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Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 4 juillet 1997, n° 9500962

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Voyages Le Kerdreuz (SARL)

Défendeur :

Sélectour Voyages (SA), Robert (ès qual.), CVP Tourisme (Sté), Massart (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lefevre

Conseillers :

Mmes L'Henoret, Sabatier

Avoués :

Mes Chaubet & Brebion, Cadiou-Nicolle & Guillou, Bazille & Genicon, Castres, Colleu & Perot

Avocats :

Mes Cressard, de Malefette, Colin.

CA Rennes n° 9500962

4 juillet 1997

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCEDURE D'APPEL

Le 8 novembre 1977, la SARL Le Kerdreuz est devenue membre adhérent de la SA Sélectour Voyages société coopérative regroupant un réseau d'agence de voyage auxquelles elle apporte notamment une garantie financière à l'égard des fournisseurs, tour-opérators, transporteurs et autres, dont elle paye directement les prestations par un système de centralisation des règlements.

La charte Sélectour impose de son côté à chaque membre d'adhérer au système professionnel de caution fourni par l'APSAV (Association Professionnelle de Solidarité des Agences de Voyages).

Suivant contrat du 19 avril 1991, publié le 27 avril la SA CVP Tourisme a pris en location-gérance l'agence de Saint-Brieuc de la SARL Le Kerdreuz et a manifesté sa volonté de ne pas adhérer à la société Sélectour, dont la société Le Kerdreuz a en conséquence été radiée le 17 mars 1992.

Prétendant qu'elle reste créancière envers la société Le Kerdreuz de factures de fournisseurs et de factures de frais généraux, dont il y a lieu toutefois de déduire le montant de sur-commissions ainsi que la valeur des actions de son ancienne adhérente, la société Sélectour a saisi le Tribunal de commerce de Paimpol d'une demande en reddition de comptes.

Par jugement du 9 janvier 1995, le tribunal de commerce a :

- condamné la société Le Kerdreuz solidairement avec la société CVP Tourisme judiciaire et représentée par Maître Robert ès qualités d'administrateur ad hoc à payer à la société Sélectour la somme de 159 252,04 F avec intérêts au taux légal à compter du 19 août 1992 et celle de 7 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné solidairement la société Le Kerdreuz et la société CVP Tourisme aux dépens.

La SARL Le Kerdreuz a relevé appel.

MOYENS DES PARTIES

L'appelante conteste en premier lieu être débitrice des factures prétendument réglées en son nom aux tours-opérators par la société Sélectour.

Elle soutient en effet que seules les dettes contractées par la société CVP Tourisme pendant 6 mois à compter de la location-gérance du 27 avril 1991 pourraient être mises à sa charge en qualité de bailleur, à condition toutefois que l'intimée fût de bonne foi, mais qu'en réalité la société Sélectour a commis l'imprudence de continuer à fournir sa garantie financière en dépit d'impayés antérieurs et ne pouvait de surcroît ignorer que depuis cette date du 27 avril et non pas du 31 décembre 1991, sa radiation de l'APS avait entraîné tant en vertu de la loi que des statuts sa radiation de plein droit du réseau Sélectour.

En ce qui concerne le montant des factures litigieuses, elle prétend à titre subsidiaire, que d'une part doit être déduite celle de 10 369,62 F directement réglée à la société Fram et d'autre part que les quittances subrogatives sont insuffisantes pour faire la preuve de sa créance.

Elle estime qu'elle n'est pas davantage débitrice des factures de frais généraux, indiquant que ceux-ci ont été fixé par des assemblées générales irrégulièrement convoquées, dont les délibérations sont dès lors entachées de nullité et qu'à tout le moins doivent être déduits de sa dette les frais exposés après la mise du fonds en location-gérance, soit au total 12 911,70 F.

Elle ajoute, en ce qui concerne les sur-commissions, que l'offre de la société Sélectour de fixer sa créance à 4 700 F pour les années 1989-1990-1991 n'est pas assortie des pièces justificatives permettant d'en vérifier les modalités de calcul et qu'elle est normalement sous-évaluée par rapport aux sur-commissions des exercices antérieurs.

