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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 9 octobre 1998, n° 1997-06288

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

LJ Financière (SA), Tiberghien

Défendeur :

Norelem (Sté), Enerpac (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Conseillers :

M. Cailliau, Mme Radenne

Avoués :

SCP Bommart-Forster, SCP Lecharny-Cheviller

Avocats :

Mes Cerato, Aubert.

T. com. Corbeil-Essonnes, 3e ch., du 25 …

25 octobre 1995

LA COUR statue sur l'appel relevé par la société LJ Financière :

1) du jugement contradictoire, assorti de l'exécution provisoire, rendu, le 11 octobre 1995, par le tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes, qui a :

- dit que le contrat de concession exclusive, conclu avec la société Norelem, était venu normalement à terme, le 31 mai 199, et que la notification de son échéance était intervenue conformément aux stipulations contractuelles,

- constaté que la société LJ Financière, en refusant de signer le nouveau contrat qui lui a été proposé par la société Norelem, était responsable de la rupture des relations commerciales,

- condamné la société LJ Financière à payer à la société Norelem les sommes de 140.000,72 F, avec intérêts au taux légal à compter du 5 décembre 1994, de 161.562,71 F, avec intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 1995, de 37.918 F au titre du prorata de la taxe professionnelle afférente de l'année 1991, avec intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 1991, ainsi qu'à restituer le stock de matériel modulaire et à déposer l'enseigne Norelem, sous astreinte, et lui a fait défense de ne plus faire usage de documents l'accréditant en qualité de concessionnaire exclusif Norelem, et de ne plus commercialiser sous cette marque des produits concurrents, enfin a alloué à la société Norelem la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 (TTC) NCPC.

2) du jugement contradictoire, assorti de l'exécution provisoire, rendu, le 25 octobre 1995, qui a :

- dit que le contrat de distributeur officiel conclu avec la société Enerpac, était normalement venu à expiration à sa date d'échéance,

- dit que la rupture des relations commerciales était imputable à la société LJ Financière qui a refusé de conclure le nouveau contrat proposé,

- débouté la société LJ Financière de l'ensemble de ses prétentions, notamment tendant à voir indemniser un préjudice prétendu,

- condamné la société LJ Financière à payer à la société Enerpac la somme de 1 F pour procédure abusive, et celle de 15.000 F par application de l'article 700 NCPC.

Il convient de rapporter les éléments essentiels du litige.

La société LJ Financière, qui exerçait une activité de négoce et de fabrication de composants standards mécaniques et de composants hydrauliques et d'étude de systèmes sous l'enseigne Hydraumeca, avait conclu, le 22 mai 1991, avec la société Enerpac un contrat de concessionnaire exclusif pour une durée de trois ans venant à terme, le 31 mai 1994.

Par un courrier du 25 janvier 1994, la société Norelem a notifié à la société LJ Financière sa décision de résilier ce contrat et l'a informée de sa proposition (de conclure) " un nouveau contrat dans un avenir proche, et dans cette perspective précisait qu'elle se tenait à disposition pour un entretien ... ".

Le 21 juillet 1994, la société Norelem adressait un projet de contrat de distribution officiel, en indiquant dans son courrier d'accompagnement que cette convention comportait des modifications importantes en raison d'éléments explicités et lui faisait part de sa volonté de poursuivre leur collaboration, et informait qu'"à compter du 1er août 1994, les livraisons se feraient aux clauses et conditions figurant au nouveau contrat, à savoir : remise de 25 % sur le tarif de base, paiement par traite à 60 jours, le 10 du mois suivant".

Les parties devaient convenir que, dans l'attente de la signature du nouveau contrat, les conditions tarifaires arrêtées antérieurement étaient maintenues jusqu'au 1er septembre suivant.

Par un courrier du 1er octobre 1994 envoyé à la société Enerpac et la société Norelem, la société LJ Financière, exposant divers griefs et contestant les reproches qui lui étaient adressés, faisait connaître à la société Norelem sa décision de ne pas donner suite à la proposition au motif, pour l'essentiel, que celle-ci avait modifié unilatéralement les conditions du contrat en ne réglant pas les commissions dues et en ayant implanté un deuxième distributeur dans le secteur concédé, et qu'elle n'avait pas été tenue informée "des nouvelles contraintes draconiennes que (vous souhaitez) faire peser sur mon entreprise" et sollicitait la régularisation des commandes antérieures au 31 août 1994 par la société Enerpac et la société Norelem.

La société Norelem, en réponse, prenait acte du désaccord de la société LJ Financière sur le contrat de distribution proposé et réclamait le règlement de diverses sommes.

