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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 26 juin 1997, n° 96-13443

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Serveau (Époux)

Défendeur :

Franchise Comptoirs Modernes (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

MM. Bouche, Breillat

Avoués :

SCP Fanet, Me Ribaut

Avocats :

SCP Brouard, Mes Perrin, Ayache

T. com. Paris, 10e ch., du 8 mars 1996

8 mars 1996

Considérant que Christian Serveau et Ghislaine Moriceau son épouse ont fait appel d'un jugement contradictoire du 8 mars 1996 du Tribunal de commerce de Paris qui les a condamnés solidairement à verser à la société Franchise Comptoirs Modernes, pour violation de la clause de non-concurrence d'un contrat de franchise, 70 000 F de dommages-intérêts et les a déboutés de leur demande de 400 000 F de dommages-intérêts pour manquement de la société Franchise Comptoirs Moderne à ses obligations de franchiseur ;

Que les époux Serveau exposent qu'ils ont conclu le 5 décembre 1989 avec la société Comptoirs Modernes - Union Commerciale CMUC un contrat d'approvisionnement sans clause d'exclusivité et le 11 décembre 1989 avec la société Franchise Comptoirs Modernes FCM un contrat de franchise, qu'ils ont résilié le contrat de franchise pour majoration abusive des prix du franchiseur, par lettre du 28 septembre 1992 respectant le délai contractuel de préavis de deux mois, qu'ils exploitent désormais leur magasin d'alimentation sous l'enseigne Sitis et que la société FCM a tenté de s'y opposer en les assignant le 25 janvier 1995 en réparation de la violation de la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de franchise ;

Qu'ils soutiennent que la clause leur interdisait d'utiliser après résiliation " une enseigne de renommée nationale ou régionale déposée ou non " durant une période égale à la moitié du nombre d'année restant à courir jusqu'à l'échéance normale du contrat et au moins pendant deux ans, est nulle dès lors qu' :

- elle contrevient à l'article 3 C du règlement 4087-88 CEE du 30 novembre 1988 qui n'autorise une telle interdiction que pour une durée maximale d'une année et à condition que l'activité exercée concurrence réellement celle d'un membre du réseau franchisé,

- elle est illégitime et n'est pas nécessaire à la sauvegarde des intérêts du franchiseur,

- elle n'a pas de cause, la société FCM ne disposant d'aucun savoir-faire ;

Qu'ils prétendent que l'enseigne Sitis n'a aucune renommée pas même régionale et que la mise en demeure de déposer l'enseigne litigieuse est sans portée parce qu'elle émane de la société CMUC qui n'avait pas qualité pour se substituer à la société FCM, et observent qu'aucune preuve n'est apportée du préjudice allégué ; qu'ils reprochent à la société FCM de leur avoir cédé à un prix excessif le fonds de commerce, d'avoir majoré abusivement ses prix de vente aux membres de son réseau " Comod " et de ne leur avoir accordé aucune assistance et prodigué aucun conseil ;

Qu'ils sollicitent de la Cour qu'elle déclare nulle la clause de non-concurrence, qu'elle déboute la société FCM de ses demandes et qu'elle l'a condamne à lui verser 400 000 F de dommages-intérêts et 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant que la société Franchise Comptoirs Modernes FCM précise que le contrat de franchise avait été conclu pour neuf ans mais accordait aux franchisés le droit de le résilier à tout moment avec préavis de soixante jours et leur faisait en contrepartie obligation " de ne pas utiliser directement ou indirectement une enseigne de renommée nationale ou régionale déposée ou non et de ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes, ceci dans un rayon de cinq kilomètres ayant pour centre le magasin Comod concerné ;

Qu'elle ajoute que le contrat de franchise du 11 décembre 1989 a été résilié par lettre du 28 septembre 1992 à effet du 30 novembre 1992, qu'elle a rappelé aux époux Serveau leur engagement de non-concurrence et qu'elle les a mis vainement en demeure, par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 juin 1993, de déposer immédiatement l'enseigne Sitis sous couvert de laquelle les appelants continuaient à commercer ;

