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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 30 juin 1997, n° 97-01997

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procureur général près de la Cour d'Appel de Toulouse, Ford France (SA), Fourquie (ès qual.), Fédération nationale de l'artisanat automobile

Défendeur :

Fauvet automobiles (SA), Audouard (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulon

Conseillers :

MM. Boutie, Kriegk

Avoués :

SCP Boyer Lescat Merle, SCP Malet, Me de Lamy, SCP Nidecker Prieu

Avocats :

Mes Cochiello, Marty Etcheverry, Dublanche, Portolano.

T. com. Saint-Gaudens, du 27 avr. 1997

27 avril 1997

La société Fauvet Automobiles a été mise en redressement judiciaire selon jugement du tribunal de commerce de Saint-Gauden en date du 6 juin 1989. La date de cessation des paiements a été fixée au 31 octobre 1988.

Par jugement en date du 27 octobre 1989, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de l'entreprise par voie de cession à la société Sorva. Me Audouard a été désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Par requête en date du 27 octobre 1992, Me Audouard a demandé au tribunal d'étendre à la société Ford France la procédure collective ouverte à l'égard de la société Fauvet Automobiles, et ce en application des articles 182 et 183 de la loi du 25 janvier 1985.

Par jugement en date du 11 octobre 1996, le tribunal de commerce faisait droit à cette requête.

Par arrêt en date du 12 décembre 1996, la Cour d'Appel de céans annulait ce jugement au motif que les premiers juges n'avaient pas procédé aux diverses auditions requises à peine de nullité par la loi du 25 janvier 1985 et le décret du 27 décembre 1985. L'affaire était renvoyée devant le tribunal de commerce aux fins de reprise de la procédure.

Par un nouveau jugement en date du 25 avril 1997, le tribunal a prononcé le redressement judiciaire de la société Ford France, fixé la date de la cessation des paiements au 31 octobre 1988, désigné Me Fourquie en qualité d'administrateur aux fins d'assurer seul l'administration de l'entreprise, tandis que Me Audouard était désigné en qualité de représentant des créanciers et Alain Faux et Marcel Bontpunt, juges en qualités de juge-commissaire.

Pour se prononcer ainsi, les premiers juges ont considéré en s'appuyant sur les conclusions d'une expertise judiciaire confiée à M. Gradt, que la société Ford France s'était immiscée dans la gestion de la société Fauvet Automobiles et qu'elle avait, par le biais du crédit fournisseur, maintenu artificiellement dans son seul intérêt personnel, la concession automobile alors que la situation financière et économique de celle-ci était irrémédiablement compromise.

Le ministère public, puis la société Ford France ont interjeté appel de cette décision.

Ces procédures ont été enrôlées sous les n° RG suivants : RG 1997, RG 1999, RG 2285 et RG 2287 de 1997.

Saisi par la société Ford France d'une demande de suspension d'exécution provisoire, le premier président de la Cour d'Appel a constaté que cette réclamation était sans objet dès lors que l'exécution provisoire avait été arrêtée de plein droit depuis le 25 avril 1997 par l'effet de l'appel du procureur général.

Prétentions et moyens du ministère public

Le représentant du Ministère Public qui poursuit la réformation du jugement fait valoir que la gestion de fait relevée par les premiers juges n'est nullement caractérisée et que les agissements dénoncés ne sont en réalité que la conséquence des liens commerciaux particuliers qui unissent le concédant au concessionnaire.

Le représentant du Ministère Public ajoute que les initiatives reprochées au concédant n'ont pas eu pour effet de faire perdre aux dirigeants de la société la maîtrise de celle-ci et que cette constatation avait déjà été faite par l'expert commis par le tribunal de commerce de Nanterre.

L'appelant conclut ainsi qu'aucun des agissements visés par l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 n'est en l'espèce caractérisé.

Le Ministère Public dénonce enfin les dispositions du jugement relatives à " l'exécution provisoire de plein droit en dépit de l'appel prévisible du Parquet " et sollicite l'annulation d'une telle motivation.