C'est dans ces conditions que la société LJ Financière, estimant que le contrat de concession exclusive avait été résilié abusivement et dans l'intention de lui nuire, a sollicité la condamnation de la société Norelem au paiement d'une indemnité de 3 MF en réparation de son préjudice financier, de 250.000 F à titre de dommages-intérêts, prétention à laquelle la société Norelem s'est opposée au motif que la rupture était imputable à la société LJ Financière et a sollicité le paiement de diverses sommes.

Par le premier jugement déféré du 11 octobre 1995, le tribunal, pour l'essentiel, a retenu que le contrat de concession était normalement venu à terme, que les relations contractuelles ne s'étaient pas poursuivies du fait de la société LJ Financière, et a fait droit aux diverses demandes formées par la société Norelem, en retenant, sur la demande de commission, non chiffrée, concernant le client la société MSA, que les manquements contractuels commis par la société LJ Financière, non respect des secteurs attribués et vente de matériel concurrent " créait compensation ".

De manière concomitante, la société LJ Financière s'est vu agréer en qualité de distributeur officiel stockiste par la société Enerpac, appartenant comme la société Norelem au groupe Applied Power, selon un courrier du 22 mai 1991, le contrat prenant effet, le 1er juin suivant pour une durée de 3 ans.

Par une correspondance du 6 mai 1994, la société Enerpac a fait connaître à la société LJ Financière que le contrat venait à expiration et qu'un nouveau contrat de "distributeur officiel" lui serait proposé et a fait connaître les conditions dans lesquelles, jusqu'au 31 août 1994, les livraisons seraient poursuivies, et l'a informée que, pour le cas où le nouveau contrat proposé ne serait pas conclu, les relations se poursuivraient selon les conditions réservées aux "distributeurs occasionnels".

La société LJ Financière faisait connaître, par lettre du 5 septembre 1994, son désaccord sur les clauses et conditions du nouveau contrat proposé et rappelait que les conditions prévues par le contrat précédent devaient être maintenues jusqu'au 30 novembre 1994, pour tenir compte du délai usuel de préavis de 6 mois.

Par un courrier en réponse du 10 octobre suivant, la société Enerpac prenait acte de ce désaccord et réclamait le règlement de diverses fournitures, sollicitant des garanties de paiement.

Les difficultés nées entre les parties concernant les livraisons impayées ont été tranchées par le Juge des référés, puis par le Juge de l'exécution.

C'est dans ces conditions que la société LJ Financière a saisi le tribunal pour obtenir l'indemnisation, à hauteur de 3,3 MF résultant de la rupture abusive des relations commerciales, sans respecter un préavis de 6 mois, et du refus de vente dont elle aurait été victime depuis le 31 août 1994 dans le but de l'évincer, prétention à laquelle la société Enerpac s'est opposée en arguant des manquements de la société LJ Financière et de son refus de maintenir les relations commerciales dans le cadre du contrat proposé.

Par le second jugement déféré du 25 octobre 1995, le tribunal a retenu, pour l'essentiel, que la demande d'indemnisation fondée sur la non reconduction des conditions prévues au contrat venu à son terme normal n'était pas justifiée, que la société LJ Financière avait pris seule l'initiative de refuser le nouveau contrat.

La société LJ Financière a fait appel de ces deux décisions dont elle a poursuivi la réformation. En cours de procédure, elle a fait l'objet d'une procédure collective.

Intervenant volontaire et comme tel appelant du jugement rendu le 11 octobre 1995, Me Tiberghien, es-qualités de mandataire-liquidateur de la société LJ Financière, demande à la Cour, par ses conclusions récapitulatives et responsives déposées le 29 avril 1998,

- à titre principal, de constater que les manœuvres dolosives de la société Norelem sont constitutives d'un abus de droit dans le non renouvellement du contrat de concession exclusive conclu, le 31 mai 1991, et en conséquence de la condamner au paiement de la somme de 3 MF correspondant à la perte de marge,

- à titre subsidiaire, de constater que la société Norelem a commis une faute en fournissant la société SMCR pendant l'exécution du contrat de concession exclusive, puis en substituant celle-ci dans ses droits, de dire que le préjudice s'élève à ce titre à la somme de 550.000 F correspondant à trois années de marge eu égard au chiffres d'affaires réalisé avec ce client, et de condamner la société Norelem au paiement de cette somme,

