CA Lyon, 3e ch., 3 octobre 1997, n° 97-05562
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mercedes Benz France (SA)
Défendeur :
Sofco Automobiles (SA), Véga (Sté), Alcia Lyon Sud (Sté), Alcia Saint-Etienne (Sté), Etoile Service 38 (Sté), Etoile Service 73 (Sté), Espace Bourg Auto, Dubois (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Karsenty
Conseillers :
M. Durand, Mme Martin
Avoués :
SCP Guilhem, SCP Aguiraud
Avocats :
SCP Vogel & Vogel, Me Genin
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Les sociétés Sofco Automobiles, Alcia Lyon Sud, Alcia Saint-Etienne, Etoile Service 38, Etoile Service 73, Espace Bourg Auto ont fait assigner la société Mercedes Benz France aux fins de leur enjoindre de poursuivre les relations contractuelles, avec elles dans les conditions d'exécution qui ont toujours prévalu depuis l'origine et ce au moins pendant la mission du mandataire ad hoc.
Par ordonnance en date du 25 juillet 1997, le Magistrat des référés du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a :
- enjoint la société Mercedes Benz France, sous astreinte définitive de 100 000 F par jour de retard et par société concessionnaire demanderesse de reprendre les relations commerciales et de les poursuivre jusqu'au 30 septembre 1997 dans le cadre des dispositions précitées et relatives au processus défini par MBF le 22 mai 1997 et en reprenant les liaisons informatiques interrompues ;
- ordonné aux sociétés demanderesses Sofco Automobiles, Vega, Alcia Lyon Sud, Alcia Saint-Etienne, Etoile Service 38, Etoile Service 73, Espace Bourg Auto de consigner entre les mains du bâtonnier de Bourg-en-Bresse le produit des ventes de véhicules réalisées à ce jour dont le montant sera fixé par Maître Picard qui pourra s'adjoindre tout sapiteur dans l'établissement des comptes ;
- dit que Maître Picard fera rapport de l'exécution de la mesure de séquestre dans les huit jours de l'ordonnance ;
- rejeté toutes autres demandes.
La société Mercedes Benz a été autorisée à relever appel de cette décision à jour fixe.
Elle demande à la Cour
* à titre principal :
- in limine litis de constater l'incompétence du Président du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse au profit du Tribunal de commerce [de] Paris en vertu de la clause attributive de compétence des contrats de concession et des contrats de dépôt ;
- dire et juger le Tribunal de commerce de Paris compétent ;
- écarter des débats l'ensemble des écritures faisant référence à la procédure confidentielle du mandat ad hoc ;
- en conséquence, infirmer l'ordonnance ;
* à titre subsidiaire :
- constater l'absence de péril imminent au sens de l'article 873 du Nouveau Code de Procédure Civile justifiant la compétence du Président du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse statuant en référé pour adjoindre à la société Mercedes Benz France de reprendre les relations commerciales et de les poursuivre jusqu'au 30 septembre 1997
- de constater, dire et juger que le Président du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse n'avait pas le pouvoir pour enjoindre à la société Mercedes Benz France de reprendre les relations commerciales et de les poursuivre jusqu'au 30 septembre 1997
- de condamner les intimées, chacune à lui payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir à l'appui de ses prétentions :
- que Sofco n'a pas fait de consignation et a fermé ses sites commerciaux ;
- que l'intérêt doit exister au jour de l'appel ;
- que la désignation de Maître Picard n'a rien à voir avec le litige soumis au Juge des référés et qu'elle n'a jamais accepté la compétence du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse ;
- que les effets des relations des contrats de concession ayant été prolongés jusqu'au 30 septembre 1998 ; que la clause contractuelle attribuant compétence au Tribunal de commerce de Paris en cas de contestations relatives au contrat de concession est applicable ; que si l'on admet que les contrats ont été résiliés, le contrat dispose dans son article 15 que si après dénonciation, les relations commerciales sont poursuivies tacitement au delà du terme fixé, les clauses du contrat continueront à s'appliquer ;
- que même si l'on admet que le contrat initial contient des clauses illicites, la sanction n'est pas la nullité du contrat tout entier ; que la clause n'était pas impulsive et déterminante ;
- que dans la mesure où l'exécution d'une obligation de faire rentrer [sic] dans le cadre de l'article 873 alinéa II et que les conditions ne sont pas remplies, le tribunal ne pouvait ordonner l'exécution d'une obligation de faire sur le fondement de l'article 873 alinéa I ;
- que la situation actuelle résulte du comportement des sociétés concessionnaires qui n'ont pas hésité à détourner des véhicules mis en dépôt ; que la seule situation de péril imminent et de trouble illicite est celle dont elle est victime ;
- que le contrat prévoit que les parties contractantes peuvent résilier le contrat sans préavis pour motif grave ;
- qu'elle était dans son droit d'agir comme il l'a fait tant au regard du droit commun que de la loi.
