CA Colmar, 1re ch. A, 10 mars 1998, n° 9503687
COLMAR
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Alsia (SA), Alsa Chariots (SA), Mulhaupt (ès qual.), Froëhlich (ès qual.)
Défendeur :
Hyster France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gueudet
Conseillers :
Mmes Bertrand, Schneider
Avocats :
Mes Bueb, Huffschmitt, Cahn, Associes, Peulve.
Le premier septembre 1987, la société Hyster France, qui a pour objet la distribution de chariots élévateurs, a conclu un contrat de concession avec la société Alsa Chariots pour la distribution de ses produits dans les départements du Bas Rhin, Haut Rhin, Haute Saône, Doubs, Territoire de Belfort, et deux arrondissements du Jura ;
A la suite de difficultés de paiement rencontrées par la société Alsa Chariots, la société Hyster a, par courrier du 13 décembre 1991, résilié ledit contrat.
Selon convention signée le 19 mars 1992 par la maison mère de la société Hyster, dont le siège est à Portland USA, la société Hyster France a conclu avec la société Alsia un contrat de distribution prenant effet le 14 janvier 1992 portant sur le même objet et couvrant les mêmes territoires que ceux auparavant concédés à la société Alsa Chariots.
Ce contrat faisait suite à un courrier du 28 novembre précédent par lequel la société Hyster France s'engageait à adresser un contrat de concession exclusive à la société Alsia dès que " ces secteurs contractuellement retirés aux concessionnaires actuels seront annulés par un courrier de notre maison mère ...".
Au cours de l'année 1992, la société Alsia a, par courrier du 30 mars, attiré l'attention de la société Hyster France sur le fait que la société Alsa Chariots se targuait de la qualité d' importateur exclusif de la marque Hyster pour les départements 67, 68, 25, 90 et 70 et qu'elle commercialisait les produits de cette marque.
Par constat d'huissier du 4 mai 1993 et du 23 novembre suivant, la présence de panneaux et d'une enseigne portant les références Hyster a été constatée sur la façade des établissements Alsa Chariots ainsi que celle de la mention "distributeur local de chariots élévateurs Hyster et importateur pour le 68, 67, 25, 70 et 90 des chariots élévateurs Hyster", dans l'annuaire téléphonique, en ce qui concerne la société Alsa Chariots.
En date du 10 décembre 1993, la SA Alsia, a assigné la SARL Hyster France devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins de faire prononcer à ses torts la résiliation du contrat de concession, qui les liait.
Elle lui réclamait :
- paiement de la somme de 2 711 820 F avec les intérêts légaux à compter de l'assignation en réparation du préjudice subi pour les exercices 1992 et 1993,
- paiement de la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts,
- ainsi que d'un montant de 50 000 F en application de l'article 700 du NCPC, sollicitant en outre la capitalisation des intérêts et l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
La société Hyster France concluait au débouté de la demande de la société Alsia, sollicitant subsidiairement une réduction du montant réclamé.
Elle formait une demande reconventionnelle tendant à voir constater l'inexécution par la société Alsia de ses obligations contractuelles,
à faire prononcer la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Alsia,
et à condamner celle-ci à lui payer une somme de 5 550 000 F en réparation du préjudice subi, suite à l'inexécution du contrat,
ainsi que d'une somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts,
et d'un montant de 50 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Par jugement prononcé le 29 juin 1995, la juridiction saisie a :
- sur la demande principale :
débouté la société Alsia des fins de sa demande,
- sur l'appel en garantie :
constaté qu'il était sans objet,
et en tant que de besoin, condamné la société Alsa Chariots à faire disparaître l'enseigne Hyster France dès le prononcé de la décision, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard,
dit que les dépens de l'appel en garantie étaient à la charge de la société Alsa Chariots,
et déclaré le jugement commun à Maître Mulhaupt et Maître Froëhlich, ès qualités de mandataire judiciaire de la société Alsa Chariots;
- sur la demande reconventionnelle :
prononcé la résiliation du contrat de concession aux torts exclusifs de la société Alsia.
débouté la société Hyster France de ses demandes de dommages intérêts et au titre de l'article 700 du NCPC,
fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés pour trois quarts par la société Alsia et pour un quart par la société Hyster France.