- en tout état de cause, de condamner la société Norelem au paiement de la somme de 24.800 F représentant 7% du chiffre d'affaires de la société MSA durant la période de septembre 1991 à mars 1992, et de désigner un expert à l'effet de déterminer le chiffre d'affaires réalisé par la société Norelem avec ce client pour la période d'avril 1992 à mars 1994, de condamner celle-ci à payer 35 % du chiffre d'affaires dégagé correspondant à la commission que la société LJ Financière aurait dû percevoir sur les ventes réalisées avec la société MSA pendant la durée du contrat,

- "à tout le moins, conformément aux termes du contrat", de condamner la société Norelem à payer 7% du chiffre d'affaires réalisé avec la société MSA, de la condamner encore à restituer la somme de 37.918 F correspondant au prorata de la taxe professionnelle avec intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 1995, de prendre acte de la restitution par la société LJ Financière du stock modulaire, de dire qu'il n'y a plus lieu à astreinte et de la supprimer, de prendre acte de ce que l'enseigne a été déposée et de condamner la société Norelem au remboursement des frais de dépose, de prendre acte encore de ce que la survenance de la procédure collective ne permet plus de faire usage de documents accréditant la société LJ Financière comme concessionnaire exclusif ni de commercialiser des produits d'une marque concurrente,

en conséquence de débouter la société Norelem de l'ensemble de ses demandes et de mettre à sa charge la somme de 30.000 F en application de l'article 700 NCPC.

Il fait valoir :

- que la société Norelem, en ne tenant pas l'engagement par elle pris de renouveler le contrat a commis un abus de droit, que la proposition formulée par la société Norelem contenant des modifications substantielles des conditions précédemment arrêtées devait être portée à la connaissance de la société LJ Financière avant le terme du contrat, et que celle-ci n'a pas disposé d'un délai raisonnable de réflexion, que la résiliation, intervenue dans des conditions exclusives de bonne foi, est abusive,

- que, dès le 15 avril 1994, la société Norelem, au mépris de l'exclusivité consentie, a livré un des clients de la société LJ Financière, la société SMRC, et a consenti à celle-ci des remises importantes, puis l'a agréée comme distributeur dès le 1er septembre 1994, que ce comportement, qui traduit la volonté de la société Norelem de ne pas poursuivre ses relations initiales, est constitutif de manœuvres dolosives, que, de plus la société Norelem a détourné la clientèle de la société LJ Financière,

- que la rupture des relations est imputable à la société Norelem, qui a multiplié les obstacles et sollicité des garanties exorbitantes,

- que la demande de commission ne pouvait être compensée avec la prétendue créance de dommages-intérêts sollicitée par la société Norelem, eu égard à la clause stipulant qu'aucune indemnité n'était due en cas de résiliation ou de non renouvellement du contrat, que de plus, s'agissant d'une distribution ponctuelle, aucun reproche ne pouvait être adressé à la société LJ Financière, et que le préjudice allégué n'est pas démontré, que la société Norelem, s'étant engagée contractuellement à servir une commission de 7% sur ce client, est tenue au paiement des commissions contractuellement dues jusqu'au 31 mars 1992, et doit réparation de l'atteinte portée à son exclusivité évaluée à la remise de 35 % lui revenant sur le chiffre d'affaires réalisé par la société MSA, à tout le moins à 7% de ce chiffre d'affaires, qu'en outre, en permettant l'installation de la société Tallut dans le secteur de Grenoble, la société Norelem a causé un préjudice qu'elle est tenue d'indemniser sans que puisse lui être reproché de ne pas avoir mis en œuvre les moyens nécessaires de prospection,

- que la demande relative au remboursement d'une partie de la taxe professionnelle afférente à l'année 1991 n'est pas justifiée d'une part, en raison du défaut de lien avec la demande de dommages-intérêts, d'autre part, du fait de l'exonération bénéficiant à l'entreprise au titre de l'année 1991,

- que l'enseigne a été déposée, le 12 septembre 1995, et le stock du matériel modulaire restitué, le 4 décembre suivant,

- que les griefs articulés par la société Norelem ne sont pas établis dans la mesure où la prétendue politique agressive adoptée par la société LJ Financière n'est pas démontrée, pas plus que l'existence d'agissements déloyaux commis par celle-ci, en faisant observer à cet égard qu'en l'absence de déclaration de créance émanant de la société Norelem, aucune demande en paiement n'est recevable, que la promesse relative à la prospection du secteur entier n'a pas été tenue, pas plus que n'a été fourni le soutien commercial, de sorte que la clause d'exclusion de responsabilité insérée au contrat ne saurait profiter à la société Norelem, que les incidents de paiement allégués ne sont pas démontrés alors que les livraisons ont été effectuées de manière tardive et incomplète,

- que le préjudice sollicité en réparation de la rupture abusive du contrat et des manœuvres dolosives est justifiée en considération du chiffre d'affaires réalisé par la société Norelem pour les années 1991, 1992, 1993 et 1994 "en corrélation avec ses prévisionnels que celle-ci se refuse à communiquer".

