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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 12 septembre 1997, n° 96-001832

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gover Sports (SARL)

Défendeur :

Marshall (SA), AFME (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

Mme Cabat, M. Betch

Avoués :

SCP Bourdais Virenque, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Lanciaux, Cussac.

T. com. Paris, 7e ch., du 3 oct. 1994

3 octobre 1994

Par actes des 7 octobre 1986, 25 juillet 1987 et 1er août 1991 conclus avec la SA Marshall, filiale du groupe américain Rallye, la SARL Gover est entrée dans le réseau de franchise lui permettant l'exploitation, sous l'enseigne Athletes Foot, d'un magasin commercialisant des chaussures et des vêtements de sport à Besançon.

Les 4 juin et 6 juin 1993, la direction américaine du groupe Rallye, d'une part, la SA Marshall, d'autre part, l'ont informée du transfertà une SA AFME, constituée à cet effet, du contrat de franchiseet une réunion d'information des franchisés a été tenue le 13 juillet 1993. A la suite de cette réunion, les franchisés se sont constitués en association, un litige les a opposés aux sociétés Marshall et AFME sur l'évolution du réseau proposée par celles-ci et, par jugement du 7 novembre 1995, le Tribunal de Commerce de Paris a :

- Rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par les sociétés AFME et Marshall ;

- Constaté la résiliation du contrat en février 1994 aux torts partagés des parties, " la responsabilité des sociétés Marshall et AFME étant nettement supérieure à celle de la SARL Gover " ;

- Condamné solidairement les sociétés Marshall et AFME à payer à la SARL Gover une somme de 250 000 F à titre de dommages-intérêts ;

- Condamné la SARL Gover à payer, à la SA Marshall une somme de 12 919 F, à la SA AFME celle de 787 119 F avec intérêts au taux légal à compter du 6 mai 1994 sur la somme due à la SA Marshall et sur 101 200 F dus à la SA AFME ;

- Ordonné compensation entre les créances réciproques des parties ;

- Rejeté leurs autres demandes.

La SARL Gover a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Elle relate que la SA Marshall, franchiseur, a souhaité réaliser sa restructuration économique et a, pour y parvenir, opéré un démembrement du réseau par le transfert à la SA AFME, constituée pour la circonstance, de 50 % de ses points de vente mais ce avec maintien de l'exploitation des autres, ceux qu'elle exploitait elle-même en succursales, sous une enseigne différente, la chaîne Courir, dont elle a conservé directement et uniquement l'exploitation.

Elle ajoute que cette opération a été réalisée sans que les franchisés puissent obtenir, malgré des demandes pressantes et réitérées qu'elle détaille, de renseignements, d'informations effectives ou de garanties sur le maintien de la qualité du réseau ou de sa réalité même, puisque celui-ci, antérieurement géré par une quarantaine de personnes affectées à son développement ne dispose plus que de cinq d'entre elles pour l'animer et se trouve aujourd'hui réduit à quelques magasins seulement qui ne suffisent pas à faire considérer comme encore persistant celui auquel elle avait adhéré.

Le franchisé fait valoir que la SA Marshall qui a entendu opérer sa restructuration économique et entrepris, pour y parvenir, un démembrement du réseau par le transfert à la SA AFME, constituée pour la circonstance, de 50 % de ses points de vente mais ce avec maintien de l'exploitation des autres sous une enseigne différente a, par là, fautivement porté atteinte aux perspectives de développement de la franchise Athletes Foot et a altéré l'intégrité et la pérennité du réseau au mépris des droits et intérêts de ses membres puisque l'option qu'elle leur a proposé ne pouvait leur apporter qu'un maintien illusoire de leurs droits.

Il souligne, en outre, que la SA Marshall pourtant tenue à une obligation d'information des franchisés sur l'évolution du réseau s'y est soustraite, a refusé toutes négociations susceptibles de permettre le maintien des rapports contractuels entre les parties et que dans ces conditions il y a lieu de prononcer la résolution du contrat aux torts exclusifs des sociétés Marshall et AFME.