Prétentions et moyens de la société Ford France

La société Ford France qui réclame la réformation du jugement insiste sur le caractère " téméraire " de l'action diligentée par Me Audouard et sollicite la condamnation de ce dernier à lui payer outre 100 000 F à titre de dommages-intérêts, 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société appelante qui rappelle qu'elle était liée à la société Fauvet Automobiles par un contrat de concession " de type européen ", soutient que Me Audouard ne rapporte ni la preuve que le concédant se soit comporté comme le dirigeant de fait de l'entreprise Fauvet, ni la preuve qu'elle aurait commis une quelconque faute de la nature de celles énumérées par l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985. La société appelante insiste sur le fait qu'il était de la nature même des relations liant les parties que la société Ford France formule des recommandations et suggestions.

En réponse à l'intervention volontaire de la Fédération Nationale de l'Artisanat Automobile, la société Ford France fait valoir que cette intervention est irrecevable d'abord sur le fondement de l'article 554 du nouveau Code de procédure civile, mais aussi sur celui de l'article 160 du décret du 27 décembre 1985 qui prévoit qu'aucune intervention n'est recevable dans les dix jours qui précèdent la date de l'audience, ce qui est bien le cas en l'espèce.

Prenant acte du caractère subsif d'une telle intervention, la société appelante réclame 10 000 F à titre de dommages-intérêts et 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Enfin, elle demande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 698 du nouveau Code de procédure civile à Me Audouard et Me Fourquie.

Prétentions et moyens de la société Fauvet Automobiles

La société intimée, prise en la personne de Me Audouard es qualités de commissaire à l'exécution du plan, sollicite, outre la confirmation du jugement déféré, la condamnation de la société Ford France à lui payer 50 000 F au titre des frais irrépétibles.

La société intimée soutient que le premier juge a exactement caractérisé les agissements constitutifs d'une gestion de fait qui était en l'espèce constante, active et organisée. La société Fauvet s'appuie essentiellement sur les constatations de l'expert Gradt qui a relevé des contrôles quasi hebdomadaires, une substitution aux dirigeants de Fauvet dans la prise de commandes, une pénétration sans autorisation dans les locaux de la concession, etc...

La société intimée insiste sur le fait que ces comportements sont étrangers aux relations concédant - concessionnaire et vont au-delà d'un simple contrôle ou d'une aide prévue contractuellement. Enfin, elle s'insurge contre la réclamation de Ford France tendant à voir faire application des dispositions de l'article 698 du nouveau Code de procédure civile aux représentants de la procédure collective et demande l'octroi de 150 000 F à titre de dommages-intérêts de ce chef.

En ce qui concerne l'intervention volontaire de la " FNAA ", Me Audouard soutient que celle-ci est irrecevable sur le fondement de l'article 160 alinéa 5 du décret du 27 décembre 1985 et que l'intervenant n'est détenteur d'aucun intérêt légitime juridiquement protégé. Elle réclame 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à la FNAA.

Prétentions et moyens de Me Fourquie ès-qualités d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de Ford France et Me Audouard ès-qualités de représentant des créanciers de Ford France.

Ces deux représentants des organes de la procédure collective ouverte à l'encontre de Ford France, déclarent s'en rapporter à justice.

Prétentions et moyens de la Fédération Nationale De L'artisanat Automobile, dite FNAA

La FNAA qui intervient volontairement aux débats, soutient qu'elle a bien un intérêt à agir. Elle estime que Me Audouard n'a pas placé le débat sur le bon terrain juridique et que la seule question à trancher aurait dû être de savoir si les actes de gestion relevés par l'expert Gradt et retenus par le tribunal étaient ou n'étaient pas autorisés par le Règlement Européen d'exception catégorielle 123/87. Elle estime que son action est recevable dès lors que l'article 160 du décret du 27 décembre 1985 ne s'applique pas aux procédures à jour fixe comme l'est la présente procédure.