Qu'elle admet que la durée de l'interdiction ne saurait dépasser une année conformément aux dispositions communautaires mais soutient que l'excès de la durée convenu ne rend pas la clause nulle pour autant mais conduit à une simple réduction ; qu'elle soutient que la clause est légitime puisqu'elle tend à protéger la clientèle et à éviter un transfert de savoir-faire à un concurrent ; qu'elle réfute les critiques tardives des époux Serveau concernant l'assistance qui leur a été portée, l'excès des prix conseillés et non imposés pratiqués et l'information fournie aux époux Serveau avant qu'ils ne s'engagent ; qu'elle prétend que l'enseigne Sitis dispose d'une renommée régionale indéniable, et que les époux Serveau ne sauraient contester la mise en demeure dont ils ont été l'objet le 15 juin 1993, dès lors qu'ils savaient que les sociétés FCM et CMUC appartiennent au même groupe des Comptoirs Modernes ;

Qu'elle confirme sa demande de 1 000 F de dommages-intérêts par jour pour la période du 15 juillet au 30 novembre 1993, date d'expiration de la clause de non-concurrence ; qu'elle sollicite de la Cour qu'elle confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la clause de non-concurrence valable et constaté que cet engagement n'avait pas été respecté ; qu'elle demande 138 000 F de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 15 juin 1993 et 35 000 F pour ses frais irrépétibles ;

Considérant que l'article 35 du contrat de franchise liant les époux Serveau à la société FCM fait obligation aux franchisés, en cas de résiliation pour quelque cause que ce soit de cesser immédiatement d'utiliser l'enseigne " Comod " et leur interdit " d'utiliser directement ou indirectement, personnellement ou par personne interposée, en société ou autrement durant une période égale à la moitié du nombre d'années restant à courir jusqu'à l'échéance normale du contrat, cette période ne pouvant être inférieure à deux ans, une enseigne de renommée nationale ou régionale déposée ou non, et d'offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes, ceci dans un rayon de cinq kilomètres ayant pour centre le magasin Comod faisant l'objet de la franchise " ;

Que l'article 36 impose aux franchisés qui ont enfreint leurs engagements et n'y ont pas remédié à l'expiration d'un délai de trente jours suivant la réception d'une dénonciation écrite, par lettre recommandée avec accusé de réception, du manquement constaté, de verser au franchiseur une " astreinte " quotidienne de 1 000 F,

Considérant que le contrat a été conclu le 11 décembre 1989 pour neuf ans à compter de sa signature en vue de l'exploitation d'un magasin " Comod " à Pontoise ; qu'il a été résilié à effet du 30 novembre 1992 par les époux Serveau ; que six années et onze jours restaient alors à courir ; que la durée d'application de la clause de non-concurrence expirait, selon l'interprétation la plus favorable aux franchisés obligés qu'il convient de donner au terme " années " lorsque l'une d'entre elle est presque écoulée le 5 décembre 1995 ;

Qu'il n'est cependant pas contesté que l'article 3 C du règlement 4087-88 de la Communauté économique européenne du 30 novembre 1988 limite à une année la durée maximale d'une telle clause; que cette disposition communautaire n'a pas d'autre portée que de réduire à une année la durée de validité de la clause qui est, sous cette réserve, licite et nullement abusive dans la mesure où elle ne met pas obstacle à l'exploitation du magasin et où l'interdiction est circonscrite dans le temps, dans l'espace et même dans son objet;

Considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ont écarté un à un les moyens soulevés en défense par les époux Serveau ;