La SARL Gover demande donc le prononcé de la résiliation du contrat aux torts exclusifs de ces sociétés et leur condamnation au paiement d'une somme de 2 016 963 F à titre de dommages-intérêts compensatoires du préjudice causé outre 30 000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Sans invoquer devant la Cour l'exception d'irrecevabilité soulevée devant les premiers juges, les sociétés Marshall et AFME s'opposent à ces demandes en détaillant les motifs économiques qui les ont amenées à modifier les conditions de la distribution sous l'enseigne Athletes Foot des chaussures sport, elles excipent de la nécessité, pour elles, de réaliser un recentrage de cette distribution qui ne pouvait entraîner, selon leur projet annoncé aux franchisés, qu'une diminution temporaire du nombre des points de vente et un transfert progressif de ceux devant sortir du réseau et affirment que le franchisé, membre d'une association fondée à cet effet, a refusé toutes discussions ou toutes informations qu'elles lui offraient, préférant interrompre, dès le mois d'août 1993, de manière unilatérale et injustifiée, le versement des redevances de franchise et ce alors qu'aucun transfert d'enseigne n'avait encore été réalisé et que la fourniture par le franchiseur de ses services n'avait pas été interrompue.

Elles décrivent leurs diverses tentatives d'information ou de négociation avec le franchisé mais soulignent que ces tentatives se sont toujours heurtées à son désir d'obtenir une diminution injustifiée du montant des redevances.

Les sociétés Marshall et AFME font valoir qu'il leur appartenait de renforcer et faire évoluer le réseau ce qu'elles ont fait à la satisfaction d'autres de ses adhérents et que le franchisé n'apporte pas la preuve de l'atteinte qu'elles ont porté à son développement ou aux droits de ses membres qui ont toujours eu les services qu'elles s'étaient engagées à leur fournir et qui ne peuvent tirer argument de l'annonce de transferts d'enseignes puisque ceux-ci devaient être opérés progressivement, sans perte de valeur ou d'impact pour Athletes Foot, sans préjudice commercial pour le franchisé au contrat duquel aucune modification substantielle n'était apportée et qu'ils étaient simplement dictés par des impératifs économiques.

Elles relèvent qu'il ne peut leur être imputé un refus fautif d'information ou de négociation puisque c'est précisément celle fournie au franchisé dès juin 1993 qui entraîné son refus de paiement des redevances et de participer ultérieurement à toutes discussions sur l'évolution du réseau.

Les sociétés Marshall et AFME demandent le prononcé de la résiliation de ces contrats aux torts exclusifs de celui-ci qui a, en concertation avec d'autres, unilatéralement et sans motif valablement établi, cessé de payer les redevances de franchise et refusé, dans les mêmes conditions, toute discussion avec le franchiseur, sa condamnation au payement à la SA Marshall de la somme de 117 443 F et à la SA AFME de celle de 1 242 068 F au titre des redevances exigibles et de dommages-intérêts compensatoires du préjudice causée tant précisé que la SA AFME comprend dans le montant de sa demande une somme de 321 518 F dont elle s'estime créancière à la suite d'une concurrence déloyale faite par le franchisé après la résiliation des contrats. Elles lui réclament enfin chacune 30 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Cela exposé,

Considérant qu'il ressort des très nombreuses pièces versées aux débats qu'en juin 1993 les sociétés Marshall et AFME ont fait part aux franchisés de ce qu'elles entendaient se restructurer et, pour ce faire, remodeler le réseau ce par transfert des contrats de franchise Athletes Foot à la SA AFME et modification de l'enseigne au profit de Courir des points de vente qui en faisaient partie mais étaient jusqu'alors exploités en succursales par la SA Marshall qui en conservait la gestion ;

Considérant que ces pièces établissent, en outre, qu'à cette date, la décision des sociétés AFME et Marshall était définitivement arrêtée, connaissait même un début d'exécution puisque la SA AFME avait été constituée pour sa mise en œuvre et qu'elle a d'ailleurs été confirmée aux franchisés lors d'une réunion d'information tenue le 13 juillet 1993 ;

Considérant que cette décision emportait comme effet la sortie du réseau, organisée par les SA Marshall et AFME, de 50 % environ des points de vente qui en faisaient jusque là partie ce pour une exploitation sous une enseigne différente, et a entraîné, par sa nature même et son ampleur quantitative, un véritable démembrement de ce réseau dont la force et la qualité ne pouvaient se trouver que fortement amoindries ;

Considérant que c'est vainement que les sociétés Marshall et AFME affirment que cette décision a été dictée par des impératifs économiques et a entraîné la satisfaction des autres franchisés puisque l'appelante restait en droit d'exiger l'absence, sauf accord de sa part, d'une modification des conditions essentielles de son contrat, conditions dont la structure présentée par le réseau et la pérennité de celui-ci font partie intégrantes.