Sur quoi, LA COUR

Attendu que la Cour est saisie d'appels de la même décision ; qu'il est donc de l'intérêt d'une bonne justice de les juger ensemble ;

Que ces procédures seront ainsi jointes sous le seul n° RG 1997/97 :

Attendu sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la " FNAA " que celle-ci est formée à l'occasion de l'appel d'une décision prise en application de l'article 171 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Que l'article 160 du décret du 27 décembre 1985 qui régit la procédure d'appel de ces instances, prévoit expressément et d'une manière générale, dans son paragraphe V, qu'aucune intervention n'est recevable dans les dix jours qui précèdent la date de l'audience ;

Or attendu en l'espèce que l'audience a été fixée au 2 juin 1997 ; que la FNAA n'est intervenue que le 28 mai 1997, soit cinq jours avant ladite audience ; que cette intervention qui ne répond pas aux exigences de l'article 160 susvisé, sera donc déclarée irrecevable ;

Attendu, sur le fond du litige, que celui-ci est strictement régi par les dispositions de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 s'agissant d'une demande aux fins d'extension de la procédure collective de la société Fauvet Automobiles à la société Ford France au motif que celle-ci se serait comportée en dirigeant de fait de cette société et aurait commis à cette occasion des agissements prévus et sanctionnées par l'article 182 ;

Attendu que la société Fauvet Automobiles et la société Ford France sont unies contractuellement par un contrat de concessionnaire de voitures de tourisme, prenant effet le 30 septembre 1985, aux termes duquel la société Ford France, le concédant, nomme en qualité de concessionnaire de la marque Ford, la société Fauvet Automobiles, représentée par son président directeur général Claude Fauvet ; qu'à ce contrat est joint un document intitulé " conditions générales de vente et d'après-vente " qui fixe les obligations respectives des parties et détermine notamment l'ensemble des domaines d'intervention du concédant dans la gestion et l'organisation tant matérielle que financière de la concession ;

Attendu que le dirigeant de fait visé par l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 est celui qui a le pouvoir d'engager la personne morale par ses décisions en exerçant une activité positive de direction ; que les actes de direction ou de gestion doivent avoir été accomplis en toute souveraineté et indépendance ; qu'enfin, la qualité de dirigeant de fait ne peut être appréciée d'une manière abstraite mais doit être examinée en fonction de la spécificité des relations contractuelles liant les parties ;

Attendu qu'il convient donc en définitive, pour le présent cas d'espèce, d'examiner si, au-delà de son obligation contractuelle de contrôle et de surveillance, le concédant a outrepassé ses pouvoirs, s'est comporté en véritable maître de la concession et a commis pour ce faire un ou plusieurs des agissements sanctionnés par l'article 182 susvisé;

Qu'il convient encore de préciser qu'il est de principe que la gestion de fait ne peut s'entendre que de l'exercice en toute liberté, d'une façon continue et régulière d'une activité positive de direction et de gestion ;

Attendu que la discussion sur la gestion " apparente, occulte " selon l'expression de Me Audouard, qui vise, par référence à une activité " astrale ", à expliquer qu'une gestion de fait peut être " occulte en permanence " et " apparente ponctuellement ", est sans intérêt dès lors qu'il incombe simplement au requérant, Me Audouard, d'établir la constance visible des actes de direction et de gestion révélateurs du pouvoir souverain et absolu de celui qui les exerce ;

Attendu en l'espèce, que Me Audouard reproche à la société Ford France d'avoir, par l'intermédiaire de son chef de région, donné des ordres en matière d'achat de véhicules, donné des directives au comptable ou encore assuré une présence quasi hebdomadaire dans la concession ;

Mais attendu au-delà de l'imprécision des attestations des salariés ou de tiers peu qualifiés pour apprécier l'importance d'une immixtion dans la société concessionnaire et au-delà du caractère épisodique des faits relatés, qu'il y a lieu de relever que les agissements dénoncés s'inscrivent exactement dans le cadre de l'organisation des relations concédant - concessionnaire telles qu'elles sont prévues à l'article 20 du contrat;