Selon déclaration du 20 juillet 1995, la SA Alsia a interjeté appel de ce jugement.
Par mémoire du 20 novembre 1995, elle conclut à l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception de celles ayant débouté la SARL Hyster France de sa demande de dommages et intérêts, et demande à la cour :
- de constater que la société Hyster France n'a pas exécuté son obligation de garantir l'exclusivité de la concession, ni son obligation à garantir contre l'éviction,
- de prononcer en conséquence la résiliation aux torts exclusifs de la société Hyster du contrat liant les parties,
- de condamner la société Hyster France à lui payer une somme de 2 711 820 F avec des intérêts légaux à compter du jour de l'assignation, subsidiairement à compter du jour du jugement en réparation du préjudice matériel subi pour les exercices 1992 et 1993,
- de condamner la société Hyster France à lui payer une somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts pour inexécution de ses obligations contractuelles et la perte du contrat qui en est la conséquence, avec intérêts légaux à compter de la décision à intervenir,
- d'ordonner la capitalisation des intérêts pour une année entière et dire qu'ils se capitaliseront à leur tour dans les mêmes conditions,
- de condamner la société Hyster France à lui payer une somme de 50 000 F en application de l'article 700 du NCPC,
- de condamner la société Hyster aux entiers frais et dépens des deux instances,
Sur conclusion reconventionnelle,
- elle sollicite que la société Hyster France soit déboutée de ses fins et conclusions et condamnée aux entiers dépens des deux instances et de la demande reconventionnelle.
Elle fait valoir :
- que l'obligation de concession exclusive n'ayant pas été respectée alors que la garantie de l'exclusivité est pour le concédant une obligation de résultat, la société Hyster est tenue à réparation du préjudice en résultant;
- que la société Hyster France devait en effet tout mettre en œuvre pour garantir l'exclusivité de la société Alsia, que faute d'y être parvenue, la résolution du contrat doit être prononcée à ses torts exclusifs et qu'elle doit être condamnée à indemnisation;
- que si elle n'a pas, quant à elle, atteint les performances souhaitées, c'est en raison de la concurrence déloyale que lui faisait la société Alsa Chariots, de sorte que la demande reconventionnelle n'est pas fondée;
- qu'aucun résultat pouvant servir de fondement à une résolution judiciaire n'avait d'ailleurs été convenu contractuellement;
- qu'en ce qui concerne son préjudice, elle sollicite un montant équivalent à la perte des marges brutes moyennes dont elle a été privée, à savoir 2 711 820 F (963 720 F au titre des ventes de chariots neufs et 1 748 100 F au titre de l'activité induite, pièces détachées et autres manutentions), sollicitant en outre paiement de dommages et intérêts d'un montant de 500 000 F en réparation de son préjudice découlant de "la responsabilité de la rupture du contrat proprement dit et de la perte de la possibilité de voir se poursuivre le contrat".