Au sujet du coût des actions, elle souligne que si l'intimée énonce que le sociétaire a droit au remboursement en numéraire des sommes versées sur le montant des actions qu'il a souscrites, elle ne propose pas en l'espèce de calcul précis des " sommes versées ".

Elle met par ailleurs l'accent sur le fait que la société Sélectour a déclaré sa créance au passif du redressement judiciaire de la société CVP Tourisme pour une somme limitée à 18 491,50 F et que les sommes dues ne sauraient donc excéder ce montant.

En définitive, elle conclut :

- au débouté en l'état de la société Sélectour,

- à la production aux débats :

-- de la grille des super-commissions,

-- du détail des super-commissions accordées et réglées depuis 1979,

-- d'un calcul précis des sommes versées sur le prix des actions,

- à la condamnation de la société Sélectour au paiement de :

-- 4 000 F à titre de provision sur le montant des actions,

-- 49 289,10 F avec intérêts à compter de la mise en demeure du 7 avril 1988,

-- 4 700 F à titre de provision sur le montant des super commissions avec intérêts de retard,

-- 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les dépens.

La société Sélectour réplique que la société CVP Tourisme n'a jamais adhéré au réseau d'agences de voyages et qu'à l'égard de la société Le Kerdreuz qui ne l'avait pas avisée en temps utile ni de la mise du fonds en location-gérance ni de sa démission de l'APS, et au nom de laquelle les factures litigieuses ont en conséquence été libellées, sa garantie a continué à jouer au moins jusqu'à fin juin 1991 et même jusqu'à sa radiation intervenue le 31 décembre 1991.

Elle précise qu'en effet la cessation de l'adhésion de la société Le Kerdreuz à l'APS, sans qu'elle en fût informée, n'a pas été de nature à emporter ipso facto sa radiation du réseau Sélectour et la déchéance de la garantie auprès des fournisseurs.

Elle en déduit que l'appelante est tenue au paiement des factures litigieuses et qu'en toute occurrence au titre de la garantie légale de 6 mois elle est solidaire de la dette, s'il est jugé que celle-ci est née du chef de la société CVP Tourisme ; que pour sa part elle n'est pas de mauvaise foi, puisqu'à l'époque où elle a continué à régler les tours opérators, les impayés antérieurs avaient disparu.

Sur le montant des sommes réclamées, elle accepte de déduire celle de 10 369,62 F visée dans les conclusions adverses, mais estime que pour le surplus sa demande est justifiée ; qu'en particulier ce sont bien huit factures de la société Fram qui restent encore impayées ; que de la même manière, la contestation élevée sur le montant des prestations qu'elle a fournies est tardive et dénuée de fondement, alors que la société Le Kerdreuz a reçu les factures sans protester et qu'elle s'est abstenue de solliciter l'annulation des résolutions de l'assemblée des actionnaires qui en avaient fixé le montant.

Elle ajoute :

- que la régression du montant des super commissions litigieuses trouve à l'évidence son origine dans la diminution du chiffre d'affaires réalisé par la société Le Kerdreuz avec ses fournisseurs,

- que la somme de 4 000 F proposée au titres des actions correspond exactement au montant en numéraire des titres détenus par la société Le Kerdreuz soit 40 actions en nominal de 100 F chacune.

Elle souligne que la déclaration qu'elle a faite au passif est dénuée de portée, en ce sens qu'elle était simplement conditionnelle, et qu'elle ne l'a d'ailleurs pas maintenue, estimant en définitive n'avoir jamais été créancière de la société CVP.

Elle sollicite la confirmation du jugement, acceptant toutefois que le montant de la dette soit ramené de 159 252,04 F à 148 882,42 F, ainsi que la condamnation de l'appelante au paiement des dépens et de 12 000 F en remboursement de ses frais non recouvrables.

Maître Robert indique qu'il a été désigné comme administrateur ad hoc, avec une mission limitée aux rapports ayant existé entre le Crédit Lyonnais et la société CVP, mais qu'il n'a jamais été désigné comme organe de son redressement judiciaire.