La société Sofco, les sociétés Vega, Alcia Lyon Sud, Alcia Saint-Etienne, Etoile Service 38, Etoile Service 73, Espace Bourg Auto représentées par Maître Sapin et Maître Dubois, représentants des créanciers à la suite du prononcé de leur redressement judiciaire en date du 1er septembre 1997, demandent à la Cour :
- de confirmer l'ordonnance rendue et de condamner la société Mercedes Benz à leur payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elles soutiennent :
- que la société Mercedes n'a plus d'intérêt pratique à faire réformer l'ordonnance qui ne peut plus être exécutée, les concessionnaires ayant cessé toute activité et que compte tenu du règlement judiciaire, il n'est plus possible d'effectuer le séquestre ;
- qu'au 30 juin 1996, les anciens contrats sont devenus caducs ; que la société Mercedes a proposé de nouveaux contrats et que les relations se sont poursuivies sans cadre écrit ;
- que les anciens contrats étaient frappés de nullité absolue à la suite du nouveau règlement d'exemption communautaire ;
- que la compétence de droit commun doit recevoir application ; qu'il appartient en l'absence d'une clause résolutoire du contrat au juge de prononcer la résolution du contrat ;
- que le trouble était illicite ;
- que les fautes contractuelles invoquées par Mercedes soulevaient pour le moins des contestations sérieuses puisqu'elles étaient relatives aux nouveaux contrats de dépôt signés par des salariés n'ayant pas pouvoir et résiliés avec effet immédiat.
MOTIFS ET DECISION
Sur la demande relative aux conclusions déposées par les intimées :
Attendu que l'indication de la participation de la société Mercedes à des réunions tenues par le mandataire ad hoc ne justifie pas que soit écartées des débats les écritures en faisant état ;
Sur l'intérêt à agir :
Attendu que les intimées font valoir que la société Mercedes Benz France n'aurait plus d'intérêt à agir depuis le redressement judiciaire des six sociétés ;
Mais attendu que la société Mercedes a un intérêt dans la mesure où notamment la société Sofco n'est pas en redressement judiciaire et où elle demande la réformation d'une décision ayant autorité provisoire de la chose jugée et exécutoire par provision ;
Sur la compétence
Attendu que par courrier en date du 19 mai 1995, la société Mercedes Benz France a résilié les contrats de concession des sociétés Alcia Lyon Sud, Etoile Service 38, Etoile Service 73, Alcia Saint-Etienne et Espace Bourg Auto à effet au 30 juin 1996 ;
Attendu que des projets de protocoles ont été successivement émis par la société Mercedes Benz France et la société Sofco mais n'ont pas été signés ;
Que par deux courriers en date du 4 septembre 1996, la société Mercedes Benz France a confirmé sa décision de cesser les relations contractuelles avec la société Espace Bourg Auto et Etoile Service 73 avec effet au 30 septembre 1998 ;
Que le 13 septembre 1996, la société Mercedes Benz France a décidé de résilier le contrat de concession de la société Vega Automobiles avec effet au 30 septembre 1998 ;
Que le 26 septembre 1996, la société Mercedes Benz France a confirmé sa décision de cesser toute relation contractuelle avec la société Etoile Service 38 avec effet au 30 septembre 1998 ;
Que le 14 mars 1997, les contrats de concession des sociétés Alcia Saint-Etienne et Alcia Lyon Sud ont été résiliés avec effet au 31 mars 1999 ;
Attendu qu'en premier lieu, il convient de relever que le fait qu'un mandataire ad hoc ait été nommé par le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse avec pour mission d'assister les dirigeants des sociétés concessionnaires dans les négociations entreprises auprès des banques de Sofco et les constructeurs automobiles en vue d'entamer ou de poursuivre toute négociation permettant d'aboutir à toute solution dans le respect des intérêts de toutes les parties et des tiers ne permet pas de considérer que la société Mercedes ait accepté la compétence du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse d'autant plus que la renonciation ne se présume pas ;
Attendu qu'il ressort de ce qui précède que tout au moins pour la plupart des concessionnaires, le contrat de concession était résilié et avait pris fin, mais que cependant les relations se sont poursuivies entre les parties ;
Or attendu que l'article 15 du contrat de concession stipule : "si après dénonciation les relations commerciales se sont poursuivies tacitement au delà du terme fixé, les clauses du présent contrat demeureront applicables, sans que de ce fait le contrat se trouve prorogé ou reconduit" ;