Par mémoire du 23 mai 1996, la SARL Hyster France conclut au rejet de l'appel principal, à la confirmation des dispositions du jugement relatives à la demande principale,
sollicitant à titre subsidiaire, au cas où sa responsabilité venait à être retenue,
que soit constatée l'absence de lien de causalité entre le manque à gagner de la société Alsia et sa "prétendue faute",
et que sa créance à l'égard de la société Alsa Chariots au titre de l'appel en garantie soit fixée au montant des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;
En ce qui concerne sa demande reconventionnelle, elle demande confirmation du jugement déféré en tant qu'il a prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Alsia mais infirmation des dispositions du jugement ayant rejeté sa demande de dommages et intérêts, réclamant condamnation de la société Alsia à lui verser une somme de 1 589 000 F en réparation de son préjudice consécutif à l'inexécution par cette société de ses obligations et correspondant à son manque à gagner (546 000 F au titre de la perte de marge brute, 743 000 F au titre de la perte d'activité induite et 300 000 F au titre des frais de formation et marketing exposés), ainsi qu'une somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts pour rupture du contrat, et une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Elle expose que le concessionnaire devait atteindre des objectifs minimum de vente en contrepartie de l'exclusivité dont il bénéficiait et que dans le cadre de l'exécution du contrat, elle a, quant à elle, apporté une aide commerciale considérable à la société Alsia pour lui permettre de remplir ses objectifs contractuels (remises exceptionnelles, aides, supports de formation et de marketing, participation pour moitié aux frais d'engagement du directeur commercial de la société) ;
que les prévisions de vente de chariots que la société Alsia devait réaliser pour l'année 1993 avaient été arrêtées lors d'une réunion qui s'est tenue le 26 janvier 1993 (25 chariots pour le département 67 et 15 pour les autres départements) mais qu'à défaut de vente, de nouveaux objectifs ont été fixés, qu'un plan d'action a été mis en place et que plutôt que de mettre un terme au contrat, elle lui a, en date du 8 juin 1993, alloué un délai supplémentaire pour remplir ses obligations contractuelles ;
Elle fait valoir :
1. Sur la demande principale :
- qu'elle n'a pas violé son obligation d'exclusivité, rien n'interdisant à un tiers de s'approvisionner hors du territoire ou auprès d'un fournisseur non lié par une clause d'exclusivité pour revendre les produits à l'intérieur du territoire concédé;
- que l'obligation d'exclusivité n'est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyens, la mise en œuvre de la responsabilité du concédant n'étant possible que s'il a lui-même violé l'exclusivité consentie en approvisionnant directement un tiers (ce qu'elle n'a pas fait) ;
- qu'elle n'a pas continué à approvisionner la société Alsa Chariots à l'encontre de laquelle elle possédait une créance supérieure à 1 000 000 F, toujours impayée;
- que la seule présence de la société Alsa Chariots sur le même territoire que celui concédé à la société Alsia et le fait qu'elle aurait continué à commercialiser des produits Hyster ne suffisent pas à démontrer la violation (par la société Hyster France) de son obligation d'exclusivité ni à engager sa responsabilité contractuelle ;
- qu'elle a entrepris des démarches pour faire cesser la concurrence déloyale de la société Alsa Chariots, la preuve étant que la mention de distributeur exclusif n'apparaît plus sur les papiers commerciaux de cette société postérieurement au 30 mars 1992 (date à laquelle la société Alsia l'informait de ce fait) ;
- qu'en effet seule la télécopie du 30 mars 1992 fait état du problème d'Alsa Chariots et à aucun moment la société Alsia ne l'a informée d'une prétendue concurrence déloyale commise par cette société ;
- que non seulement elle a fait supprimer cette mention employée par Alsa Chariots, mais elle a en outre soutenu l'activité de la société Alsia et protégé sa qualité d'importateur exclusif;
- que c'est seulement en considération du jugement de première instance qu'elle a ensuite confié la distribution de ses produits à la société Barlow, aucune faute ne pouvant lui être reprochée ;
- que même si par extraordinaire il était fait droit à la demande de dommages et intérêts, l'évaluation faite ne pourrait être prise en compte, le seul reproche à son encontre étant relatif à la prétendue concurrence déloyale commise par la société Alsa Chariots;
- qu'en outre, les bases d'évaluation de la société Alsia sont erronées, le prix moyen d'un chariot neuf étant de 130 000 F hors taxes et non de 170 000 F, les parties ayant envisagé la vente de 25 chariots pour 1992 et 1993 (et non pas 45), soit un chiffre d'affaire prévisionnel de 3 250 000 F pour 1992 et pour 1993 aux lieu et place des montants respectifs de 4 250 000 F et 7 650 000 F.