Que cet article prévoit en effet expressément que le concessionnaire devra autoriser le concédant à examiner selon des fréquences déterminées par ce dernier, les lieux d'activité du concessionnaire, ses stocks en produits du contrat et en véhicules d'occasion, à contrôler ses équipements et ses installations , à examiner ses livres, contrats et comptes ... qu'il est encore précisé à l'article 19 que le concessionnaire utilisera un système de comptabilité conforme au manuel de procédure comptable à l'usage des concessionnaires Ford, ladite procédure pouvant être modifiée par Ford:

Attendu que si l'expert Gradt a relevé que le chef de région Ford avait signé directement quelques bons de commande de véhicules neufs pour le lancement de la Ford Fiesta, ces agissements isolés ne peuvent caractériser à eux seuls, l'acte de direction constitutif d'une gestion de fait ;

Que de même, ne peut s'analyser comme un acte d'immixtion propre à un dirigeant de fait, la pénétration dans les locaux de la concession par le chef de région du concédant, alors justement que le contrat prévoit la présence sur les lieux du représentant du concédant, selon la fréquence déterminée par ce dernier ;

Que contrairement à ce que soutient Me Audouard, ne sont établis ni l'emprise de Ford France sur les salariés de la concession, ni la mainmise financière du concédant sur la concession alors que le contrat prévoit la mise en œuvre de directives comptables précises et celles d'évaluations financières ;

Que l'existence d'un crédit fournisseur important n'est pas non plus la marque d'une ingérence dans le seul intérêt du concédant, s'agissant en l'espèce d'une aide destinée à permettre au concessionnaire d'assainir sa situation à un moment où l'état de cessation des paiements n'était nullement latent puisque celui-ci a été fixé par le tribunal de commerce lui-même, dans son jugement d'ouverture de la procédure collective, quatre ans plus tard ;

Attendu que sont également dénuées de tout intérêt, les considérations de l'expert au sujet de l'application de l'article 182 de la loi de 1985 aux agissements dénoncés, alors qu'il n'appartient pas aux techniciens de se substituer au juge pour qualifier des faits ;

Attendu ainsi, qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations, que c'est à tort que le tribunal a cru pouvoir déceler dans l'ensemble des faits dénoncés, la marque d'agissements méritant la sanction de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985;

Que la décision querellée sera donc réformée en relevant qu'il n'appartenait pas aux premiers juges de s'autoriser à se prononcer sur le mérite de l'appel " prévisible " du ministère public selon l'expression des premiers juges ;

Attendu que les circonstances du déroulement de la présente procédure et le caractère abusif de celle-ci, qui ont nécessairement causé un préjudice à la société Ford France, justifiant la condamnation de Me Audouard ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan à payer à ladite société la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Que pour ces raisons, l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dans la limite de la somme de 20 000 F ;

Attendu enfin, que tant la société Ford France, que la société Fauvet Automobiles seront déboutées de leur réclamation au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dirigés contre la FNAA ;

Par ces motifs : LA COUR : - Déclare la Fédération nationale de l'Artisanat et de l'Automobile irrecevable en son intervention volontaire ; - Déclare la société Ford France et le Ministère Public recevables et bien fondés en leur appel ; - Ordonne la jonction des procédures RG 2287/97, RG 2285/97, RG 1999/97 et RG 1997/97 sous ce seul dernier numéro ; - Réforme dans l'intégralité de ses dispositions, le jugement déféré ; Et statuant à nouveau : - Déboute Me Audouard, ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Fauvet Automobiles de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Ford France ; - Condamne Me Audouard, ès-qualités, à payer à la société Ford France, la somme de 50 000 F (cinquante mille francs) à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 F (vingt mille francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Déboute la société Ford France et Me Audouard es-qualités, de leur réclamation au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dirigée contre la Fédération Nationale de l'Artisanat et de l'Automobile, - Dit que les dépens de l'instance seront passés en frais privilégiés de la procédure collective de la société Fauvet-Automobiles.