Intimée, la société Norelem demande à la Cour de prononcer la disjonction entre l'instance l'opposant à la société LJ Financière et celle dirigée à l'encontre de la société Enerpac afin d'assurer une bonne administration de la justice, de débouter Me Tiberghien, ès qualités, de l'ensemble de ses prétentions, de confirmer le jugement entrepris sur le principe des condamnations prononcées à l'encontre de la société LJ Financière, et de lui allouer la somme de 20.000 F en application de l'article 700 NCPC.

Elle fait valoir :

- qu'elle a consenti des avantages significatifs à la société LJ Financière, qui venait de se créer, en concluant le contrat de concession exclusif, que des difficultés sont nées en cours d'exécution de ce contrat imputables à la société LJ Financière, qu'après dénonciation de la convention à l'expiration du terme contractuellement prévu, la société LJ Financière a provoqué de nouveaux incidents, notamment de paiement, justifiant la cessation des approvisionnements, et a refusé de conclure le nouveau contrat proposé qui comportait des conditions conformes à celles qui étaient convenues avec ses autres concessionnaires, et s'est rendue coupable d'agissements déloyaux,

- que le non-renouvellement du contrat de concession ne revêt pas un caractère abusif au regard de la clause selon laquelle aucune indemnisation n'était due en cas de résiliation ou de non-renouvellement, cette clause convenue entre deux professionnels étant valide, que la société LJ Financière a disposé d'un délai de réflexion suffisant, et que le préjudice sollicité n'est ni caractérisé ni justifié,

- que la demande en paiement des échéances impayées aux 10 novembre 1994, 10 décembre 1994 et 10 janvier 1995 est justifiée,

- que la société LJ Financière n'a pas respecté l'engagement, pris aux termes de l'acte de cession du fonds de commerce, de rembourser une quote-part de la taxe professionnelle pour l'année 1991 mise à la charge de l'acquéreur lequel justifie du paiement,

- que les relations commerciales nouées avec la société SCMR sont intervenues après l'expiration du contrat en cause,

- que la demande de commission sur le chiffre d'affaires réalisé par la société MSA n'est pas fondée, dans la mesure où le comportement et les manquements répétés de la société LJ Financière enlèvent tout fondement à cette réclamation,

- que les dénégations opposées par la société LJ Financière aux demandes accessoires ne sont pas sérieuses, en relevant que les frais de dépose de l'enseigne doivent rester à la charge de la société LJ Financière

Intervenant volontaire et comme tel également appelant du jugement du 25 octobre 1995, Me Tiberghien, ès qualités, demande à la Cour, par voie de réformation, de constater l'abus de droit de mettre fin aux relations commerciales commis par la société Enerpac, de condamner celle-ci au paiement d'une indemnité de 3,3 MF, subsidiairement de la condamner celle-ci au paiement d'une indemnité de 550.000 F pour non-respect du préavis, outre une somme de 20.000 F en application de l'article 700 NCPC, et de débouter la société Enerpac de l'ensemble de ses prétentions.

Il soutient :

- que le contrat de distributeur officiel stockiste a été rompu abusivement par la société Enerpac qui a agi de mauvaise foi, en mettant fin au contrat alors que la société LJ Financière avait déployé ses efforts pour réaliser les objectifs convenus, puis en poursuivant ses relations contractuelles et en proposant un nouveau contrat à des conditions inacceptables, sans motif valable,

- que la société Enerpac a manqué de loyauté en adressant tardivement le projet de contrat, de sorte que la société LJ Financière a été trompée sur le sens du maintien des relations contractuelles,

- que la société Enerpac s'est rendue coupable d'un refus de vente en ne procédant plus aux livraisons à partir du 31 août 1994,

- que le préjudice sollicité, correspondant à 3 années de marge moyenne, est justifié,

- subsidiairement, qu'en mettant fin, le 31 août 1994, aux relations commerciales qui s'étaient nouées à compter du 22 mai 1994, la société Enerpac n'a pas respecté le préavis d'usage,

- que les griefs articulés à son encontre à savoir, pratique de prix d'appel, ventes hors du territoire, incidents de paiement, accord de distribution avec un concurrent, ne sont pas établis,

- que les agissements de concurrence déloyale ou de contrefaçon ne sont pas davantage établis,

- que les mesures d'exécution mises en œuvre par la société Enerpac avaient pour but de l'évincer.