2. Sur la demande reconventionnelle :
- que la demande de résiliation du contrat aux torts de la société Alsia est fondée, les performances de ce distributeur étant insuffisantes au regard des objectifs convenus;
- qu'en effet, elles ont fixé ensemble les objectifs de vente que la société Alsia n'a pas atteints ;
- que c'est pour marquer la réalité de son inaptitude à développer le marché concédé qu'elle a introduit cette procédure, à la suite de quoi elle n'a plus réalisé aucune vente ni respecté ses obligations ;
- que sa demande en réparation du préjudice est bien fondée car consécutivement à la signature du contrat cadre elles avaient convenu d'un objectif précis de ventes de chariots, que la société Alsia s'était engagée à distribuer ;
- que la société Alsia avait d'ailleurs admis dans ses écritures de première instance ne pas avoir réalisé les performances convenues ;
- qu'ayant accepté sans réserve les objectifs de vente, la société Alsia doit être condamnée à l'indemniser du manque à gagner lié à la non réalisation de ses objectifs ;
- qu'en ce qui concerne l'évaluation de son préjudice, la perte subie par elle en raison de l'inexécution par la société Alsia des objectifs relatifs à l'activité de chariots neufs s'élève à 4 550 000 F pour 1992 et 1993, soit une marge brute de 546 000 F ;
- que pour les activités induites, couvrant le marché des pièces détachées, sa perte est de 743 000 F (pour 1992 et 1993) et qu'elle a supporté un coût de 300 000 F pour assurer la formation des salariés de la société Alsia et la mise en place de sa politique de marketing et d'assistance ;
- qu'enfin le préjudice lié à la rupture du contrat elle-même doit être chiffré à 500 000 F (perte de possibilité de poursuivre les relations contractuelles et de mettre en œuvre de nombreuses opportunités commerciales).
La société Alsia a fait assigner Maître Mulhaupt, administrateur judiciaire (le 25 juin 1996), la SA Alsa Chariots en redressement judiciaire représentée par son Président Directeur Général et Maître Froëhlich, ès qualité de représentant des créanciers de la société Alsia (le 26 juin 1996).
Selon courrier réceptionné le 1er août 1996, Maître Froëhlich précise que la société Alsa Chariots est en liquidation judiciaire, qu'il en est le liquidateur et qu'il s'en remet à sagesse, les créanciers chirographaires n'étant pas désintéressés à l'issue de la procédure.
Par mémoire du 19 septembre 1996, la SA Alsia réitère ses conclusions, répliquant :
1. Sur la demande principale et la demande reconventionnelle :
- qu'elle n'a pris aucun engagement envers la société Hyster en vue de réaliser tel ou tel nombre de ventes sur une période donnée,
- qu'il n'existe aucune stipulation contractuelle qui aurait autorisé la société Hyster France à mettre fin au contrat au motif d'une insuffisance de commercialisation de ses produits,
- qu'elle n'a jamais contracté une quelconque obligation d'approvisionnement (pas de clause de quota),
- que les objectifs envisagés par les parties et dans l'intérêt commun des parties n'ont pu être respectés du fait de la carence de la société Hyster France qui l'a empêchée de bénéficier de son exclusivité,
- qu'elle n'est ni le VRP de la société Hyster France, ni son salarié, la concession commerciale se caractérisant par une double relation d'exclusivité (territoriale et d'approvisionnement),
- que les seuls documents contractuels signés sont le contrat du 19 mars 1992, lequel constituait un contrat d'agrément et une lettre préalable du 28 novembre 1991, les objectifs envisagés étant ceux que la société Hyster France avait proposés comme susceptibles d'être atteints,
- qu'en effet, elle achetait les chariots et les revendait pour son propre compte;