Considérant que si les sociétés Marshall et AFME soutiennent encore que les modifications apportées au réseau étaient vénielles et n'avait que peu d'effets sur sa structure ou sa consistance puisque les transferts d'enseigne devaient s'effectuer progressivement dans le temps, force est de retenir, à partir des commentaires faits par la direction de leur groupe sur les résultats pour 1994, que le projet mis en œuvre a bien eu pour objectif de " réunir l'ensemble du réseau " de la société Marshall " dans un format unique sous l'enseigne Courir " ce qui dément leurs allégations étant ajouté, s'il en était besoin, que ce réseau n'est plus constitué aujourd'hui que par une dizaine de points de vente seulement ;

Considérant que les sociétés Marshall et AFME qui ont porté atteinte à la force, à la pérennité du réseau et par là aux droits du franchisé ne peuvent lui imputer à faute un refus de négociations tendant à lui faire accepter une modification substantielle et unilatérale des conditions essentielles du contrat;

Considérant que pour ces motifs l'intégralité de l'argumentation développée sur ces points par les sociétés Marshall et AFME devient inopérante et que la résiliation au 1er juillet 1993 du contrat litigieux doit être prononcée aux torts exclusifs des sociétés Marshall et AFME;

Considérant que le franchisé, s'il demande en réparation du préjudice subi une somme de 1 893 298 F ne produit pour en établir le montant que des pièces émanant de lui-même et donc dépourvues de valeur probante ; que la Cour dispose, en tenant compte de ce que le contrat a été résilié et de ce que le franchisé a pu en bénéficier jusqu'à la date de résiliation, de ce que les aménagements dont le prix a été supporté ne restent pas sans utilité, des charges supportées pour les réaménagements à réaliser pour remplacer les éléments d'identification de la franchise, d'éléments suffisant pour chiffrer à 25 000 F le montant des dommages-intérêts qui lui sont dus à ce titre ;

Considérant que le franchisé s'est engagé, aux termes de l'article 11 du contrat à ne pas exercer d'activité concurrente pendant un an après la résiliation du contrat ; qu'il est établi qu'il n'a pas respecté cet engagement et qu'il doit donc être déclaré tenu au paiement de l'indemnité forfaitaire prévue, à titre de clause pénale, pour garantir l'exécution de cette obligation;

Considérant que l'effet de celle-ci apparaît manifestement excessif compte tenu de la durée pendant laquelle la franchise a été exécutée et du montant de la somme exigible qui tend à l'exécution quasi intégrale du contrat ; Qu'il y a lieu, par application des dispositions de l'article 1152 du Code Civil, d'en réduire le montant à la somme de 25 000 F, somme qui tient compte du sort que la SA AFME a donné au réseau Athlètes Foot et de ce que celle-ci ne démontre pas avoir subi, à la suite de la concurrence déloyale faite, un préjudice d'un montant plus élevé ;

Considérant que les sociétés Marshall et AFME ne démontrent pas que le franchisé a commis une faute contractuelle ou quasi délictuelle dans les actions menées pour la défense de ses intérêts ou la négociation difficile entreprise entre les parties qui s'étaient toutes installées dans un rapport assez conflictuel ;

Considérant que les sociétés Marshall et AFME sont responsables de la résiliation des contrats de franchise et qu'elles doivent donc être déclarées tenues au paiement des dépens de première instance et d'appel ;

Considérant que l'équité ne dicte pas l'attribution à l'une des parties d'une somme au titre de ses frais irrépétibles de première instance ou pour ceux d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant dans les limites de sa saisine telle qu'elle résulte des écritures des parties ; Confirmant partiellement la décision déférée ; Substitue à son dispositif le dispositif suivant : Prononce la résiliation au 1er juillet 1993 du contrat de franchise aux torts exclusifs des sociétés Marshall et AFME ; Les condamne solidairement à payer à la SARL Gover une somme de 25 000 F en réparation du préjudice subi par celle-ci ; Condamne la SARL Gover à payer à la SA AFME une somme de 25 000 F à titre de dommages-intérêts ; Ordonne la compensation entre les créances respectives des parties ; Rejette toutes demandes plus amples ou contraires aux motifs ; Condamne les sociétés Marshall et AFME solidairement au paiement des dépens de première instance et d'appel avec admission, pour ces derniers, de l'avoué concerné au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.