Intimée, la société Enerpac demande à la Cour de prononcer la disjonction entre l'instance dirigée à son encontre et celle formée contre la société Norelem au motif qu'il n'existe pas de lien de connexité entre ces deux instances, de débouter Me Tiberghien, ès qualités, de l'ensemble de ses prétentions, et, en conséquence, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et encore de mettre à la charge de Me Tiberghien, ès qualités, la somme de 20.000 F en application de l'article 700 NCPC.

Elle fait observer :

- que le contrat de distributeur officiel stockiste étant normalement venu à expiration, il ne peut être argué d'un abus de droit,

- que, contrairement à l'affirmation de l'appelant, le nouveau contrat proposé ne contenait aucune clause qui ne soit acceptable, étant précisé que la limitation de l'encours se trouvait justifiée par les incidents de paiement survenus précédemment,

- que, le courant d'affaires qui s'est instauré entre les parties pour permettre la négociation d'un nouveau contrat, ne saurait ouvrir droit au bénéfice d'un préavis de 6 mois alors que la société LJ Financière a mis fin à cette négociation,

- que le refus de vente allégué n'est pas établi dans la mesure où, eu égard à l'importance des impayés, le fait de subordonner les approvisionnements à des garanties de paiement n'est pas fautif,

- que le préjudice allégué n'est pas justifié dans son montant, et par ailleurs ne présente pas un lien de causalité avec la faute prétendue qui lui est reprochée.

Sur quoi, LA COUR,

Sur la demande de disjonction :

Considérant qu'il est constant que si la société Enerpac et la société Norelem sont deux personnes morales distinctes, elles entretiennent des relations étroites pour appartenir au même groupe et qu'elles distribuent des produits complémentaires que l'une et l'autre ont confié à la société LJ Financière dont l'animateur avait été pendant plusieurs années le salarié de la société Enerpac;

Que, en outre, le contrat de concessionnaire exclusif d'une part, de distributeur officiel stockiste, d'autre part, ont été conclus avec la société LJ Financière à la même époque et pour la même durée;

Qu'enfin, il ressort du courrier du 12 octobre 1994, adressé sous pli unique à la société Enerpac et à la société Norelem, que la société LJ Financière a traité dans leur ensemble les problèmes rencontrés sans que les destinataires ne formulent de réserves à cet égard;

Considérant qu'en cet état, il existe entre les deux instances un lien tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de les instruire et de les juger ensemble;

Que la jonction de ces instances opérée en cours de procédure se trouvait justifiée ;

Qu'il s'ensuit que la demande de disjonction formée par la société Enerpac et par la société Norelem sera écartée;

Sur la demande dirigée à l'encontre de la société Norelem :

Considérant que le contrat de concessionnaire exclusif est venu à terme, le 31 mai 1994;

Considérant que le non-renouvellement d'un contrat de concession venu à expiration est un droit pour le concédant qui n'engage sa responsabilité qu'en cas d'abus dans l'exercice de ce droit dont la charge incombe à celui qui se prétend victime cet abus;

Que, dès le 25 janvier 1994, la société Norelem a fait connaître sa décision de mettre fin au contrat et a proposé un nouveau contrat dans un avenir proche, ce dont la société LJ Financière a pris acte dans sa réponse du 15 février suivant;

Considérant que le nouveau contrat proposé, le 21 juillet 1994, par la société Norelem comportait des modifications notables par rapport au contrat précédent, comme celle-ci en a d'ailleurs convenu, en ce que le montant des remises a été modifié et le délai de paiement ramené à 60 jours le territoire se trouvait modifié du fait de la suppression du département de la Savoie, et en ce qu'il était mis un terme à l'exclusivité;

Que la société LJ Financière a fait part de son refus par un courrier du 1er octobre suivant;

Considérant qu'il ne résulte pas du courrier de dénonciation que le nouveau contrat proposé par la société Norelem devait contenir des clauses identiques à celles du contrat venu à expiration;

Que, de plus, il ressort des documents produits qu'un certain nombre d'incidents imputables à la société LJ Financière s'étaient produits en cours d'exécution du contrat tenant d'une part, au non-respect des conditions de paiement convenues, sans que les protestations émises par la société LJ Financière dans sa correspondance du 13 juin 1994 soient fondées, d'autre part au comportement commercial de celle-ci signalé dans un courrier du 18 novembre 1992, et à l'évolution du chiffre d'affaires réalisé pendant la période de 1992 à 1994 marquant une diminution significative;

Que l'ensemble de ces éléments permettent de retenir que les nouvelles conditions n'ont pas été formulées dans une intention de nuire à la société LJ Financière à qui il était proposé des conditions identiques à celles des autres concessionnaires;