- que les résultats n'ont pas été atteints du fait de la violation par la société Hyster de son engagement de concession exclusive ;
- qu'elle a à plusieurs reprises verbalement, puis par lettre du 7 juillet 1992 averti la société Hyster France du comportement déloyal de la société Alsa Chariots mais que la société Hyster France n'a rien entrepris pour faire cesser cette situation, se rendant complice de la société Alsa Chariots ;
- que la société Alsa Chariots était d'ailleurs dirigée par M. Yves Koch, lequel continue à représenter la marque Hyster, étant Directeur Commercial de la société Barlow, actuellement concessionnaire exclusif Hyster, de sorte que la collusion entre Hyster France et M. Koch est évidente ;
2. En droit :
- que les actes de concurrence déloyale n'ont pas été commis dans un cadre communautaire et que le concédant est responsable des actes de concurrence déloyale commis par l'ancien concessionnaire qui continue à vendre les produits malgré la présence d'un nouveau concessionnaire car il appartient au concédant d'obtenir que l'ancien concessionnaire cesse de se prévaloir de la marque et qu'il ne puisse plus être livré ;
- qu'il n'est justifié d'aucune action en référé aux fins d'interdire à Alsa Chariots d'user de l'enseigne Hyster France et de sa qualité de concessionnaire exclusif de cette marque ;
- qu'il n'y a par ailleurs jamais eu acceptation d'une quelconque clause de quota ;
3. Sur le préjudice de la société Hyster France :
- que même à supposer que la société Hyster ait subi un préjudice ce qui n'est pas le cas, les montants mis en compte sont fantaisistes et non justifiés ;
4. Sur sa demande (de la société Alsia)
- qu'elle a précisément chiffré le préjudice subi par rapport aux objectifs qu'on lui a fait miroiter et qui auraient été réalisés sans l'activité parasitaire de la société Alsa Chariots qui s'est poursuivie au vu et au su de la société Hyster.
Par mémoire du 15 novembre 1996, la société Hyster France réitère aussi ses conclusions et réplique à son tour :
1. que la société Alsia avait accepté les objectifs de vente ;
- que de tels objectifs existent toujours faute de quoi le concessionnaire pourrait être tenté de privilégier d'autres produits au détriment du concédant qui aurait gelé un territoire sans en tirer préjudice ;
- que même fixés après les accords cadre, les objectifs arrêtés constituent la loi des parties ;
- que la preuve de la fixation des objectifs et de leur acceptation par Alsia résulte de la note interne du 27 janvier 1993 rédigée et diffusée par Alsia à ses vendeurs ;
- que les objectifs fixés n'ayant pas été atteints, la résiliation du contrat était inéluctable et même si l'on considérait que les objectifs n'étaient pas contractuels, ils constituaient la mesure d'une activité parfaitement raisonnable ;
- que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs d'Alsia et rejeté ses demandes ;
2. Sur sa prétendue complicité avec la société Alsa Chariots :
- qu'elle n'a pas continué à fournir des produits Hyster à la société Alsa Chariots;
- que la société Barlow est une société indépendante d'Hyster, libre de recruter qui bon lui semble et le fait qu'elle ait recruté un ancien dirigeant de la société Alsa Chariots ne peut lui être imputé à elle (Hyster France);
- qu'il y a lieu de ne pas oublier qu'une procédure judiciaire l'opposait à Alsa Chariots relativement au bien fondé de la résiliation du contrat de concession ;
- qu'elle a toujours respecté et fait respecter l'exclusivité accordée, n'a jamais été complice de la société Alsa Chariots ou de M. Koch et que la procédure engagée par la société Alsia n'avait pour objet que de masquer son inaptitude à respecter ses obligations.