Qu'il s'ensuit que la société Mercedes peut invoquer la clause attributive de juridiction qui figure dans les contrats de concession et donne compétence aux juridictions de Paris pour connaître des contestations ;
Attendu que si pour obtenir une ordonnance de référé, on doit s'adresser au Président du tribunal, qui territorialement compétent, serait compétent pour trancher au fond la difficulté, en l'espèce le Président du Tribunal de commerce de Paris en raison de la clause attributive de compétence, cette exigence n'est pas absolue et la partie demanderesse peut en raison de l'urgence ou des circonstances s'adresser au tribunal du lieu où les mesures urgentes doivent être prises et exécutées ; qu'il s'ensuit que se fondant sur un péril imminent, la société Espace Bourg Auto pouvait assigner la société Mercedes pour demander la continuation des relations contractuelles et la livraison des véhicules ;
Qu'en raison de la connexité résultant de l'identité des litiges, la compétence du Magistrat des référés du Tribunal de Bourg-en-Bresse est justifiée ;
Attendu qu'il ressort que l'article 15.I du contrat ainsi qu'il a été précisé précédemment prévoit l'application des clauses du contrat si après l'énonciation les relations commerciales se sont poursuivies tacitement au delà du terme fixé et que ce même article contient une clause dont la validité ne serait pas mise en cause même si d'autres clauses du contrat se trouvaient atteintes de nullité au regard du règlement d'exemption communautaire et qui stipule que les parties contractantes peuvent résilier le contrat sans préavis pour cause grave;
Or attendu que si les sociétés intimées invoquent le caractère brutal de la résiliation et un péril imminent, la société Mercedes soutient à juste titre que toute résiliation d'une concession entraîne un péril imminent et que compte tenu de la situation financière des sociétés, le lien entre la résiliation et le dommage peut être discuté;
Que dès lors c'est l'existence d'un trouble manifestement illicite qui doit être pris en considération pour justifier la compétence du Juge des référés ;
Attendu qu'en ce qui concerne le trouble manifestement illicite, il ressort des pièces produites que le fax concernant la fourniture des véhicules en application des contrats de dépôt de vente a été adressé au directeur de la société Sofco et que les contrats de dépôt ont été signés par les directeurs d'agence ;
Que s'il n'appartient pas au Juge des référés de se prononcer sur la nullité des contrats de dépôt, il n'en demeure pas moins que en l'état les contrats ont une apparence de validité qui implique qu'ils soient pris en considération ;
Or attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société Mercedes a été alertée au mois de juillet 1997 par des clients ayant acquis leurs véhicules qui ne possédaient pas de documents d'immatriculation et que les sociétés intimées ont vendu des véhicules en dépôt et n'ont pas transmis le prix à la société Mercedes ce qui explique que les documents d'immatriculation n'avaient pas été expédiés;
Que la société Mercedes soutient à ce titre qu'il lui est dû une somme supérieure à 20 millions de francs et fait état d'un détournement de 100 véhicules neufs;
Qu'il s'ensuit que compte tenu de la clause contractuelle précitée et du défaut de paiement des véhicules l'existence d'un trouble manifestement illicite constitué par la rupture brutale des relations contractuelles n'est pas certain;
Que dès lors la décision doit être réformée en ce qu'elle a ordonné la poursuite du contratdans le cadre du processus défini par Mercedes le 22 mai 1997 alors qu'il ne constituait pas une protection suffisante des intérêts de la société Mercedes ;
Attendu par contre que c'est à juste titre que le premier juge a ordonné une mesure de séquestre, dont la portée se trouve maintenant limitée par les procédures collectives des sociétés d'autant plus qu'aucun paiement n'est intervenu ;
Attendu que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Attendu que les intimées doivent être condamnées aux dépens
Par ces motifs : LA COUR, Dit que le Magistrat des référés du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse était compétent. Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné la poursuite des relations commerciales. La confirme en ce qu'elle a ordonné une mesure de séquestre. Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Condamne les sociétés Sofco Automobiles, Vega Automobiles, Alcia Lyon Sud, Alcia Saint-Etienne, Etoile Service 38, Etoile Service 73 et Espace Bourg Auto aux dépens de première instance et d'appel avec pour ceux d'appel recouvrement direct au profit de Maître Guilhem, Avoué.