Mais considérant qu'il résulte des productions qu'au cours du mois d'avril 1994, alors que le contrat de concession exclusive était en vigueur, la société Norelem a traité directement avec la société SCMR, cliente de la société LJ Financière qui se trouvait dans la zone d'exclusivité; qu'un contrat de distributeur a été signé avec cette société le 1er septembre 1994, ce qui met en évidence que des discussions avaient eu lieu auparavant;

Que, de plus, il est établi qu'une commande a été passée par la société UGAP, le 30 juin 1994, directement à la société Norelem portant sur un kit modulaire et un kit de bridage, alors que la société LJ Financière avait communiqué une offre de prix le 20 précédent relative à un kit modulaire;

Que ces éléments mettent en évidence qu'avant même d'avoir soumis la nouvelle proposition de contrat seulement le 21 juillet 1994, annoncée le 25 janvier précédent, la société Norelem avait arrêté sa décision, de sorte qu'elle a délibérément trompé la société LJ Financière sur ses intentions réelles, et fait preuve d'un manque de loyauté au cours de la période de négociations, sans pouvoir prétendre que la société LJ Financière a bénéficié d'un délai de réflexion suffisant sur les nouvelles modalités proposées puisque elle-même avait déjà réorganisé le secteur sans en avertir celle-là;

Considérant toutefois que les difficultés d'approvisionnement ne sont que la conséquence du comportement de la société LT Financière qui n'a pas respecté les conditions de règlement qui lui étaient favorables pendant la période de négociations;

Considérant que les parties ont librement convenu, aux termes d'une clause qui doit recevoir application s'agissant de deux professionnels avertis, que le non-renouvellement du contrat de concession exclusive ne donnerait lieu à aucune indemnisation de part et d'autre;

Considérant toutefoisque cette clause est sans incidence sur la demande d'indemnisation fondée sur l'abus de droit commis par la société Norelem lequel se trouve constitué ainsi qu'il a été dit;

Considérant que Me Tiberghien, ès qualités, ne peut prétendre qu'à l'indemnisation du préjudice causé par le comportement fautif de la société Norelem; que cette indemnisation ne saurait correspondre à l'ensemble de la perte de marge mais se trouve limitée aux pertes nées des difficultés rencontrées par la société LJ Financière qui a été laissée dans l'ignorance pendant plusieurs mois des intentions réelles de la concédante et partant n'a pu prendre les mesures nécessaires à la restructuration de son entreprise;

Qu'en cet état la Cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à la somme de 350.000 F toutes causes confondues le préjudice souffert par la société LJ Financière;

Considérant que, sur la demande relative aux commissions, que le contrat énonce que l'exclusivité de vente est consentie pour ... le département de l'Isère sur sa partie desservie par Lyon et pour l'ensemble du département, après accord sur une solution de continuité pour le secteur de l'agent actuel grenoblois, au plus tard le 31 mars 1992. Du 1er septembre 1991 au 31 mars 1992 au plus tard, une commission de 7% sur le chiffre d' affaires facturé à l'agent grenoblois vous sera accordée et réglée au paiement effectif;

Qu'il est constant qu'aucun accord n'est intervenu sans que l'affirmation de la société Norelem selon laquelle la société LJ Financière n'aurait pas été en mesure d'assurer une prospection efficace du secteur soit étayée par des éléments probants, de sorte que l'activité de l'agent grenoblois, la société Jallut-MSA, a été maintenue;

Que la société Norelem ne conteste pas être redevable des commissions au taux de 7% sur le chiffre d'affaires réalisé par cet agent jusqu'au 31 mars 1992, dont le montant s'élève à la somme de 24.800 F ainsi que l'a admis la société Norelem dans sa correspondance du 3 mai 1994;

Qu'il ne ressort pas des documents produits que cette somme ait été acquittée par la société Norelem;

Que, par ailleurs, Me Tiberghien, ès qualités, est fondé à solliciter le paiement de la remise de 35 % contractuellement fixée sur le montant des ventes réalisées par la société MSA Jallut jusqu'au 31 mai 1994, date d'expiration du contrat de concessionnaire exclusif;

Qu'une mesure de constat s'impose en l'absence d'éléments permettant de déterminer la somme due à ce titre;

Considérant en revanche que Me Tiberghien, ès qualités, ne peut prétendre être indemnisé du préjudice, à déterminer à dire d'expert, résultant de l'installation d'un autre distributeur dans son secteur d'activité, alors que la Société LJ Financière a accepté cette situation dès l'origine des relations contractuelles et que le droit à commissions qui lui a été reconnu jusqu'à l'expiration du contrat tend à compenser cette limitation d'exclusivité;

