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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 10 septembre 1997, n° 95-027675

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Daewoo Corporation (Sté), Daewoo France (SARL)

Défendeur :

Compagnie Générale d'Electromécanisme (SA), Chavaux (ès qual.), Univox (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vigneron

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Olivier

Avocats :

Mes Martinet, Moquet, Kalfon.

T. com. Paris, du 18 sept. 1995

18 septembre 1995

Par déclaration remise au secrétariat greffe le 17 novembre 1995, la société de droit coréen Daewoo Corporation et la SARL Daewoo France ont interjeté appel des jugements du 6 novembre 1989 et 18 septembre 1995 par lesquels, le Tribunal de commerce de Paris a, avant de statuer sur la responsabilité de la rupture des relations contractuelles entre elles-mêmes et la SA Compagnie Générale d'Electromécanisme (COGEM), ordonné une expertise confiée à M. Robert Gandur puis, au vu du rapport de cet expert, les a condamnés in solidum à payer à la société COGEM la somme de 10 571 653,79 F à titre de dommages et intérêts, et la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, enfin a déclaré irrecevable leur demande en paiement d'une créance antérieure au redressement judiciaire de la société COGEM et mal fondée leur demande en paiement de dommages et intérêts.

La société Daewoo Corporation et la société Daewoo France exposent que seule cette société, filiale de la société Daewoo Corporation, a par contrat du 24 juin 1985 concédé à la société COGEM le droit exclusif de distribuer en France des autoradios et accessoires de marque " Daytron " pendant une durée de 3 ans renouvelable par tacite reconduction, ce qui s'est produit en 1988 et que par contrat du 12 juillet 1985, la société Daewoo France s'est engagée pendant une année à fournir à la société COGEM des sous-ensembles et pièces détachées d'autoradios qui devaient être montées par ses soins, mais qu'à compter du mois de septembre 1988 la société COGEM n'a pas réglé le coût de fournitures à hauteur de 6 370 676,58 F en dépit de 2 mises en demeure du 2 décembre 1988 et 3 février 1989, ce qui l'a amenée à résilier le contrat de concession par lettre du 30 janvier 1989 à effet du 27 avril 1989.

Les sociétés Daewoo soutiennent qu'à la suite du rapport d'expertise, la société COGEM et Maître Chavaux ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement de cette société ont conclu alors que la société COGEM qui avait été dissoute à compter du 1er décembre 1990, devait être représentée par M. Georges Baudy, son liquidateur amiable et que la mission d'assistance de Maître Chavaux avait pris fin le 22 mai 1991 de sorte que les conclusions de la société COGEM et de Maître Chavaux sont nulles pour défaut de capacité et de pouvoir à agir au fond devant le tribunal, ce qui entraîne la nullité du second jugement par application de l'article 117 du nouveau Code de procédure civile.

Les sociétés Daewoo prétendent également que ce jugement est nul compte tenu que les premiers juges ont fondé leur décision sur un motif du premier jugement qui consacre leur responsabilité en considérant qu'il avait autorité de chose jugée alors que celle-ci est limitée au dispositif du jugement qui, en l'occurrence, ne s'est pas prononcé sur leur responsabilité.

Sur le fond, la société Daewoo Corporation sollicite sa mise hors de cause au motif qu'elle n'a plus de relation contractuelle avec la société COGEM depuis 1981 tandis que la société Daewoo France reproche au tribunal d'avoir sur le fondement du rapport de l'expert Gandur, indemnisé la société COGEM pour non-respect de son engagement d'exclusivité, alors que celui-ci ne jouait que si COGEM respectait son quota d'achat de 60 000 autoradios par an ce qu'elle n'a pas fait en 1987 et en 1988 et qu'en tout état de cause, il n'est pas prouvé que la vente d'autoradios à des tiers lui a causé un préjudice.

La société Daewoo France critique également le jugement en ce que la société COGEM a été indemnisée de son préjudice résultant de son préjudice résultant des défauts techniques des sous-ensembles alors que ceux-ci ne sont pas prouvés et qu'à les supposer établis, ils sont contractuellement réparés par la restitution des sous-ensembles défectueuses aux fins de remise en état dans le délai d'un mois ou à défaut de remboursement du prix des matériels.

Enfin la société Daewoo France prétend que l'indemnité de résiliation allouée par le tribunal est injustifiée compte tenu qu'elle était en droit de résilier le contrat de distribution pour non-paiement des factures depuis juin 1988 et qu'en tout état de cause, cette indemnité est excessive et ne peut dépasser la somme de 3 926 832 F compte tenu que la marge moyenne mensuelle de la société COGEM au cours de la dernière année était de 151 032 F.

La société Daewoo France conclut donc au débouté des prétentions adverses et subsidiairement sollicite une nouvelle expertise.

Elle persiste dans sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 14 811 392,25 F au titre d'impayés sur marchandises, de refus de prendre livraison des marchandises commandées et de réparation de son préjudice résultant de la résiliation du contrat constitué par le manque à gagner, la perte de parts de marché et l'atteinte causée à son image.