Sur ce,
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement produites et les mémoires des parties auxquels il y a lieu de se référer pour plus ample exposé de leurs moyens,
Attendu qu'en l'absence de définition légale ou réglementaire, il résulte de la doctrine et de la jurisprudence que le contrat de concession est une convention par laquelle un commerçant appelé concessionnaire met son entreprise de distribution au service d'un commerçant ou industriel appelé concédant pour assurer exclusivement sur un territoire déterminé et sous la surveillance du concédant, la distribution de produits dont le monopole de revente lui est concédé ;
Que le contrat de concession étant un contrat conclu entre deux commerçants, c'est un contrat consensuel qui se forme par le seul échange des consentements et qui ne requiert aucun formalisme particulier pour sa validité ;
Qu'en l'espèce, le contrat conclu entre les parties est matérialisé par la lettre du 28 novembre 1991 adressée par la société Hyster France à Alsia et le document rédigé en langue anglaise daté du 19 mars 1992 exprimant l'agrément de la maison mère de Portland (USA);
Qu'il résulte de l'examen de ces pièces que seul le fournisseur est tenu d'une obligation d'exclusivité de fourniture car il concède la distribution des produits Hyster à la société Alsia, pour une durée indéterminée, sans que celle-ci ne soit tenue en contrepartie d'une obligation d'approvisionnement exclusif;
Qu'il convient donc de se référer à ces stipulations du contrat pour statuer sur les demandes respectives des parties.
1. Sur la demande principale de la société Alsia tendant à la résiliation du contrat aux torts de la société Hyster France et à la condamnation de celle ci à lui payer des dommages et intérêts
Attendu que la société Alsia reproche à la société Hyster France de ne pas avoir respecté son obligation contractuelle de résultat de lui garantir l'exclusivité ;
Que le concédant a l'obligation de respecter l'exclusivité qu'il a accordé à son partenaire et comme tout vendeur il est tenu des garanties d'éviction et des vices cachés; qu'il doit autoriser le concessionnaire à utiliser ses marques et enseignes (du réseau) ; que ses obligations sont renforcées par un devoir de vigilance; que l'exclusivité n'était pas en l'espèce réciproque car le concessionnaire pouvait proposer à la vente des produits de plusieurs concédants, la qualification de concession exclusive correspondant en réalité à un contrat de distribution sélective; que ceci implique une atténuation de l'intensité de l'exclusivité ;
Que la violation de la clause d'exclusivité, volontaire ou non constitue cependant une défaillance contractuelle;
Que le concédant doit veiller à l'intégrité et à la cohésion de son réseau et s'engage à faire respecter l'exclusivité par chaque membre du réseau, et à agir contre les concessionnaires ne respectant pas les règles contractuelles ;
Qu'en l'espèce, la société Alsia ne se plaint cependant pas du fait d'un concessionnaire mais du fait de la société Alsa Chariots, à laquelle la société Hyster France avait retiré la concession;
Qu'en effet, au soutien de sa demande, la société Alsia produit un courrier adressé par Alsa Chariots le 3 mars 1992 portant sur son papier à entête la mention " importateur exclusif marque Hyster département 68 ... ", l'annonce parue dans les pages jaunes de l'annuaire téléphonique 1992 sur laquelle le nom de Hyster est associé à celui d'Alsa Chariots, l'offre faite par Alsa Chariots à un client bas-rhinois et les constats d'huissiers auxquels elle a fait procéder le 4 mai 1993 et le 23 novembre 1993 confirmant que pendant sa période d'exclusivité, les panneaux et l'enseigne Hyster se trouvaient toujours sur la façade de Alsa Chariots qui se présentait donc comme distributeur local des chariots Hyster;
Qu'il ne résulte cependant d'aucune pièce du dossier que la société Alsia se soit plainte de l'atteinte portée à son exclusivité par la société Alsa Chariots au cours des nombreuses réunions tenues avec la société Hyster France, à qui elle n'a adressé un courrier en ce sens que le 30 mars 1992 soit immédiatement après la conclusion du contrat;
Qu'il n'est par ailleurs ni allégué, ni à fortiori établi que la société Hyster France aurait fourni la société Alsa Chariots après avoir mis fin au contrat de concession qui les liait, ni qu'elle aurait entretenu une quelconque relation avec cette société postérieurement à la date de rupture du contrat;