Il en déduit qu'il doit être mis hors de cause, et qu'en toute occurrence la société a été à tort condamnée au paiement d'une créance née antérieurement au jugement déclaratif.

Il conclut en outre à la condamnation de la société Le Kerdreuz au paiement des dépens et de 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Maître Massart ès qualités de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société CVP déclare s'en rapporter à justice sur le montant des condamnations.

Il adopte toutefois les conclusions précédentes sur l'impossibilité de condamner la société CVP au paiement d'une somme d'argent et demande que la créance soit seulement fixée au passif.

DISCUSSION

Sur la recevabilité des conclusions et communications de pièces :

Considérant que la société Sélectour demande que soient écartées du débat pour cause de tardiveté les pièces communiquées et les conclusions signifiées par l'appelante les 26 et 27 mars 1997, veille et avant-veille de l'ordonnance de clôture ;

Que la société Le Kerdreuz sollicite également le rejet des écritures reçues de son adversaire le 26 mars ;

Mais considérant que les conclusions litigieuses constituent des réponses réciproques ; que dans celles du 26 mars, la société Sélectour a pu malgré leur communication tardive examiner la portée des pièces dont elle relève que certaines avaient déjà été produites le 3 juillet 1995 ;

Que le principe de la contradiction a ainsi été observé, sans qu'il y ait lieu de faire droit à la demande de rejet des pièces et conclusions ;

Sur le fond du litige :

Considérant que l'adhésion du réseau Sélectour a pour avantage essentiel d'accorder aux agences de voyages, en cas de défaillance de leur part, la garantie de la société coopérative dans le règlement des prestations dues à leurs fournisseurs, tels que les tours opérators et transporteurs ;

Qu'en contrepartie les agences sont tenues d'adhérer au système professionnel de caution (APSAV) ;

Que toutefois si selon l'article 5 du chapitre I du règlement intérieur l'exclusion de l'APSAV peut entraîner l'exclusion de l'adhérent du réseau Sélectour, cette radiation reste une simple faculté et n'est pas prononcée de plein droit ;

Qu'en l'espèce il ressort des pièces justificatives produites aux débats :

- que le 17 avril 1991, la société Le Kerdreuz a cessé d'exploiter son agence de Saint-Brieuc et l'a confiée en location-gérance à la SA CVP Tourisme ayant son siège à Rennes ; que le contrat a été publié le 27 avril suivant,

- que le 14 août 1991 l'APSAV accusait réception à la société Le Kerdreuz de son message en date du 30 avril 1991 l'informant de la fermeture de ses succursales de Saint-Brieuc et Paris,

- que de son côté la société Sélectour prenait note le 4 juin 1991 de la mise en gérance du fonds et sollicitait l'avis de ses conseils sur le maintien ou non de la garantie de paiement accordée aux fournisseurs référencés pour l'agence Le Kerdreuz,

- que le 26 juin 1991, la commission des cas confirmait la suspension de garantie ;

- que par lettre recommandée du 3 juillet 1991 la société Sélectour en avisait la société CVP Tourisme ;

Considérant qu'il ressort ainsi de l'examen chronologique des faits que, même si la radiation de l'APSAV eut lieu dès le mois d'avril 1991, la garantie de paiement fut maintenue par la société Sélectour jusqu'à la notification du 3 juillet 1991 ;

Que par ailleurs les quittances subrogatives établies le 30 décembre 1992 par l'organisme Fram, le 7 janvier 1993 par Chorus et le 14 janvier 1993 par Sotair en faveur de la société Sélectour font toutes référence à la SARL Le Kerdreuz ce qui laisse supposer que celle-ci n'avait pas avisé ses fournisseurs habituels de la mise en location-gérance de son fonds et que les commandes continuèrent à être passées en son nom ;

Que pour s'être ainsi substituée à elle dans le cadre de la garantie maintenue jusqu'au 3 juillet 1991, la société Sélectour est en droit de solliciter de l'appelante le règlement des factures qu'elle a acquittées ;

Que ces factures qui toutes concernent des prestations au mois d'avril, mai et juin 1991 s'élèvent à 106 348,42 F après déduction de celle de 10 369,62 F décomptée à tort ;