Que la Cour se bornera à ajouter que les époux Serveau reconnaissent eux-mêmes que vingt-six magasins similaires au leur et ouverts dans la seule région parisienne, utilisaient l'enseigne Sitis lorsqu'ils ont résilié le contrat de franchise et substitué " Sitis " à " Comod " ; qu'il résulte des documents versés aux débats que l'enseigne Sitis est au surplus l'une de celles dont disposent les affiliés fort nombreux d'une centrale d'approvisionnement concurrente de la société CMUC; que les appelants qui ont abandonné l'enseigne fort connue " Comod " pour elle, ne sauraient raisonnablement contester que l'enseigne Sitis disposait d'une renommée régionale;

Que la clause contestée tend à protéger les intérêts légitimes du franchiseur en rendant temporairement malaisée l'entrée du magasin de son franchisé dans un réseau concurrent suffisamment structuré, et en préservant ainsi les possibilités de réimplantation de son enseigne dans la zone perdue ;

Qu'il importe peu que la lettre de mise en demeure du 15 juin 1993 émane de la société CMUC, filiale elle aussi du groupe Comptoirs Modernes dont la lettre porte l'en-tête ; que les contrats d'approvisionnement et de franchise étaient suffisamment interdépendants pour que la société CMUC, partie au premier, délivre la mise en demeure prévue par le second et destinée à la protéger ; que les époux Serveau n'allèguent pas et prouvent encore moins qu'ils ont éprouvé un quelconque préjudice du fait d'une substitution qui ne pouvait altérer le sens à donner à la mise en demeure et faisait de la société CMUC le mandataire apparent de la société FCM ;

Considérant de même que les premiers juges par des motifs qu'il convient également d'adopter, ont qualifié à juste titre l'astreinte de clause pénale manifestement excessive et l'ont raisonnablement réduite ; que la Cour se bornera à relever qu'une clause pénale est indemnitaire mais aussi coercitive ; qu'il n'est pas nécessaire de ce fait que la société FCM apporte de son préjudice des justifications telles qu'il soit quantifiable ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'accorder des intérêts au taux légal précédant le jugement qui a constaté et chiffré la créance à la date où il a été rendu ;

Considérant que les époux Serveau ne justifient pas de leurs reproches ; qu'ils ne contestent pas qu'ils ont été gérants mandataires de plusieurs magasins à l'enseigne " Comod " avant d'acquérir le leur afin de l'exploiter en franchise ce qui ne pouvait que réduire l'assistance initiale dont ils avaient besoin ; qu'ils n'ont jamais demandé l'annulation des contrats pour dol et ne la sollicitent pas ; qu'ils ont attendu près de trois ans pour résilier le contrat de franchise par une lettre qui se borne à préciser que la " politique commerciale " du franchiseur " ne correspondant plus à leurs objectifs " ;

Qu'ils ne justifient en dehors d'une comparaison entre les prix " Comod " et " Diapar " d'aucun des griefs bien tardivement allégués à seule fin d'une compensation avec les dommages-intérêts qu'ils doivent à leur ancien franchiseur, et encore moins de doléances contemporaines de leur activité de franchisés ; que la disparité des prix d'approvisionnement qu'ils dénoncent, n'apparaît pas résulter d'une modification des conditions d'exploitation qu'ils connaissaient avant de s'engager ; qu'il n'est justifié d'aucun abus dans la détermination de prix qu'ils étaient libres de refuser, puisqu'il n'existait aucune exclusivité d'approvisionnement et qu'ils disposaient d'une faculté de résiliation assortie d'un préavis d'une brièveté inhabituelle ;

Considérant qu'il convient de confirmer le jugement déféré et de condamner les époux Serveau à verser à la société FCM la somme de 10 000 F pour ses frais irrépétibles.

Par ces motifs : Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions ; Y ajoutant dit que les 70 000 F porteront intérêts au taux légal à compter du jugement les déclarant dus ; Condamne les époux Serveau à verser 10 000 F à la société Franchise Comptoirs Modernes au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Les condamne en tous les dépens d'appel ; Admet Me Ribaut, avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.