'en omettant d'en déduire que le refus de la société LJ Financière avait, seul, été à l'origine du préjudice résultant de la non-conclusion du contrat, la cour d'appel n'a pas non plus tiré les conséquences légales de ses propres constatations au plan du préjudice qui aurait pu, seul, découler de la première faute, et a, par là-même, à nouveau violé les articles 1147 et 1134 du Code civil ; 4°) que la responsabilité suppose, entre faute et préjudice, un lien de causalité direct ; qu'en l'espèce, pour condamner la société Norelem à payer la somme de 350 000 francs à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel a énoncé que la société LJ financière avait subi des pertes nées des difficultés rencontrées à raison du silence du concédant pendant plusieurs mois et n'avait pu prendre les mesures nécessaires à la restructuration de son entreprise alors qu'elle constatait, en ce qui concerne la disparition de l'exclusivité, que le concessionnaire était averti depuis le mois de janvier 1994, ce qui le mettait à même de rechercher un autre contrat de concession exclusive auprès d'un concurrent dès cette date et, d'autre part, en ce qui concerne la disparition des conditions de règlement exorbitantes, qu'en réalité, le concessionnaire a continué à bénéficier de celles-ci, à titre exceptionnel, jusqu'à son refus de conclure, le 1er octobre 1994, le contrat standard du réseau proposé en juillet ; qu' en l'état de ces constatations, la cour d'appel n'a pu légalement caractériser un lien de causalité direct et certain entre la seconde faute et le préjudice retenus et a dès lors violé à nouveau les dispositions combinées des articles 1147 et 1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate que le 25 janvier 1994, la société Norelem a fait connaître à la société LJ financière sa décision de mettre fin au contrat et de lui en proposer un nouveau dans un avenir proche, ce qu'elle a fait le 21 juillet 1994; que l'arrêt relève qu'au cours du mois d'avril 1994, alors que le contrat de concession exclusive était en vigueur, la société Norelem a traité directement avec la société SCMR, cliente de la société LJ financière et qu'un contrat de distributeur a été signé avec cette société le 1er septembre 1994 ce qui met en évidence que des discussions avaient eu lieu auparavant; que l'arrêt constate encore qu'une commande a été passée par la société UGAP le 30 juin 1994 directement à la société Norelem alors que la société LJ financière avait communiqué une offre de prix le 20 précédent à cette société ; que l'arrêt en déduit qu'avant même d'avoir, le 21 juillet 1994, soumis la nouvelle proposition de contrat annoncée le 25 janvier précédent, la société Norelem avait arrêté sa décision de ne pas reconduire l'exclusivité; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas imputé à faute à la société Norelem le fait d'avoir proposé un nouveau contrat mettant fin à l'exclusivité et aux conditions antérieures, mais celui, constitutif d'un abus du droit pour le concédant de ne pas renouveler un contrat de concession venu à expiration, d'avoir laissé la société LJ financière, après lui avoir proposé la signature d'un nouveau contrat, dans l'ignorance pendant plusieurs mois de ses intentions réelles manquant ainsi de loyauté au cours de la période de négociation, a légalement justifié sa décisionet a pu statuer comme elle a fait sans violer les textes visés à la deuxième branche du moyen ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'en l'état de la seule faute imputée à la société Norelem, en retenant que, laissée dans l'ignorance pendant plusieurs mois des intentions réelles de la concédante, la société LJ financière n'a pu prendre les mesures nécessaires à la restructuration de son entreprise, ce dont il résultait un préjudice qu'elle a limité aux pertes nées des difficultés rencontrées par cette société, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait sans violer les textes visés à la troisième et quatrième branches du moyen ; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Norelem fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. Tiberghien en sa qualité de liquidateur de la société LJ financière un rappel de commission au taux contractuel de 7 % sans prononcer la compensation de la créance de commission avec sa créance de dommages-intérêts sur la société LJ financière en réparation du préjudice causé par les incartades du concessionnaire en dehors de son territoire, alors, selon le moyen, que, dans ses conclusions d'appel, la société Norelem sollicitait le prononcé de la compensation de cette créance de commissions avec la créance de dommages-intérêts à fixer par la cour d'appel en réparation du préjudice causé par les violations des obligations du contrat imputables à la société LJ financière ; que la cour d'appel a délaissé ce moyen en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que sous couvert d'un grief de défaut de réponse à conclusions, le moyen critique une omission de statuer sur un chef de demande ; que selon l'article 463 du nouveau Code de procédure civile, cette omission ne peut donner lieu qu'à un recours devant la juridiction qui s'est prononcée ; qu'elle ne saurait donc ouvrir la voie de la cassation ; que dès lors le moyen est irrecevable ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Norelem fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. Tiberghien, en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société LJ financière, une commission au taux contractuel de 35 % sur les ventes réalisées par la société MSA-Jallut dans une partie du département de l'Isère pour la période du 1er avril 1992 à la date d'expiration du contrat, alors, selon le moyen que le contrat de concession exclusive ne prévoyait nullement une commission de 35 % sur les ventes réalisées par la société MSA-Jallut pour la période postérieure au 31 mars 1992 ; que dès lors la cour d'appel a fait produire effet à une disposition contractuelle imaginaire et a, par là même dénaturé le contrat en violation de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que le contrat énonce que l'exclusivité de vente est consentie à la société LJ financière pour le département de l'Isère sur sa partie desservie par Lyon et pour l'ensemble du département après accord sur une solution de continuité pour le secteur de l'agent actuel grenoblois, la société Jallut-MSA, au plus tard le 31 mars 1992 et que du 1er septembre 1991 au 31 mars 1992 une commission de 7 % sur le chiffre d'affaires facturé à l'agent grenoblois sera accordée à la société LJ financière ; que l'arrêt constate qu'aucun accord n'est intervenu de sorte que l'activité de l'agent grenoblois a été maintenue, sans que l'affirmation de la société Norelem selon laquelle la société LJ financière n'aurait pas été en mesure d'assurer une prospection efficace du secteur soit étayée par des éléments probants ; que l'arrêt qui en déduit qu'après le 31 mars 1992, et jusqu'à l'expiration du contrat, la société LJ financière était en droit d'obtenir le paiement de la remise de 35 % contractuellement fixée sur le montant des ventes réalisées par la société MSA Jallut, n'a fait qu'appliquer les clauses générales du contrat prévoyant, contrairement aux énonciations du moyen, un tel montant sur les ventes réalisées dans le secteur concédé à la société LJ financière à titre exclusif, hors toute dénaturation ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux branches : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de la société LJ financière en dommages-intérêts et en paiement d'une indemnité de préavis formée contre la société Enerpac, alors, selon le moyen : 1°) qu'en concluant à l'absence de faute de la société Enerpac en se contentant d'affirmer que la société LJ financière avait été avertie "que les conditions antérieures ne seraient pas reconduites" sans examiner concrètement si, en l'absence de tout reproche sur les conditions d'exécution antérieures et de toute annonce d'un changement programmé de stratégie, la société Enerpac n'avait pas abusé de son droit en maintenant artificiellement des négociations vouées à l'échec compte tenu des exigences nouvelles et inacceptables qu'elle avait fini tardivement par dévoiler, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1134 du Code civil ; 2°) qu'en exonérant la société Enerpac de toute faute pour avoir adressé après l'expiration du premier contrat un projet d'accord radicalement nouveau et inacceptable pour la société LJ financière au motif que celle-ci avait déjà bénéficié d'un délai suffisant qualifié "d'exceptionnel" depuis la fin du précédent contrat, la cour d'appel qui ne s'est pas expliquée sur les conclusions de la société LJ financière qui faisait valoir que ce délai ne lui avait été consenti par la société Enerpac que pour donner crédit à ses affirmations qu'elle savait fausses selon lesquelles le contrat allait se poursuivre, ce qui constituait en soi un comportement dolosif et nécessairement constitutif d'un préjudice, la cour d'appel a de plus fort privé sa décision de base légale au regard des textes précités ;
Mais attendu que le non-renouvellement d'un contrat de concession venu à expiration est un droit pour le concédant qui n'engage sa responsabilité qu'en cas d'abus dans l'exercice de ce droit dont la preuve incombe à celui qui se prétend victime de cet abus; qu'il s'en déduit que la proposition de nouvelles conditions contractuelles, fussent-elles inacceptables pour l'ancien concessionnaire, ne peut à elle seule constituer un tel abus; que l'arrêt constate que le contrat de distributeur officiel stockiste conclu entre la société Enerpac et la société LJ financière est venu normalement à terme le 31 mai 1994, et que le 6 mai 1994, la société Enerpac a informé son cocontractant de l'expiration du contrat, du maintien des conditions existantes jusqu'au 31 août suivant, proposant la signature d'un nouveau contrat en cours d'élaboration ; que l'arrêt relève qu'il ne peut être prétendu que la société Enerpac aurait tenté de tromper la société LJ financière sur le contenu réel du nouveau contrat alors que les énonciations de la correspondance du 6 mai 1994 étaient suffisamment claires pour permettre de considérer que les conditions anciennes ne seraient pas reconduites ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, et sans avoir à procéder à la recherche visée à la première branche du moyen et à répondre aux conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette les pourvois tant principal qu'incident.