Qu'en revanche, dans la mesure où la preuve n'est pas rapportée de l'intervention de la CVP Tourisme dans la création des factures litigieuses, la déclaration de créance faite à son passif par la société Sélectour reste sans portée, sans qu'il y ait lieu de la fixer ;

Qu'ainsi Maître Robert, au demeurant assigné à tort en qualité d'administrateur ad hoc, et Maître Laurent intervenu en qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire, doivent être mis hors de cause ;

Considérant que les frais généraux dont le règlement est sollicité correspondent par définition à la participation des agences de voyage au coût de fonctionnement du réseau ;

Que restés impayés pour un montant global de 50 895 F, ils ont en majeure partie été exposés antérieurement à la location-gérance du 27 avril 1991 ;

Que néanmoins les frais postérieurs à cette date doivent être exclus de la dette qui s'élève donc à :

50 895 - (5 337 + 948 + 6 523 + 103,70) = 37 983,30 F.

Que pour se prétendre exonérée du règlement de cette somme, la société Le Kerdreuz argue vainement de l'irrégularité de tenue des assemblées générales, des années 1989 à 1991 dont elle n'a pas au préalable sollicité l'annulation ;

Que, en toute occurrence, selon les pièces justificatives qu'elle produit, le retard de convocation qu'elle indique avoir subi concerne seulement l'assemblée de l'année 1989, et non pas celle des années 1990 et 1991 ;

Considérant que si la société Le Kerdreuz excipe d'une réduction importante et prétendument anormale des sur-commissions distribuées qui se sont élevées à 4 700 F pour les exercices 1989-1990 et 1990-1991 contre 23 015 F en 1976-1977 et 28 930 F en 1978-1979, elle ne fournit pas, alors que cette preuve lui incombe, d'éléments d'appréciation suffisants pour affirmer que la somme proposée ne correspondrait pas à la réalité ;

Que sa contestation est dès lors dénuée de fondement ;

Qu'il importe de relever qu'invitée par la société Sélectour dès le 21 mars 1991 puis le 6 avril 1992 à comparer les chiffres d'affaires communiqués par les fournisseurs à ceux qu'elle avait elle-même enregistrés, elle n'avait pas estimé utile de présenter ses observations dans le délai qui lui avait été accordé ;

Que par ailleurs sa demande tendant au paiement de la somme de 49 289,10 F et ne peut donc servir de preuve ; qu'en l'état, la demande est donc rejetée ;

Considérant que l'article 13 des statuts prévoit qu'en cas de retrait, le sociétaire a droit au remboursement en numéraire des sommes versées sur le montant des actions qu'il a souscrites ;

Que dans la mesure où la société Le Kerdreuz ne démontre pas avoir versé une somme autre que celle de 4 000 F représentant le prix de ses 40 actions, la créance dont elle bénéficie du fait de son retrait ne peut être différente de 4 000 F ;

Considérant que succombant en la majeure partie de son recours, l'appelante est condamnée aux dépens et ne peut bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que l'équité commande de faire partiellement droit à la demande des intimés fondées sur le même texte et de leur allouer :

- à la société Sélectour, 7 000 F au total en remboursement de ses frais non recouvrables de première instance et d'appel,

- à Maître Robert ès qualités, 3 000 F ;

DECISION

Par ces motifs, LA COUR, Déboute la SA Sélectour et la SARL Le Kerdreuz de leurs demandes de rejet de pièces et de conclusions, Réforme le jugement déféré, Condamne la société Le Kerdreuz à payer à la société Sélectour la somme de 135 631,72 F avec intérêts au taux légal à compter du 19 août 1992, Met hors de cause Maître Robert ès qualités d'administrateur ad hoc de la société CVP Tourisme et Maître Laurent ès qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société CVP Tourisme, Condamne la société Le Kerdreuz à payer, en remboursement de leur frais non recouvrables : - la somme de 7 000 F à la société Sélectour, - celle de 3 000 F à Maître Robert ès qualités, Confirme la disposition relative aux dépens, Condamne la société Le Kerdreuz aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Rejette les autres demandes.