Que si la société Alsia était effectivement victime des agissements de la société Alsa Chariots, il lui appartenait d'en informer à nouveau le concédant, lequel avait en l'espèce immédiatement réagi à réception du courrier qu'elle lui avait adressé le 30 mars 1992;
Qu'en effet, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la mention "distributeur exclusif Hyster" n'apparaît plus sur les papiers commerciaux de la société Alsa Chariots après le 30 mars 1992, date à laquelle Hyster France a été informée du problème ;
Que ce terme ne figure pas non plus sur la page de l'annuaire téléphonique de 1993 versée au dossier ;
Qu'il résulte enfin d'un jugement prononcé par le tribunal de commerce de Bobigny le 9 décembre 1993 que dans le cadre d'un litige opposant la société Hyster France et la société Alsa Chariots, la société Hyster demandait à ce qu'il soit fait interdiction à la SA Alsa Chariots d'utiliser de la marque Hyster;
Qu'en conséquence, il ne résulte des pièces produites aucun élément de nature à caractériser un manquement de la société Hyster France à son obligation contractuelle de garantir l'exclusivité à la société Alsia;
Que la demande de la société Alsia tendant à dire que la société Hyster France se serait rendue complice de la concurrence déloyale de la société Alsa Chariots n'est pas mieux fondée, aucune faute de la société Hyster France n'étant établie;
Qu'en effet, la société Hyster France ne pouvait empêcher la société Alsa Chariots, qui n'était plus partie au contrat de concession, de s'approvisionner hors du territoire concédé;
Que cette société, exclue de son réseau, était libre de s'approvisionner hors du territoire ou auprès d'un fournisseur non lié par une clause d'exclusivité;
Que par contre, en sa qualité de concédant, la société Hyster a fait preuve de diligence et de vigilance en agissant à l'encontre de la société Alsa Chariots pour mettre fin à son utilisation de la "marque Hyster" et ce dès que la société Alsia lui a fait part de son comportement.
Attendu en conséquence, qu'il y a lieu de confirmer les dispositions du jugement déféré relatives à la demande principale ainsi que celles relatives à l'appel en garantie dirigée contre la société Alsa Chariots, celui-ci étant sans objet.
2. Sur la demande reconventionnelle tendant à la résiliation du contrat aux torts de la société Alsia et à l'octroi de dommages et intérêts
Attendu que comme en première instance, la société admet, dans ses écrits de la procédure d'appel, ne pas avoir réalisé les performances convenues, imputant cependant ce comportement à la concurrence déloyale de la société Alsa Chariots;
Que ceci démontre à l'évidence que des objectifs avaient été convenus ;
Qu'il résulte en effet des pièces produites, que lors d'une réunion qui s'est tenue le 26 janvier 1993, les prévisions de ventes de chariots que la société Alsia devait réaliser pour l'année 1993 avaient été arrêtées en commun et s'établissaient à 25 chariots pour le département 67 et 15 pour les autres départements ;
Que selon un courrier adressé à Alsia par la société Hyster France le 8 mars suivant, la société relatait les nombreuses réunions tenues pour définir les plans 1993 et les prévisions fixées, observant qu'à cette date les résultats étaient de zéro ;
Que la société Hyster proposait alors à la société Alsia une rencontre "afin de définir ensemble des plans d'action permettant d'obtenir la vente de 12 chariots à fin 1993", envisageant en cas de non obtention desdits résultats de mettre un terme au contrat;
Qu'une nouvelle réunion s'est tenue le 17 mars 1993 et qu'un plan d'action a été mis en place, limitant à 12 chariots l'objectif de la société Alsia pour fin juin 1993 mais que le 8 juin suivant, la société Hyster constatait que la société Alsia ne pourrait atteindre le quota de 12 chariots, n'en ayant jusqu'alors commandé que 4;
Que cependant par courrier du 8 juin 1993 elle consentait encore à la société Alsia un délai supplémentaire pour remplir ses obligations contractuelles à condition que celle-ci "s'engage à modifier très rapidement sa structure commerciale dans l'activité de la société Hyster France" ;
Que tout ceci établit l'existence de quotas et leur acceptation par la société Alsia, qui n'a jamais émis la moindre protestation à la réception des courriers précités ;