Considérant que la demande relative au règlement de la quote-part de la taxe professionnelle pour l'année 1991 formée par la société Norelem constitue un des chefs de la demande reconventionnelle qui présente avec la demande originaire de la société LJ Financière un lien suffisant s'agissant de solder les comptes entre les parties;

Considérant que la société LJ Financière s'est engagée selon les énonciations de l'acte de cession du fonds de commerce du 24 mai 1991 à effectuer ce règlement; que la société Norelem, qui justifie avoir acquitté cette taxe, le 11 décembre 1991, était fondée à en solliciter le remboursement partiel sans que la société LJ Financière puisse utilement invoquer le fait qu'elle n'aurait pas été assujettie à cette taxe au titre de l'année 1991;

Que Me Tiberghien, ès qualités, qui dans ses premières écritures a soulevé la question de l'existence de la procédure collective ouverte à l'encontre de la société LJ Financière par jugement du 11 octobre 1995 et l'absence de justification de sa déclaration de créance par la société Norelem, sollicite la restitution de cette somme de 37.918 F en principal, et intérêts à compter du 31 janvier 1995, date de la mise en demeure délivrée par la société Norelem;

Qu'aucun élément ne permet de constater que cette somme aurait été retenue par compensation par la société Norelem, et acquittée par la société LJ Financière alors surtout que le tribunal a prononcé de ce chef une condamnation;

Qu'il convient de recueillir les explications des parties de chef, notamment sur une éventuelle compensation opérée entre des créances réciproques antérieurement à l'ouverture de la procédure collective au regard du lien de connexité qui exige que les créances procèdent du même contrat;

Considérant sur le paiement du solde des échéances du 10 novembre 1994 (140.481,72 F) et des échéances des 10 décembre 1994 et 10 janvier 1995 (161.552,71 F) qu'il convient de relever que Me Tiberghien, ès qualités, ne présente aucune argumentation concernant ce chef de demande, tandis que la société Norelem se borne à solliciter la confirmation du jugement en toutes ses dispositions;

Qu'il importe également de permettre aux parties de s'expliquer sur le moyen soulevé d'office par la Cour tenant à la justification par la société Norelem d'une déclaration de créance, étant relevé que seule une demande tendant à la fixation de créance est recevable;

Considérant que Me Tiberghien, ès qualités, s'appuie sur un constat d'huissier pour prétendre avoir restitué le stock modulaire, ce que conteste la société Norelem;

Considérant qu'il est établi que l'enseigne Norelem a été déposée;

Que, toutefois, Me Tiberghien, ès qualités, ne peut prétendre obtenir de la société Norelem le remboursement des frais de dépose en exécution de l'article 4 du contrat dans la mesure où il ressort des photographies annexées au constat d'huissier que la société LJ Financière s'est bornée à apposer une enseigne Hydraumeca sans faire figurer la qualité de concessionnaire Norelem, l'enseigne de celle-ci ayant été laissée en place, de sorte qu'elle n'a pas elle-même respecté la clause dont elle invoque le bénéfice;

Considérant que Me Tiberghien, ès qualités, fait exactement valoir que les prétendus agissements déloyaux qui lui sont imputés ont nécessairement cessé à compter de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, le 10 octobre 1995, de sorte que les prétentions formées par la société Norelem tendant à voir cesser ses agissements, sous astreinte, sont devenues sans objet;

Sur la demande formée à l'encontre de la société Enerpac,

Considérant que le contrat de distributeur officiel stockiste, conclu pour une durée de trois ans, sans clause de renouvellement ni de préavis, est venu normalement à terme le 31 mai 1994;

Considérant qu'il incombe à Me Tiberghien, ès qualités, de démontrer l'abus de droit commis à son détriment par la société Enerpac qui aurait mis fin aux relations contractuelles dans des conditions dépourvues de bonne foi et qui aurait agi de manière déloyale en laissant croire à la poursuite de nouvelles relations alors que le nouveau contrat proposé était inacceptable;

Considérant que, en informant le 6 mai 1994 de l'expiration du contrat en cause et en maintenant les conditions existantes jusqu'au 31 août suivant, notamment de paiement, lesquelles étaient favorables au distributeur, ainsi qu'en proposant la signature d'un nouveau contrat en cours d'élaboration précisant encore qu'en cas de refus elle assurerait ses livraisons postérieurement au 1er septembre 1994 aux conditions réservées à ses "distributeurs occasionnels", la société Enerpac n'a commis aucun abus dans l'exercice de son droit de ne pas renouveler le contrat;