La société Daewoo France réclame également la somme de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société COGEM représentée par M. Baudy, son liquidateur amiable et Maître Chavaux, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement judiciaire de cette société répliquent qu'ils ont qualité à agir et relèvent appel incident pour que le montant des condamnations prononcées contre les sociétés Daewoo soit porté aux sommes de 17 138 220,49 F et de 250 000 F respectivement à titre de dommages et intérêts et de frais non répétibles.

La SA Univox qui a été intimée ne comparait pas bien qu'elle ait fait l'objet de deux procès-verbaux de recherches infructueuses, qui ont été régulièrement dressées par actes du 11 juin 1996 et du 5 juillet 1996, conformément aux dispositions de l'article 659 du nouveau Code de procédure civile.

Par application de l'article 474 du nouveau Code de procédure civile, il y a lieu de statuer par arrêt réputé contradictoire.

Sur le fond du litige :

Considérant que la société COGEM qui a engagé la présente action, l'a poursuivie après le dépôt du rapport d'expertise conjointement avec Maître Chavaux, agissant en qualité de commissaire à l'exécution de son plan de redressement ;

Considérant qu'il résulte des documents produits que le Tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 21 décembre 1989, ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société COGEM et, par jugement du 22 mai 1990, arrêté le plan de cession de son entreprise, en a fixé la durée à un an et désigné pendant cette année Maître Chavaux, commissaire à l'exécution du plan ; que la mission de Maître Chavaux est expirée depuis le 12 mai 1992 et qu'en vertu de l'article 67 al. 2 de la loi du 25 janvier 1985, il n'a pas qualité pour poursuivre l'instance qui a été introduite par la société COGEM alors qu'elle était in bonis ;

Que par application de l'article 43 du décret du 30 mai 1984, cette société a été radiée d'office du registre du commerce et des sociétés le 8 mars 1994 à la suite de sa dissolution à compter du 1er décembre 1990 ;

Mais considérant que les opérations de liquidation n'étant pas clôturées, la société COGEM garde sa personnalité morale pour les besoins de sa liquidation ;

Que M. Georges Baudy, son liquidateur, a qualité pour la représenter en justice ;

Que certes, il ne l'a pas fait en première instance, mais que cette irrégularité de fond est couverte par son intervention en appel, et ce, par application de l'article 121 du nouveau Code de procédure civile, qu'il n'y a donc pas lieu d'annuler le jugement de ce chef ;

Considérant que par acte sous seing privé daté du 24 juin 1985, la société Daewoo France a accordé à la société COGEM l'exclusivité totale de distribution en France des autoradios et accessoires fabriqués par la société Daewoo Co LTD ou importés de Corée du Sud, mais qu'en contrepartie, la société COGEM s'est engagée à acheter au minimum une quantité annuelle de 60 000 autoradios ;

Que ce contrat est conclu pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation trois mois à l'avance par l'une ou l'autre des parties ;

Cependant que par acte sous seing privé daté du 12 juillet 1985, la société Daewoo France s'est engagée à fournir à la société COGEM des éléments d'autoradios destinés à être assemblés pour être distribués par cette société sous la marque " Daytron " déposée par la société Daewoo France ;

Que ce contrat conclu pour une année est renouvelable chaque année par notification écrite ou sous forme de télex, un mois avant sa date d'expiration ;

Que le premier contrat a été reconduit tacitement pour une durée de 3 ans à compter du 24 juin 1988 et que le second s'est poursuivi en fait ;

Considérant que par lettre du 30 janvier 1989, la société Daewoo France a résilié le contrat du 24 juin 1985 à effet au 27 avril 1989 aux motifs que la société COGEM n'avait pas réglé des factures de fournitures de marchandises d'un montant global de plus de 6 000 000 F et qu'en 1988, elle n'a pas respecté le quota minimum d'achat de 60 000 autoradios ;

Considérant qu'il résulte du rapport de l'expert judiciaire et des pièces annexées à ce rapport que de juillet 1985 à janvier 1989, la société Daewoo France a vendu à des tiers 82 693 autoradios et accessoires dont 37 743 en 1988;

Considérant qu'il apparaît ainsi que dès l'année 1985, la société Daewoo France a violé gravement son obligation d'exclusivité d'approvisionnement en France au profit de la société COGEM, tout particulièrement au cours de l'année 1988 ce qui explique que la société COGEM n'a pu respecter son engagement d'achat minimum et ce qui justifie sa cessation de paiement des factures de fournitures de marchandises et pièces détachées à compter du second trimestre de l'année 1988;

Que la société Daewoo France est donc seule responsable de la rupture des relations contractuelles; qu'il y a lieu de mettre hors de cause la société Daewoo Corporation qui n'est pas liée contractuellement à la société COGEM ;

Considérant que la réclamation de la société COGEM se décompose comme suit :

- coût de fabrication des sous-ensembles : 520 843,76 F

- promotion de la marque Daytron : 965 722,94 F

- financement de 20 000 sous-ensembles livrés en une seule fois : 149 561,04 F

- reprise de produits défectueux en 1988 : 84 133,50 F

- service après-vente sous traité d'avril à novembre 1989 : 164 041,25 F

- service après vente du 1er trimestre 1989 : 54 680,00 F

- manque à gagner résultant des ventes à des tiers de juin 1985 à janvier 1989 : 2 940 563,00 F