Que ces objectifs constituent par conséquent la loi des parties;
Que par ailleurs, même si pour les besoins du raisonnement l'on écartait ces objectifs contractuels, ils constituent à l'évidence la mesure d'une activité raisonnable;
Que la société Alsia n'ayant cependant pas atteint ces résultats car elle a vendu 10 chariots en 1992 et 5 en 1993, la société Hyster était fondée à demander la résiliation de ce contrat;
Qu'en conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en tant qu'il a prononcé la résiliation du contrat de concession aux torts exclusifs de la société Alsia;
Attendu qu'en ce qui concerne le préjudice subi par la société Hyster France, il convient de l'évaluer en tenant compte de la perte subie par la société Hyster France du fait de l'inexécution par la société Alsia de ses obligations contractuelles, lesquelles ne se rapportaient qu'à l'activité des chariots neufs ;
Que sur ce point, la société Hyster France, comparant son chiffre d'affaire réel à celui qu'impliquait la réalisation des objectifs, a pris en compte une marge brute de l'ordre de 12 % par chariot ;
Que cependant, seule la marge nette de la société Hyster France peut être prise en compte et eu égard aux pièces produites il y a lieu de fixer ce chef de préjudice de la société Hyster France à la somme de 200 000 F ;
Qu'il y a cependant lieu de débouter la société Hyster France de sa demande au titre des activités induites, aucun objectif n'ayant été convenu à ce titre entre elle et la société Alsia et qu'au surplus le préjudice qu'elle invoque n'est pas justifié.
Qu'il convient également de débouter la société Hyster France de sa demande au titre des frais de formation des salariés de la société Alsia et de sa politique de marketing, ceci étant inhérent au contrat de concession et de distribution et le contrat ayant en l'espèce été partiellement exécuté pendant plus d'un an ;
Qu'enfin, la demande de la société Hyster France au titre du préjudice résultant pour elle de "la perte de possibilité de poursuivre les relations contractuelles avec la société Hyster France", s'avère mal fondée, le secteur concédé à Alsia ayant été confié à un autre concessionnaire dès que les premiers juges ont prononcé la résiliation du contrat de concession.
Attendu en conséquence qu' il y a lieu d'infirmer le jugement déféré en tant qu'il a débouté la société Hyster France de ses demandes de dommages et intérêts et statuant à nouveau, de condamner la société Alsia à lui payer de ce chef une somme de 200 000 F majorée des intérêts au taux légal à compter de ce jour;
Attendu qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens, de statuer dans les mêmes proportions au titre des dépens d'appel (eu égard au caractère excessif de la demande de la société Hyster France) mais il convient d' infirmer le jugement déféré en tant qu' il a débouté la société Hyster France de sa demande au titre de l'article 700 du NCPC et statuant à nouveau, de condamner la société Alsia à payer une indemnité globale de procédure de 10 000 F à la société Hyster France au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par arrêt par défaut, après en avoir délibéré, Déclare les appels principal et incident réguliers et recevables en la forme; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions relatives à la demande principale et à l'appel en garantie, et constate que la société Alsa Chariots est à présent en liquidation judiciaire ; Déboute les parties de toutes leurs autres conclusions. Confirme les dispositions du jugement déféré relatives à la demande reconventionnelle en tant que la résiliation du contrat de concession a été prononcée aux torts exclusifs de la société Alsia et sur les dépens. L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne la société Alsia à payer à la SARL Hyster France des dommages et intérêts d'un montant de 200 000 F (deux cent mille francs), qui sera majoré des intérêts au taux légal à compter de ce jour. Déboute la société Hyster France du surplus de sa demande. Fait masse des dépens d'appel et dit qu'ils seront supportés pour les trois quarts par la société Alsia et pour un quart par la société Hyster France. Condamne la SA Alsia à payer à la SARL Hyster France une somme globale de 10 000 F (dix mille francs) en application des dispositions de l'article 700 du NCPC, au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.