Qu'il ne saurait être soutenu qu'elle a agi avec une légèreté blâmable alors que les incidents de paiement imputables à la société LJ Financière qui se sont répétés, comme le comportement commercial de celle-ci, établi par les documents produits, auraient permis que les relations cessassent dès la survenance du terme;

Que Me Tiberghien, ès qualités, ne peut prétendre que la société Enerpac aurait tenté de tromper la société LJ Financière sur le contenu réel du nouveau contrat alors que les énonciations de la correspondance ci dessus reproduites étaient suffisamment claires pour permettre de considérer que les conditions anciennes ne seraient pas reconduites;

Que la preuve d'un comportement fautif de la société Enerpac n'étant pas rapportée la demande de dommages-intérêts sera écartée, sans qu'il y ait lieu d'examiner le lien de causalité existant entre la faute prétendue et le préjudice allégué;

Considérant que, pas davantage, la demande relative au non-respect d'un délai de préavis de 6 mois n'est fondée dans la mesure où la société Enerpac a fait explicitement savoir aux termes de la correspondance susvisée que les relations maintenues après l'expiration du contrat l'étaient à titre exceptionnel et que ce n'est que le 1er octobre 1994 que la société LJ Financière a fait connaître explicitement son refus;

Considérant que le refus de vente allégué par Me Tiberghien, ès qualités, n'est nullement établi, dès lors qu'eu égard aux incidents de paiement répétés, la société Enerpac était fondée à solliciter des garanties de paiement à compter du 21 septembre 1994, étant précisé que la société Enerpac avait honoré les commandes passées jusqu'à cette date;

Que le jugement déféré sera donc confirmé sauf en ce qui concerne la condamnation au paiement de la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts prononcée au profit de la société Enerpac et à la somme allouée par application de l'article 700 NCPC, eu égard à la procédure collective ouverte à l'encontre de la société LJ Financière, et en l'absence de justification d'une déclaration de créance;

Considérant que l'équité comme la situation économique de la partie condamnée ne commandent pas de faire bénéficier la société Enerpac des dispositions de l'article 700 NCPC au titre des frais irrépétibles ;

Par ces motifs : rejette la demande de disjonction des deux instances jointes par ordonnance du 22 mai 1997, confirme le jugement déféré du 25 octobre 1995 en ce qu'il a débouté la Société LJ Financière de sa demande de dommages-intérêts formée contre la société Enerpac, et sur les dépens, statuant à nouveau et y ajoutant, dit irrecevable la demande reconventionnelle de dommages-intérêts formée par la société Enerpac, sursoit à statuer sur le surplus des demandes, déboute Me Tiberghien, ès qualités, de sa demande en paiement d'une indemnité de préavis, dit que la société Enerpac ne s'est pas rendue coupable d'un refus de vente et déboute Me Tiberghien, ès qualités, de sa demande de ce chef, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 NCPC, infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré du 11 octobre 1995, statuant à nouveau, dit que la société Norelem a commis un abus de droit au préjudice de la société LJ Financière et en conséquence la condamne à payer à Me Tiberghien, ès qualités, la somme de 350.000 F. à titre de dommages-intérêts, la condamne également au paiement de la somme de 24.800F. Ordonne une mesure de constat et désigne en qualité de constatant Me Delmousse, huissier de justice, demeurant 116, rue de la Boétie 75008 Paris Tél: 01.53.83.86.70, avec mission d'établir le compte des commis sons dues par la société Norelem, sur la base de 35 % du chiffre d'affaires réalisé par la société MSA Jallut pendant la période du 1er avril 1992 au 31 mai 1994, dit que la somme de 6.000 F, à titre de provision à valoir sur les honoraires, devra être versée par Me Tiberghien, ès qualités, entre les mains du constatant avant le 15 novembre 1998, et dit que le rapport devra être déposé au secrétariat-greffe de la Cour avant le 31 mars 1999, dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, la mesure de constat sera caduque et l'affaire rappelée pour qu'il soit statué en l'état, ordonne la réouverture des débats à l'audience du 21 janvier 1999 pour permettre à Me Tiberghien, ès-qualité, et à la société Norelem de s'expliquer sur les demandes en paiement formées, eu égard à l'existence de la procédure collective et sur l'existence d'une déclaration de créance [selon arrêt rectificatif du 14 mai 1999], réserve les dépens, à l'exception des dépens d'appel concernant la société Enerpac qui seront mis à la charge de Me Tiberghien, ès qualités, et entreront en frais privilégiés de la procédure collective, et admet, pour ces dépens, la SCP Lecharny Cheviller, avoué, au bénéfice de l'article 699 NCPC.