- indemnité de résiliation : 7 658 675,00 F

- préjudice commercial constitué par la procédure collective qui est la conséquence des agissements fautifs de Daewoo : 5 000 000,00 F

TOTAL = 17 138 220,49 F

Considérant que conformément à l'avis de l'expert, le Tribunal a rejeté les demandes au titre du coût de fabrication des sous-ensembles et de promotion de la marque Daytron compte tenu que la société COGEM ne prouve pas que les produits fabriqués n'ont pas été vendus et que les frais de promotion de la marque Daytron qui ne représentent que 2 % des ventes globales et qui ont diminué sensiblement de 1986 à 1988, sont destinés seulement à entretenir l'image de la marque et à maintenir le niveau des ventes. Qu'en outre, la société Daewoo France n'est pas contractuellement tenue de supporter des frais de publicité ;

Considérant que la société COGEM doit être déboutée de ses demandes de financement de 20 000 sous-ensembles livrés en une seule fois et de la reprise de ces produits défectueux faute par elle de rapporter la preuve par constat ou expertise ou tout autre élément objectif de la défectuosité de ces matériels ;

Considérant que la société COGEM n'est pas davantage fondée à solliciter la prise en charge par la société Daewoo France du coût de son service après-vente de janvier 1989 à novembre 1989 dès lors que les contrats susvisés sont muets sur ce point, et que la société Daewoo France s'est seulement engagée à fournir gratuitement 2 % des pièces détachées au titre de la garantie de fabrication et de la garantie du service après-vente dans le cadre du contrat d'approvisionnement de sous-ensembles ;

Considérant qu'en violant la clause d'exclusivité dont bénéficiait la société COGEM, la société Daewoo France lui a fait perdre des ventes d'appareils et par voie de conséquence l'a privée de la marge brute sur ces opérations ;

Que compte tenu du nombre d'appareils vendus irrégulièrement par la société Daewoo France, le tribunal a justement évalué ce préjudice à la somme de 2 940 563 F conformément à l'avis de l'expert ;

Considérant que la résiliation abusive du contrat par la société Daewoo France du 27 avril 1989, soit avant le terme convenu fixé au 23 juin 1991, a fait perdre à la société COGEM le bénéfice brut qu'elle était en droit d'attendre de la vente des autoradios et accessoires litigieux jusqu'à la fin du contrat, que sur la base non contestée de 83 653 unités provenant de Daewoo et mises sur le marché en 1988, moyennant le prix de 21 749 780 F, qui fait ressortir une marge après frais directs de 3 044 969 F, le préjudice de la société COGEM doit être chiffré à la somme de (3 044 964 F x 26) : 12 = 6 597 432,80 F ;

Considérant que la société COGEM ne rapporte pas la preuve que la rupture des relations contractuelles est la cause directe et déterminante de la procédure collective dont elle a fait l'objet 8 mois plus tard, qu'en effet il résulte du rapport d'expertise et des pièces comptables de la société COGEM que son chiffre d'affaires sur les produits Daytron et les autres produits était respectivement de 17 624 531 F et de 32 733 086 F en 1987, et de 11 867 654 F et de 18 343 901 F en 1988, ce qui démontre que l'activité Daytron ne représentait pas la part majoritaire de son chiffre d'affaires et que celui-ci était en nette régression ; que la société COGEM doit donc être déboutée de sa demande en réparation de son préjudice commercial qui est déjà suffisamment réparé par l'indemnité de résiliation ; que le préjudice global de la société COGEM s'élève donc à la somme de 2 940 563 + 6 597 432,80 F = 9 537 995,80 F, arrondi à 9 538 000 F

Considérant que la demande reconventionnelle de la société Daewoo est irrecevable faute par elle d'avoir déclaré sa créance prétendue qui est née antérieurement ou lors de la résiliation du contrat et donc antérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société COGEM ;

Considérant qu'eu égard aux circonstances de la cause, il paraît seulement inéquitable de laisser à la charge de la société COGEM ses frais non répétibles exposés en 1re instance et en appel à concurrence de la somme de 50 000 F ;

Considérant que l'appel des sociétés Daewoo étant en partie fondé, il y a lieu de faire masse des dépens d'appel et de la partager par moitié entre les parties ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, Infirmant partiellement le jugement déféré ; Met hors de cause la société Daewoo Corporation ; Dit que Maître Chavaux, commissaire à l'exécution du plan de la société Compagnie Générale d'Ectromécanisme n'a pas qualité pour agir ; Condamne la SARL Daewoo France à payer à M. Georges Baudy pris en qualité de liquidateur amiable de la SA Compagnie Générale d'Electromécanisme, la somme de 9 538 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déclare irrecevable la demande reconventionnelle de la SARL Daewoo France ; Condamne cette société aux dépens de 1re instance ; Fait masse des dépens et les partage par moitié entre les parties ; Et pour ceux d'appel, accorde un droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause.